Conduite à tenir devant une urgence épidémique (fièvre jaune, méningite épidémique, choléra)

Par Dr. Jean-Loup Rey Médecin de santé publique.

Publié le

I. Conduite à tenir devant un cas de suspicion de fièvre jaune

1. Diagnostic

Cliniquement la fièvre jaune est marquée par trois signes majeurs qui doivent alerter :

  • une fièvre accompagnée d'un syndrome infectieux ;
  • un ictère, d'où son nom de fièvre jaüne ;
  • des hémorragies (gencives, nez, selles, vomissements).

Le contexte permet de confirmer la suspicion si, dans la région, sont recensés ou rapportés plusieurs cas de jaunisse avec fièvre et de décès brusques inexpliqués.

2. Quelles actions urgentes entreprendre ?

Il faut réaliser le plus vite possible une recherche d'albumine dans les urines (bande­lettes) et, si elle est positive, donner l'alerte. "Un ictère fébrile avec atteinte rénale est une fièvre jaune".

Il est nécessaire d'isoler les malades (et les personnes suspectes de fièvre jaune) dans une salle à l'abri des piqûres de moustiques afin d'éviter l'extension de la maladie. Les patients doivent être sous moustiquaire et la salle d'hos­pitalisation doit avoir des fenêtres grillagées.

Il faut éviter de déplacer les malades, en particulier de les évacuer ou de les référer, tant que vos supérieurs ne vous en ont pas donné l'ordre, afin d'éviter de transporter l'épidémie ailleurs, dans une ville en particulier.

En effet, la fièvre jaune est une maladie virale transmise par des moustiques de la famille des aèdes. De nombreux singes de forêt sont des réservoirs de virus, et si un chasseur pénètre

en forêt, il peut être infecté, transporter ensui­te la maladie au village et entraîner quelques cas secondaires. Mais, le moustique ayant la capacité de se multiplier rapidement dans de toutes petites collections d'eau (boîtes, pneus, feuillage), il est très présent dans les villes où peuvent se développer de graves épidémies.

3. Traitement

  • Réhydratation par voie orale s'il n'y a pas de vomissements.
  • Antalgiques : paracétamol, pas d'aspirine.
  • Antihémorragiques : vitamine K.

4. Autres mesures

Alerter les autorités du district ou du départe­ment. Il faut prévenir très rapidement le niveau départemental et par tous les moyens disponibles.

  • Faire un prélèvement de sang et recueillir du sérum - à conserver à+4°C ou -20°C - chez les premiers patients afin de confirmer virologiquement le diagnostic.
  • Dénombrer les cas et les décès, en les distri­buant, sur une carte, par âge et selon leur origine géographique.
  • Il est important, pour limiter l'extension de l'épidémie, de promouvoir l'utilisation des moustiquaires pour tous et en particulier pour les enfants. Si celles-ci sont disponibles dans le cadre de la lutte contre le paludisme, elles doivent être distribuées à l'occasion des consultations pré- et post-natales, dans les écoles et les centres de santé eux même. Tous les malades hospitalisés, même pour quelques heures, doivent être sous une moustiquaire.
  • Enfin, il faut prévoir rapidement l'organisa­tion d'une vaccination de masse. Il est donc utile de prévenir les responsables des villages, de faire le bilan des matériels néces­saires (réfrigérateurs, seringues, coton, alcool, etc..) et, éventuellement, de retarder les séances prévues d'autres vaccinations pour y associer celle de la fièvre jaune.

II. Conduite à tenir devant un cas de méningite épidé­mique à méningocoque

La méningite épidémique à recrudescence saisonnière est due au méningocoque de séro­groupe A, C, W135, X ou Y.

1. Diagnostic

Chez l'enfant et l'adulte, la méningite associe un syndrome infectieux et des signes d'hyper­tension cérébrale soit :

  • Fièvre, parfois masquée.
  • Céphalées avec photophobie.
  • Raideur de la nuque avec signe de Kernig.
  • Vomissements, provoqués par les mouve­ments.

