La pathologie iatrogène

Par Olivier Isaac Bismuth*

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La pathologie iatrogène

par Olivier Isaac Bismuth*

  • Médecin généraliste, Développement et Santé, Choisy-le-Roi, France.

L'expression "pathologie iatrogène" correspond aux troubles et maladies provoqués par l'intervention médicale du médecin et pourtant, hélas, personne probablement n'a pu l'éviter, qu'il soit bon ou moins bon thérapeute. Avant d'aller plus loin dans la définition, voyons quelques exemples significatifs.

  • Il a été prescrit de l'Aspirine à un patient souffrant de fièvre et de céphalées. Il revient trois jours plus tard vomissant du sang. On n'avait pas tenu compte de ses antécédents récents d'ulcère de l'estomac contre indiquant les anti-inflammatoires.
  • Cet autre présente une fièvre à 40°C, une toux et des crachats mêlés de sang évocateurs de " pneumonie ". À juste titre, il est prescrit de la Pénicilline injectable. À la seconde injection, le patient fait un choc brutal au dispensaire et meurt. C'est un choc anaphylactique dû à l'allergie à la Pénicilline.
  • Cet autre souffre d'une crise de paludisme. La chloroquine per- os est mal tolérée, elle lui occasionne une sensation de prurit l'empêchant de continuer son traitement.
  • Ce nourrisson vient de recevoir son vaccin DTCP. La nuit, il a soudainement une fièvre à 40°C et il convulse. Cette convulsion hyper pyrétique est peut-être un neuropaludisme et il faut le traiter en tant que tel, mais il est possible aussi qu'il s'agisse d'une poussée fébrile secondaire à sa vaccination.
  • On entend souvent parler du drame du sang contaminé par le virus du Sida. Des milliers d'individus sont devenus séropositifs à la suite de transfusions non contrôlées. Des gouvernements ont été ébranlés dans leurs assises.

Amis lecteurs, essayez de vous remémorer des cas de pathologie iatrogène auxquels vous avez assisté ou même été impliqués.

Les situations de pathologie iatrogène (Pl) sont d'une complexité croissante. On peut distinguer la iatrogénie des examens, celle des traitements, la iatrogénie du soignant lui-même et les cas particuliers.

Si parfois il s'agit d'une faute médicale, comme dans l'exemple de la prescription d'Aspirine chez un ulcéreux, ailleurs l'accident était imprévisible (exemple du choc anaphylactique à la Pénicilline) et on ne peut reprocher au soignant son acte. Ou encore la complication est connue et acceptée comme dans le cas de la convulsion hyper pyrétique mais elle est rare; on peut la prévenir par des antithermiques après l'injection et, en zone d'endémie, ne pas

Être vacciné est plus dangereux que risquer une fièvre après DTCP.

L'objectif de l'article n'est pas de culpabiliser le soignant mais:

  • d'une part d'attirer son attention sur les dangers de sa prescription ou de sa non prescription,

  • d'autre part, d'amorcer une réflexion sur une attitude préventive de la pathologie iatrogène.

I. latrogénie des examens

Les examens complémentaires peuvent être dangereux en eux-mêmes ou par une mauvaise interprétation de leurs résultats.

  • Cette femme a consulté plusieurs fois pour douleurs abdominales et brûlures épigastriques. Ces derniers jours elle vomit. Elle réclame une radiographie. On pratique un transit gastro-duodénal. Or, elle était en début de grossesse et ne le savait pas. Elle s'est fait irradier avec les risques pour l'embryon. C'est une toxicité directe de l'examen complémentaire, lequel n'était pas vraiment indispensable. e Au sixième mois de grossesse, cette autre présente des oedèmes modérés. L'examen à la bandelette montre une protéinurie. Le régime sans sel est recommandé. Double erreur, la protéinurie ne signifie pas toujours toxémie gravidique et le régime sans sel est contre-indiqué en cas de grossesse. C'est une erreur d'interprétation.

Il. Iatrogénie de la thérapeutique

Tout traitement comporte des risques, qu'il s'agisse de médicaments, d'acte chirurgical ou de soins infirmiers.

1. Insuffisance de traitement

La plupart des exemples cités précédemment rentrent dans ce cas de figure: l'enfant

Avec diarrhée et toux, qui a besoin d'une réhydratation ' per os; le tuberculeux ignoré; le ventre chirurgical; la femme anémiée...

Ajoutons encore la grossesse évaluée à risque pour malformation du bassin et qui n'est pas dirigée vers un centre chirurgical avant l'accouchement.

