Sénégal/Thiaroye-sur-Mer: après la pollution, la chape de plomb

Par Mélanie Lemaire, Association des vctimes du saturnisme Source : Rapport de l'OMS (juin 2008)

Publié le

En juin 2008, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) révèle qu'une intoxication au plomb est à l'origine du décès, en quelques mois, de 18 enfants. En cause : une activité de recyclage de piles et batteries usagées contenant du plomb, qui contaminent l'air et le sol des alentours. Depuis, plusieurs dizaines d'enfants ont été hospitalisés, mais au total, près de 1.000 personnes sont exposées au risque.

1. Les constats

En quatre mois, de novembre 2007 à février 2008, plusieurs décès d'enfants sont constatés dans un même quartier de Thiaroye-sur-Mer, près de Dakar (Sénégal). En tout, 18 enfants de moins de 6 ans meurent de maladie inconnue. Alertées, les autori­tés sanitaires et environnementales enquêtent. Elles révèlent rapidement que le sol du quartier de Ngagne Diaw est contaminé par des batteries au plomb, entreposées dans une décharge et recyclées par les habitants du quartier. Outre les décès, on constate que les membres des familles des enfants décédés ont un taux sanguin de plomb très élevé, souvent supérieur à 1000 µg/L.

Le seuil de toxicité a été régulièrement revu à la baisse, il est aujourd'hui à 100, voire 50 µg/L.

2. Les actions menées

Face à la situation à Thiaroye, le gouvernement sénégalais entreprend un nettoyage partiel du site dès mars 2008. Au total, 300 tonnes de déchets provenant de batteries usagées et du sol contaminé sont ainsi retirées et le sol est recouvert de sable propre. A la demande des autorités sénégalaises, l'OMS déploie une équipe d'experts : toxicologue, spécialiste de la salubrité de l'environnement et chimiste. L'objectif : poursuivre les traitements, enquêter sur les risques, proposer des solutions pour les atténuer et enfin renforcer la sensibilisa­tion des habitants.

3. Une intoxication persistante

Les examens médicaux réalisés sur 55 frères, soeurs et mères (32 enfants et 23 mères) des enfants décé­dés montrent que les plombémies restent élevées, variant entre 383 et 3 454 µg/L. Une majorité d'en­fants a des signes d'atteintes neurologiques, dont certaines pourraient être irréversibles. En outre, plusieurs d'entre eux ont une plombémie plus élevée que lors de la première enquête. En réalité, la contamination ne s'est pas achevée avec les travaux menés par le gouvernement sénégalais.

Par ailleurs, l'OMS mène une enquête sur des per­sonnes du quartier prises au hasard. Toutes ont une forte concentration de plomb dans le sang : de 363 à 6 139 µg/L. Ces taux anormaux sont également constatés chez des personnes n'ayant jamais pris part à des activités de recyclage et/ou d'extraction du plomb. Plusieurs d'entre elles ont, en outre, des troubles neurologiques graves. Ces résultats très inquiétants amènent à penser que les 1 000 habi­tants de Ngagne Diaw pourraient être frappés par cette intoxication.

4. Les actions de l'OMS et de plusieurs associations

Face à ces constats, l'OMS demande au gouverne­ment sénégalais de réagir en prenant des mesures concrètes et rapides afin d'éviter de nouveaux drames. Par ailleurs, deux associations françaises, l'AFVS (Association des Familles Victimes du Satur­nisme) et l'APF (Association des Paralysés de France), ainsi que plusieurs ONG installées sur le terrain, prévenues de ce drame, décident de soute­nir les habitants, rassemblés en comité de santé. Au mois d'août, un membre du bureau de l'AFVS participe à plusieurs réunions avec les habitants et leur présente le film documentaire "Du plomb dans la tête".

Après l'été, le gouvernement tente de convaincre les habitants qu'ils doivent tous quitter le site pour le dépolluer, proposition qui provoque la colère des familles, inquiètes de ce choix. Elles soupçon­nent les autorités de vouloir libérer ce quartier stratégique situé à 200 m de la mer. Face à l'inaction des pouvoirs publics, les habitants envisagent de mener les travaux eux-mêmes, mettant ainsi encore davantage leur vie en danger. lis y renonceront finalement. Le 20 janvier 2009, une réunion rassemblant les ministres de l'Environnement et de la Santé, le directeur du centre anti-poison de Dakar, des représentants de l'OMS, la presse et des membres du comité de santé, permet de mettre à jour le manque de moyens financiers, mais aucune résolution concrète ne ressort de cette rencontre. Les habitants ne parviennent pas, malgré leurs efforts, à avoir de réponses précises de la part du gouvernement sur les modalités des travaux, le calendrier, les possibilités de délocalisation partielle...