Chez le petit enfant, on observe une nuque molle et un bombement de la fontanelle, sou­vent associés à des troubles de la conscience ou des convulsions.

Ces méningites apparaissent à la saison sèche et froide (février, mars), essentiellement chez les enfants âgés de 2 à 6 ans.

2. Pour confirmer le diagnostic, il est nécessaire

De faire (ou faire faire) une ponction lombaire pour examen du LCR en adressant le prélève­ment au laboratoire le plus proche.
Le laboratoire effectuera une cytologie et une coloration de Gram et, si possible, un test au latex.

Ces examens de laboratoire permettront de confirmer le diagnostic :

  • liquide trouble ou purulent, non hémorra­gique, contenant de très nombreux polynu­cléaires (incomptables le plus souvent) ;
  • présence de méningocoque : diplocoques Gram négatifs sur la lame colorée, et test au latex positif pour le méningocoque A ou C.

3. Traitement

a. Traitement antibiotique

Le traitement repose sur : le chloramphénicol en solution huileuse administré par voie intra­musculaire selon la posologie suivante :

de 0 à 2 mois 1 ml soit 0,25 g 1/2 ampoule
de 2 à 11 mois 2 ml soit 0 50 g 1 ampoule
de 1 à 2 ans 4 ml soit 1 g 2 ampoules (en 2 sites)
de 3 à 6 ans 6 ml soit 1,5 g 3 ampoules (idem)
de 7 à 10 ans 8 ml soit 2 g 4 ampoules (ide
de 11 à 14 ans 10 ml soit 2,5 g 5 ampoules (idem)
15 ans et plus 12 ml soit 3 g 6 ampoules (idem)

b. Traitements adjuvants

  • Anticonvulsivants : diazépam par voie intra­rectale ; 0,25 mg par kg de poids, à renou­veler 30 minutes plus tard si nécessaire.
  • Antitpyrétiques : paracétamol ; 50 mg par kg de poids par jour en 3 prises.

S'il n'est pas possible d'utiliser le chloramphé­nicol huileux, on le remplace par ceftriaxone 50 mg/Kg par voie intramusculaire.

4. Quelles mesures prendre ?

Alerter les autorités sanitaires du départe­ment ou de la région et préparer la cam­pagne de vaccination de toute la population âgée de 1 à 29 ans, en commençant par les quartiers et villages proches des cas recensés.

Renforcer la surveillance épidémiologique : il est important de compter tous les cas cer­tains et suspects selon les villages et quartiers et par tranches d'âge (moins de 5 ans ; de 5 à 14 ans et 15 ans et plus) pour orienter puis évaluer la campagne de vaccination.

III. Conduite à tenir en cas de suspicion de choléra

1. Diagnostic

Cliniquement, le choléra se manifeste par une diarrhée abondante, profuse, répétée (eau de riz) avec ou sans vomissement provoquant une déshydratation rapide et la mort.

  • diarrhée de l'adulte avec décès
  • = choléra.

Le contexte peut orienter le diagnostic lorsque de nombreux cas sont notifiés en peu de temps.

2. Traitement

L'urgence est la réhydratation :

  • par voie orale (RVO) si le malade peut boire ;
  • par perfusion IV (ou autres voies) dans les cas contraires.

Chez le nourrisson, on peut envisager la voie intra-osseuse qui a donné de bons résultats lors d'épidémies.

Il faut commencer par évaluer le degré de déshydratation.

a. Réhydratation par voie orale

Utiliser les sol­utions de l'OMS ou du marketing social ou faites vous même votre solution :

  • dans un litre d'eau de boisson, mettre cinq moreaux de sucre et une petite cuillère de sel (ou le contenu d'une capsule de soda). Il est possible d'utiliser l'eau de cuisson du riz ou une décoction de feuilles de goyaviers.

b. Si le malade ne peut pas boire

il faut perfuser rapidement : Ringer lactate, soluté de Hartmann ou sérum salé à 9 p. mille.

