Références religieuses et rôle des leaders musulmans pour l'abandon de l'excision

Par Professeur Gamal. I. Serour* Professeur d'Obstétrique et de Gynécologie Directeur, Centre International Islamique pour les études et recherches en populations, Université d'Al-Azhar

Publié le

Une certaine confusion a longtemps régné sur le caractère religieux de la pratique de l'excision, notamment au sein de certaines communautés musulmanes. A l'Université Al-Azhar, nous avons étudié cette pratique à la lueur des textes coraniquesislamiques et présentons ici les raisons qui militent en faveur de son abandon.

Une pratique pré-islamique et non majoritaire chez les musulmans

Les mutilations génitales féminines (MGF) recouvrent toutes les interventions incluant l'ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme et/ou la lésion des organes génitaux féminins pour des raisons culturelles ou pour toutes les autres raisons non thérapeutiques (1).
Aujourd'hui, plus de 125 millions de filles et de femmes à travers le monde ont subi une forme de MGF dans 29 pays à travers l'Afrique et le Moyen-Orient (2), au sein de communautés musulmanes ou d'autres religions.

Cette pratique a également été signalée parmi des populations musulmanes en Asie du Sud-Est, en Indonésie, au Sri Lanka, en Malaisie et en Inde, ainsi qu'au sein de communautés d'immigrés dans le Nord et en Amérique latine, en Europe et en Australie.
En dépit de tous les efforts pour abandonner les MGF, on estime qu'environ 30 millions de filles risquent d'être excisées dans la prochaine décennie (2,3).
La base religieuse est souvent citée comme justification pour effectuer les MGF. Elle est ainsi appelée par exemple Tuhara au Soudan, Tahara en Egypte ou Sili-ji au Mali pour les relier à des pratiques et des normes religieuses.
Cependant, nous devons considérer que les MGF n'ont pas de fondement religieux. Elles ont été décrites et réalisées près de 2000 ans avant l'Islam et ne sont pas pratiquées par la majorité des musulmans dans le monde entier. Ainsi, elles ne sont pas pratiquées en Arabie Saoudite, berceau de l'Islam et centre de la Terre Sainte, au Pakistan, en Iran et dans de nombreux autres pays musulmans.

L'Islam ne recommande pas l'excision

Il convient tout d'abord de rappeler que les instructions réglant l'activité de la vie quotidienne et que tout bon musulman doit respecter forment la Charia.
Les principales sources de la Charia sont, dans un ordre chronologique :

  • le Saint Coran, la Sunna et les Hadiths : qui sont les paroles authentiques et les actes du Prophète Mohamed (PSL) recueillis par des spécialistes de hadiths ;
  • l'Igmaa, qui est l'avis unanime des savants musulmans ;
  • l'analogie (Kia) qui est le raisonnement intelligent utilisé pour statuer sur les événements non mentionnés par le Coran et la Sunna, ceci en utilisant des correspondances avec les événements similaires ou équivalentes du passé (4).

Nous devons maintenant considérer les principes de la jurisprudence islamique qui sont :

  • est permis à moins d'interdiction par un texte. (IBAHA) ;
  • ne pas faire le mal, ni le harcèlement ;
  • la nécessité ou force majeure peut permettre de lever un interdit ;
  • enfin, faire le choix du moindre dommage.

Rien dans le Coran ne concerne explicitement ou implicitement les MGF. Quelques paroles attribuées au Prophète Mohammad (PSL) se réfèrent à l'excision, mais elles sont classées par les spécialistes comme faibles, fausses et inauthentiques. Il n'existe par ailleurs aucune preuve que l'une des filles du Prophète ait été excisée.

Ainsi, dans un Hadith, Um Atiyya al-Ansariyyah parle d'une femme utilisée pour effectuer l'excision à Médine. Le Prophète (paix soit sur lui) lui dit : « Ô Oum Atiya, ne coupe qu’une petite partie et n’excise pas, car ceci sera plus agréable à la femme et plus apprécié du mari". (5) Ce hadith est connu pour être « faible » car il ne remplit pas les critères stricts pour être considéré comme authentique. En outre, si couper peu est mieux pour une femme et plus souhaitable pour son mari, alors il est certainement préférable de ne pas couper du tout.

En l'absence de toute référence claire, dans le Coran et dans les Hadiths, confirmant l'appui de cette pratique, les principaux théologiens islamiques, tels que Cheikh Shaltout et le Grand Cheikh d'Al-Azhar Mohamed Sayed Tantaoui, ont réfuté l'argument fondé sur la doctrine religieuse de la pratique de l'excision.

En 1998, des chercheurs de plus de 35 pays musulmans se sont ainsi réunis à Al-Azhar au Caire pour conclure que les MGF sont une coutume et qu'elles ne sont pas obligatoires dans l'Islam.

