Les aminosides

Par Philippe Reinert Pédiatre, Hôpital Intercommunal, Créteil, France.

Publié le

Depuis la découverte de la streptomycine en 1944, premier médicament efficace contre la tuberculose (qui était alors le plus souvent mortelle), la famille des aminoglycosides (ou aminosides) s'est enrichie de nombreux antibiotiques : néomycine, gentamycine, tobramycine, kanamycine, etc.

Ces nouveaux antibiotiques ont tous en commun d'être :

  • rapidement bactéricides,
  • efficaces sur les bacilles Gram (-), les aérobies, les staphylocoques, les bacilles Gram (+),
  • sans action sur le pneumocoque, le streptocoque, le méningocoque,
  • synergiques avec les bétalactamines et les quinolones dont ils renforcent l'action.

Leurs défauts sont :

  • de ne pas être absorbés par l'intestin : l'administration ne peut être qu'intramusculaire ou intraveineuse,
  • de mal diffuser dans l'organisme (pas de pénétration méningée en particulier),
  • d'être toxique au niveau des reins et de l'oreille (risque de surdité).

On voit' donc que leurs indications sont très différentes des pénicillines. Ils rendent d'inestimables services dans les infections urinaires, les péritonites, les infections gynécologiques. On les associe souvent aux pénicillines dans les infections graves (septicémies par exemple). Il serait, par contre, illogique de les utiliser dans une pneumonie, une angine, une otite, voire une typhoïde.

Dernière qualité, et non la moindre : ils sont en général d'un prix modique.

I. Activité in vitro

À l'exception de la streptomycine réservée à la tuberculose, ils ont tous le même spectre d'action, essentiellement les germes Gram négatifs :

Rappelons que la CMI (concentration minima inhibitrice) pour "paralyser" un germe doit être égale ou inférieure à 1.

Gentamycine CMI
Colibacilles Klebsielle Proteus Salmonelle Shigelle Vibrio cholerae Pyocyanique Brucella Listeria 0,25-2 0,25-4 0,25-1 0,25-0,5 0,25-0,5 1 0,5-2 0,25-2 0,032-0,25

II. Pharmacocinétique

Les aminosides diffusent mal dans l'organisme et s'éliminent en grande partie par le rein.

Administrés par voie parentérale, ils ne traversent pas le tube digestif : ils sont donc inefficaces dans la typhoïde et les salmonelles où les germes sont dans la lumière intestinale (alors que, in vitro, ils sont bactéricides sur ces germes). Certains préconisent une injection par jour.

Leur demi-vie est d'environ deux heures : il faut donc idéalement deux injections par jour (la demi-vie est considérablement augmentée en cas d'insuffisance rénale : il faut alors espacer les injections).

L'élimination, presque exclusivement urinaire, explique leur remarquable action dans les pyélonéphrites.

III. Posologies

Elles sont à respecter scrupuleusement du fait de l'ototoxicité et de la néphrotoxicité de tous les aminosides.

En cas d'insuffisance rénale, il faut effectuer une injection tous les deux ou trois jours (en fonction de la clairance de la créatinine).

Tableau 2. Posologies

Enfants Adultes
Gentamycine Tobramycine Nétilmicine 3 à 5 mg/kg/24h 3 à 5 mg/kg/24h 6-7,5 mg/kg/24h 150 mg/kg/24h 3 mg/kg/24h en 3 injections 200-300 mg/kg/24h

IV. Incidents et accidents

Accidents cochléo-vestibulaires

L'atteinte vestibulaire précède en général l'atteinte cochléaire. Elle se traduit par :

  • vertiges,
  • ataxie (troubles de l'équilibre),
  • nystagmus (mouvements pendulaires des yeux),

le plus souvent régressifs.

L'atteinte cochléaire est plus grave : parfois précédée d'acouphènes, elle se remarque par une perte brutale de l'acuité auditive, uni- ou bilatérale qui est irréversible et incurable.

De tels accidents se voient en cas :

  • de dose quotidienne élevée,
  • de traitement prolongé plus de dix jours,
  • de traitement antérieur par les aminosides (accumulation),
  • d'insuffisance rénale,
  • d'âge avancé.

Certaines gouttes auriculaires contenant des aminosides ont provoqué de tels accidents.

V. Néphrotoxicité

L'atteinte rénale se traduit de façon diverse :

  • protéinurie,
  • leucocyturie,
  • insuffisance rénale aiguë à diurèse conservée.

Elles sont toujours insidieuses : il faut donc surveiller systématiquement les urines (protéinurie, leucocyturie).

De tels accidents se rencontrent :

  • surtout chez le sujet âgé,
  • quand le traitement dépasse dix jours,
  • si les doses sont élevées.

VI. Les grandes indications

  • septicémie à Gram (-) : (en association avec une bêtalactamine). En particulier chez l'immunodéprimé (sida),
  • pyélonéphrite,
  • péritonite,
  • les infections postopératoires (en chirurgie abdominale et pelvienne),
  • les infections graves à staphylocoque, en association avec la pénicilline M.

Conclusion

Comme pour les autres antibiotiques, les résistances aux aminosides sont de plus en plus fréquentes.

Il ne faut donc pas les galvauder et il faut les réserver aux infections potentiellement graves (urinaires et abdominales surtout).

Ils constituent le traitement " d'attaque " associés aux pénicillines dans les infections graves.

Enfin, il faut savoir les arrêter rapidement (cinq à six jours) par crainte de l'oto- et néphro-toxicité.

N.B. La gentamycine fait partie des médicaments essentiels.

Développement et Santé, n° 133, février 1998