Douleur du SIDA (adulte)

Par Didier Bouhassira INSERM U. 161, 2, rue d'Alésia, 75014 Paris

Publié le

La douleur, facteur majeur de handicap chez les patients infectés par le VIH, est largement sous-estimée, d'où une prise en charge très insuffisante.

Les douleurs observées chez ces patients peuvent avoir diverses origines parmi lesquelles on peut citer : l' infection VIH elle-même, les traitements antiviraux et anticancéreux ou encore les infections secondaires et les traitements invasifs ou chirurgicaux qu'elles entraînent. En outre la douleur peut être due à une affection intercurrente non liée au VIH (voir tableau ci-dessous).

Principaux syndromes douloureux observés au cours de l'infection par le VIH
Principaux syndromes douloureux Prévalence selon les auteurs
Céphalées Douleurs abdominales Douleurs neuropathiques Douleurs oropharynx, œsophage Douleurs musculaires Douleurs ostéo-articulaires 10-25 % 12-25 % 15-25 % 5-17 5-15 5-10

De façon générale, trois types de douleurs peuvent être distingués chez ces patients comme dans l'ensemble de la population générale : les douleurs nociceptives, les douleurs neuropathiques et les douleurs idiopathiques qui se manifestent en l'absence d'atteinte organique connue.

I. Les douleurs nociceptives

Les lésions susceptibles d'entraîner des douleurs nociceptives sont très nombreuses chez ces patients. Les étiologies les plus fréquentes sont : oropharyngées, gastro-intestinales et rhumatologiques. Les céphalées seront également abordées dans la mesure où leur traitement répond aux mêmes principes.

1. Douleurs de la cavité buccale

Les douleurs de la cavité buccale constituent l'une des manifestations douloureuses les plus déroutantes de l'infection VIH. L'étiologie des ulcérations à type d'aphtes récidivants reste obscure. Les candidoses et la colonisation directe de l'oropharynx ou de l'oesophage par le cytomégalovirus (CMV) ou le virus herpès simplex (VHS) sont autant de source de dysphagies et (s'agissant des virus) d'infections douloureuses des glandes salivaires.

2. Douleurs digestives

Le sarcome de Kaposi peut être asymptomatique ou engendrer diverses manifestations douloureuses notamment des dysphagies. L'oesophagite ulcérante est extrêmement douloureuse et souvent réfractaire au traitement symptomatique et seulement améliorée par les corticoïdes ou la thalidomide.

Des douleurs abdominales à type de crampes sont fréquentes (plus de 10 % des patients au stade sida) au cours des diarrhées infectieuses (shigelle, salmonelle, campylobacter) ou des iléites et colites liées au CMV. Les autres causes de douleurs abdominales comprennent, pour l'essentiel, les pathologies biliaires (cholécystite alithiasique et cholangite sclérosante du sida), pancréatiques (pancréatitites médicamenteuses ou infectieuses) et les douleurs anorectales (abcès périrectaux, infections à CMV, virus herpes simplex ... ).

3. Douleurs ostéo-articulaires

Les arthrites réactionnelles et le syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter, souvent inaugurés par une diarrhée, sont des douleurs rhumatologiques fréquentes chez ces patients. La douleur articulaire est intense et réfractaire aux AINS. Des polyarthralgies non spécifiques peuvent s'observer à la phase aiguë. Ultérieurement, un syndrome articulaire lié au VIH peut donner lieu à d'intenses douleurs aiguës intermittentes au niveau des grosses articulations des membres inférieurs et parfois des épaules. Dans cette arthrite à VIH, le liquide synovial ne permet pas de fonder le diagnostic. L'atteinte psoriasique liée au VIH se manifeste fréquemment avec la même intensité au niveau de la peau et des articulations. La douleur de l'arthrite psoriasique liée au VIH est souvent sévère, les patients pouvant développer des lésions érosives et autres handicaps invalidants.

4. Douleurs musculaires

Les myopathies douloureuses observées aux stades précoces ou intermédiaires de l'infection VIH peuvent avoir une origine inflammatoire ou toxique. Dans ce dernier cas, elles sont souvent secondaires à un traitement par la zidovudine et caractérisées par un faiblesse de la musculature proximale. Une myopathie inflammatoire diffuse (polymyosite) peut s'observer à tous les stades de l'infection VIH.

5. Céphalées

De nombreux patients présentant un sida souffrent de céphalées. Leur existence doit avant tout faire évoquer une complication neurologique de la maladie (encéphalite, méningite, infections opportunistes virales ou non, lymphomes ... ) et conduire à une recherche étiologique en utilisant les investigations cliniques et paracliniques appropriées. On peut noter également que la zidovudine peut entraîner des céphalées.

II. Les douleurs neuropathiques

Les complications neurologiques sont parmi les plus fréquemment rencontrées au cours de l'infection par le VIH. Certaines d'entre elles peuvent être à l'origine de douleurs qui auront les caractéristiques habituelles des douleurs neuropathiques. Il peut s'agir de douleurs secondaires à une lésion centrale (toxoplasmose cérébrale) ; mais le plus souvent, les douleurs sont liées à une atteinte périphérique.

