Appui à l'observance thérapeutique des patients sous ARV, l'expérience du CESAC de Bamako au Mali

Par Bintou Dembele*, Aliou Sylla*, Ousmane Traore*, Noumousso Mariko* *Personnel soignant du CESAC **Membre de l'association AFAS

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Le CESAC (Centre de Soins, d'Animation et de Conseil) est un centre de prise en charge globale de l'infection par le VIH/SIDA. Il s'agit d'une structure ambulatoire extra hospitalière située en plein centre de Bamako. Le CESAC a été créé en 1996 à l'initiative de l'Association de Recherche de Communication et d'Accompagnement à domicile des personnes vivant avec le VIH (ARCAD/SIDA) qui en assure la gestion et l'administration. L'objectif du CESAC est d'apporter une réponse médicale et psychosociale adaptée à la prise en charge des patients vivant avec le VIH. Il est animé par une équipe associative multidisciplinaire (médecins, pharmacien, infirmiers, assistants sociaux, psychologue, secrétaire, comptable) qui associe les personnes vivant avec le VIH comme personnes ressources.

L'accès aux antirétroviraux (ARV) constitue un espoir énorme pour l'amélioration de la prise en charge des patients. Actuellement, le CESAC suit environ 6000 patients dont 1200 suivis sous ARV. Comme pour d'autres maladies chroniques, l'observance des traitements ARV constitue la clé de la réussite de l'efficacité du traitement. Il est donc nécessaire d'élaborer des outils et des stratégies en vue d'aider, de soutenir et d'accompagner les patients pour une meilleure observance. Tout le personnel du CESAC a été formé et participe au "counseling pré et post" dépistage. Les consultations de counseling sont souvent l'occasion d'expliquer ce qu'est le VIH-SIDA, l'évolution de la maladie, d'aborder les modes de contamination et de prévention de la maladie, et d'envisager le plan de réduction des risques et les conditions d'accès au traitement.

En 2002, le CESAC a mis en place un programme d'éducation thérapeutique et d'accompagnement des patients sous ARV. Ce programme a pour objectif d'informer et d'éduquer les patients, et de les accompagner dans la prise de leur traitement en prenant en compte les difficultés liées la prise des médicaments, mais aussi les contraintes financières, psychologiques, sociales, professionnelles et culturelles rencontrées par les patients. Ce programme est basé sur la mise en place d'un espace d'échange et de solidarité entre patients.

I. Description du programme d'aide à l'observance

Ce programme est composé des deux étapes :

1. Une séance d'éducation thérapeutique en groupe

Une première étape consiste à réunir un groupe de patients pour leur transmettre une information préalable à la mise sous ARV. Les patients qui participent à ce groupe sont en général suivis depuis quelque temps au CESAC, et remplissent les critères d'inclusion bio-cliniques pour une mise sous traitement. Cette séance, d'une durée de 2 heures environ, est basée sur la transmission de connaissances sur le VIH et la prise des ARV (cf. tableau 1 des deuxmodules composant cette première séance). Les informations transmises sont illustrées à l'aide de schémas (utilisant des métaphores) permettant aux patients de comprendre la dynamique et l'évolution de l'infection. Les messages "clés" à retenir sont régulièrement répétés. Les patients ont l'occasion de poser de nombreuses questions. Le deuxième module de cette séance aborde les notions essentielles pour préparer les patients à l'observance de la prise des ARV. Il s'agit de faire prendre conscience de l'importance du traitement, du suivi qui sera nécessaire dès lors qu'ils seront sous ARV et aussi des risques d'effets secondaires qu'ils pourront ressentir. L'objectif est d'inciter le patient à prendre ses responsabilités avant de s'engager dans le traitement. Autrement dit, compte tenu de tout ce qu'ils viennent d'entendre, ils doivent décider ou non de prendre des ARV. La séance se termine par le partage d'un repas qui a pour objectif de créer un véritable climat de groupe, d'entraide et de solidarité.

