Mise en œuvre d'un programme d'éducation thérapeutique en PTME et pédiatrie au Cameroun

Par Par Dr. Anne Njom Nlend (1), Dr. Nathalie Nkoue (2) Andrée Sidonie Lyeb (3), Dr. Ida Penda (4). (1) Comité National de Lutte contre le SIDA, Cameroun. (2) CASS. (3) CNPS. (4) Hôpital Laquintinie.

Publié le

I. Le programme d'ETP

Dr. Anne Njom Nlend
Responsable Prévention Transmission Mère Enfant - CNLS.

L'avènement des thérapies antirétrovirales a transformé l'histoire naturelle de l'infection à VIH en maladie chronique. Chez de tels patients, le bénéfice de l'éducation thérapeutique (ETP) est largement documenté. Il s'agit d'amener le patient à acquérir des compétences pour mieux faire face à sa maladie notamment dans les domaines de l'autogestion de la maladie (soins, traitement) et des perturbations émotionnelles induites par cette maladie (compétences psychosociales) (".

Au Cameroun, en mars 2007, près de 31000 PWIH sont sous thérapie antirétrovirale dont environ 1100 enfants 1". Chez les femmes enceintes, on observe la survenue de grossesses non planifiées répétées ; chez les adultes, on note un taux d'observance inférieur à 70 % ; quant aux enfants, peu d'informations sont disponibles sur la gestion de leur maladie.

Dans ce contexte, l'éducation thérapeutique auprès des femmes et des enfants infectés par le VIH a été planifiée avec pour objectif d'améliorer l'observance et la qualité de vie. Cette activité, conforme au plan stratégique de lutte contre le VIH/SIDA 2006-2010, a ciblé trois centres orientés vers la prévention de la transmission mère enfant et la prise en charge pédiatrique de l'infection à VIH l'hôpital Laquintinie, le CASS et le centre hospitalier d'Essos.

1. La mise en place des activités d'éducation

L'intervention a débuté par le renforcement des capacités des ressources humaines à travers la formation de 18 éducateurs issus des sites d'intervention ainsi que la conception d'outils d'éducation. Après une phase test, les outils ont été amendés au niveau de chaque site et ont été utilisés au cours des activités d'éducation.

Sur le plan de la formation, nous avons noté une déperdition non négligeable du personnel formé ; ainsi, dans un site, plus de 50 % des personnes formées ne se sont pas impliquées dans les activités d'éducation après la formation pour des raisons diverses manque de motivation financière, mutation...

Pendant la période de démarrage de l'activité d'éducation, les inclusions se sont faites à un rythme progressif (1 à 2 patients par semaine par éducateur en moyenne) afin que les éducateurs s'approprient la démarche. Aujourd'hui, les femmes enceintes bénéficient en moyenne de 4 séances d'éducation au cours de la grossesse ; le nombre moyen de séances par enfant inclus est de 3.

2. Les difficultées rencontrées

Si les éducateurs formés sont assez à l'aise avec le diagnostic éducatif, la mise en place d'un contrat d'éducation est moins évidente ; les parents ne perçoivent pas toujours le bénéfice de l'éducation.

Les difficultés rencontrées par les éducateurs sont surtout liées à la surcharge de travail et notamment au cumul des activités d'ETP avec d'autres activités cliniques, psychocliniques ou d'interventions sociales.

Sur le plan du contenu, la réalisation des séances d'éducation thérapeutique conformément aux objectifs d'apprentissage s'est parfois trouvée compromise chez les pré-adolescents ou jeunes adolescents non informés du diagnostic de leur maladie dans un contexte de forte opposition parentale à l'annonce.

3. Les facteurs de succès

Sur le plan organisationnel, l'intégration de cette activité dans le circuit du malade a été effective et garantit son utilisation routinière et sa pérennisation. Il faut aussi souligner le rôle de catalyseur de la prescription des activités d'ETP par les médecins, surtout dans un environnement où le pouvoir médical reste particulièrement fort.

Parmi les autres facteurs de succès de l'activité on peut relever : les compétences techniques et managériales des coordonnateurs de sites (qui nécessiteraient d'être renforcées), la reconnaissance de l'activité au sein de la formation sanitaire, la formation, la disponibilité et surtout la motivation financière et la motivation des éducateurs formés.

4. Conclusion

Si l'impact de ce programme n'est pas encore évalué, il n'en demeure pas moins que certains effets sont déjà observables :

  • L'amélioration de la gestion du traitement (horaires de prise, prise hors du domicile).
  • L'amélioration de l'adhérence au traitement (surtout dans les situations de reprise éducative ou d'indication d'ETP pour baisse de l'adhésion au traitement).

