Le rôle de l'agent de santé communautaire

Par John H Bryant

Publié le

Il convient de noter que l'agent de santé communautaire peut être aussi bien une femme qu'un homme.

Du fait qu'il assure la liaison entre les besoins de la collectivité en matière de santé et les services de soutien du système de soins médico-sanitaires, l'agent de santé communautaire doit se soumettre à deux obligations opposées : d'une part, encourager la collectivité à parvenir à l'auto-responsabilité en matière de santé et d'autre part, faire appel aux services sanitaires pour compléter sa propre action.
Pour qu'un juste milieu puisse être maintenu, il faut veiller avec soin à la manière dont les agents de santé communautaire sont recrutés et formés, ainsi qu'aux liens, formels ou non, qu'ils entretiennent avec le système de soins médico-sanitaires, sans perdre de vue l'extrême diversité des collectivités, sur le plan social économique et culturel. Le présent article résume les discussions qui ont eu lieu lors d'un symposium sur l'agent de santé communautaire, organisé par l'African Medical and Research Foundation international à Airlie House, Virginia, Etats unis d'Amérique, en octobre 1977.

L'un des dilemmes de notre temps est que I'humanité se compose en majorité de déshérité qui n'ont pratiquement pas accès aux systèmes modernes de soins médico_sanitaires et ne verront pas cette situation s'améliorer dans l'avenir prévisible, malgré tous les efforts des pays pour développer leur service de santé. Ce qu'il faut, c'est trouver (avec les mêmes ressources) des moyens nouveaux d'atteindre les couches défavorisées de la population - à la campagne comme à la ville - en mobilisant leurs capacités et en les intéressant à l'amélioration de leur santé, pour les conduire vers un avenir meilleur. L'un de ces moyens est le recours à l'agent de santé communautaire.

MISE EN PLACE D'UN SYSTEME D'AGENTS DE SANTE COMMUNAUTAIRE

Le problème de l'allégeance

Quand on veut définir le rôle de l'agent de santé communautaire, un problème fondamental se pose immédiatement qui est celui de sa double allégeance a l'égard de la collectivité d'une part, et du conflit qui peut en découler. Au mieux, cette dualité

est constructive et facilite le travail de l'agent de santé communautaire. Au pire, elle révèle le caractère vulnérable de la position qu'il occupe entre sa collectivité et le système de soins médico-sanitaires.

Ce n'est pas la seule dualité à laquelle se trouve confronté l'agent de santé communautaire, car il doit aussi essayer de maintenir l'équilibre entre les soins médico-sanitaires qui sont d'orientation personnelle et clinique et les fonctions qu'il exerce qui sont d'orientation collective et épidémiologique. La difficulté est de ne pas privilégier les uns au détriment des autres. C'est un peu comme si l'on disait à quelqu'un qui a des vers que, du strict point de vue de la prévention et de la santé communautaire, ce qu'il lui faut c'est une latrine. Il répondra probablement : "Ne me parlez pas de latrine et débarrassez-moi plutôt de mes vers !" Le traitement et la prévention, l'action individuelle et l'action collective doivent marcher de pair.

Pour que l'agent de santé communautaire puisse organiser des programmes axés sur la collectivité, il faut qu'il possède les aptitudes techniques nécessaires pour inciter la collectivité à déterminer d'abord ses difficultés et ses besoins, puis à se préparer, à exécuter et à évaluer les programmes. Par exemple, étant donné que les ressources sont limitées et les besoins de chacun différents, il convient de mettre sur pied un dispositif de surveillance pour déterminer qui à besoin de telle ou telle chose et qui n'en a pas besoin. Néanmoins, c'est du système de soins médico-sanitaires que doit provenir le soutien technique à cette entreprise. Dans notre désir d'harmoniser la dualité des allégeances et par conséquences de protéger l'agent de santé communautaire de. la domination du système de soins médico-sanitaires, il se peut que nous sous-estimions son besoin d'un appui techniques Autrement dit, l'importance que nous accordons aux aspects sociaux de là fonction de l'agent de santé communautaire ne doit pas affaiblit ses liens avec les systèmes de soutien technique indispensables.

Influence de la dimension de la collectivité

Le rôle de l'agent de santé communautaire variera en fonction du nombre de gens dont il a la charge. Par exemple, eu Soudan, l'agent qui dessert 4000 personnes n'aura pas le même travail que son homologue de Klampok (Indonésie) qui n'en dessert que 60. Ce rôle variera, de même, selon que l'agent travail seul ou qu'il fait partie d'une équipe, et selon que son travail se limite aux questions de santé ou englobe également d'autres aspects du développement.

Sélection et formation

Qui choisit les agents de santé communautaire et comment ?

