Pratique en matière de dépistage de l'hépatite virale C en République du Bénin, un réel besoin de formation pour les médecins généralistes

Par Nicolas Kodjoh1, Akpéédjé Anita Carolle Wadagni1, Khadidjatou Saké Alassan1, Aboudou Raïmi  Kpossou1, Rodolph 2, Dismand Houinato3. 1. Service d’Hépato-gastro-entérologie. Centre National Hospitalier et Universitaire HKM  Cotonou. Bénin ; 2. Service d’Hépato-gastro-entérologie. Hôpital d’Instruction des Armées. Cotonou. ; 3. Coordonnateur de la Lutte contre les Maladies Non Transmissibles (LMNT) au Ministère de la Santé. Cotonou. 

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L’hépatite virale C (HVC) est une maladie endémique en Afrique subsaharienne. Les premières estimations de l’OMS donnent une prévalence globale supérieure à 5 % pour cette région du monde [1, 2]. Au Bénin, en l’absence de données portant sur la population générale, cette tendance se retrouve dans certaines études avec des prévalences de 7, 5 % [3] et 8, 09 % [4]. L’infection par le VHC étant souvent asymptomatique, elle passe inaperçue. Elle peut guérir spontanément ou évoluer vers la cirrhose et le cancer du foie [5-7]. Ces observations soulignent l’importance du dépistage de cette maladie, activité dans laquelle le médecin généraliste joue un rôle essentiel. Ce travail a pour objectifs d’évaluer la pratique du dépistage de l’HVC par les médecins généralistes, et de déterminer l’ampleur de leurs besoins de formation en la matière.

I. Matériel et méthodes

Il s’agissait d’une étude prospective descriptive et transversale, réalisée de décembre 2008 à octobre 2009. La population étudiée était les médecins généralistes exerçant dans les villes de Cotonou (800 000 habitants) et Abomey - Calavi (350 000 habitants).

II. Résultats

1. Population étudiée

Cent cinquante médecins généralistes étaient inclus dans l’étude. Leur âge moyen était de 32,6 ans ± 8,4. Cent onze (74%) était de sexe masculin, la sex-ratio était donc de 2,8.

Parmi les 150 médecins, 126 (84%) exerçaient dans des centres hospitaliers et 117 (78%) avaient moins de 10 ans d’expérience professionnelle. Sur les 150 médecins, 36 (28,1%) connaissaient leurs statuts sérologiques pour l’HVC. Quant à la formation médicale continue sur l’HVC, seulement 8 (5,3%) affirmaient en avoir bénéficié. Cent quarante et huit sujets (98,7%) reconnaissaient le rôle important du médecin généraliste dans la prise en charge de l’HVC mais 98 (65,3%) ne se sentaient pas suffisamment préparés pour cela.

2. Pratique du dépistage

Quatre-vingt et sept médecins (58%) déclaraient demander régulièrement le test de dépistage de l’HVC. Mais la fréquence est variable. Parmi ces 87 médecins, 21 (24,1%) avaient demandé ce test plus de 2 fois, 22 (25,3%) l’avaient fait réaliser une à 2 fois et 44 (50,6%) ne l’avaient pas demandé durant les quatre semaines précédant l’enquête.

Sur les 74 médecins ayant moins de 10 ans d’expérience professionnelle et affirmant demander régulièrement les tests de dépistage, 17 (23%) l’avaient demandé au moins deux fois durant les quatre semaines précédant l’enquête versus 4 (30,8%) sur les 13 ayant plus de dix ans d’expérience professionnelle. La différence entre les deux groupes n’était pas significative (p = 0, 50).

Les indications du dépistage de l’HVC par les 87 médecins généralistes qui le demandaient sont consignées dans le tableau I.

Tableau I. Indications du dépistage de l'HVC par les médecins généralistes
Indications Effectif N = 87 Pourcentage %
Patients asymptomatiques Bilan de santé Bilan prénatal Bilan prénuptial 35 10 2 39,8 11,4 2,3
Patients symptomatiques Asthénie persistante Ictère Fièvre inexpliquée Syndrome pseudogrippal Hépatomégalie Cytolyse Dyspepsie 77 45 44 17 16 14 13 87,5 51,1 50 19,5 18,2 15,9 14,8

Le dépistage était effectué chez des patients asymptomatiques (53,5% des enquêtés), le plus souvent à l’occasion d’un bilan de santé. Parmi les signes cliniques et biologiques qui amenaient à demander le dépistage, l’asthénie venait en tète (87,5%). Les populations à risque auxquelles le dépistage était proposé sont reportées dans le tableau II.

Tableau II. Répartition des médecins selon la connaissance des populations à risque
Populations à risque Effectif N = 87 Pourcentage %
Agents de santé Prostituées Transfusés Toxicomanes par voie intraveineuse Enfants nés de mère anti-VHC + Homosexuels Antécédents de scarification ou d'excision Ne sait pas 79 60 43 24 10 8 7 10 90,8 68,9 49,4 27,6 11,5 9,2 8 11,5

Les professionnels de santé, les prostituées et les transfusés étaient les groupes les plus cités. Enfin, près de 7 médecins sur 10 exprimaient les besoins de formation pour l’amélioration de leur pratique du dépistage.

2. Discussion

Cette étude a permis de documenter pour la première fois en République du Bénin la pratique du dépistage de l’HVC par les médecins généralistes. Sur les 150 médecins, seulement 8 (5,3%) ont bénéficié de formation médicale continue sur l’HVC. Des études similaires sont quasi-inexistantes en Afrique subsaharienne.