2. Traitement nocif

  • Cet enfant a une fièvre évoquant un paludisme. Il lui est injecté de la Quinine par voie intramusculaire dans la fesse. Or, nous savons que ce mode d'administration est responsable parfois de paralysie du membre inférieur et que de nombreuses prétendues "poliomyélites" sont en fait les séquelles de ce traitement. Il s'agit dans cet exemple d'un traitement dangereux, voire inutile car un traitement per os aurait fait aussi bien l'affaire.
  • Cet homme a une lombalgie. Des anti-inflammatoires sont prescrits par voie intramusculaire. Un abcès de la fesse survient. C'est regrettable d'autant que les AINS per os sont d'efficacité égale aux injectables.
  • Dans ce dispensaire, les seringues sont bouillies tous les matins. En admettant qu'elles le soient pendant vingt minutes dès le début de l'ébullition, il n'en reste pas moins que le risque de transmission de l'hépatite B persiste.
  • Cet homme âgé a un adénome prostatique, cause de troubles urinaires rétentionnels importants. On ne peut le faire opérer, on installe une sonde à demeure. Le risque de surinfection des urines par ce corps étranger est accru, mais il est inévitable afin de soulager le patient.
  • Dans plusieurs numéros (DS n° 107-108) on a attiré l'attention sur les dangers des couveuses (surchauffe, surinfection ...) surtout si la surveillance et l'hygiène ne sont pas attentives et rigoureuses.
  • Les complications d'un acte opératoire sont multiples et parfois graves. Citons le choc anesthésique, l'abcès de paroi, la surinfection osseuse avec des germes hospitaliers résistants aux antibiotiques...
  • Toxicité médicamenteuse: n'importe quel médicament peut entraîner des effets secondaires, soit allergiques (urticaire, diarrhée, choc), soit toxiques (constipation d'un atropinique, convulsions sous Théophylline, troubles du rythme cardiaque avec des digitaliques ...).

Rappelons les impressionnants mouvements extrapyramidaux avec le métoclopramide (Primpéran (R), Anausin (R) ...), ou le prurit au début d'un traitement par la diéthylcarbamazine (Notézine (R)), mais ici c'est un effet secondaire attendu, accepté et combattu par la prescription d'antihistaminiques.

3. Association médicamenteuse

Il faut constamment garder en tête que dans une même prescription, des médicaments différents peuvent inter réagir entre eux, soit en se neutralisant, soit en s'additionnant, soit en multipliant leur efficacité et simultanément leur toxicité.

  • Neutralisation :

Les sels d'aluminium (Maalox (R), Acidrine (R), Phosphalugel (R)... diminuent l'absorption et l'efficacité de nombreux médicaments: chloroquine, digoxine, fer, éthambutol, INH, Bêtabloquants, anti-H2...

  • Amplification des effets toxiques:

L'association isoniazide et rifampicine est indispensable pour traiter un tuberculeux mais peut être dangereuse. Il faut.

  • vérifier que les doses prescrites correspondent aux posologies recommandées,

  • s'assurer de l'absence de complication: troubles psychiques, picotements et paresthésie faisant craindre une polynévrite, un ictère...

  • arrêter l'isoniazide en cas d'hépatite.

latrogénie du soignant lui-même

Au-delà de sa prescription d'examens et de traitement, le thérapeute peut nuire par ce qu'il fait et ce qu'il dit.

1. Ordonnance coûteuse

Que se passe-t-il lorsque plusieurs médicaments sont ordonnés et que cela revient cher à une personne aux revenus moyens, par exemple un employé ou un paysan?

  • ou bien il n'a pas suffisamment d'argent et il ne l'achètera pas,

  • ou bien, il décide malgré les difficultés de tout acheter, aux dépens d'autres éléments de son budget, par exemple la scolarité de ses enfants, ou l'alimentation. Un enfant mal nutri profitera mieux en mangeant de la viande ou un oeuf trois fois par semaine avec une bonne purée de haricots, que de prendre des fortifiants tous les jours,

  • ou bien, il aura une mauvaise observance: il n'achète que quelques médicaments ou il en prend moins que ce qui est recommandé.

Dans tous les cas, parce que l'ordonnance est très coûteuse par rapport au pouvoir d'achat, elle est mauvaise. Faire croire que des médicaments coûteux sont bon est un des mythes les plus pervers et les plus dangereux de la médecine.

2. Paroles imprudentes

On ne fait jamais suffisamment attention à ce que l'on dit dans une relation soignant soigné. Avec des paroles, on peut entraîner des conséquences graves, sans s'en douter, par présomption, crainte ou ignorance. Telle femme à qui l'on a retiré une trompe à cause d'une grossesse extra-utérine croit pendant des années qu'elle n'aura plus d'enfants. Autre situation: un enfant a marché tardivement et à deux ans il ne parle pas encore (cf. DS n° 108). Il faut être très prudent dans ce que l'on dira aux parents. Ce qu'on va dire? Pourquoi? De quelle façon ? Et bien réfléchir à ses propres mots avant de les inquiéter ou de les rassurer.

