Formation des sages-femmes

Par Sibylle de Laage Sage-femme, Hôpital Intercommunal de Créteil.

Publié le

De la vie, nous disons qu'elle vient des mains et qu'elle retourne dans les mains.

Un nouveau-né est accueilli par des mains. Ces sont des mains qui le saisissent, qui lui coupent le cordon ombilical. Ce sont des mains qui le lavent. Ce sont des mains qui lui donnent la vie.

Le cœur, c'est la personne. C'est le cœur qui aime. C'est le cœur qui souffre. Le cœur c'est tout le corps. Un corps sans cœur n'a plus de vie. La maladie ou la santé d'un corps dépend du cœur. C'est le cœur qui est écœuré, c'est le cœur qui a des palpitations, c'est le cœur qui a des nausées.

Extrait du recueil Bonheur et souffrance chez les Wodaabe Peuls du Niger, de AngeIo B. Maaliki.

En France, la profession de sage-femme est reconnue comme une profession médicale unique en son genre parce qu'elle est limitée à un seul acte qui est physiologique-l'accouchement et ses suites; lui-même aboutissement d'une grossesse, étant aussi physiologique.

La formation au métier de sage-femme comporte deux aspects :

I. Un aspect physique

Qui lui confère le fait d'être une branche de la médecine.

L'obstétricien, médecin-spécialiste, est compétent dans la physiologie concernée mais surtout sollicité dans la pathologie correspondante.

Dans la pratique, le médecin et la sage-femme sont donc amenés à travailler en partenariat, l'un pour ce qui relève plus spécifiquement de la pathologie, l'autre pour ce qui est du soin.

II. Un aspect d'accompagnement psychologique

Incluant des données sociales, culturelles, anthropologiques et éthiques parce que des êtres humains sont le sujet même de la profession.

Dans leur activité professionnelle, les sages-femmes rencontrent des femmes, des couples, à une période spécifique de leur vie ; chaque grossesse, chaque naissance d'un enfant est unique pour chaque couple.

De par sa formation, la sage-femme a à devenir de plus en plus garante auprès des parents et avec eux de la venue au monde d'un nouvel être humain, leur enfant.

III. Objectifs : trois mots-clés de même racine

1. Veiller - Surveiller - Éveiller

  • Veiller au bon déroulement de la grossesse, de l'accouchement et des suites de couches et des soins du nouveau-né.

  • Surveiller pour dépister tout passage à l'anomalie dans ce déroulement et agir en conséquence.

  • Éveiller, travail en amont et tout au long de cet évènement : grossesse-naissance, afin d'aider les bases nécessaires au bon déroulement. Travail d'informations, d'éducation, de prévention.

2. Méthode : le maître-mot est confiance

Il contient les notions :

  • du point d'appui à l'intérieur de soi,

  • de l'évaluation de ses limites,

  • d'ouverture à l'autre,

pour amener vers la sécurité, la sûreté, le respect. Les points d'appui se prennent aux trois niveaux de l'être humain : tête, corps, cœur. Ceci, tant pour la sage-femme que pour la femme enceinte.

3. Veiller en confiance

a. Au niveau " tête "

La sage-femme doit acquérir des connaissances solides en matière :

  • du corps humain, de la physiologie de ses différents systèmes,
  • de l'anatomie et la physiologie de la grossesse,
  • de l'étude clinique et paraclinique de la grossesse,
  • de l'étude de l'accouchement normal et des suites de couches normales,
  • de l'étude des différentes présentations fœtales,
  • de l'étude de l'anesthésie et de l'analgésie obstétricales, la pharmacie, sans omettre les pharmacologies traditionnelles,
  • de l'étude du nouveau-né sain,
  • de l'analyse et organisation des données.

Les connaissances sont données sous forme de cours (principe de sécurité).

b. Au niveau " corps "

Cela concerne :

  • l'hygiène,
  • l'asepsie,
  • le confort physique, l'alimentation,
  • toutes les acquisitions gestuelles dans l'exécution des soins en consultations pré- et post-natales, la clinique,
  • la pratique de l'accouchement,
  • la détente, la relaxation, les sensations,
  • la préparation à l'accouchement pour permettre et respecter les attitudes corporelles " prises " lors de l'accouchement,
  • développer l'observation.

Ceci dans un objectif de sûreté, d'aisance. Ce qui implique l'aspect important de la formation que sont les stages, la mise en pratique, l'expérience de l'apprentissage et son évaluation.

c. Au niveau " cœur "

Cela regroupe :

  • des connaissances en psychologie de la cellule familiale, en données socioculturelles, en ethnologie, etc.,
  • un repérage de ce qui est ressenti au niveau des émotions et des sentiments par une écoute et une acceptation de ce qui est et par la parole,
  • la nécessité de développer une attitude d'empathie, de respect, de discrimination, - ainsi qu'une responsabilisation.

4. Surveiller

a. Au niveau " tête "

Tout au long de la grossesse et de l'accouchement, un incident ou un accident peut survenir et changer brusquement le cours des événements. A l'aide de l'observation précise des faits, d'une synthèse rapide, un raisonnement logique entraîne un diagnostic de l'anomalie et une prise de décision immédiate.