La sélection des agents de santé communautaires influence le type d'allégeance, car ce dernier est déterminé, au moins en partie, par celui dont dépend la sélection. Ainsi, lors du recrutement des agents de santé communautaires il faut préserver l'équilibre entre à) les points de vue et les besoins de la collectivité et b) ceux du système de soins Médico-sanitaires. Un troisième élément peut intervenir dans le processus de sélection : c'est l'institution ou le programme de formation, s'il est distinct de la collectivité et du système de soins médico-sanitaires.

Les critères de sélection, quant à eux, varient nécessairement d'un pays à l'autre. Par exemple, une analyse effectuée aux Philippines a montré que plus le niveau d'instruction d'un candidat est bas, plus, il est âgé et plus il à d'expérience en matière de santé; on a constaté aussi que plus son enracinement dans la collectivité est profond plus il y a de chances qu'il réussisse comme agents de santé communautaire. La confiance qui peut être accordée à quelqu'un a été prise comme critère de sélection, mais on l'a trouvée difficile à mesurer. On a utilisé aussi l'opinion et le sentiment de la collectivité à l'égard des agents qui la desservent, l'aptitude de ceux-ci à recevoir une formation et la probabilité qu'ils restent dans la collectivité après avoir été formés. En ce qui concerne la nécessité de savoir lire et écrire, les opinions ont considérablement varié. L'exiger n'aurait aucun sens dans des endroits comme le Sahel où presque tout le monde est illettré et de plus, on risquerait de voir se perdre là remarquable capacité de se souvenir qui caractérise si souvent les analphabètes. Mais, par contre, pour tenir des dossiers et effectuer des évaluations quantitatives, il faut des agents sanitaires qui sachent lire et écrire.

Rattachement hiérarchique

La notion d'allégeance dont nous avons déjà parlé englobe aussi celle de rattachement hiérarchique et si le mode de sélection exerce une grande influence sur celui-ci, d'autres facteurs interviennent aussi. C'est ainsi que celui (ou ceux) qui sélectionne, forme, supervise et rétribue les agents de santé communautaire et la manière dont il le fait, auront une forte influence sur l'orientation et la qualité de leur rattachement hiérarchique. A l'évidence, il faut que la collectivité et le système de soins médico-sanitaires participent pour une part égale à ces diverses tâches, autrement le rôle de l'agent santé communautaire risque de se trouver faussé.

Inclure les exclus

Dans certaines collectivités, les plus déshérités forment une catégorie de marginaux ou d'exclus dont l'existence n'est pas reconnue par les autres membres. La tradition selon laquelle les notables devraient constituer la principale voie d'entrée dans les collectivités peut contribuer à l'exploitation des plus pauvres, ou au moins perpétuer celle-ci. En choisissant des agents de santé communautaire qui auront des comptes à rendre à l'ensemble de la collectivité, il est donc important de savoir s'ils seront désireux et capables de trouver et de soigner les gens les plus déshérités, laissés jusqu'à présent à l' écart.

Motivation

On a constaté des différences culturelles et nationales parmi les principaux facteurs qui incitent les gens à devenir des agents de santé communautaire. Alors que le revenu, le prestige et, peut être le désire de faire des travaux moins durs semblent des motivations dans un pays, ce sont davantage la fierté et l'intérêt à l'égard de la collectivité qui paraissent intervenir dans un autre.

L'influence déformante des méthodes

Il se peut que le fait de connaître la méthodologie de l'enseignements, de l'évaluation et de la définition des problèmes - et de s'y intéresser - puisse altérer les programmes. D'ordinaire, les gens préfèrent enseigner ce qu'il savent enseigner, évaluer ce qu'ils savent évaluer et définir les problèmes qu'ils sont capable de définir, mais cela risque d'avoir pour conséquence de modifier fortement et dans un sens défavorable Le rôle et le programme de l'agent de santé communautaire.

Organisation et gestion

La place de l'agent de santé communautaire

Entre les deux pôles que constituent la collectivité et le système de soins médico-sanitaires, la place de l'agent de santé communautaire varie d'un pays à l'autre. En Indonésie, le programme semble fortement axé sur la collectivité: les agents de santé communautaire sont des bénévoles employés à temps partiel, choisis par là collectivité où ils demeurent, tout en restant cependant proches du système sanitaire représenté par le médecin et le personnel local du centre de santé. Le programme est étroitement lié au développement, de telle sorte que l'agent de santé de village est devenu un agent de développement de village.

