Surmortalité maternelle et infantile en Afrique de l'Ouest

Par D'après Colette Berthoud, Journaliste à Radio France International. Article paru dans le Monde Diplomatique - janvier 2000.

Publié le

Les enquêtes qui ont été faites sur la mortalité périnatale en Afrique de l'Ouest montrent de criantes inégalités entre pays riches et pays pauvres, et induisent une réorientation des politiques de santé pour faire reculer ensemble mortalité maternelle et mortalité infantile.

I. Les chiffres révèlent des inégalités

1. Quelques données statistiques

D'après les statistiques, 160 000 femmes africaines meurent chaque année soit en, cours d'accouchement (ou dans les semaines qui suivent), soit des suites d'avortements clandestins hasardeux. Selon l'UNICEF, le nombre des morts naturelles annuelles serait de :

  • 1 600 pour 100 000 naissances en Guinée,
  • 1 500 pour 100 000 naissances au Tchad,
  • 1 200 pour 100 000 naissances au Niger et au Mali, alors que dans les pays riches, le chiffre est de 10 à 20 morts naturelles pour 100 000 naissances !

Les statistiques montrent aussi qu'en Afrique de l'Ouest, pour chaque femme qui meurt, de 30 à 100 autres femmes souffrent de complications tantôt aiguës, liées à la grossesse (rupture de l'utérus, inflammation du bassin et stérilité), tantôt chroniques, telles les infections de l'appareil génital, et surtout ces fistules vésico-génitales qui, par l'incontinence urinaire handicapante qu'elles entraînent, sont la cause du rejet social de nombreuses jeunes femmes devenues " nauséabondes ". Les fistules sont plus fréquentes chez les femmes excisées.

2. Mortalité périnatale en hausse

En ce qui concerne la mortalité périnatale (c'est-à-dire celle qui précède et suit immédiatement la naissance), on constate en Afrique, ces dernières années, une progression de la part relative de la mortalité périnatale dans la mortalité infantile, (décès des bébés entre la naissance et l'âge d'un an).

Dans une enquête qui a été réalisée en Afrique de l'Ouest pour identifier les facteurs de risque, 20 326 femmes enceintes ont été examinées à quatre reprises :

  • à la fin du 2e trimestre,
  • au 8e mois de la grossesse,
  • à l'accouchement,
  • à la fin du 2e mois postnatal

Les statistiques de l'enquête donnent aussi la répartition des lieux d'accouchement

  • 57 % en hôpital public,
  • 18,2 % à domicile,
  • 1 5,7 % en centre de santé,
  • 7,9 % en maternité privée,
  • 0, 7 % au domicile d'une aide traditionnelle,
  • 0, 5 % autres.

L'accompagnement de l'accouchement a été fait :

  • pour 59 % des accouchées par une sage-femme,
  • pour 25 % par une aide traditionnelle, pour 1 0 % par la famille, pour 3 % par une infirmière, pour 2 % par un médecin.

La mortalité périnatale globale a été de 41,8 pour 1000 soit 10 fois plus que celle que l'on observe habituellement dans les pays développés ! Tous ces chiffres donnent déjà une indication sur les causes de la surmortalité.

II. Les causes de la surmortalité

1. La surmortalité maternelle

Les chiffres s'expliquent essentiellement par les conditions économiques et sociales qui sont réservées aux femmes.

a) Le surmenage

Pour des millions de femmes, la vie quotidienne se partage entre travaux domestiques (notamment piler le riz ou le mil), travaux agricoles, transport de la cueillette au marché, corvées d'eau et de bois de chauffage, tandis qu'elles assurent en même temps l'éducation des enfants. Peu d'études prennent le temps de se pencher sur leur situation, mais on peut raisonnablement estimer de 16 à 18 heures le temps de travail quotidien de la femme sénégalaise en milieu rural. Celles des pays voisins ne sont pas mieux loties. Si robuste et courageuse que soit la femme africaine, elle est trop souvent surmenée par un travail harassant.

b) La propagation du virus du Sida

Si les femmes sont de plus en plus conscientes du danger et se mobilisent, elles n'en sont pas moins vulnérables, qu'elles soient scolarisées et citadines ou analphabètes et rurales. Le pouvoir de décider de la protection des relations sexuelles ne leur appartient pas. Oser proposer le port du préservatif à un mari ou à un compagnon retourne contre elles le soupçon d'infidélité : elles risquent d'être chassées du domicile conjugal. La crise économique peut aussi conduire à une prostitution provisoire des femmes dont le mari est au chômage. Des jeunes filles qui ne peuvent poursuivre leurs études sans le soutien de quelque " parrain " attiré par leur jeunesse (jeunes filles de plus en plus prisées par ces temps d'épidémie) peuvent aussi être contaminées par le VIH.