L'Islam recommande de protéger la santé

La Charia interdit la violation physique du corps humain. Ainsi, Dieu dit :

  • "Certes, je ne manquerai pas de les égarer, je leur donnerai de faux espoirs, je leur commanderai, et ils fendront les oreilles aux bestiaux; je leur commanderai, et ils altéreront la création d'Allah. Et quiconque prend le Diable pour allié au lieu d'Allah, sera, certes, voué à une perte évidente" (6) ;
  • " Nous avons certes créé l’homme dans la forme la plus parfaite " (7).

De plus, le Prophète (paix soit sur lui) a dit : « Pas de nuisance ni à soi-même ni à autrui » (8).

Ces éléments nous disent clairement que l'Islam recommande de protéger la santé des personnes et de ne pas porter atteinte à leur intégrité physique.

L'Islam prône la connaissance scientifique

L'Islam est une religion qui invite à la connaissance scientifique afin de permettre d’améliorer la condition des populations. Dans le domaine de la santé, la recherche médicale permet, au fil des années, de mieux connaitre les maladies ou les pratiques qui nuisent à la santé des populations.
Nous pourrions également citer la constitution de l'Organisation Mondiale de la Santé qui indique que le droit de jouir du meilleur état de santé est l'un des droits fondamentaux de tout être humain, sans distinction de race, de religion, de convictions politiques, de condition économique ou sociale.
Il convient à ce titre de citer le Coran : « Ô mon père, il m’est venu de la science ce que tu n’as pas reçu ; suis-moi, donc, je te guiderai sur une voie droite » (9).
Ceci induit que l'état de la science, qui évolue, permet à de nouvelles générations d'accéder à des informations dont les anciens ne disposaient pas et ainsi d'améliorer leurs conditions de vie.

Les études montrent les effets néfastes de l'excision sur la santé

De nombreuses études récentes évaluant l'impact de l'excision ont bien montré les effets négatifs sur la santé des jeunes filles, des mères ou encore des nouveau-nés au moment de l'accouchement. Cette pratique peut également favoriser la diffusion de certaines pathologies. L'excision privera ainsi la fille ou la mère, et plus globalement la famille tout entière, de jouir du meilleur état de santé.
Les complications des MGF peuvent être immédiates, mettant en danger la vie de l'enfant mutilé, et à long terme : complications physiques et psychologiques nuisant à la qualité de vie, risques accrus de complications lors de l'accouchement (comparativement à des femmes non excisées) (10).
La Charia préconise ce qui peut apporter des bénéfices à la personne et interdit les pratiques néfastes. L'excision ne présente aucun avantage, elle est physiquement invasive, émotionnellement dommageable et peut avoir des complications mettant en danger la vie de la jeune fille ou affectant ses capacités de procréer (3,11).
Par ailleurs, les MGF suppriment des parties importantes des organes génitaux externes de la femme et les mutile. Elles interfèrent avec le plaisir sexuel de la femme, la privent de sa jouissance et peuvent même rendre douloureuses et indésirable les relations sexuelles.

La Charia réglemente et protège des actes sexuels entre maris et femmes. Le Saint Coran fait référence à la relation sexuelle dans le mariage, qui pourrait être compromise par les MGF ; la satisfaction mutuelle est considérée comme une miséricorde de Dieu. Dieu dit : “On vous a permis, la nuit d'as-Siyam, d'avoir des rapports avec vos femmes; elles sont un vêtement pour vous et vous un vêtement pour elles”(12). Plusieurs paroles du Prophète soulignent l'importance de donner et de tirer du plaisir de l'intimité entre mari et femme. De toute évidence, tout acte qui interfère avec l'accomplissement d’une relation sexuelle appropriée, comme l'excision, est en contradiction avec l'essence même de l'Islam basée sur les sources primaires de la Charia.
L'enfant musulman a aussi le droit de se développer physiquement d'une manière saine, de recevoir des soins médicaux et une éducation, d'être protégé contre toutes les formes de violence, de blessures, d'abus ou de mutilation. Mutiler les organes génitaux d'une fille au nom de l'islam viole donc les principes les plus sacrés de la foi islamique.

Mieux impliquer les leaders religieux

Un partenariat avec les chefs religieux et les instituts islamiques est important pour écarter l'idée fausse que cette pratique nuisible, longtemps pratiquée, a un fondement religieux. Les chefs religieux éclairés devraient dissiper les malentendus à propos de la religion et de l'excision, et montrer au public, aux décideurs et aux parlementaires l'absence de toute obligation religieuse ou de tout soutien à l'excision. Des sources crédibles de la Charia interdisent ce type de pratique néfaste.
Des organisations confessionnelles peuvent produire des documents de référence et des manuels de formation sur le droit des enfants dans l'Islam et leur protection contre les pratiques néfastes, y compris contre l'excision.
Par exemple, le Centre International Islamique Al-Azhar pour les études et la recherche sur les populations (IICPSR) a produit, en collaboration avec l'UNICEF, des documents sur :

  • l'excision, entre utilisation incorrecte de la science et de la doctrine mal comprise ;
  • les enfants dans l'Islam : le développement de leurs soins et de leur protection.