A cette étape du programme (12 mois), de nombreux défis demeurent dans les sites déjà existants : la stabilisation du personnel formé et la formation complémentaire de personnel pour prendre en charge un plus grand nombre de patients, l'introduction de séances d'ETP de groupe tant pour les enfants que pour les parents réticents à l'annonce (elles sont actuellement assez limitées).

Enfin, la perspective d'extension et d'introduction dans de nouveaux sites devra tenir compte des résultats de l'évaluation de programme et s'assurer de certains préalables : validation du contenu d'une mallette éducative, élaboration d'instructions pédagogiques pour ses utilisateurs et enfin, l'élaboration de normes et procédures en matière d'ETP tant pour les adultes que pour les enfants au Cameroun.

Nos remerciements vont :

  • Au CNLS Cameroun : Dr Maurice Fezeu, Secrétaire Permanent du Groupe technique central
  • A La Fondation GlaxoSmithKline qui a financé la mise en place de ce programme
  • A Format Santé pour l'appui technique aux activités de formation.

II. Education thérapeutique en PTME+

l'expérience du CASS, Yaoundé

Dr. Nathalie Nkoué, responsable du suivi des PVVIH du programme PTME+, CASS, Dispensaire Catholique Monseigneur Jean Zoa.

Comment avez-uous intégré l'éducation thérapeutique dans le circuit de prise en charqe ?

La consultation prénatale est la porte d'entrée dans le projet ; les nouvelles femmes enceintes sont reçues le mardi et le jeudi en IEC (Information Education Communication). Si elles acceptent le test de dépistage du VIH, un conseil individuel pré et post test est réalisé. Le jour du résultat, s'il est positif, une information sur le projet PTME+ (Prévention de la transmission de la mère à l'enfant dans le cadre parental) lui est donnée et si la patiente accepte (1 semaine de réflexion ou plus), nous ouvrons un dossier. Un entretien avec la conseillère, l'assistante sociale et le psychologue est proposé si nécessaire et si elle le souhaite. Puis la patiente voit le médecin pour l'ouverture du dossier médical, la prescription des bilans et est suivie à un rythme très précis. Nous encourageons le partenaire à venir se faire dépister et à ouvrir un dossier s'il est séropositif. Les enfants sont suivis jusqu'à 18 mois ou plus s'ils sont séropositifs. Pour le moment, les activités d'éducation sont réalisées au niveau du médecin et du psychologue, mais il est tout à fait envisageable de le faire à plusieurs niveaux du suivi de la patiente et très tôt dans la prise en charge. Nous avons déjà identifié des thèmes importants à aborder avec toute femme enceinte par les divers membres de l'équipe selon leur spécialité ; bien sûr cela ne doit pas être trop restrictif et chacun a la possibilité d'aborder un autre thème en fonction des besoins de la patiente.

Activités de PEC au CASS, service PTME+
  • File active : 506 femmes, 47 hommes, 603 enfants.
  • Nombre de patients sous ARV : 200 femmes, 22 hommes, 12 enfants.
  • Nombre de prescripteurs d'ARV : 2.
  • Nombre d'éducateurs : 3 dont 2 médecins et 1 psychologue.

Lors des séances d'éducation, quels principaux bénéfices avez-vous observé chez vos patientes ?

L'amélioration de la relation soignant - soigné qui a un impact majeur sur l'adhésion à tout ce que nous faisons par la suite.

Que vous a apporté l'éducation thérapeutique dans votre pratique quotidienne ?

Cette activité correspond exactement à ce que j'aime faire en général : ouvrir "les portes" qui obscurcissent la vue et la vie des gens.
Avant, dans ma pratique, je parlais très peu pour ne pas dire jamais avec les petits enfants. Aujourd'hui j'arrive à instaurer une relation de confiance et un dialogue.

Quels conseils donneriez vous à une structure souhaitant mettre en œuure l'éducation thérapeutique dans un service de pédiatrie ?

Un conseil majeur : avoir l'accord de la hiérarchie et des éducateurs motivés.

Pour vous, qu'est ce que l'éducation thérapeutique ? L'éducation thérapeutique est un processus dans lequel le soignant et le soigné s'engagent pour que le soigné vive le mieux possible avec sa maladie. Ce processus se réalise dans un esprit de collaboration et doit être très organisé.

III. Education thérapeutique de l'enfant

l'expérience du Centre Hospitalier d'ESSOS (CHE)/CNPS, Yaoundé

Andrée Sidonie Lyeb,
Psychologue, coordinatrice du programme d'éducation thérapeutique au CHE.

Vous êtes psychologue et coordinatrice du programme d'éducation thérapeutique au centre hospitalier d'ESSOS, en quoi consistent vos fonctions ?

Mes fonctions consistent à promouvoir au sein du CHE la pratique de l'éducation thérapeutique tant auprès des patients que des soignants. Je suis en charge du suivi des activités d'éducation (production de rapports trimestriels), de l'orientation des patients pour certains objectifs d'éducation et de la recherche en éducation thérapeutique du patient (production d'outils éducatifs).