Pourtant, une société américaine, Blacksmith, mène depuis fin 2008 des études de faisabilité de travaux sur le site. Cette entreprise se dit prête à les réaliser. Reste un "détail" : trouver les financements, notam­ment auprès des pouvoirs publics sénégalais. Et pendant ce temps-là, les habitants de Ngagne Diaw continuent à s'intoxiquer.

### Le saturnisme chez l'enfant : des conséquences irréversibles Le plomb est un poison cumulatif (lui affecte de nombreux organes, notamment les systèmes nerveux, sanguin, digestif, cardio-vasculaire et rénal. Les enfants sont les plus vulnérables aux effets toxiques du plomb qui, lorsqu'ils ne sont pas mortels, ont des conséquences définitives sur le développement cognitif et comportemental : atteinte du développement psychomoteur avec troubles de la mémoire et de l'apprentissage, atteintes des fonctions visuelles et auditives, troublés du comportement et baisse du quotient intellectuel, même lorsque les intoxications sont modérées, c'est-à-dire entraînant une plombémie autour de 100 µg/L voire moins. De plus, les petites filles qui s'intoxiquent aujourcl'hui transmettront le toxique à leur bébé lorsqu'ellus seront enceintes : le plomb, stocke dans l'os, a une très longue durée de vie (20 ans) et sera relargué dans le sang lors des remaniements osseux accompagnant toute grossesse. Souvent, aucun signe n'alerte l'entourage. Si certains esistent, ils ne sont absolument pas typiques du saturnisme : maux de ventre, céphalées, fatigue, troubles de l'humeur, de la mémoire, hyperactivité ou, au contraire, sonvnolence, difficultés scolaires... En cas d'intoxication au plomb, il est essentiel de mettre les enfants hors de danger. Au-delà de 450 µg/L, l'OMS recommande une chélation : pratiqué dans un hôpital, ce traitement consiste à"nettoyer" le sang du plomb qu'il contient Mais il a des effets indésirables parfois sévères. C'est une solution couramment utilisée dans ces conditions, nécessaire, mais qui ne règle pas le problème majeur : la contamination de l'enfant dans son milieu de vie. L'OMS, dans ses préconisations, ajoute que "des concentrations supérieures à 700 µg/L constituent une urgence médicale nécessitant un traitement immédiat, et des concentrations supérieures à 1200 µg/L sont considérées comme potentiellement mortelles".
### Un recyclage depuis plus de dix ans En 1995, les habita lits de Ngagne Diaw commencent à recycler de manière informelle (les batteries au plomb laissées sur un terrain vague. Au fil des ans, ces activités entraînent une forte contamination du sol par le plomb. Peu à peu, les habitants intensifient l'activité de recyclage, ils transportent de la terre contaminée vers d'autres zones pour en extraire le plomb. La terre enrichie en plomb est alors stockée à l'intérieur des maisons avant d'être vendue. Sans se clouter du danoer, les enfants jouent avec cette terre containinée.
### Les recommandations données par l'OMS au gouvernement Sénégalais #### En urgence
  1. L'exposition au plomb de la population vivant dans le quartier de Ngagne Diaw, en particulier des jeunes enfants, devrait être arrêtée au plus vite.
  2. Les enfants ayant une plombémie supérieure à 450 µg/L devraient recevoir un traitement chélateur et d'autres traitements médicaux appropriés. La priorité devrait être donnée à ceux qui ont une plom­bémie potentiellement mortelle et/ou des symptômes neurologiques.'
  3. Un examen de santé systématique et un dosage de la plombémie chez tous les habitants du quartier de Ngagne Diaw devraient être entrepris pour identifier les personnes ayant besoin d'un traitement chélateur.
  4. Une stratégie de communication devrait être mise en place afin d'informer la population de Ngagne Diaw et le grand public des risques pour la santé de l'exposition au plomb et des mesures appropriées pour les atténuer.
  5. Une coordination efficace devrait être assurée entre tous les ministères dont la participation est requise pour faire face à cette urgence environnementale et de santé publique.
#### A plus long terme
  1. Le suivi médical à long terme de la population touchée, en particulier des enfants, devrait être assuré.
  2. Une expertise technique devrait être conduite afin d'identifier la meilleure approche pour gérer la contamination de l'environnement afin d'éviter toute exposition humaine supplémentaire au plomb.
  3. Le sol contaminé retiré de Ngagne Diaw devrait être manipulé et traité conformément aux normes internationales.
  4. Une enquête sur la contamination possible des eaux souterraines, en, particulier par le plomb, l'arsenic et l'antimoine, devrait être effectuée.
  5. Il faudrait recenser et évaluer les autres sites au Sénégal où ont lieu des activités de recyclage informel du plomb afin d'éviter la survenue d'autres urgences de santé publique du même type.
  6. Une stratégie nationale à long terme pour la gestion rationnelle des batteries au plomb usagées devrait être élaborée en coordination avec les ministères compétents, en tenant compte des aspects socio­-économiques.
Source : rapport de l'OMS (juin 2008)

Développement et Santé, n°194, 2009