Pour cela, il est nécessaire de connaître :

  • la pathologie de la grossesse et de l'accouchement au niveau de la femme, et au niveau du fœtus,
  • la gynécologie et la pathologie gynécologique,
  • la pathologie néonatale dans les divers systèmes (respiratoire ...), infectieuse,
  • le nouveau-né prématuré ou hypotrophique,
  • les données pathologiques propres au pays, à la région concernée.

b. Au niveau " corps "

Grâce à ses connaissances apprises, la sage-femme se doit, et doit à la femme et à l'enfant à venir d'être attentive et efficace s'il apparaît des signes d'anomalie au niveau de la femme et du bébé : importance des consultations prénatales régulières et répétées consignées dans un dossier.

Pour cela, elle s'aide aussi des propos de la femme, de ses gestes, du matériel pour se renseigner (antécédents de la santé de la famille de la femme, du père ; douleurs, fatigue, variations du poids, œdèmes, chiffres de la tension artérielle, analyse des urines, hauteur utérine en rapport avec l'âge de la grossesse, fièvre, présence de contractions utérines, mouvements actifs du bébé, bruits du cœur du bébé, échographie...).

À l'accouchement, avec le dossier de la consultation prénatale, la sage-femme s'aide du partogramme : évaluation par ce " dessin " de la situation pour déterminer quand et comment savoir agir ainsi que savoir attendre.

Elle doit connaître son matériel en bon état de propreté et de marche pour un usage au bon moment. Connaître la pharmacie, qu'elle soit complète et en bon état de fonctionnement (approvisionnement, dates de péremption, bonne protection...) pour en faire un usage à bon escient.

Le bébé : observation à l'aide du test d'Apgar : gestes de réanimation, chaleur, allaitement précoce, dans un environnement de propreté et de calme. Présager de l'état de santé de l'enfant à la naissance au cours du déroulement de l'accouchement.

Elle doit reconnaître les limites de confiance en sa compétence (savoir passer le relais), en son lieu de travail (hygiène, sécurité).

Enfin, l'organisation du transfert vers l'hôpital de référence si cela s'avère nécessaire, avec une transmission des données ; l'accompagnement, par qui et comment, prise de nouvelles et analyse du pourquoi du transfert pour l'avenir.

c. Au niveau " coeur "

Dans les pays du Sud-Est asiatique, il est dit que la femme enceinte est "en mue". L'état d'être " en mue " est un état fragile, d'ouverture à tous les niveaux de la personne.

La sage-femme cherchera à développer en elle un état d'ouverture compréhensive à la situation de la femme qui se modifie (création d'une famille, agrandissement de la famille, changements dans le caractère, dialogue ou non dans la famille, confiance ou non, accueil du nouveau-né...).

Cela nécessite du temps, du calme, du respect, des paroles de part et d'autre entre la sage-femme et la femme, voire le couple et la famille.

5. Éveiller

Ce troisième point se situe en amont des deux points précédents. Il regroupe un autre aspect du travail de la sage-femme dans le domaine de la prévention.

  • Évaluation-connaissance de l'état sanitaire du pays (de la région).

  • Planification familiale.

  • Dépistage des grossesses à hauts risques.

  • Informations :

  • au niveau "tête" : connaissance du déroulement de la grossesse, de l'accouchement, des soins aux nouveau-nés ;

  • au niveau " corps " : hygiène, alimentation, repos (détente, la douleur et ses possibles prises en charge, pratiques traditionnelles);

  • au niveau " cœur " : se mettre en état de confiance pour donner confiance (aider, accompagner dans la souffrance).

  • Éducation qui vise, dans la mesure où il y a un enrichissement intellectuel, un changement de comportement ou une action. Ce travail, il est conseillé de le faire en accord et avec l'aide de responsables locaux. Le message doit toucher tous les membres de la famille et entrer dans le tableau que constituent les différents aspects de la vie quotidienne (le travail, les tâches ménagères, les ressources familiales, la vie agricole, la vie urbaine, les déplacements, les projets familiaux et de la communauté...).

Ce travail d'éducation implique de démontrer, de faire voir, d'aller rendre visite aux familles chez elles. Il implique un lieu d'accueil pour accueillir les groupes.

Il implique également d'évaluer une action lorsque celle-ci est "achevée" et d'organiser un suivi à moyen et long terme, pour se permettre de confirmer l'action ou d'ajuster en fonction de nouvelles données.

La sage-femme a un rôle d'éveil à la santé, à l'éclosion d'une famille, à "l'ajustement" chaleureux entre une mère et son enfant, entre un père et son enfant; et à l'attention et au respect à porter à l'enfant lui-même, étant, par ce qu'il est, un "puissant" éveilleur.

En guise de conclusion

Il ne s'agissait pas de donner le programme des études de sage-femme en France, ni de préconiser un programme pour des pays d'Afrique. Il s'agit plutôt de donner à partager un certain nombre de points clés pour que cette formation à un métier amène des femmes à accompagner d'autres femmes, des couples, dans une période spécifique de leur vie ; chaque grossesse, chaque naissance étant unique pour chaque couple.

De la formation en qualité et efficacité au métier de sage-femme découlent une reconnaissance et une valorisation de celui-ci, nécessaires au sein d'un projet de développement de l'humain dans une société.

N'oublions pas enfin que la sage-femme doit connaître la législation et la politique en matière familiale de son pays.

Développement et Santé, n°123, juin 1996