Le manioc

Par Laure Bichon

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Le manioc est cultivé essentiellement pour ses racines (tubercules), qui entre dans l'alimentation quotidienne de nombreuses populations, surtout africaines.

On utilise aussi ses feuilles et accessoirement ses tiges qui servent parfois à préparer un sel alimentaire.

La production

Le manioc est originaire d'Amérique du Sud. Il est produit dans les pays tropicaux et subtropicaux d'Amérique, d'Afrique et d'Asie. Selon les pays, il prend différents noms: cassava dans les pays anglophones d'Afrique, tapioca (Malaisie, Indonésie, Inde, Pacifique), manihot, mandioca et uca en Amérique latine, bafilinapaka (République malgache), Bankye (Ghana), Agbeli (Togo) et mandioka (Gambie).

C'est la septième culture mondiale en surface cultivée. Le Brésil est le plus gros producteur (25,5 % de la production mondiale). Viennent ensuite l'Indonésie (12 %), le Nigeria (10,3 le Zaïre (9,4 %), la Thaïlande (7,5 %).

L'Amérique du Sud et l'Asie exportent la majeure partie de leur production, tandis qu'en Afrique, celle-ci est consommée localement. Il existe de plus en plus de recherche sur le manioc du fait de l'intérêt croissant qui lui est porté comme culture d'exportation.

La culture - la plante

La culture se fait surtout en zone forestière en Afrique, mais les méthodes de culture autochtones en savane ou en forêt sont à peu près les mêmes. Le sol reçoit peu de préparation, parfois il est simplement défriché par brûlis. La multiplication se fait par bouturage. L'entretien est simple et ne demande que deux à trois sarclages. Le manioc demande peu d'engrais. Il peut être associé à d'autres cultures (mais, arachide, sésame). Il se cultive pendant la saison des pluies.

Le manioc s'accommode de terres médiocres, procure toujours un rendement, s'adapte aux conditions climatiques sévères (il ne craint pas les fortes pluies, est très résistant à la sécheresse), est peu sensible aux maladies et aux attaques des prédateurs. La récolte annuelle n'est pas obligatoire: les tubercules peuvent être conservées dans le sol plusieurs mois (intérêt pendant la période de soudure).

Tous ces avantages expliquent son expansion, aux dépens des cultures de mais et d'igname plus exigeants en travail. Cependant, cette expansion n'est pas sans danger: le manioc a un impact négatif sur la fertilité des sols déjà pauvres, et surtout, utilisé comme aliment principal, il constitue une menace de malnutrition comme nous le verrons plus loin.

Les racines ou tubercules sont en nombre variable, en direction oblique dans le sol et mesurent de quarante centimètres à deux mètres de long. Selon la teneur en acide cyanhydrique de ces tubercules, on peut grouper les nombreuses variétés de manioc en deux catégories principales:

  • le manioc doux: cultivé pour la consommation locale de ses tubercules;
  • le manioc amer: surtout utilisé pour la préparation de fécule et d'autres dérivés.

Composition du tubercule - toxicité

1. Rappel

Une ration alimentaire est satisfaisante si elle apporte:

  • suffisamment de calories, donc si elle est en quantité suffisante;

  • un équilibre entre les glucides, lipides, protides qui sont les constituants de base des aliments;

  • des acides aminés indispensables (qui forment les protéines) car l'organisme ne sait pas les fabriquer;

  • des substances minérales (fer, iode, phosphore, calcium, etc.) et des vitamines (A, B, C, D ... ).

2. Composition du tubercule de manioc frais

Il a une forte teneur en calories: 125 à 140 Kcal pour 100 g de manioc frais et pelé.

Eau: 60 à 70 %.
Glucides: 32 à 35% (amidon surtout).
Protides: 1,5 %.
Cellulose: 3 à 4%.
Lipides: 0,2 à 0,5%.

Le tubercule est surtout constitué de glucides, c'est donc un aliment énergétique. Il apporte beaucoup de calories. Il produit à l'hectare une plus grande quantité de calories que le riz et le sorgho mais il est plus déséquilibré.

Il est très pauvre en lipides (graisses) et en protides. De plus, ses protides sont dites de mauvaise qualité car ils ne contiennent que très peu de méthionine, acide aminé indispensable. Le tubercule est d'autre part pauvre en substances minérales (calcium, fer, phosphore) et en vitamines (il y en a encore moins dans les produits préparés à partir du tubercule). Il doit donc être associé à des aliments riches en protides et en lipides pour constituer une ration alimentaire équilibrée.

