Viroses tropicales (hors Ebola)

Par Patrice Bourée Institut Alfred Fournier, Paris

Publié le

Les viroses sont des affections très répandues dans le monde et sont très loin d’être toutes répertoriées, d’autant plus que les réservoirs animaux sont innombrables. La majorité des viroses connues sont localisées dans les pays tropicaux, mais certaines existent dans les pays tempérés. Par ailleurs, les changements climatiques modifient les aires de répartition des vecteurs et l’épidémiologie de ces arboviroses. Cet article a pour but de faire un survol des principales viroses tropicales, dont certaines seront étudiées plus spécifiquement dans des articles ultérieurs.

Un syndrome grippal parfois grave

Les arboviroses (nom condensé de arthropodes born viroses) regroupent de très nombreuses zoonoses transmises par un vecteur hématophage, chez qui le virus se multiplie. Il existe actuellement plus de 500 arbovirus, dont 110 pathogènes pour l’homme, classés par famille (tableau I) et 40 pour les animaux. Toutes ces arboviroses se manifestent par un syndrome fébrile aigu avec, selon les virus en cause, une tendance à l’évolution vers une forme polyarthralgique, hémorragique ou encore neurologique (tableau II).

Tableau I. Principales familles de viroses tropicales
Famille Genre Virus Vecteur Létalité
Flavividae Flavivirus Encéphalite à tiques Encéphalite japonaise Fièvre jaune Dengue West-Nile Murray Valley Kunjin Zika Tiques Culex, Aedes Aedes Aedes Aedes Culex, Aedes Culex Aedes 1 à 2 % 5 à 40 % 50 à 80 % 1 à 5 % 25 % 0 % 0 % 0 %
Togaviridae Alphavirus Chikungunya Ross River O’Nyong-Nyong Mayaro Encéphalite équine Aedes Culex Anopheles Haemagogus moustique 0% 0% 0% 0% 35%
Bunyaviridae Phlébovirus Fièvre de la vallée du Rift moustique 1-3 %
Nairovirus Fièvre de Crimée-Congo tique 0
Bunyavirus Encéphalite de Californie moustique 0
Reoviridae Coltivirus Fièvre du Colorado tique 0,5 %
Tableau II. Formes cliniques particulières de certains virus
Symptômes Virus en cause
Polyarthralgies Hémorragies Encéphalite Chikungunya, Ross River, Mayaro, Kunjin Dengue, virus amaril, vallée du Rift Les encéphalites, Muray valley, West Nile, Kunjin, vallée du Rift

En effet, les arboviroses évoluent toujours selon le même schéma. Ces affections passent le plus souvent inaperçues. Dans les autres cas, après une incubation de quelques jours, survient un syndrome grippal : fièvre à 39-40°C, frissons, céphalées, arthralgies, douleurs abdominales. Puis les symptômes régressent pendant un à deux jours avant de réapparaître de façon plus intense. Le diagnostic est basé sur l’isolement du virus à partir des liquides biologiques (sang, LCR, biopsie) par différentes techniques et par le sérodiagnostic. Le traitement n’est que symptomatique et l’évolution est le plus souvent favorable, mais parfois fatale. La prophylaxie est basée sur la protection contre les vecteurs.

Arboviroses subtropicales

L’encéphalite japonaise

Essentiellement rencontrée dans les zones rurales d’Asie, et tout particulièrement en Chine, elle atteint environ 50 000 personnes chaque année, avec une mortalité importante. On observe une extension au Népal et en Inde. Les réservoirs de virus sont les oiseaux aquatiques et les porcs et le vecteur est un moustique (Culex, Aedes). Cette affection reste le plus souvent asymptomatique. Dans environ un cas sur 300, après une incubation d’une dizaine de jours, le patient présente un syndrome fébrile avec des céphalées et une encéphalite. L’évolution est sévère, la létalité variant de 5% à 40% et les séquelles neurologiques atteignant 50% des sujets. Le traitement n’est que symptomatique, mais il existe un vaccin efficace (2 injections à J. et J.28).

