La prévention des mutilations sexuelles féminines

Par Emmanuelle Piet Médecin, présidente du Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV)

Publié le

J’ai été confrontée pour la première fois à une infibulation en 1974, lorsque je faisais fonction d’interne à la maternité de l’hôpital de la Cité Universitaire : une étudiante Somalienne était infibulée. J’avais été très impressionnée ! Là commence ma lutte contre l’excision et les mutilations sexuelles féminines.

Regard sur la situation 40 ans plus tard

En PMI, on découvre l’excision à la fin des années 1970. Une pétition initiée par le docteur Marie-Hélène FRANJOU circule pour mobiliser les équipes dans la lutte contre les mutilations sexuelles en 1980.

En Seine-Saint-Denis, les mutilations sexuelles sont apparues dans la fin des années 1970 ; en effet, c’est dans cette période que les travailleurs maliens, qui avaient été attirés en France pour travailler, ont été autorisés à faire venir leur famille : c’est le regroupement familial, femmes et enfants arrivent en France et fréquentent les PMI.

Les premières actions de prévention suivent l’arrivée des familles dans les départements à proximité des foyers : Montreuil ; Pantin, puis sont généralisées dans le département.

Pour organiser, soutenir cette prévention, nous avons mis en place des formations pour les personnels.

Dans un premier temps : informations sur les mutilations sexuelles féminines, les populations concernées, les pratiques, les conséquences médicales, sexuelles, les coutumes, la loi.

Au début, l’action se développe toujours en lien avec les interprètes interculturelles, les femmes ne parlant pas encore le français. Il a donc été nécessaire de former aussi les interprètes.

Très rapidement, les personnels ont commencé à poser systématiquement les questions lors de la venue à la PMI d’une petite fille originaire d’un pays concerné par l’excision : Que comptent faire les parents pour la petite fille ? Doit-elle être excisée ?...Savent-ils que cela « abime » les filles ?

Les médecins pédiatres examinent systématiquement le sexe des petites filles et parlent des conséquences néfastes, des dangers pour la santé, de l’interdit.

Les médecins PM/PF, lorsqu’ils examinent les femmes, parlent des conséquences de l’excision et des possibles soins, ainsi que de l’avenir de leur fille.

Ce travail est systématique dans certaines communes.

Dans le même temps, les procès se multiplient, une jurisprudence de 1982 reconnaît la mutilation sexuelle comme un crime : les procès se déroulent à la cour d’assises. Ils ont un très fort impact sur la communauté concernée.

Les populations s’adaptent, la prévention aussi…

Alors que, dans les pays d’origine, dans un même village, les mutilations ont lieu entre 6 ans et 15 ans, , en France, dès le début des années 1980, les fillettes sont mutilées bébés (deux bébés meurent des suites d’excision, comme Bobo TRAORE, amenée à l’hôpital de Saint-Denis, vidée de son sang, son père ayant tardé car il sait que l’excision est interdite en France….).

Grâce à la prévention systématique réalisée en PMI et aux procès qui ont un grand retentissement, les mutilations chez les bébés ont pratiquement disparu (dans les années 1980, 50 % des mutilations sont faites en France).

Dans les années 1990 (alors que 40% des mutilations sont réalisées en France), les excisions sont pratiquées sur des enfants plus grandes, âgées de 6 à10 ans, pendant les vacances.

Nous avons alors entrepris la sensibilisation des personnels de l’Education Nationale - médecins, infirmières scolaires - afin qu’ils soient attentifs aux signaux d’alerte.

A l’école, les enfants parlent et sont entendues : une petite fille dit à sa maîtresse qu’elle partira dans son pays avant la fin de l’année scolaire pour une fête destinée aux filles. La maîtresse informée prévient le médecin scolaire, un signalement est fait, la famille n’emmènera pas cette fillette pour la faire exciser….

D’autres enfants reviennent après les grandes vacances transformées, mutiques, tristes… Quelques signalements, une modification de la loi permettant de poursuivre les parents qui pratiquent une excision hors du territoire français… Est aussi un crime la mutilation pratiquée dans le pays d’origine si l’enfant réside habituellement en France. L’efficacité de cette mesure est réelle : nous n’avons plus vu de petites filles mutilées pendant le temps de l’école primaire.

Une nouvelle adaptation se développe dans les années 2000, les jeunes filles sont déscolarisées à la fin du cours moyen deuxième année, à la fin de l’école primaire, elles sont renvoyées dans le pays d’origine, où elles vont être mutilées, mariées de force. Elles reviennent en France enceintes pour accoucher avant l’âge de 16 ans (ces jeunes filles nées en France et y vivant avant cet âge ont vocation à être françaises, leur enfant aussi).

La prévention s’adresse maintenant aux maternités et aux personnels qui suivent les grossesses. Un travail de formation se met en place pour que ces personnels, qui examinent ces jeunes filles , fassent des signalements lorsque les parturientes sont des femmes mineures mutilées.

La prévention doit aussi s’exercer dans les collèges pour que soient signalées les jeunes filles qui n’intègrent pas le collège en début de nouvelle année scolaire et celles qui disparaissent de l’établissement en cours d’année : on attend !!

En 2000, se produit une véritable révolution : l’intervention chirurgicale du Dr FOLDES permet la réparation des vulves. En 2003, cette intervention est intégralement remboursée par la Sécurité Sociale.

En 2001, en Seine-Saint-Denis, nous avons invité le Dr P. FOLDES, et des lieux de consultation et de réparation vont ouvrir successivement dans les hôpitaux de Montreuil, Aulnay et maintenant Saint-Denis et Blanc-Mesnil.

La prise en charge des femmes mutilées, dans les consultations de protection maternelle et de planification familiale, s’améliore au cours du temps, les difficultés sexuelles sont abordées et la réparation est proposée. Les autres violences sont également recherchées : mariages forcés, violences conjugales.

Une autre évolution dans la prise en charge a lieu au début des années 2000 : une meilleure connaissance du syndrome post-traumatique, ce qui nous permet de mieux comprendre les souffrances psychiques importantes que vivent ses femmes mutilées et d’y porter remède.

Pour maintenir un bon niveau de connaissances des personnels et améliorer la prise en charge de ces femmes et enfants, nous organisons chaque année depuis 2004, autour du 6 février, une demi-journée d’information (maintenant en lien avec l’observatoire départemental des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis), durantsont laquelle abordées différentes questions autour des mutilations sexuelles féminines.

Une note rappelle la conduite à tenir en matière d’excision dans le service de PMI.

Ce travail avec les populations d’Afrique sub-saharienne a été efficace. A chacune des étapes de la mobilisation des différents services, de nombreux parents renoncent à la pratique des mutilations sexuelles féminines. De très nombreuses petites filles ont ainsi été préservées et aujourd’hui, de nombreuses jeunes femmes déclarent ne pas vouloir d’excision pour leur fille. Les femmes adultes qui ont été mutilées demandent à bénéficier d’une réparation chirurgicale. A ma consultation, de nombreuses jeunes femmes ne sont pas mutilées et savent que leur mère s’y est opposée avec succès.

Mais de nouvelles populations concernées arrivent dans notre département.

En 2010, les Egyptiennes arrivent. Dans leur pays, 97 % d’entre elles sont mutilées, mais personne ne parle de mutilation sexuelle en Egypte ! Même lors du printemps du Maghreb, où le thème des droits des femmes et des agressions sexuelles est débattu, rien n’est dénoncé en matière de mutilation sexuelle. Nous avons aujourd’hui tout à reconstruire pour développer une prévention efficace pour ces nouvelles arrivantes.