Le programme mis en oeuvre dans la République-Unie de Tanzanie présente quelques similitudes avec le programme indonésien. Les agents de santé communautaire sont des bénévoles qui travaillent à temps partiel et résident dans les collectivités ' mais quelques difficultés ont surgi à propos de la place de l'agent une fois qu'il est monté en grade. En effet, le plan tanzanien prévoit que l'agent de santé communautaire sera élevé au grade d'aide de santé maternelle et infantile qui est un membre auxiliaire, rémunéré et employé à plein temps du système sanitaire. La montée en grade de l'agent sanitaire, qui le sort de la collectivité et le fait entrer dans le système de santé, aura-t-elle pour effet de réduire l'efficacité de son action est une question qui n'a pas encore reçu de réponse.

Le programme du Soudan est tout à fait différent. Ici, les agents de santé communautaire travaillent à plein temps et font partie du système sanitaire qui les rémunère. C'est à partir de cette position qu'ils se rattachent à la collectivité. Après être monté en grade, l'agent de santé communautaire devient un assistant médical auquel incombe notamment la supervision des agents de santé communautaire. Etant donné que le travail de l'assistant médical est essentiellement clinique, on peut se demander comment cette promotion influence le rôle de l'agent de santé communautaire. Ce système va-t-il avoir pour effet de l'orienter plus vers la clinique, comme les autres assistants médicaux, ou sera-t-il possible de faire conserver aux assistants médicaux l'orientation plus large de l'agent de santé communautaire ?

Agents de santé communautaire et auxiliaires. Le problème présente un autre aspect qui est celui du rapport de l'agent de santé communautaire avec les auxiliaires employés à plein temps dans le système de soins médico-sanitaires. Si l'on considère l'agent de santé communautaire comme quelqu'un qui réside dans la collectivité et n'a reçu que quelques mois de formation, et l'assistant ou l'auxiliaire médical comme quelqu'un qui, après 18-24 mois de formation, travaille à plein temps pour les services de santé et est souvent affecté à un dispensaire ou à un centre de santé, l'adoption du système soudanais soulève les questions suivantes,: le rôle de cet agent de santé communautaire n'est-il pas, en fait, celui d'assistant de l'assistant médical puisque le prochain échelon de son avancement sera de devenir assistant médical ? Cela ne signifiera-t-il pas alors la fin du rôle distinct de l'agent de santé communautaire ? Ou bien est-il possible de réorienter le rôle de l'assistant médical en sorte que l'agent de santé communautaire, lorsqu'il montera en grade, continue de centrer son -action sur la collectivité et devienne un assistant médical intéressé par l'action communautaire plutôt qu'un clinicien auxiliaire ? Il est à la fois important et difficile de rattacher cette nouvelle catégorie d'agents sanitaires au système existant.

En Indonésie au contraire, l'agent de santé communautaire ne reçoit pas d'avancement, mais reste enraciné dans la collectivité. Certains s'en trouveront peut-être gênés, mais assurément pas ceux qui estiment que le concept de carrière est une déformation culturelle occidentale;l'alternative à là progression dans une carrière est là fierté que chacun éprouve à voir s'améliorer sa compétence et le respect que lui portent les membres de la collectivité.

Travail bénévole. Lebénévolat des agents de santé communautaire, apparemment si naturel et si approprié dans la République-Unie de Tanzanie et en Indonésie, pourrait ne pas être applicable ailleurs, ou tout au moins pas pour très longtemps. Certains le considèrent même comme une source possible d'exploitation. Pourtant il présente d'indéniables avantages. L'agent bénévole travaille presque toujours à temps partiel, tout en vivant dans la collectivité il est donc, sur le plan social, très proche de la collectivité. Le système du bénévolat fait aussi faire des économies, ce qui est important quand les ressources sont maigres. Il permet de puiser dans une dans une vaste réserve de travailleurs, comme en Indonésie où il fournit un agent de santé communautaire pour dix familles. Peut-être ce système se maintiendra-t-il indéfiniment dans la République de Tanzanie et en Indonésie étant donné qu'il s'appuie sur des valeurs culturelles locales et aussi, bien entendu, sur le fait que les bénévoles croient à l'importance de leur rôle.

PLANS POUR L'AVENIR

Quand on considère le rôle de l'agent de santé communautaire, il faut encore tenir compte d'un certain nombre d'autres facteurs. Les cinq grands thèmes suivants sont important à cet égard.

Perspectives d'amélioration de la couverture sanitaire.

La couverture des services sanitaires est actuellement insuffisante dans presque toutes les parties du monde, pour des raisons qui vont au-delà de la pénurie de moyens. Toutefois, il est évident que, même dans le cadre des contraintes qu'exercent les forces économiques et politiques, il serait possible de faire beaucoup plus que ce qu'on fait aujourd'hui.