2. Le club d'observance

La seconde étape consiste en l'organisation d'un "club d'observance". Il s'agit d'un espace d'apprentissage à l'observance, de dialogue, d'échange d'expériences, de médiation et d'entraide entre patients. Une nouvelle séance de groupe s'adressant aux patients sous ARV est organisée. Elle a pour but le soutien et l'accompagnement thérapeutique des patients mis sous ARV. Seuls les patients ayant participé à l'étape précédente peuvent y participer. Cette séance rassemble des médecins, pharmaciens, psychologue, des personnes ressources et des PvVIH sous ARV. Les enseignements se font avec des supports personnalisés et des métaphores en lien avec le contexte socioculturel des patients. Les patients y participent de façon volontaire (ils sont informés d'une séance par téléphone). Les principes majeurs qui sous-tendent ce club d'observance sont le respect de la confidentialité, l'entraide et l'esprit de groupe. Ainsi, les patients se sentent libres de s'exprimer, de faire part de leurs angoisses, de leurs inquiétudes ou autres difficultés rencontrées. En fonction des besoins des patients, des informations spécifiques sont traitées telles que, par exemples : les effets secondaires, la gestion des évènements sociaux (baptême, ramadan, mariage, décès), le désir d'enfant, la gestion des boites vides, l'expression par les patients de certains problèmes de santé non exprimés au médecin parce qu'ils ont honte, ou tout simplement par manque de disponibilité ou manque de temps de la part de l'équipe soignante.

Au sein du club, chaque représentant du groupe joue un rôle

a) le psychologue joue un rôle de facilitateur. Il connaît le vécu psychologique des patients présents, il observe les réactions de chacun, il distribue la parole, résume les points clés,

b) les participants, comprenant l'invité du jour (patient ayant un problème particulier), les autres membres du club (autres patients ayant participé à l'étape précédente) et autres PvVIH ressources, témoignent de leur vécu, donnent leur avis sur le problème posé et expliquent comment ils ont géré eux-mêmes la situation difficile.

c) Le médecin (différent du médecin prescripteur) ou le pharmacien apporte des informations techniques si nécessaires, et transmet les informations importantes aux médecins prescripteurs si besoin.

Ces séances d'éducation thérapeutique (première étape et club d'observance) ont lieu une fois par semaine alternativement, le jeudi après midi. L'augmentation du nombre de patients mis sous ARV étant conséquente, le CESAC envisage de multiplier ces séances et de rajouter une après-midi par semaine pour l'éducation thérapeutique. De même, un infirmier et des personnes vivant avec le VIH sont en cours de formation pour soutenir l'animation de ces séances.

Le suivi de l'observance

Il est assuré par le pharmacien qui dispense les ARV. Au cours de la dispensation des médicaments, il revoit avec les patients, de façon individuelle, leurs difficultés, il s'assure du respect des schémas thérapeutiques, et aborde tout autres questions posées par les patients en lien avec l'observance.

II. Résultats

Au total 97 séances ont été réalisées depuis le démarrage de l'activité. Les femmes sont toujours plus nombreuses, mais elles sont aussi plus nombreuses à être prises en charge au sein du CESAC.

2002 2003 2004
174 bénéficiaires 27 séances réalisées 181 bénéficiaires
23 séances réalisées 729 bénéficiaires 47 bénéficiaires

La raison pour laquelle le nombre de bénéficiaires de ces séances a considérablement augmenté en 2004 s'explique :

  • d'une part, par les efforts faits par le CESAC, soutenu par le programme d'accès aux ARV (PAARV) d'Ensemble Contre le Sida pour favoriser l'accès aux ARV encore payant en début d'année, aux patients les plus démunis,
  • d'autre part, par une augmentation permanente du nombre de patients sous ARV depuis que la gratuité des traitements a été déclarée par le Président de la République et matérialisée en juillet 2004 par le Ministère de la Santé.

Cette augmentation de patients sous ARV constitue une difficulté majeure pour l'organisation des séances d'éducation. De plus en plus de patients nécessitent de suivre ces séances, or en termes de locaux, mais aussi d'apprentissage, il reste préférable de limiter le nombre de patients par séance. Reste donc à envisager de démultiplier le nombre de ces séances, pour permettre à un maximum de patients d'y participer. Dans cette perspective, un infirmier du CESAC est en cours de formation pour animer ces séances d'éducation. D'un point de vue qualitatif, notre expérience montre les résultats suivants :