La plupart des publications disponibles dans la littérature sont européennes, notamment françaises, ce qui rend biaisées les comparaisons pour les raisons suivantes :

  • les médecins généralistes français sont soumis à une obligation de formation médicale continue ;
  • la pratique médicale est encadrée par l’agence nationale française d’accréditation et d’évaluation en santé ;
  • les enquêtes françaises sont menées après élaboration et large diffusion des recommandations nationales et internationales sur l’HVC.

Bien que notre enquête béninoise ne remplisse pas toutes ces conditions, le taux de participation dans notre étude (100 %) est identique à celui de l’étude réalisée en France dans les Alpes-Maritimes et dans l’Est du Var [8], et proche de celui de 94 % de la région d’Auvergne [9]. Ceci témoigne de l’intérêt que portent les médecins généralistes à la question des hépatites.

Le dépistage des hépatites virales est possible grâce à des tests performants qui ne nécessitent qu’un simple prélèvement sanguin ; il est d’autant plus nécessaire qu’une part importante des adultes atteints d’HVC ignore son statut sérologique [6]. En effet, en France, en 2004, moins de 57 % des personnes infectées le savaient [10].

Dans notre étude, le dépistage de l’HVC est proposé par 58 % des médecins généralistes dans leur pratique. Le fait que des patients soient dépistés fortuitement, à l’occasion de bilans de santé systématiques, témoigne de l’importance de saisir les opportunités d’un contact des malades avec le système de soins pour proposer le dépistage de l’HVC. La majorité des médecins généralistes qui pratiquaient le dépistage (87,5 %) pensait que le test de dépistage peut être également proposé aux sujets symptomatiques, mais ils sont très peu à le faire devant un syndrome pseudogrippal, une hépatomégalie ou une cytolyse (tableau I).

Parmi les populations auxquelles le dépistage était proposé (tableau II), les prostituées venaient en seconde position des groupes à risque cités (68,9 % des enquêtés) alors que la transmission du virus C par voie sexuelle est rare [2, 11] ; cela traduit une confusion entre le VHC et le VIH. Les transfusés ne sont rapportés que par 49,4 % des médecins, sans spécifier les groupes à risque concernés, notamment les drépanocytaires et les hémodialysés chez lesquels les taux de prévalence relevés au Bénin pour l’HVC sont respectivement de 17 % [12] et 22,38 % [13]. La proportion de médecins connaissant les autres populations hautement à risque (enfants nés de mère anti-VHC positif, personnes ayant des antécédents de scarifications rituelles ou thérapeutiques, femmes victimes d’excision) est très faible (tableau II).

Il ressort de cette étude qu’il y a des insuffisances de connaissances des médecins quant aux différentes indications du dépistage de l’HVC, et une inadéquation entre les connaissances et leur pratique.

Les indications du dépistage et les populations à risque ont fait l’objet de nombreuses recommandations surtout européennes, notamment françaises. Selon la Haute Autorité de Santé, le dépistage de l’HVC s’adresse aux individus à risque, asymptomatiques [14, 15]. Selon la recommandation de l’Agence Nationale française d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES) sur le dépistage de l’hépatite C reprise par l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (INPES), le dépistage concerne essentiellement: les personnes qui ont eu avant 1992 une intervention chirurgicale lourde, un séjour en réanimation, un accouchement difficile, une hémorragie digestive, des soins à la naissance en néonatalogie ou en pédiatrie, une greffe de tissus ou cellules ou organes, une transfusion ; les patients hémodialysés ; les personnes ayant utilisé une drogue par voie intraveineuse ou per nasale; les enfants nés de mère séropositive pour le VHC ; les partenaires sexuels des personnes atteintes d’hépatite chronique C; les membres de l’entourage familial des personnes atteintes d’hépatite chronique C; les personnes incarcérées ou l’ayant été; les personnes ayant eu un tatouage ou un piercing, de la mésothérapie ou de l’acupuncture réalisés en l’absence de matériel à usage unique ou personnel ; les personnes originaires ou ayant reçu des soins dans les pays à forte prévalence du VHC ; les patients ayant un taux d’alanine-aminotransférases supérieur à la normale sans cause connue ; les patients séropositifs pour le VIH ou porteurs du VHB [14-17].

Conclusion

La République du Bénin semble être un pays de haute endémicité pour l’HVC. Les médecins généralistes accordent un grand intérêt à cette maladie comme le prouve le taux de participation à l’enquête qui est de 100%. Cette enquête permet de disposer, pour la première fois en République du Bénin, de données chiffrées sur la pratique du dépistage de l’HVC par les médecins généralistes. Les besoins de formation en la matière sont exprimés par 70 % d’entre eux. Nos résultats serviront d’indicateurs de base pour l’évaluation des actions à mener pour une lutte efficace contre cette maladie endémique.

Références

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  3. Sehonou J, Atadokpede F, Abdoulaye I, Kodjoh N, Zohoun I. Séroprévalence des anticorps antivirus de l’hépatite C dans une population de jeunes recrues au Bénin. J Afr Hepato Gastroenterol 2007 ; 1 : 103 - 105
  4. Abdoulaye I, Siebertz B, Akpona S, Soumanou M, Gbadamassi Bo, Agossou B. Prévalence des marqueurs sérologiques sur les dons de sang au Bénin. Le Bénin Médical 2004 ; 28 : 5 - 9
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  14. Haute Autorité de Santé. Stratégies de dépistage biologique des hépatites virales B et C, argumentaire. Saint Denis. Haute Autorité de Santé 2011 ; 114 pages
  15. Haute Autorité de Santé. Stratégies de dépistage biologique des hépatites virales B et C, synthèse. Saint Denis. Haute Autorité de Santé 2011 ; 33 pages
  16. Agence nationale d’accréditation et d'évaluation en santé. Dépistage de l'hépatite C. Populations à dépister et modalités du dépistage. Recommandations du comité d'experts réuni par l'ANAES. Paris. ANAES ; 2001 ; 8 pages
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