Au cours de votre formation en éducation thérapeutique, qu'est ce qui vous a le plus intéressé ?

En tant que psychologue, j'ai été marquée par l'approche pédagogique. En tant qu'acteur de santé, soit on a tendance à dicter sa conduite au patient, soit on l'écoute patiemment tout en voulant faire passer le message juste, et on s'attend forcément à ce qu'il s'applique à respecter cela. Or, l'ETP m'a appris quelque chose de fondamental : l'échange "actif" avec le patient qui permet le respect de ce que veut le patient.

Activités d'éducation thérapeutique au CHE
  • File active : 900 adultes, 165 enfants.
  • Nombre de patients sous ARV : 788 adultes, 140 enfants.
  • Nombre de prescripteurs d'ARV : 9.
  • L'éducation thérapeutique a été implantée en juin 2006 et s'adresse aux femmes enceintes, aux enfants (de 3 ans à l'adolescence) et leurs parents/tuteurs.
  • Nombre d'éducateurs : 3 éducatrices (psychologue, assistante sociale et infirmière).
  • Nombre mensuel de séances d'éducation : 20 séances individuelles, 1 séance collective.

Quelle est la particularité des séances d'éducation thérapeutique auprès de l'enfant et de sa famille ?

Le diagnostic éducatif

Le diagnostic éducatif de l'enfant dépend de son âge et de son niveau d'expression écrite ou orale. Pour un enfant très jeune (en dessous de trois ans) c'est au parent ou au tuteur que s'adresse l'éducateur, tout en tenant compte de l'enfant.

Quand ils sont plus grands, en même temps que l'on s'adresse au parent ou au tuteur, l'enfant participe soit par un jeu de questions réponses, soit il fait un dessin et on lui demande de nous raconter une histoire à partir de ce dessin.

Généralement, les dimensions explorées chez l'enfant sont celles de son état psychologique (image de soi, vécu de la maladie, relation avec le personnel soignant, etc.), celles de ses connaissances et croyances sur la maladie, et celles de ses projets et motivations en rapport avec l'avenir.

Les séances d'éducation individuelles

Les séances individuelles se passent généralement entre l'enfant, le parent ou le tuteur qui l'accompagne et nous. Nous utilisons différents outils toujours en fonction de l'âge de l'enfant et des objectifs pédagogiques ; par exemple pour favoriser l'acquisition des connaissances nous utilisons des histoires ou des analogies, des contes ou des jeux de questions/réponses.

Les séances d'éducation de groupe

Trois séances de groupe avec trois enfants ont déjà eu lieu. Les critères de choix des participants étaient liés à l'âge et au niveau d'expression. Il y avait deux garçons âgés de 10 et 11 ans, et une fille de 10 ans. Les objectifs étaient de prévenir la mauvaise observance consécutive à la période de l'adolescence et de préparer une éventuelle annonce. Les objectifs pédagogiques portaient sur "être capable de :

  • nommer son traitement et dire les heures de prises,
  • expliquer le mécanisme de la maladie et du traitement (par analogie),
  • prévenir en évoquant les modes de transmission des maladies (par le sang.)

Les séances de groupe sont très bénéfiques : les enfants sont plus motivés lorsqu'ils sont ensemble car ils se rendent compte qu'ils ne sont pas les seuls à être sous traitement. Les parents se sentent accompagnés parce que l'enfant a désormais un cadre pour s'exprimer et surtout poser les questions embarrassantes auxquelles il n'arrive pas souvent à répondre.

Une expérience marquante avec un adolescent de 13 ans en classe de cinquième Cet enfant qui vient en séance d'éducation uniquement pendant les vacances, puisqu'il réside à plus de 350 km de son CTA (centre de traitement agréé). Les objectifs abordés avec lui avaient toujours été exposés par analogie et récemment, au terme de la troisième séance, il est allé de lui-même plus loin en nous demandant de lui expliquer "ce qui, dans le rapport sexuel, est contaminant et comment on devait faire pour ne pas transmettre le virus aux autres". Quand on pense que les parents des autres enfants de cet âge ne tiennent pas du tout à ce qu'on leur dise un mot qui leur ferait penser au VIH ! On ne se doutait pas que lui qui vit dans une toute petite ville, pouvait se douter de ce dont il souffrait, puisque sa grand-mère ne voulait absolument pas qu'on lui donne le nom de sa pathologie. Ce jour là, son oncle avec lequel il était venu est resté dehors, ce qui lui a permis de se "libérer" de tous les non-dits autour de sa maladie. Il posait des questions et très souvent trouvait lui-même les réponses appropriées. Cette expérience m'a vraiment beaucoup marquée.

Quel est votre bilan au terme de cette première année ?