  • Nous notons une réelle amélioration de la relation patient-médecin. Ces séances permettent de rassurer les patients et de les mettre en confiance vis-à-vis de la prise en charge médicale. L'acquisition d'un vocabulaire médical par les patients permet petit à petit d'avoir un langage commun entre l'équipe soignante et les patients, ce qui améliore considérablement la communication.
  • Les patients ayant participé aux séances d'éducation thérapeutique s'approprient mieux leur traitement et y adhèrent davantage.
  • Ils sont très impliqués dans leur prise en charge et impliquent de plus en plus leur famille.
  • Certains patients ont pris une part active dans l'accompagnement des autres patients. Par exemple, une patiente participe aux séances d'éducation et peut ainsi témoigner de son expérience, de son vécu du traitement. D'autres se sont engagés à soutenir et accompagner des patients à leur domicile pour les aider dans leur prise du traitement. Ils deviennent des relais entre ces patients en difficulté et les soignants.
  • Leur perception se modifie vis-à-vis de la maladie et des effets secondaires des traitements. Le SIDA n'est plus vécu comme une maladie qui conduit inévitablement à la mort. Ils expriment leur satisfaction et le plaisir qu'ils ont à participer à ces réunions de groupe au cours desquelles ils ont trouvé un espace pour s'exprimer librement tout en partageant de façon conviviale un repas préparé par des pairs.

III. Perspectives

Depuis juillet 2004, la gratuité des ARV a été déclarée par le gouvernement. Les patients sont donc de plus en plus nombreux à pouvoir bénéficier d'un traitement dès lors que leur état de santé le nécessite. De plus, progressivement, l'accès aux ARV ne se fera plus uniquement sur Bamako mais aussi dans les différentes régions du Mali. La problématique de l'observance restera déterminante dans la prise en charge des patients. Les résultats que nous avons obtenus sont encourageants pour l'amélioration de l'observance.

Cependant, il nous semble important d'optimiser encore notre stratégie d'aide à l'observance en renforçant et en améliorant notre programme d'éducation thérapeutique. En effet, nous devons améliorer nos techniques d'éducation, de communication. Nous souhaitons personnaliser davantage l'approche éducative et renforcer le suivi éducatif de chaque patient afin de pouvoir montrer objectivement les bénéfices d'un tel programme. Il nous semble aussi important que les autres structures hospitalières et extra-hospitalières avec lesquelles nous collaborons s'impliquent davantage dans cette démarche éducative.

C'est pourquoi nous avons sollicité une aide financière de la Fondation GSK afin de renforcer notre programme d'éducation thérapeutique par une formation méthodologique à l'éducation thérapeutique et l'apport d'outils d'éducation adaptables au contexte socioculturel. Cette formation s'adressera au personnel du CESAC et à des membres d'une association collaborant avec le CESAC (l'AFAS-AMAS ), mais aussi aux personnes investies dans la prise en charge des PvVIH dans les hôpitaux nationaux (Hôpital du Point G et Hôpital Gabriel Touré). Dans l'avenir, le CESAC/ ARCAD/SIDA souhaite devenir le centre de référence dans la prise en charge des PvVIH étant donné qu'il suit le plus grand nombre de patients infectés. C'est pourquoi, cette première formation sera suivie d'une formation de formateurs qui seront ensuite aptes à former de nouveaux éducateurs, sur Bamako et dans les différentes régions du pays. Ainsi, le programme d'éducation thérapeutique pourra être mis en oeuvre dans chacun des sites de dispensation des ARV au Mali. Enfin, cette formation de formateurs viendra renforcer l'activité de formation développée par le CESAC avec la création en 2004 d'un centre de formation sous-régional "DONYA".

Tableau 1 : Contenu de la première séance d'éducation thérapeutique

Module 1 : Comprendre le VIH
  • Définition du VIH-SIDA
  • Modes de transmission
  • Rôle du système immunitaire
  • Mécanisme de destruction des CD4
  • Rapport taux de CD4/infections opportunistes
Module 2 : Prendre des ARV
  • Définition d'ARV
  • L'importance du bilan biologique d'inclusion et de suivi
  • Mécanisme d'action des ARV
  • Comprendre le circuit de la mise sous ARV et le rôle des membres de l'équipe soignante
  • Les précautions de prise des médicaments
- Les interactions médicamenteuses - Les intervalles des prises

Développement et Santé, n°172, août 2004