Examen clinique pendant la grossesse

Par Par Armel Brice Mapoukou Gynécologue-obstétricien, Brazzaville, Congo.

Publié le

L'examen clinique pendant la grossesse est un acte essentiel qui, pour être efficace, doit être mené dans de bonnes conditions, en respectant les principes de confort, d'hygiène, de sécurité et de confidentialité. Il associe donc un examen général et un examen obstétrical.

Objectifs

  • Dépister les situations à risque, notamment d'affections congénitales et d'imcompatibiité fœto-maternelle.
  • Aboutir à un accouchement normal.

Intérêt diagnostique

  • Terrain : recherche d'affections telles que diabète, HTA, drépanocytose, épilepsie, cardiopathie, insuffisance rénale, insuffisance hépatique, Rhésus -.
  • Recherche de pathologie survenant au cours de la grossesse : pré-éclampsie, HTA gravidique, menace de fausse couche spontanée, menace d'accouchement prématuré, retard de croissance intra-utérin.

Intérêt thérapeutique

  • Préventif : pré-éclampsie, en administrant les antiagrégants plaquettaires ; prévention de spina bifida par l'apport d'acide folique.
  • Curatif si nécessaire.

Les modalités de suivi de la grossesse (fréquence des consultations, des échographies et des autres examens complémentaires) varient d'un pays â l'autre en fonction de recommandations ministérielles et selon les structures de soins (CESCOM, hôpital de référence).

I. Préparation à la grossesse examen prénuptial : c'est l'idéal

La grossesse se programme, se planifie. Rares sont les couples, surtout dans les pays en développement, qui bénéficient des examens prénuptiaux. Les principales raisons sont : la pauvreté (ces examens ne sont pas tous gratuits), le manque de plateau technique (dans la grande majorité des localités) et parfois l'ignorance des couples. La grossesse est souvent une surprise même quand on est sous le même toit.
L'examen prénuptial prépare donc le terrain avant la grossesse. V'n pratique, il comporte

1. Première consultation essentiellement clinique

Elle comporte un examen clinique complet des deux époux et la prescription d'examens complémentaires.

Examens biologiques systématiques

  • Sérologie VIH, à proposer systématiquement.
  • Recherche de drépanocytose.
  • Groupe sanguin ABO et Rhésus du couple + recherche d'agglutinines irrégulières (RAI) chez la femme.
  • Sérologie syphilitique (TPHA-VDRL).
  • Sérologie hépatite B.
  • Si possible sérologie de la toxoplasmose et de la rubéole (voir encadré).

2. Deuxième consultation

  • Remise à chacun des époux et à lui seul (respect du secret médical +++) des résultats des examens complémentaires.
  • Education des futurs époux (remise d'une information orale et écrite).
  • Remise du certificat prénuptial en mains propres à chacun des futurs époux et rempli par un médecin.
  • Si nécessaire et si possible : vaccination antirubéolique.

II. Diagnostic de la grossesse

1. Examen clinique

a) Interrogatoire

  • Aménorrhée secondaire +++.
  • Signes sympathiques de la grossesse : nausées, vomissements, hypersialorrhée, constipation, hypersomnie, pollakiurie.

b) Examen gynécologique

  • Seins : augmentés de volume, tendus, sensibles, apparition des tubercules de Montgomery (petits nodules rouges apparaissant sur l'aréole des seins et persistant toute la grossesse).
  • Organes génitaux externes : hyperpigmentation et œdème de la vulve.
  • Examen au spéculum (si possible) : il est utile, mais le matériel doit être rigoureusement nettoyé et stérilisé après chaque utilisation. Le col est violacé et la glaire épaisse.
  • TV : l'utérus est augmenté de volume, antéfléchi, le col est mou (consistance du lobe d'oreille, alors qu'il a habituellement la consistance du bout de nez), les culs-de-sac vaginaux sont comblés par le corps utérin.

2. Examens complémentaires (si possible)

  • Dosage plasmatique de la ßHCG, positive dès le 10ème jour de la grossesse.
  • Echographie-pelvienne : importante dans le diagnostic de la grossesse, sa localisation (GIU, GEU), sa datation et sa vitalité (l'activité cardiaque est visible à 7 semaines).

