Implication des PVVIH au sein des programmes d'éducation thérapeutique, expérience de l'ALCS Maroc

Par Pr. Hakima Himmich (1) et Dr. Hind Setti (2) (1) Chef de service maladies infectieuses à l'hôpital Ibn Rochd de Casablanca. (2) ALCS.

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I. L'ALCS

Par Pr. Hakima Himmich

Au Maroc, l'Association de Lutte Contre le SIDA (ALCS) est aujourd'hui un acteur incontournable de la société civile. Première association de ce type constituée au Maghreb et au MoyenOrient où le tabou sur la sexualité est pesant, l'ALCS a vu le jour en 1988, alors que trente cas seulement de SIDA étaient déclarés. Structure principalement médicale à ses débuts, l'ALCS a très vite évolué vers une association de type communautaire et militante qui, malgré une collaboration régulière avec les pouvoirs publics, n'a jamais hésité à dénoncer les positions officielles qui allaient à l'encontre de son action. Ce fut le cas lors de l'accord de libre échange conclu avec les Etats-Unis d'Amérique et ses conséquences sur l'accès aux traitements.

Quels sont les objectifs et activités de l'ALCS ?

Reconnue d'utilité publique en 1993, l'ALCS s'attache à poursuivre ses principaux objectifs que sont la prévention de l'infection VIH/SIDA, l'accès aux traitements, la prise en charge et la défense des droits des personnes vivant avec le VIH (PVVIH), dans le strict respect des droits de l'Homme et des principes éthiques de neutralité et de confidentialité. Grâce au soutien d'ESTHER, Sidaction et aux donateurs nationaux, l'ALCS parvient à offrir une assistance matérielle et un soutien psychologique aux PVVIH, à assurer le financement d'une partie des tests biologiques et des médicaments contre les maladies opportunistes, et à mettre des assistantes sociales à la disposition des personnes vivant avec le VIH.

Plus innovant encore, l'ALCS installe dès 1995 des programmes de prévention auprès des groupes vulnérables que constituent les professionnel(le)s du sexe. Aujourd'hui, les programmes de prévention sont développés dans les usines et même dans les prisons. Avec l'ouverture, en 1992, du premier centre d'information et de dépistage anonyme et gratuit (Cidag), dont le nombre est porté aujourd'hui à 19, les actions de l'ALCS n'ont pas cessé d'évoluer, jusqu'à la mise en circulation de trois bus aménagés en centres mobiles de diagnostic anonyme et gratuit, dont un financé avec le soutien du Conseil régional d'Ile-de-France. Grâce à un partenariat avec Sida Info Service, soutenu par la mairie de Paris, l'ALCS lance en 2003 la première ligne téléphonique dans le Maghreb d'écoute, d'information et d'orientation sur le SIDA. Enfin, en 2005, l'ALCS marque un véritable tournant dans la lutte contre le SIDA au Maroc en organisant un Sidaction qui a remporté un grand succès national et a changé profondément la perception de cette maladie par la population.

L'ALCS n'a cessé de se battre pour généraliser l'accès aux soins et en particulier aux traitements antirétroviraux (ARV), notamment en obtenant une diminution de leur prix et l'exonération de taxes douanières. Pendant des années, la section de Casablanca qui est la plus ancienne a été la seule impliquée dans la prise en charge des patients ayant une infection à VIH grâce au soutien de Sidaction France. Puis, au fur et à mesure de la décentralisation de la prise en charge médicale, l'ALCS a porté son soutien à des PWIH d'autres villes. L'ALCS apporte une aide précieuse aux patients et aux équipes soignantes avec qui elle entretient les meilleures relations.

Le programme d'éducation thérapeutique

C'est un projet pilote qui a été initialement mis en place en janvier 2000 à Casablanca en partenariat avec la Fondation GSK. Puis, ce programme s'est poursuivi avec le soutien de Sidaction en 2004/2005. En 2006, c'est le GIP ESTHER à travers une convention avec l'ALCS qui a repris le relais du financement de ce programme.

D'autres sections de l'ALCS ont été ensuite concernées par la prise en charge des personnes vivant avec le VIH ; une commission constituée principalement de volontaires a progressivement été mise en place dans les centres référents de Rabat, Tanger, Marrakech et Agadir. En 2006, grâce aux fonds de Sidaction Maroc 2005, ces commissions ont pu se professionnaliser en recrutant une assistante sociale et des éducateurs permanents, afin d'améliorer les conditions de prise en charge des patients et de l'éducation thérapeutique.