L'éducation thérapeutique a apporté aux enfants un cadre où ils peuvent s'exprimer et on remarque une meilleure observance parce qu'ils comprennent maintenant pourquoi ils doivent prendre un traitement au long court.

Plusieurs conditions sont nécessaires au développement de l'éducation thérapeutique :

  • la reconnaissance institutionnelle de cette activité et de la personne chargée de la coordonner,
  • les ressources humaines dégagées uniquement pour cette activité,
  • les moyens financiers nécessaires à la conception d'outils,
  • être motivé, disponible et organisé.
Dr. Same Ekobo Chantal - Secrétaire Exécutif du Programme CNPS de lutte contre le SIDA - Pédiatre. Quelles sont selon vous les caractéristiques de l'éducation thérapeutique en PTME (Prévention de la Transmission de la Mère à l'Enfant) et pédiatrie ? En PTME l'éducation thérapeutique diffère selon que la mère est mise sous trithérapie pour elle-même ou sous prophylaxie de fin de grossesse (à partir de la 28ème semaine d'A). En plus du traitement, il faut une éducation en nutrition pour le nouveau-né. Lorsque la mère a appris sa séropositivité en même temps que son accouchement, les problèmes psychologiques à résoudre sont toujours plus importants que pour les femmes ayant connu leur séropositivité avant ou pendant la grossesse. En pédiatrie, ce qui est indispensable pour l'éducation thérapeutique de l'enfant est de s'adapter à son développement psychologique et intellectuel. Que vous a apporté la mise en oeuvre de l'ETP dans votre pratique quotidienne ? Une amélioration du travail en équipe. Quels bénéfices avez-vous pu observer chez les patients ? Une amélioration de l'observance, des connaissances de base sur l'évolution de la maladie.

IV. Education thérapeutique de l'enfant

expérience de l'hôpital Laquintinie

Dr. Ida Penda, chef d'unité PTME et prise en charge du VIH pédiatrique, hôpital Laquintinie à Douala.

Qu'est ce qui a motivé le développement de l'éducation thérapeutique dans votre service ?

Le traitement de l'enfant doit être efficace le plus longtemps possible pour éviter l'acquisition des résistances. L'observance thérapeutique est donc capitale car peu de molécules sont disponibles en pédiatrie. Le traitement pédiatrique à vie est souvent sujet à une lassitude surtout si l'enfant se sent mieux et ne comprend pas l'intérêt de poursuivre sa thérapie.

Nous avons introduit cette activité avec l'aide de la Fondation de GSK à travers la formation du personnel et la réhabilitation des locaux.

Comment les activités d'éducation thérapeutique sont-elles intégrées dans la prise en charqe de l'enfant et de sa famille ?

Un dossier thérapeutique est rempli de manière systématique pour tout enfant mis sous ARV (antirétroviral) pour expliquer les enjeux du traitement et solliciter l'adhésion du tuteur et de l'enfant.

Cela permet de recruter les enfants ayant des besoins spécifiques en éducation thérapeutique. Le nombre de séances varie selon le niveau de compréhension de l'enfant et est souvent lié à l'âge de l'enfant et à l'annonce du diagnostic (virus nommé ou non).

Quels sont pour vous les enjeux et objectifs d'un programme d'éducation thérapeutique en pédiatrie ?

L'éducation thérapeutique a pour but d'améliorer l'observance du traitement de l'enfant en impliquant l'enfant et sa famille dans un processus éducatif avec plusieurs étapes :

  • faire comprendre l'enjeu du traitement à la famille (particulièrement au parent ou tuteur) et à l'enfant,
  • faciliter l'adhésion des familles et de l'enfant au traitement,
  • éduquer l'enfant et/ou sa famille à la prise régulière de son traitement. Elle doit tenir compte du contexte environnemental et socioculturel de l'enfant et se faire avec l'accord parental.

Qu'a apporté l'éducation thérapeutique dans la prise en charqe des enfants ?

Nous avons observé une amélioration de l'observance thérapeutique.
L'éducation thérapeutique a aussi permis d'encourager les enfants las de leur traitement et de responsabiliser les grands enfants et les enfants dont les tuteurs sont limités dans la compréhension de la maladie et du traitement.

Quels conseils donneriez vous à une structure souhaitant mettre en ceuure l'éducation thérapeutique dans un service de pédiatrie ?

Avoir du personnel formé et oeuvrant seulement pour cette activité. Intégrer cette formation dans le curriculum de la prise en charge pédiatrique.

Bibliographie :

  1. Les compétences des soignants en éducation thérapeutique, Rémi Gagnayre, adap, Septembre 2005.
  2. Rapport de progrès CNLS n°4, 2007.


Séance d'éducation thérapeutiquelors de la dispensation de médicaments au Cameroun, 2007

Développement et Santé, n°187, 2007