Le virus Ross River

Endémique et très fréquent en Australie où il a été identifié en 1959, il a déjà provoqué d’importantes épidémies dans toute la région du Pacifique. Les formes asymptomatiques sont fréquentes. Les patients se plaignent surtout d’arthralgies persistantes. Le virus Kunjin, isolé en 1960 en Australie où il est endémique, est très proche du West-Nile. Il est le plus souvent asymptomatique ou provoque un syndrome fébrile et des adénopathies. Le virus Murray, identifié en 1951 en Australie et en Papouasie-Nouvelle Guinée. Les cas sont rares mais graves en raison des séquelles et la mortalité due à la forme avec encéphalite.

Arboviroses tropicales

La fièvre jaune

La fièvre jaune, la plus grave, est située en Afrique intertropicale et dans le bassin de l’Amazonie où elle sévit toujours par flambées épidémiques, responsables d’environ 30 000 décès annuels. Le réservoir est le singe et le vecteur est le moustique Aedes. La contamination par le virus amaril peut s’effectuer en milieu selvatique, en milieu rural ou encore en milieu urbain. Le patient présente en quelques jours une hépatonéphrite aigue confirmée par les tests biologiques. Le patient a tout d’abord un faciès vultueux puis apparaît un ictère cutanéo-muqueux avec des troubles hémorragiques, en particulier un vomissement sanglant (« vomito negro ») de très mauvais pronostic. A défaut de traitement, il existe un vaccin très efficace, valable 10 ans.

La dengue

Endémo-épidémique dans la zone intertropicale, elle est actuellement l’arbovirose la plus répandue, atteignant jusqu’à 100 millions de personnes. Il existe 4 types du virus de la dengue DEN 1, 2, 3 et 4, n’ayant pas d’immunité croisée entre eux. Outre la fièvre élevée, le patient se plaint d’arthralgies et de rachialgies. Après la phase de rémission temporaire de la fièvre, celle-ci réapparait avec une éruption maculo-papuleuse. La guérison est la règle mais avec une longue asthénie résiduelle. Des formes hémorragiques peuvent survenir d’emblée ou plus souvent à l’occasion d’une seconde contamination. Le diagnostic est basé sur la mise en évidence du virus par RT-PCR ou par un test rapide (antigène NS1) et sur la sérologie par Elisa (IgM et IgG). Le traitement n’est que symptomatique et la prophylaxie est basée sur les répulsifs. Les recherches sur le vaccin est en cours.

Le virus chikungunya

Rencontré chez les singes et les oiseaux, il est endémo-épidémique en Afrique, en Inde, en Asie du sud-est et dans l’Océan Indien. et actuellement dans la région Caraïbe. Il est transmis par Aedes aegypti et A. albopictus à la Réunion (plus de 260 000 cas). Les symptômes sont très proches de ceux de la dengue. Outre la fièvre, il provoque d’intenses douleurs articulaires persistantes pendant plusieurs mois et un exanthème maculo-papuleux. L’évolution est bénigne, mais les formes cutanées, hépatiques, cardiaques ou neurologiques sont plus graves. Le diagnostic est uniquement sérologique (en laboratoire spécialisé). Il n’y a ni traitement spécifique ni vaccin.

Le virus West-Nile

Il est retrouvé chez les oiseaux, les reptiles et les chevaux. Transmis par un Culex, mais aussi par voie orale et par transplantation d’organe, il est très répandu en Afrique, sur le pourtour méditerranéen, en Europe centrale et en Asie. Il se manifeste par un syndrome grippal avec une éruption maculeuse d’évolution rapidement bénigne. Une importante épidémie a sévit à New-York en 1999. Il n’y a ni traitement spécifique ni vaccin.

La fièvre du Colorado, ou fièvre des montagnes américaines

Elle est due à un virus identifié chez l’homme en 1944, transmis par une tique du genre Dermacentor. Elle atteint essentiellement les campeurs en altitude dans les montagnes rocheuses. Outre le syndrome grippal, peuvent survenir des troubles neurologiques. Il n’existe ni traitement spécifique ni vaccin.

L'encéphalite équine

Elle est due à un alphavirus qui atteint les chevaux (somnolence, vertiges, paralysies et décès en quelques jours dans 90 % des cas) et de nombreux animaux. L’homme présente une encéphalite fébrile avec une mortalité dans 35 % des cas et des séquelles neurologiques. Il n’existe ni traitement spécifique ni vaccin.