Les chefs religieux peuvent jouer un rôle déterminant dans l'éradication des MGF. Ils peuvent faire des déclarations publiques contre les MGF, émettre des Fatwas les condamnant, influencer les débats, les discussions et l'élaboration de législations criminalisant ces pratiques.
Ils peuvent organiser des cours de formation pour leurs pairs sur l'éradication des MGF et montrer que cette pratique néfaste n'a aucun fondement religieux.

Les chefs religieux, au niveau des gouvernorats ou des communautés, ou encore dans les zones rurales reculées, peuvent agir en tant que défenseurs contre les MGF, par exemple lors des prières du vendredi, pour inclure la protection de l'enfant contre les pratiques néfastes. Ils peuvent également travailler en étroite collaboration avec des ONG et sensibiliser les populations pour l'éradication des MGF.
Les chefs religieux féminins peuvent également organiser des séminaires pour les familles, les ONG et sensibiliser par exemple les accoucheuses traditionnelles ou les femmes leaders.
Les chefs religieux éclairés dans les villages reculés ont un rôle crucial dans l'évolution des attitudes des familles, des décideurs et des sociétés en général sur la pratique de l'excision.

Conclusions

Nos travaux réalisés à l'Université Al Azhar (voir notamment publications référencées 13, 14, 15, 16) nous permettent d'affirmer que l'excision est néfaste pour la santé et n'a pas été une pratique recommandée ou exigée par l'Islam.
Considérant par ailleurs d'une part que la religion islamique cherche à développer le meilleur état de santé des personnes, d'autre part que de nombreuses études médicales ont démontré l'effet néfaste de l'excision, il est donc fortement souhaitable d'abandonner totalement cette pratique.
Par ailleurs, considérant le rôle important des leaders religieux, nous recommandons que ces derniers soient bien informés sur les textes islamiques qui appellent à la protection de la santé des personnes et qu’ils soient ensuite parfaitement impliqués dans les campagnes d'abandon de l'excision.

\Directeur de Clinique, Centre Egyptien In Vitro Fertilization and Embryo Transfer ( IVF & ET)*

Maadi, Le Caire, Egypte

Ancien Président de l'International Federation Gynecology and Obstetrics ( FIGO)

Fellowship Royal college Obstetricians and Gynecologists ( FRCOG)

Fellowship Royal college for Surgeons (FRCS)

Fellowship American College Obstetrics and Gynecology ( FACOG)

Fellowship Society Obstetrics and Gynecology Canada ( FSOGC)

Fellowship Japanese Society Obstetrics and Gynecology (FJSOG)

Références

  1. OMS 1997
  2. UNICEF 2013
  3. OMS EB 122/9 Jan. 2008
  4. Islamic perspectives in human reproduction. Serour GI. Reproductive BioMedicine onLine (RBM online) October 2008, issue 4 volume 17, Suppl 3:34-8.
  5. Rapporté par l’Imam Abou Daoud dans ses Sounanes Al-Adab, Livre de la circoncision 4-370 H 5271.
  6. Sourate An-Nisa (les femmes), verset 119.
  7. Sourate Al Tin (le figuier), verset 4.
  8. Narré par Al-Darkatny dans ses sounanes Kitab Al-Bayou' 3/77, p. 288, selon Abou Saïd al Khoudri, et narré par Al-Hakim dans Al-mustadrak Kitab Al-Bayou' 2/66, 2345, selon Abou Saïd al Khoudri.
  9. Sourate Maryam (Marie), verset 43.
  10. WHO study group on FGM and obstetric outcome. Lancet 2006:376; 1835-41.
  11. FIGO Committee for the Ethical Aspects of Human Reproduction and Women's Health and FIGO Committee on Women's Sexual and Reproductive Rights. Int J GO (2006) 94, 176 -177.
  12. Sourate Al-Baqarah (la Vache), verset 187.
  13. The Issue of Reinfibulation. G. I. Serour. Int J Gynaecol Obstet. 2010 May; 109(2):93-6.
  14. Medicalization of female genital mutilation/cutting. Gamal Serour. African Journal of Urology (2013) 19, 145-149
  15. Female circumcision: between the incorrect use of science and the misunderstood doctrine” International Islamic Center for Population Studies and Research Al Azhar University 2013. Serour G I and A. Ragab. UNICEF.
  16. Children in Islam: their care, development and protection. UNICEF and Al Azhar University. Nov. 29th 2005.