Qu'est ce qui a motivé le développement de l'éducation thérapeutique à l'hôpital Ibn Rochd avec l'ALCS ?

La collaboration entre le service des maladies infectieuses et l'ALCS allait de soi, elle fait même partie des premiers statuts de l'ALCS. L'ALCS est présente dans le service pour l'accompagnement des patients hospitalisés et non hospitalisés depuis que nous avons démarré la prise en charge des patients vivants avec le VIH ; il était donc tout à fait naturel que se soit l'association qui prenne en charge l'éducation thérapeutique ; ceci s'intégrait parfaitement dans ce que nous appelons "la commission prise en charge des personnes vivant avec le VIH".

Enfin, nous nous doutions dès le début que les médecins et les infirmières n'auraient pas suffisamment de disponibilité pour s'impliquer entièrement dans le travail d'éducation et il fallait donc que les volontaires de l'ALCS le fassent.

Quels ont été les éléments favorables à la mise en place de l'éducation thérapeutique par l'ALCS ?

  • Une collaboration déjà ancienne et excellente entre l'ALCS et les centres référents de l'infection à VIH,
  • L'implication de l'ALCS à tous les niveaux (prévention, dépistage, prise en charge et soutien psycho-social) : l'ALCS est devenue un acteur incontournable,
  • L'ALCS était déjà impliquée dans plusieurs aspects du soutien psycho-social et dans l'approvisionnement en médicaments,
  • Nous étions convaincus de l'importance d'une bonne adhérence au traitement et du rôle positif de l'éducation thérapeutique pour cela.
Activités d'éducation thérapeutique Service de maladies infectieuses Hôpital Ibn Rochd de Casablanca
  • Nombre de prescripteurs d'ARV : 12 médecins infectiologues
  • Nombre de patients actuellement sous ARV : 720 adultes, 30 enfants
  • Deux éducateurs : 1 médecin, 1 membre associatif
  • Intégration de l'ETP dans le circuit du patient :
  • Médecin ==> Pharmacien ==> ETP (séances individuelles) ==> Assistante sociale
  • Nombre moyen de séances d'éducation par mois : 60

Quels sont les points positifs de cette expérience ?

Cette expérience a permis une bonne intégration de l'association au sein de l'hôpital ainsi qu'une bonne collaboration avec les autres associations de développement (orientation des patients).

Les éducateurs sont impliqués et motivés. Les patients s'impliquent eux aussi dans les activités de l'association en tant que volontaires. Ils ont récemment constitué un groupe de dialogue et de travail : l'ALCS+. Un coordinateur national du programme ETP, le Dr. Hind Setti, a été recruté fin février. Sa mission est de superviser les différents programmes et d'assurer la formation continue de l'ensemble des éducateurs.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Nous avons observé dans certaines villes de province un frein à la présence de l'ALCS au sein des structures hospitalières. Nous pouvons l'expliquer par :

  • la peur chez certaines personnes de la stigmatisation au sein de l'hôpital : elles ne veulent pas être identifiées comme PVVIH et donc ne suivent pas les séances d'ETP,
  • le manque de moyen dans les centres référents,
  • la difficulté d'organiser des réunions avec les équipes soignantes et le désintérêt de certains soignants face à l'éducation thérapeutique ; les éducateurs thérapeutiques sont souvent confondus avec l'assistante sociale : ils accomplissent diverses tâches débordant le cadre de leur fonction.

Certains aspects du programme doivent aujourd'hui être améliorés :

  • besoin d'augmenter le nombre d'éducateurs par site : en dehors de Casablanca et Rabat et Marrakech, il n'y a qu'un seul éducateur qui a une charge de travail et une pression psychologique très importante. Une augmentation de la file active dans les centres de prise en charge des patients infectés par le VIH en province,
  • prévoir la prise en charge psychologique des patients avec l'intervention d'un psychologue professionnel mais également des séances de régulation pour les éducateurs afin de diminuer la pression qui pèse sur eux,
  • mettre en place des programmes de prévention secondaire et de travail sur l'estime de soi.

Quelles recommandations donneriez vous à une structure souhaitant développer l'ETP en partenariat avec une association de patient ou une association communautaire ?