IV. Cas particuliers

1. L'enfant

La posologie est habituellement indiquée en quantité par kilogramme de poids. Cela expose à des erreurs, soit parce que l'on ne connaît pas bien le poids de l'enfant (apprenez par coeur les approximations poids/âge) (cf. DS n° 108), soit parce que l'on se trompe dans les calculs. Ces jours-ci se déroule un procès pour mort d'enfant par surdose de Quinine dans la perfusion. A cause d'une erreur de calcul de dilution des ampoules dans un flacon, l'enfant a reçu cinq fois plus et en est mort. Soyez sûr que n'importe qui, quelles que soient sa qualité et sa compétence, peut commettre de telles erreurs.

Signalons deux médicaments particulièrement dangereux pour l'enfant, imposant un respect strict des posologies:

  • l'Aspirine: 5mg/kg de poids, soit un sachet de Catalgine (R) 0,10 pour deux kilogrammes de poids,

  • la Théophylline: au-delà de trente mois: 12 mg/kg/jour en deux-trois prises.

Attention aussi avec la Chloroquine, le Phénobarbital, les digitaliques (vérifier que la maman ne se trompe pas dans les administrations). Rappelons enfin que toutes les tétracyclines sont contre-indiquées en dessous de l'âge de huit ans, car elles colorent les dents en jaune.

2. La femme enceinte

La pratique consistant à ne pas prescrire, ou le moins possible, est probablement excessive. Mais là aussi on pèsera bien les risques respectifs du médicament et de l'absence de médicament.

Les anti-inflammatoires sont contre-indiqués, y compris l'Aspirine. La tentation de les prescrire est grande pour soulager la femme souffrant de lombalgies à la fin de sa grossesse. Mais, même avec un comprimé unique, on a observé des cardiopathies chez le nouveau-né: fermeture du canal artériel. En cas de pyélonéphrite au quatrième mois de grossesse, malgré le passage transplacentaire des Pénicillines, on prescrit des antibiotiques car le risque de l'infection rénale est trop grand pour la mère et le foetus.

3. La personne âgée

Elle pose trois sortes de problèmes:

a - Le vieillissement rénal: le rein est avec le foie, l'organe d'élimination des médicaments. Du fait du vieillissement, cette fonction est diminuée et les médicaments risquent de s'accumuler dans l'organisme avec surdosage. C'est le cas, par exemple, des aminosides (Gentamycine, Gentalline (R), Tobramycine (R) et apparentés). On doit réduire la posologie de moitié ou du tiers si l'on veut éviter de rendre sourde la personne âgée.

b - La mauvaise observance: parfois plus qu'un adulte, cette catégorie de malade oubliera ses comprimés du matin, se trompera dans les quantités. Ou encore, retirer les comprimés de leur boîte lui est difficile à cause de tremblements ou de rhumatismes des doigts. On vérifiera la prise correcte des médicaments.

c - Les associations médicamenteuses: du fait du vieillissement et des pluri pathologies touchant ces patients, les associations médicamenteuses deviennent plus risquées. Par exemple, il est cardiaque, il a des oedèmes et il prend du Furosémide (Lasilix (R", et pour soigner sa constipation, il prend des laxatifs régulièrement. Ces deux médicaments entraînent une fuite de potassium pouvant provoquer des troubles du rythme cardiaque et des extrasystoles.

Attention aussi avec les hypoglycémiants oraux en cas de vomissements ou de diarrhée. Le patient arrête de manger, mais les hypoglycémiants vont continuer d'agir et provoquer un malaise hypoglycémique.

V. Danger des insuffisances

Dans cet article, le mot de risque est de ceux qui reviennent le plus souvent. En effet, il ne s'agit pas de réprimer le soignant dans sa fonction, de l'angoisser ou de le culpabiliser, mais de lui rappeler qu'il a dans sa main une arme puissante et que malheureusement, elle se retourne parfois contre le malade et lui-même. En craignant systématiquement de faire des examens complémentaires et de prescrire des traitements, on s'expose à des insuffisances aux conséquences ces parfois pires.