c) La malnutrition et les carences nutritionnelles

S'il est vrai que les hommes subissent, comme les femmes, les difficultés liées à la crise et au mal-développement du continent africain, ils sont mieux considérés que les femmes, ils sont moins accablés par les tâches multiples du quotidien, et, au cours des repas, ils sont les premiers servis et s'octroient par conséquent les meilleurs morceaux, avant les enfants. La femme, même enceinte, se contente trop souvent des restes. Certes, chez les jeunes ménages citadins, la situation tend à évoluer vers plus d'égalité, mais la très grande majorité des femmes souffrent encore de ces pratiques traditionnelles qu'elles estiment elles-mêmes naturelles.

La fatigue due aux rythmes de travail se conjugue avec des carences nutritionnelles nombreuses : carences en fer, d'où le risque d'anémie responsable de 20 % des décès à l'accouchement, carences en vitamine A, en zinc et en iode, ce qui entraîne des conséquences néfastes pour la santé des femmes et de leurs enfants. L'absence d'iode dans l'alimentation, par exemple, augmente le risque d'enfants morts-nés et d'avortements spontanés. Cette carence en iode représente aussi un danger pour la future mère qui peut mourir d'hypothyroïdie. Ainsi, la République centrafricaine connaît une recrudescence préoccupante de goitres.

d) Le paludisme

Dans les vastes zones impaludées d'Afrique, le parasite touche évidemment les hommes, les femmes et les enfants, mais ce parasite (Plasmodium falciparum) responsable de la destruction des globules rouges accentue le risque d'anémie pour les femmes enceintes particulièrement vulnérables à cette maladie. Le parasite se niche par prédilection dans le placenta, même si un traitement intensif est prodigué à la future mère, ce qui est loin d'être toujours le cas. Les conséquences se répercutent une fois de plus sur le foetus qui va naître avec un faible poids.

2. Les causes de la surmortalité périnatale et infantile

On peut distinguer :

  • les facteurs de risque qui ont été détectés en cours de travail : ce sont les principaux. On peut citer l'hypertension, un travail long, une présentation non céphalique. Il faut ajouter les risques infectieux (rupture prolongée de la poche des eaux), une fièvre maternelle...
  • les facteurs de risque avant l'accouchement apparaissent moins importants que les précédents. Il s'agit de la petite taille maternelle (< 1,50m), plus de trois fausses couches, et des antécédents de césarienne.

Les décès des bébés sont trop souvent liés à la mauvaise santé de la mère, soit par insuffisance de surveillance pendant la grossesse, soit pour des raisons économiques et culturelles : la coutume de l'excision, par exemple, entraîne des risques plus grands pour les femmes excisées et pour leurs enfants. Des études faites au Mali, au Sénégal, au Bénin et au Burkina ont montré aussi le lien entre la malnutrition de la future mère, le faible poids de l'enfant à la naissance et les conséquences pour son avenir. Non seulement les risques d'infection sont plus élevés et fragilisent les premiers jours de la vie, mais un développement neurologique insuffisant peut entraîner une mauvaise vision, une surdité... avec toutes les conséquences qu'elles peuvent avoir sur la scolarité.

En Afrique de l'Ouest et du Centre, 40 % des grossesses nécessitent des soins en raison des complications. L'instruction de la mère exerce une influence positive sur sa propension à recourir aux services de santé, aussi bien pour elle que pour son enfant, mais son statut dans le ménage peut modifier son autonomie financière et de décision : le père des enfants ou les grands-parents, dans certains cas, influencent négativement les décisions prises. Et on retrouve ici le problème des mentalités africaines ballottées entre la médecine traditionnelle et la médecine moderne.

III. Insuffisance et inadaptation des programmes

En dehors d'un nombre réduit d'expériences pilotes qui seront évoquées plus loin, les programmes de santé internationaux ou nationaux ne s'intéressent pas aux femmes pour elles-mêmes : la plupart des projets concernant la santé et la nutrition ont été destinés en priorité aux enfants. Les femmes n'en sont pas les bénéficiaires directes, elles ont été trop longtemps considérées sous leur seul statut de " reproductrices ".

En 1989, Niamey accueillait une conférence mondiale orchestrée par les grandes agences des Nations Unies. Celles-ci avaient lancé à grand bruit la stratégie dite de " maternité sans risque ". L'objectif affiché était de diminuer de moitié d'ici la fin du siècle le chiffre de 500 000 morts maternelles dont 150 000 en Afrique. Or, au début de la conférence, de grandes banderoles barraient les rues de la capitale nigérienne avec ce slogan provocant, lancé d'abord dans les pays du Nord : " Des enfants quand je veux, si je veux ... ". Une affirmation qu'on n'imagine pas dans la bouche d'une Africaine, encore moins d'une Sahélienne, pour qui avoir le plus d'enfants possible procure un statut honorable dans sa communauté, et une sécurité. A l'inverse, la stérilité la met au ban de la société.