Les formations continues sont indispensables pour une remise à niveau (sur les traitements par exemple) et il faut veiller à pouvoir indemniser les éducateurs. Il est par ailleurs important que l'association signe une convention avec l'hôpital où se déroule l'éducation thérapeutique. L'implication des PVVIH comme éducateurs est importante.

Qu'est ce que l'éducation thérapeutique a changé dans la pratique des soignants ?

L'éducation thérapeutique a permis de créer d'excellentes relations entre les volontaires de l'ALCS et l'équipe soignante ; elle a permis aux médecins un gain de temps énorme dans la consultation, puisque même si bien sûr les médecins expliquent eux même aux patients leur traitement, ils savent qu'ensuite, l'éducateur va vraiment développer tous les aspects de ce traitement.

Cela a beaucoup apporté aux patients, ils comprennent mieux leur maladie et ils suivent mieux leur traitement.

Pour nous l'éducation thérapeutique est un programme qui a montré qu'il pouvait contribuer à une meilleure observance des traitements. La bonne observance est importante partout dans le monde mais tout particulièrement dans les pays comme le Maroc, où le nombre de molécules de traitement de seconde ligne est très limité ; elles coûtent extrêmement cher, et de ce fait sont inaccessibles. Une très bonne observance du traitement est importante pour diminuer le risque de développement des résistances. L'éducation thérapeutique est aussi un cadre qui permet de développer un soutien psychologique aux personnes vivant avec le VIH et on s'en rend compte tous les jours : les personnes reviennent voir les éducateurs pas seulement pour poser des questions concernant leur traitement mais aussi pour des questions par rapport à leur vie quotidienne, leurs préoccupations, leur souffrance ; c'est également un espace qui nous permet de développer de nouvelles activités telles que la prévention secondaire ou le travail sur l'estime de soi au sujet desquels nous organisons bientôt deux séminaires dans le cadre de notre partenariat avec ESTHER.

Témoignage d'une éducatrice de l'ALCS Comment vivez vous votre fonction d'éducateur ? Mon statut m'aide car je connais les problèmes rencontrés par les patients ; ils me font confiance et je parle le même langage qu'eux. Ce qui est difficile, c'est la nécessaire régularité de l'exercice de mes fonctions, car ma santé est fragile. Lors des séances d'éducation, quels principaux bénéfices avez-vous observé chez vos patients ? Une meilleure observance au traitement et un meilleur moral : ils se sentent moins seuls car l'ils peuvent partager leur problèmes ; de nouveau, les projets de vie apparaissent : désir d'enfant, mariage, etc. J'ai moi-même contribué à marier trois couples, dont deux ont eu des enfants. Quels conseils donneriez-vous à de futurs éducateurs ? Il faut gagner la confiance des patients avant d'entamer quoi que se soit

II. La formation des éducateurs

Par Dr. Hind Setti,
Médecin généraliste, coordinateur national du programme d'éducation thérapeutique, ALCS, Maroc.

Les éducateurs ont toujours été recrutés parmi des volontaires de l'ALCS, certains étant des PVVIH. Quelques médecins et infirmières ont été formés, mais du fait de leur emploi du temps chargé, ils n'ont pas pu réellement assurer des séances d'éducation. Programme de formation des éducateurs de l'ALCS depuis 2004 Février 2004 :
  • Formation de remise à niveau sur les traitements antirétroviraux (Pr. Kamal Marhoum El Filali infectiologue au SMI de l'hôpital IBN ROCHD).
Février 2004 à Mars 2005 :
  • Formation méthodologique en éducation thérapeutique du patient, 3 sessions (Format Santé).
2006-2007 : Participation à différents ateliers d'échanges : l'accompagnement des personnes vivant avec le VIH (AIDES, programme AMEDIS), rencontre avec une psychologue (Mme Amina Ayouch Boda, clinicienne à l'hôpital Saint Antoine en France et coordinatrice du projet sexualité et prévention). Le guide de l'éducateur Au cours de leur formation, les éducateurs ont conçu un guide qui permet à tous de travailler de façon cohérente. Il rassemble les outils permettant de mettre en oeuvre un programme d'éducation : planification du programme d'éducation (tableau 1), référentiel d'objectifs, dossier d'éducation thérapeutique, guides d'entretien d'éducation, outils d'évaluation, fiche d'activité mensuelle de l'éducateur...

Développement et Santé, n°187, 2007