3. Toxicité

Le tubercule frais contient de l'acide cyanhydrique (surtout dans la variété amère) qui est une substance toxique: c'est un poison de l'hémoglobine des globules rouges. De plus, il provoque des troubles de la thyroïde en empêchant l'iode de s'y fixer (goitres, ralentissement de la croissance chez l'enfant ... ). Ce poison est facilement éliminé par cuisson, séchage au soleil, fermentation. Il est en quantité plus importante dans l'écorce que l'on élimine lors de la préparation. Par conséquent, lorsque le manioc est bien préparé, il ne renferme plus de trace d'acide cyanhydrique. Cependant, il n'est pas rare d'observer des problèmes de toxicité chronique (mauvais stockage des tubercules, mauvaise préparation).

Les produits du manioc

Produits locaux consommés surtout en Afrique.

Le rouissage est la fermentation de la racine dans l'eau pendant deux à trois jours (détoxification). Selon les pays, il existe différentes préparations et différentes appellations dont voici quelques exemples :

Partie méridionale gari du Nigéria: kpokpogari
lafun
fufu

Ghana: gari
kokonte
agbeli kaklo
fufu
ampesi

Togo: gari
yakayake
agbeli kaklo

Gambie: gari

Bénin: gari

Afrique orientale: farine de manioc
pour uji et ugali

  • Préparation du gari (très répandu): les tubercules lavés et épluchés, sont râpés à la main pour obtenir une pulpe fine. Celle-ci est introduite dans des sacs de chanvre grossier que l'on ferme Ces sacs sont pressés entre des planches ou des pierres pour éliminer l'excès d'eau et on les laisse reposer pendant trois ou quatre jours pour produire une fermentation (pendant les deux premiers jours de fermentation, on remarque une odeur d'acide cyanhydrique, qui disparaît ensuite). La masse de pâte fermentée est concassée, tamisée grossièrement, mise à sécher. La semoule ainsi obtenue peut être ensuite frite dans un peu d'huile.

  • Le terme de fufu s'applique à divers produits en Afrique occidentale; en général c'est un aliment pilé ou bouilli pour former une pâte épaisse (fufu à base de manioc bouilli, taro, igname, plantains). Le fufu nigerian est particulier puisqu'il s'agit de manioc fermenté non séché, auquel on ajoute de l'eau froide et que l'on fait cuire jusqu'à formation d'une pâte épaisse.

  • Le bâton de manioc est constitué par la pâte cuite enroulée dans une feuille de manioc.

  • En dehors du tubercule, les feuilles peuvent être utilisées pour préparer des sauces. Ces feuilles sont riches en minéraux (calcium, phosphore) et beaucoup plus riches en protéines que les tubercules.

  • Le manioc est également utilisé dans l'industrie pour la préparation de l'amidon, de la fécule, du tapioca, de biscuits, de pâtes alimentaires, de colles, de glucoses, etc.

Apport nutritif du manioc

Le tubercule de manioc possède certains avantages sur le plan nutritionnel: il est riche en calories, et peut être très utile pendant la période de soudure.

Cependant, l'extension de sa culture présente de gros inconvénients:

il supprime la faim mais apporte peu de protéines, qui, par surcroît, sont de mauvaise qualité. Il provoque donc des malnutritions protéiques. On constate d'ailleurs que les cartes de malnutrition protéique (kwashiorkor) coïncident avec les régions où les enfants sont principalement nourris à base de manioc et de bananes.

La valeur protéique du manioc est inférieure à celle des autres tubercules (igname, taro), en revanche, la consommation des jeunes feuilles et tiges de manioc (pratiquée à Sumatra, Java et dans d'autres régions asiatiques, mais peu usuelle en Afrique et en Amérique) permet une amélioration sensible de l'équilibre nutritionnel et doit donc être encouragée.

Dans les zones rurales, surtout en Asie, la culture des céréales est remplacée par le manioc car il permet un gain de terres par son rendement à l'hectare. Dans les villes, il est par contre concurrencé par le pain.

En conclusion, le manioc doit être considéré comme une source de calories intéressante pour les adultes, à dose limitée, à condition que sa culture s'intègre dans un ensemble diversifié de céréales, légumineuses, légumes et fruits, et que du poisson ou de la viande ou du lait soient disponibles. Il est en effet possible, à faible coût, de compléter les régimes à base de tubercules.

L'importance de la diversification des cultures doit être rappelée. L'encouragement à la culture d'une seule plante risque de provoquer des malnutritions (surtout protéiques - particulièrement vraies dans le cas du manioc). Ce risque est plus grand pour les enfants.

Références bibliographiques

A. Bergeret: Nourris en harmonie avec l'environnement (Mouton - La Haye).

F. Bussons (1965): Plantes alimentaires de l'Ouest africain.

Statistiques de la FAO 1979-1980.

M. Aufret (1957): Racines et tubercules, nutrition et alimentation tropicale.

R. Cerighelli (1955): Cultures tropicales, plantes vivrières.

Développement et Santé, n°35 octobre 1981