III. Suivi de la grossesse (les recommandations ministérielles varient d'un pays à l'autre)

Une grossesse normale doit bénéficier de 4 ou 5 consultations prénatales (CPN) et d'une consultation post-natale (dans les 8 semaines après l'accouchement), qui sont effectuées par le médecin ou la sage-femme. Chaque CPN comprend un examen clinique et un examen paraclinique.
Les éléments de surveillance à chaque consultation sont : hauteur utérine, TA (qui ne doit pas dépasser 140/9O), recherche d'une activité cardiaque fœtale, recherche de protéinurie et de glycosurie.

1. Examen clinique

a) Examen général

  • Interrogatoire : recherche des nouveaux signes fonctionnels et généraux.
  • Pesée (poids) : si possible, toujours sur la même balance. La prise de poids, qui doit être harmonieuse, ne doit pas excéder 12 Kg en moyenne à terme. Elle est de :
    • 500g/mois au 1er trimestre
    • 1kg/ mois au 2ème trimestre
    • 2kg/ mois au 3ème trimestre
  • Mesure de la pression artérielle (TA) : à chaque CPN (plus souvent si nécessaire), la TA est prise avant l'examen obstétrical, après une phase de repos, en position assise, bras nus, avec un brassard adapté (brassard pour obèse si la circonférence du bras est supérieure à 30 cm).
    La TA normale est inférieure à 140/90 mmHg, au-delà de ces valeurs, il s'agit d'une Il"TA chez une femme enceinte.
  • Inspection générale : IMC, examen de la peau (lésion, cicatrice), des conjonctives, des dents et des gencives. Recherche de pathologies veineuses, ophtalmologiques, recherche d'une boiterie à la marche.
  • Auscultation cardio-pulmonaire : systématique lors de la première CPN.
  • Seins : recherche d'anomalies des mamelons (mamelon ombiliqué), de tumeur et d'adénopathies axillaires.

b) Examen obstétrical

Inspection de l'abdomen : recherche de cicatrices ; évaluation de la forme de l'utérus.
Palpation abdominale : patiente en décubitus dorsal, membres inférieurs étendus. Mains posées à plat sur l'abdomen et déprimant doucement sa paroi de la pulpe
du doigt.
L'exploration doit être méthodique et indolore. elle commence par la région sus-pubienne, continue par le fond utérin et se termine par les parties latérales de l'utérus.
A partir de la 28ème semaine (6ème mois), la palpation devient un élément diagnostique et pronostique fondamental de l'examen obstétrical, avec ses trois objectifs dans le temps et suivant le terme :

  • étudier la consistance, la souplesse ou la tension (relachement, contraction) et la sensibilité de l'utérus à la mobilisation ;
  • situer le (ou les) fœtus dans l'utérus, la présentation, le rapport avec le bassin maternel, la position du foetus, le coté du dos et le volume ;
  • apprécier le volume du liquide amniotique (signe de flot).

La palpation donne souvent lieu à des mouvements actifs fœtaux (NIAF) perçus cri moyenne à partir de 20 semaines, excellent indice de réactivité du fatus.

c) Mesure de la hauteur utérine (HU)

En décubitus dorsal, vessie préalablement vidée, avec un mètre ruban déroulé à partir du bord supérieur de la symphyse pubienne, selon l'axe de l'utérus, jusqu'au fond utérin. Le chiffre correspondant à la hauteur utérine est indiqué par le bord cubital de la main qui tient le mètre ruban.
Il faut insister sur l'intérêt de la mesure par un même examinateur au cours de la grossesse.
Entre 4 et 7 mois, on multiplie par 41e nombre de mois pour obtenir la hauteur utérine théorique moyenne correspondante.
La règle est applicable jusqu'à terme si l'on retranche 2 cm les 2 derniers mois :

4 mois x 4 =16 cm
5 mois x 4 =20 cm
6 mois x 4 =24 cm
7 mois x 4 =28 cm
8 mois x 4 =32 - 2 cm = 30 cm
9 mois x 4 =36 - 2 cm = 34 cm

La HU doit augmenter entre cieux examens successifs. En cas d'anomalie, il faut avant tout vérifier le terme. Un excès ou une augmentation trop rapide, ou au contraire une insuffisance, doivent faire évoquer certains diagnostics : pathologie ovulaire, foetale et/ou maternelle, grossesse gémellaire, macrosomie, retard de croissance intra-utérine, grossesse associée à un mvome ou à une tumeur.
Il peut également s'agir d'une grossesse plus avancée ou plus jeune, voire d'un arrêt de la grossesse.

d) Auscultation des bruits du coeur (BDC)

A partir de 12 à 15 semaines, la mise en évidence des souffles placentaires et/ou des bruits du coeur requiert l'emploi d'un détecteur à ultrasons utilisant l'effet Doppler, placé au niveau de la région hypogastrique.