Au début de la conférence, dans son discours, le représentant de la banque mondiale stigmatisait la démographie galopante de l'Afrique (qui a toujours fait peur au Nord), au lieu de se pencher sur la détresse des femmes qui meurent en couches ou qui n'arrivent pas jusqu'à l'hôpital et décèdent en route dans d'atroces souffrances. Beaucoup de responsables politiques et sanitaires ont relevé l'indécence du propos et le détournement du thème de la conférence : " maternité sans risque ".

Il est vrai que l'espacement des naissances est un des facteurs de cette lutte contre la surmortalité féminine. L'Afrique de l'Ouest et du Centre connaissent les taux de fécondité parmi les plus élevés du monde. Les jeunes filles, sont mariées trop tôt, leur croissance à peine achevée (plus de la moitié des Africaines vivent leur premier accouchement pendant l'adolescence). Dix pour cent des filles au Cameroun et au Nigeria sont enceintes avant l'âge de 15 ans et elles seront de nouveau enceintes jusqu'à épuisement de leur vie féconde qui dure environ 20 ans. Dans 50 ans, un enfant sur deux, dans le monde, naîtra en Afrique selon les prévisions de l'ONU.

Mais, pour que le taux de natalité régresse, et pour faire évoluer les mentalités, il faudrait peut-être commencer par développer l'instruction pour tous les enfants, y compris les filles ! Et assurer un véritable développement et une meilleure organisation.

IV. Le succès d'expériences pilotes : la réorganisation des systèmes sanitaires

Au cours de ces 10 dernières années, quelques rares pays africains ont fait de la santé des femmes une grande cause nationale. Aussi le gouvernement du Mali a lancé un vaste plan de restructuration de son système de santé, ainsi qu'une une politique nouvelle mettant l'accent sur les soins de proximité.

Cette stratégie que tous les pays du continent africain ont été engagés, par l'OMS, à suivre, pourrait améliorer la situation de la future mère et celle de son nouveau-né :

Il s'agit de créer des centres de santé à moins de 15 km, dotés d'un infirmier, d'une matrone et d'un dépôt de médicaments génériques à prix accessibles. L'équipe doit assurer le minimum de soins, à savoir le curatif, le préventif par les vaccinations, le suivi des grossesses, et l'éducation à la santé. Jusqu'à ces dernières années, seuls 17 % des Maliens pouvaient recourir à des soins de proximité.

A ces centres de premier niveau s'ajoute, dans un rayon de 40 km (dans l'idéal ...), un hôpital dit "de référence" où deux médecins en principe reçoivent les cas les plus difficiles et sont aptes à pratiquer des actes de chirurgie. Les deux structures sont reliées par un réseau aérien de communication (RAC). Un transport en ambulance fourni par l'UNICEF assure le lien pour les urgences dont celles qui viennent des maternités.

Près de 500 centres de santé communautaires gérés par les populations ont ainsi vu le jour sur tout le territoire. Mais le Mali, comme ses voisins, se trouve confronté à un manque de personnel sanitaire qualifié, suffisamment motivé par de vraies rémunérations pour s'éloigner des villes.

Le Sénégal s'apprête à lancer un programme de 1 000 maternités. La Guinée expérimente un système de mutuelle-maternité prenant en charge la femme en cas de complication.

Par ailleurs, comme nous l'avions vu précédemment, les principaux risques périnataux ne peuvent pas tous être détectés par la répétition de visites anténatales, mais par la qualité de la surveillance prénatale. Il faudrait donc développer des structures suffisamment équipées pour permettre un monitorage de qualité, tout en maintenant un minimum de visites anténatales. Elles permettent aussi d'orienter vers le lieu d'accouchement le plus adapté.

Les questions posées par la santé des femmes et de leur nouveau-né renvoient à tous les disfonctionnements des états africains, à leur système sanitaire souvent sans budget suffisant qu'il faudrait repenser, quand ils ne sont pas à rebâtir si le pays sort d'un conflit.

V. Conclusion

L'accès des Africaines à une meilleure santé constitue un immense défi, et les femmes sont nombreuses à se battre pour cette cause. La " maternité sans risque " pour reprendre le thème de la conférence de l'ONU en 1989 suppose une évolution des mentalités, une meilleure organisation et... des moyens financiers accrus. Par rapport aux pays développés, les maternités en Afrique sont trop souvent "à risques".

Développement et Santé, n° 153, juin 2001