Le concept de l'agent de santé communautaire permet de faire un grand pas dans ce sens, car il rend possible de disposer d'un nombre suffisant d'agents sanitaires pour desservir toutes les collectivités moyennant une dépense à la mesure de leurs ressources et d'une manière qui cadre avec leur développement tant social qu'économique.

Variations d'une collectivité à l'autre.

Bien que ce soit un truisme de dire que les collectivités sont très différentes les unes des autres et qu'elles ne sont pas statiques, mais entraînées dans une dynamique de changement, les systèmes de soins médico-sanitaires du monde entier tendent à se ressembler e conséquent, ne tiennent souvent pas compte des différences entre les collectivités. Certaines, par exemple, prennent une part active au processus de développement, tandis que d'autres ne font que l'effleurer et d'autres encore ne paraissent pas capables de se reconnaître et de s'accepter en tant que telles, probablement par crainte ou par honte. Dans la campagne mexicaine, il ya des gens qui parlent d'eux-mêmes sous le nom de burros (ânes) et aux Philippines, les membres d'une collectivité ont choisi pour leur programme l'appellation de paaralang anak pawls, qui signifie "enfants de la sueur", afin d'exprimer qu'ils sont foulés aux pieds mais peuvent se redresser. Le rôle des agents de santé communautaire doit pouvoir s'adapter à cette vaste gamme de problèmes et de différences, en dépit du fait que les planificateurs et les professionnels de la santé n'ont pas l'habitude d'envisager ces différences quand ils pensent à des programmes de soins de santé.

Les agents de santé communautaire - un palliatif ou une solution ?

On est en droit de se demander si certains programmes de santé communautaire ne sont pas de simples palliatifs puisqu'ils se poursuivent sans que soient changées les forces d'oppression sous-jacentes. La notion d'agent de santé communautaire peut même donner à tort confiance aux planificateurs en leur faisant croire qu'ils tentent de remédier à l'insuffisance des services de santé, alors qu'en fait ils ne font rien. C'est ce qu'on a décrit comme "la dynamique sans le changement", c'est-à-dire que des efforts considérables pour donner de nouvelles structures à des systèmes sociaux en difficulté n'aboutissent à rien. Il ne faut pas que l'enthousiasme suscité par les agents de santé communautaire fasse oublier qu'il ne s'agit pas simplement de promouvoir encore une fois une solution logique qui est sans effet, de déclencher encore une fois une dynamique qui n'entraîne pas de changement significatif.

Place aux systèmes novateurs

Les systèmes en place ont tendance à refuser l'innovation, les gens essayant de rester ce qu'ils sont et se battant même pour y parvenir. Dans l'empressement à promouvoir le concept d'agents de santé communautaire, il faut veiller à ne pas surdéfinir, sur-codifier et sur-contrôler la planification au point que l'innovation ne peut s'y introduire. Il faut qu'on leur fasse place, il faut même qu'ils soient les bienvenus ceux qui rejettent les conventions, ceux qui se sentent contraints d'abandonner le système établi parce qu'ils s'inquiètent, à titre personnel aussi bien que professionnel, du sort de ceux qui ont besoin de soins mais n'en reçoivent pas encore.

Contrôle communautaire ou contrôle centralisé ?

Il importe de savoir si les collectivités doivent conserver le contrôle sur tous les aspects de l'action des agents de santé communautaire sur la base du principe général de l'autodétermination, ou si les organes centralisés du gouvernement doivent étendre leur système aux collectivités (ou le leur imposer). La première approche suppose que les services se développent de bas en haut en commencent par un petit programme local fondé sur le concept d'auto-responsabilité et d'autodétermination collectives. La seconde suppose un développement de haut en bas, les programmes étant établis à l'échelon central et visant à une répartition plus large et plus équitable des services de santé.

L'utilité de l'une et l'autre approche n'est pas controversable mais, dans la pratique, il est probable qu'il ne faudrait pas nécessairement choisir l'une ou l'autre. Elles sont toutes deux souhaitables et il faudrait tendre vers des solutions qui feraient place à la fois au contrôle de la collectivité et à la répartition équitable des services.

En résumé, on peut dire qu'il importe essentiellement de décider quels sont les principes et les concepts fondamentaux des programmes d'agents de santé communautaire - c'est-à-dire que le programme et l'agent sanitaire sont axés sur la collectivité, qu'il existe une autodétermination collective et que la collectivité est rattachée au système de santé mais non dépendante de lui - en sorte que le programme puisse être édifié et évalué selon ces principes. C'est à cette condition qu'il sera possible de concevoir un système qui répondra aux besoins des gens, au lieu que ce soit les gens qui servent le système,

Développement et Santé, n° 18, 1978