A partir de 20 - 22 semaines d'aménorrhée : L'auscultation à l'aide d'un stéthoscope uni-auriculaire est recommandée.
La localisation des BDC varie selon le terme, la position, la présentation et le côté du dos du ou des fœtus (l'épaule antérieure est un repère).
L'auscultation des BDCF permet de connaître la fréquence cardiaque du fcetus (à dissocier du pouls maternel).
Le rythme de base se situe entre 120 et 160 battements/minute.
Des décélérations peuvent être contemporaines des mouvements actifs du foetus (MAF).

e) Examen de la vulve et du périnée

On recherche d'éventuelles lésions cutanéo-muqueuses (condylomes, herpès), des cicatrices, en particulier des mutilations et excisions, des pathologies veineuses (,varices vulvaires, hémorroïdes).

f) Examen au spéculum

Il doit être pratiqué avant le T'V (en respectant les règles d'hygiène : nettoyage ct stérilisation après chaque utilisation).
Il est effectué selon les indications médicales : en cas de leucorrhées pathologiques, d'écoulement clé liquide ou pour objectiver une métrorragie.
Un frottis cervico-vaginal (FCV) est réalisé à l'occasion de cet examen si le dernier date de plus de 2 ans.

  • Examen du col : son aspect, sa couleur, en recherchant des anomalies de la muqueuse, des vésicules d'herpès, des condylomes ou un écoulement sanglant provenant de l'endocol.
  • Examen du vagin : réalisé en déplissant ses parois lors du retrait progressif du spéculum.

g) Toucher vaginal

L'utilisation d'un doigtier stérile à usage unique, lubrifié ou non, est de rigueur.
La femme est en position gynécologique, sur un plan dur, la vessie et (si possible) le rectum étant vides. La main abdominale permet de combiner le palper au toucher. Le TN,' a différents objectifs suivant le terme auquel il est réalisé :

  • Au 1er trimestre : il permet le diagnostic de la grossesse.
  • Au 2ème trimestre : il permet de noter les modifications cervicales.
  • Au 3ème trimestre : il s'attache à explorer le col utérin, le segment inférieur, la présentation fcztale, l'état des membranes, l'orifice cervical, le bassin osseux et le tractus génital.

2. Examens paracliniques

a) Examens biologiques

  • Groupe sanguin-Rhésus.
  • TPHA-VDRL (syphilis).
  • Bandelette urinaire (recherche d'une glycosurie et d'une protéinurie).
  • HIV (si la femme ne manifeste pas son désaccord).
  • HVB (hépatite B).
  • NFS (numération formule sanguine).

A chaque consultation, effectuer une recherche de protéinurie et de glycosurie par bandelettes.

b) Examens échographiques si possible

La première échographie, réalisée entre la 7ème et la 12ème semaine d'aménorrhée, confirme le diagnostic et permet la datation de la grossesse (marge d'erreur = 3 jours).

3. Les autres examens

a) Au 5ème mois

Echographie si possible
C'est l'échographie morphologique effectuée à 20-22 semaines d'aménorrhée.
Elle vérifie la croissance et la morphologie foetales et la localisation placentaire.

b) Vers le 7ème mois

Echographie si possible
C'est l'échographie de croissance (à 30 - 32 semaines). Elle permet de dépister un retard de croissance intrautérin (RCIU) ou une macrosomie, d'établir le score de Manning (le bien-être foetal est évalué en observant les mouvements respiratoires, les mouvements du foetus, son tonus, son rythme cardiaque et la quantité de liquide amniotique), de dépister les placentas bas insérés, de s'assurer de l'absence de malformations, et enfin de vérifier la culbute physiologique (en son absence, tentative de version par manoeuvre externe VME).

c) Au 9ème mois

C'est au cours de cette consultation que l'on évalue la possibilité d'accoucher normalement.
Examen biologique obligatoire : RAI s'il existe un risque.

Il faut expliquer à la femme les circonstances qui doivent l'amener à se présenter à la maternité : rupture prématurée des membranes, contractions utérines régulières pendant plus de 2 heures, diminution des MAF, hémorragie.