1. Insuffisance d'examens cliniques

  • Ce nourrisson est amené pour fièvre, toux, diarrhée. Il est prescrit: antithermique, sirop antitoux et antidiarrhéiques, sans que l'on ait soulevé sa chemise et recherché une dyspnée et un pli cutané. On passe donc à côté de deux risques majeurs.
  • Cet homme jeune se plaint de violentes douleurs abdominales et de vomissements. Il a eu des selles la veille au soir. L'abdomen est souple, dépressible. Il y a une cicatrice d'appendicectomie. Il est prescrit un antispasmodique et un antivomitif par voie injectable. Deux jours plus tard, le patient est opéré en urgence pour occlusion intestinale aiguë par étranglement sur bride post-appendicectomie. Le risque d'occlusion dite " à ventre plat " avait été sous-estimé.

2. Insuffisance d'examens complémentaires

  • Cet homme tousse depuis un mois. On ne lui fait pas une recherche de BK à l'examen direct de crachats et il continue à contaminer son entourage par les BK.
  • Cette femme est fatiguée, dyspnéique et a des oedèmes aux membres inférieurs. On lui prescrit des diurétiques. Il aurait fallu prescrire une numération formule sanguine qui aurait révélé une anémie grave, responsable des symptômes et requérant un autre traitement.

VI. Prévention de la pathologie iatrogène

Que pouvons-nous faire pour éviter les complications, les effets secondaires que l'on n'a jamais voulus ?

1. Améliorer ses compétences

Toute relecture de ses cours d'étudiant, toute lecture de manuels et d'articles de revues médicales, toute participation à des séminaires de recyclage ou à des supervisions formation continue, toute discussion entre collègues sur tel malade, en bref, tout ce qui va rafraîchir notre mémoire ou nous faire acquérir de nouvelles connaissances est bénéfique et utile. Tel un artisan, nous apprenons chaque jour à manipuler notre outil et à bonifier notre travail.

2. Vérifier fréquemment et au moindre doute les indications, contre-indications, les posologies et les interactions

Cependant, il faut garder un esprit critique face à ce qui est proposé par les délégués médicaux des laboratoires pharmaceutiques ou de ce qui est écrit dans les notices. Rappelons que le dictionnaire Vidal n'est pas une référence médicale, mais un recueil rédigé par les laboratoires, même si le texte est souvent avalisé par les ministères de la Santé. On observe de plus en plus de médicaments dont les indications ne sont pas identiques selon les pays.

3. Etre encore plus prudent dans les cas particuliers

  • enfants, femmes enceintes, vieillards,

  • personne prenant plus de trois médicaments.

4. Prescrire ce qui est essentiel et accessible

Essentiel, c'est-à-dire nécessaire, bénéfique et que, si le patient ne prend pas ce médicament, cela lui sera néfaste; accessible, acceptable pour le patient, acceptable sur le plan psychologique et culturel.

Les traitements adjuvants dits d'appoint ou secondaires (exemple: laxatifs, antitussifs), ne sont prescrits que si l'on est certain de leur innocuité et s'ils n'alourdissent pas trop le coût de l'ordonnance.

5. Prescrire ce que l'on a l'habitude de prescrire

Il convient de résister au goût du changement ou à la pression des délégués pharmaceutiques qui désirent que l'on prescrive leur produit et cela est bien normal. En reprenant l'image de l'artisan et de son outil, on comprend que l'on est performant avec ce que l'on connaît bien.

6. Les centres de pharmacovigilance,

Quand ils existent, ont fait leurs preuves. Les créer et les organiser de manière adaptée aux conditions locales dans chaque pays, réalisera un grand progrès.

7. Toujours se poser la triple question:
Est-ce nécessaire? Est-ce utile? Est-ce faisable?

Exemple: je suspecte chez cet homme une pleurésie. Vais-je prescrire une radiographie des poumons: c'est nécessaire pour faire le diagnostic. C'est utile car, en cas de confirmation, je ferai une ponction pleurale évacuatrice et diagnostique. C'est faisable car nous avons un appareil de radiographie qui fonctionne; j'ai des trocarts et des aiguilles pour la ponction et je sais faire une ponction pleurale.
Autre exemple: le lépreux. C'est nécessaire et utile de le prendre en charge, mais dans mon dispensaire, ce n'est pas faisable actuellement car je n'ai pas de médicaments et je n'ai pas l'habitude de suivre ce genre de malade. Je vais donc me mettre en relation avec le centre de référence pour tacher de faire quelque chose (prise en charge locale ou transfert).

VII. Conclusion

Trois règles d'or :

  1. Toujours améliorer ses compétences.

  2. Toujours vérifier la Pertinence de sa prescription, indications, contre-

Indications, posologies, précautions, interactions...

  1. Toujours se poser la triple question: Est-ce nécessaire ? Je prescris, pourquoi. Est-ce simplement utile? Le patient ira-t-il mieux ?

Est-ce faisable? Coût? Acceptabilité?

Développement et Santé, n°111, juin 1994