La fièvre Mayaro

Elle est localisée en Amérique du sud et transmise par un moustique (Haemagogus), le réservoir est constitué par des rongeurs. Le patient présente un syndrome grippal, n’entraînant aucun décès. Il n’existe ni traitement spécifique ni vaccin.

L’encéphalite de Californie

Elle est due à un bunyavirus transmis par un Aedes. Elle provoque un syndrome grippal avec une évolution possible vers une encéphalite en particulier chez les enfants.

La fièvre de Crimée-Congo

Elle est due à un nairovirus qui provoque un syndrome grippal avec des symptômes hémorragiques parfois sévères avec une évolution possible vers une méningo-encéphalite.

Le virus O’Nyong Nyong

Il est transmis par des anophèles, est localisé en Afrique où il provoque un syndrome grippal avec une éruption cutanée et des adénopathies, mais pas d’hémorragies. Son évolution est favorable.

La fièvre de la vallée du Rift

C'est une zoonose des ruminants transmise par les Aedes. Elle sévit en Afrique subsaharienne et en Egypte. Elle sévit par épizootie et par épidémie. Elle se manifeste par un syndrome grippal avec des complications neurologiques et une baisse de l’acuité visuelle.

Le virus Zika

Il a été isolé en 1947 chez des singes en Ouganda, puis chez l’homme en 1952. Ce virus, transmis par un Aedes, est présent en Afrique, en Inde, en Asie du sud-est et dans le Pacifique. Fin 2013 - début 2014, la fièvre Zika a sévi en Polynésie et a essaimé dans de nombreuses iles du Pacifique. Outre le syndrome grippal, les patients présentent des troubles neurologiques. Cette affection est considérée comme bénigne mais le risque de survenue d’un syndrome de Guillain-Barré a été signalé. Le virus est recherché dans le sang ou la salive. Le traitement n’est que symptomatique. Le diagnostic différentiel est parfois difficile avec la dengue (tableau III), d’autant plus que ces deux affections peuvent co-exister comme actuellement en Polynésie.

Tableau III. Diagnostic différentiel entre les trois flavivirus principaux
Symptômes Dengue Chikungunya Fièvre Zika
Fièvre ++++ +++ +++
Myalgies/arthralgies +++ ++++ ++
Eruption maculo-papulaire ++ ++ +++
Douleurs rétro-oculaires ++ + ++
Conjonctivites 0 + +++
Lymphadénopathies ++ ++ +
Hépatomégalie 0 +++ 0
Leucopénie/thrombopénie +++ +++ 0
Hémorragies + 0 0

Le virus MERS-CoV

Il a été identifié fin 2012, en Arabie Saoudite chez des patients atteints de pathologie pulmonaire, d’où le nom de Middle East Respiratory Syndrome Coronavirus (MERS-CoV). La majorité des cas est localisée dans la péninsule arabique avec des cas importés dans différents pays d’Europe. Ce virus infecte essentiellement des patients ayant déjà un terain pathologique (diabète, hypertension artérielle, cardiopathie chronique, insuffisance rénale) La maladie se manifeste par une fièvre associée à des troubles pulmonaires et digestifs avec une mortalité non négligeable surtout à partir de 40 ans (87 décès sur l’ensemble des 207 cas répertoriés en avil 2014, soit 42%). Le réservoir est probablement le dromadaire, de nombreux dromadaires du Moyen-Orient ayant été trouvés porteurs d’anticorps et le virus a été mis en évidence chez certains. Le mode de transmission n’est pas encore élucidé (chauve-souris ?). Il n’existe ni traitement spécifique ni vaccin.

Ainsi, les arboviroses sont fréquentes et en augmentation. Dans le grande majorité des cas elles sont bénignes, se manifestant sous forme d’un syndrome grippal, mais peuvent parfois évoluer vers une forme hémorragique ou neurologique, de mauvais pronostic. A défaut de traitement spécifique, la prévention est basée sur la protection contre les insectes et la vaccination quand elle existe.