Enfin, on fixe le rendez-vous pour le jour théorique d'accouchement, on met en place une surveillance en cas de dépagserr}ent de terme pouvant nécessiter le déclenchement du travail.
Si la femme travaille, le congé de maternité, de 6 semaines prénatales et 10 semaines post-natales selon les recommandations de l'OMS, est souhaitable.

IV. Consultation post-natale

Elle a lieu dans les huit semaines suivant l'accouchement. On recherche l'existence de troubles urinaires et/ou sexuels, on examine la cicatrice d'une éventuelle épisiotomie. Une rééducation périnéale et/ou abdominale sera éventuellement prescrite.
Si le retour de couches a eu lieu, on envisage avec la femme la prescription d'une contraception.

V. Conseils d’hygiène de vie durant la grossesse

  • Alimentation équilibrée, riche en calcium et en légumes frais.
  • Eviter de manger des viandes crues.
  • Arrêt du tabac et de l'alcool.
  • Maintien d'une activité adaptée au terme de la grossesse.
Rubéole Infection virale fréquente dans l'enfance, elle n'entraîne pratiquement jamais de complication. Chez l'adulte, elle est rare et bénigne. Elle entraîne une immunité durant toute la vie. Le seul risque est la survenue d'une primo-infection en début de grossesse. Pendant les 11 premières semaines d'aménorrhée, si la mère est infectée par le virus de la rubéole, le fœtus l'est aussi dans 90% des cas, provoquant alors des malformations graves : microcéphalie, retard mental, surdité, cécité, malformation cardiaque. Si l'infection survient après la 23ème semaine d'aménorrhée, le risque de contamination foetale chute à 25 % et les malformations sont minimes. La seule prévention est la vaccination généralisée, dans l'enfance, au moins pour toutes les filles avant une éventuelle grossesse, soit avant l'âge de procréer. Dans les pays riches, tous les enfants sont vaccinés contre la rubéole pendant leur enfance et, lors de toutes grossesses, une sérologie de la rubéole est pratiquée :
  • Si celle-ci est positive, le risque de contamination est écarté et la grossesse peut se poursuivre sans inquiétude.
  • Si la sérologie est négative, un suivi régulier est institué et il est recommandé d'éviter tout contact avec des sujets infectés ou pouvant l'être.
  • En cas de séroconversion, une IVG peut être envisagée.
En Afrique, il est utile que les infections naturelles pendant l'enfance perdurent pour ne pas retarder l'âge de contamination et arriver à l'âge de procréation. La sérologie rubéole en cas de grossesse n'entraîne pas de décision thérapeutique spécifique ni de conduite à tenir particulière, elle est donc inutile.
Toxoplasmose Il s'agit d'une infection parasitaire contaminant un grand nombre d'animaux à sang chaud. L'homme se contamine par les kystes du parasite contenus dans les excréments des animaux. En Afrique, 50 à 70% des adultes sont contaminés. Maladie bénigne, passant souvent inaperçue, elle est dangereuse dans deux situations :
  1. En cas de déficit immunitaire (SIDA).
  2. Chez la femme enceinte, au cours du premier trimestre : le parasite ne pénètre dans le faetus que dans 2% des cas, mais provoque alors des malformations congénitales souvent incompatibles avec la vie.
Une contamination pendant les 2 derniers trimestres de la grossesse touche le foetus dans 75 % des cas, mais les conséquences, beaucoup moins graves, se manifestent par une atteinte oculaire de découverte souvent tardive. Il n'y a pas de vaccin contre la toxoplasmose. La seule mesure préventive pour une femme enceinte est l'hygiène des aliments : ne pas consommer de légumes et fruits crus non désinfectés. En Europe, il est aussi recommandé d'éviter les contacts avec les chats, principal hôte du parasite. Une sérologie de la toxoplasmose est pratiquée chez toutes les femmes enceintes. Si elle est positive, la grossesse peut être poursuivie sans crainte, si elle est négative, un suivi sérologique est mis en place, il est recommandé d'éviter le contact avec les chats et il est déconseillé de manger des légumes crus. En Afrique, les chats domestiques étant rares, le réservoir est mal connu. Une sérologie positive en cours de grossesse rassurera, une sérologie négative ne pourra pas décider d'une conduite à tenir claire et réaliste (la consommation de légumes crus est rare). Cette sérologie a donc un intérêt limité.

Développement et Santé, n° 197/198, 2010