Les principales étiologies des douleurs

neuropathiques périphériques sont :

Les neuropathies à VIH, les névralgies postzostériennes, les neuropathies toxiques secondaires aux traitements antiviraux (didanosine, zalcitabine) et en raison de leur grande prévalence dans la population générale, les neuropathies diabétiques. La topographie des douleurs peut être bilatérale et symétrique (polyneuropathie sensitive distale liée au VIH), asymétrique avec irradiations radiculaires (polyneuropathie liée au CMV ; polyradiculopathies inflammatoires aiguës ou chroniques) ou tronculaire (monovrite simple ou multiple).

On peut souligner ici la fréquence des douleurs au cours de la polyneuropathie distale symétrique, qui est la plus fréquente des neuropathies périphériques rencontrées au cours de l'infection VIH (20-30 % des patients au stade sida) et dont le diagnostic repose essentiellement sur les données cliniques. Cette polyneuropathie prédomine toujours aux membres inférieurs et s'installe de façon subaiguë chez des patients généralement à un stade déjà évolué de la maladie.

Le tableau clinique comporte souvent : une hypoesthésie mécanique et thermique distale, une abolition des réflexes achilléens et, de manière inconstante, un discret déficit moteur distal.

Il est le plus souvent dominé par une riche symptomatologie sensitive associant :

  • Des paresthésies/dysesthésies (environ 30 % des cas) et
  • Surtout des douleurs des membres inférieurs, présentes chez environ 60 % des patients. Il s'agit en général de brûlures intenses des pieds,
  • D'autres types de sensations plus élaborées (sensations de morsures, de lacérations, sensations de marcher sur des cailloux acérés ... ) sont souvent rapportées.
  • Les phénomènes d'allodynie (douleur provoquée par des stimulations non nociceptives) et hyperalgésie (réponse exagérée à des stimulations nociceptives) sont extrêmement fréquents et invalidants. Ces douleurs peuvent rendre la marche totalement impossible et confiner ces patients dans un fauteuil roulant. Il n'existe pas de traitement spécifique de cette polyneuropathie (vraisemblablement liée au VIH).

III. Principe du traitement des douleurs du sida

La prise en charge de la douleur doit s'intégrer dans le cadre du traitement des complications de la maladie. En l'absence de protocole validé de traitement des douleurs liées au VIH, le schéma de traitement de la douleur cancéreuse élaboré par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) peut être utilisé comme base de départ.

1. Premier niveau

Rappelons que le premier niveau de cette échelle fait appel à l'utilisation du paracétamol ou d'un AINS. Cette approche doit cependant être envisagée avec prudence chez les patients présentant un sida en raison d'interactions médicamenteuses possibles entre le paracétamol et l'AZT, et du risque d'hépatotoxicité lié au surdosage en paracétamol. L'utilisation proIongée d'AINS est également sujette à caution du fait du risque gastro-intestinal et rénal.

2. Deuxième niveau

Le niveau 2 de l'échelle de l'OMS comporte l'introduction d'un morphinique faible: codéine, oxycodone, hydrocodone ou dextropropoxyphène, associé au paracétamol ou à un AINS. Cette stratégie est utile en cas de douleurs modérées chez des patients capables de prendre du paracétamol ou un AINS par voie orale. Les morphiniques faibles peuvent être utilisés seuls à la place du paracétamol ou d'un AINS si ces molécules sont contre-indiquées.

3. Troisième niveau

Au cours d'une infection VIH évoluée, il est souvent nécessaire de recourir au troisième niveau de l'échelle, c'est-à-dire aux morphiniques forts tels que la morphine ou le fentanyl. Le traitement morphinique doit cependant obéir à diverses règles : ajustement personnalisé des posologies, prises à heures fixes et administration de doses supplémentaires en cas de poussées douloureuses. Si la fonction rénale ou hépatique s'altère, la posologie et la périodicité d'administration du morphinique doivent être réévaluées et si possible revues à la baisse.

Ce schéma s'applique pour les douleurs nociceptives. Le traitement des douleurs neuropathiques repose sur l'utilisation d'agents pharmacologiques appartenant à d'autres classes thérapeutiques : antidépresseurs tricycliques et anticonvulsivants (carbamazepine, valproate, phénitoïne) pour l'essentiel. L'utilisation de moyens non médicamenteux tels que les stimulations électriques transcutanées, l'hypnose, l'acupuncture peut également être utile chez ces patients. La kinésithérapie et les diverses techniques de rééducation, doivent avoir une place importante et être envisagées le plus précocement possible. Enfin, comme chez tout douloureux chronique, l'évaluation et la prise en charge des facteurs psychologiques, du retentissement socio-professionnel et familial, font partie intégrante du traitement de ces patients.

Développement et Santé, n° 131, octobre 1997