Les quantités à perfuser sont les suivantes :

  • Pour les sujets de plus de 1 an :
    • 100 ml par kg en 3 heures,
    • 30 ml par kg en 30 minutes puis,
    • 70 ml par kg les 150 minutes suivantes.
  • • Pour les sujets de moins de 1 an :
    • 100 ml par kg en 6 heures,
    • 30 ml par kg pendant la 1° heure puis,
    • 70 ml par kg les 5 heures suivantes.

Les antibiotiques ne sont utiles que pour dimi­nuer l'excrétion du vibrion, ils réduisent le risque de transmission pour les autres (doxy­cycline :1 cp par jour, soit 3 mg/Kg).

Il est très important de surveiller le patient : Le pouls et la TA doivent revenir à la normale en 1/2 heure ;

Si ce n'est pas le cas : continuer à perfuser puis réévaluer à 3 et 6 heures. On prend le relais par voie orale dès que le malade peut boire.

Tableau d'évaluation de la déshydratation

action signes Déshydratation nulle ou faible Déshydratation modérée Déshydratation sévère
observer état général normal, sujet éveillé agité et irritable apathique, inconscient
soif boit normalement assoiffé, boit avec avidité incapable de boire
palper pli cutané nul ou s'efface rapidement s'efface lentement s'efface très lentement

Quantité de RO à utiliser

< 4 mois 4 - 11 mois 12 - 23 mois 2 - 4 ans 5 - 14 ans 15 ans et +
Poids/Kg < 5 5 - 7,9 8 - 10,9 11 - 15,9 16 - 29,9 30 et +
Quantité SRO en ml par jour 200 - 400 400 - 600 600 - 800 800 - 1200 1200 - 2200 2200 - 4000

3. Autres actions à réaliser en urgence

Confirmer le diagnostic

  • Uniquement pour les premiers cas. Recueillir des selles liquides avec un écou­villon qui est ensuite introduit dans le milieu de transport ; étiqueter le tube et l'adresser au laboratoire national ou départemental.
  • Si l'on ne dispose pas de matériel de trans­port spécifique, il est possible de tremper un morceau de buvard dans les selles liquides, de le mettre dans un sachet plastique que l'on ferme soigneusement (par collage ou chaleur) puis de l'expédier en le mettant dans un 2ème sachet plastique également fermé. Il faut utiliser des gants pour ces manipula­tions.

Alerter

Il faut alerter les autorités administratives et sani­taires (cette alerte, absolument nécessaire, doit être discrète pour ne pas effrayer inutilement les populations).

Assurer la surveillance des cas nouveaux et les recenser par âge et par lieu de résidence.

Sur le plan de l'hygiène

Le choléra étant la première des infections à transmission oro-fécale il faut :

  • éliminer les excréta dans des latrines ou fosses creusées à plus de 50 m de tous points d'eau et après désinfection (Javel, crésyl) ;
  • réglementer les funérailles en limitant les ras­semblements, en désinfectant tous les objets utilisés et en enterrant les cadavres avec de la chaux (à plus de 50 m de tout point d'eau) ;
  • approvisionner en eau potable (rapidement et par tous moyens) ;
  • assurer et renforcer la chloration de l'eau de boisson (4 gouttes d'eau de Javel par litre d'eau ou 1 cp de troclosène de sodium ou Aquatabs*) ;
  • approvisionner en savons et produits de désinfection ;
  • protéger les denrées alimentaires et éviter les aliments crus et mal cuits ;
  • promouvoir l'utilisation des latrines (à réhabi­liter si nécessaire) ;
  • assurer un lavage soigneux des mains (au savon) pour la préparation et la consomma­tion des repas.

Développement et Santé, n°191/192, 2008