Prévention de la transmission du VIH-1 de la mère à l'enfant dans les pays en développement

Par Philippe Van de Perre

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Prévention de la transmission du VIH- 1 de la mère à l'enfant dans les pays en développement par Philippe Van de Perre Laboratoire de Bactériologie-Virologie, CHRU Arnaud de Villeneuve et Université de Montpellier 1 E mail : mailto:[email protected] On estime actuellement que, chaque année dans le monde, environ 600 000 enfants acquièrent l'infection par le VIH-1. Plus de 90 % d'entre eux vivent dans les pays en développement où, malgré les progrès récents enregistrés dans le domaine des traitements de l'infection, les antirétroviraux sont encore trop peu souvent accessibles à une large échelle et de manière équitable. Dans les pays du Nord, en l'absence de traitement, la transmission du VIH-1 d'une mère infectée à son enfant survient dans environ 25 % des cas et la transmission mère-enfant du VIH-2 est beaucoup plus rare (de l'ordre de 2 à 3 %). S'il est un domaine qui a évolué de manière spectaculaire dans ces quelques dernières années, c'est bien celui de la prévention de la transmission du VIH-1 de la mère à l'enfant. La connaissance des facteurs de risque de la transmission du VIH à l'enfant (voir encadré 1) a permis de proposer des interventions de prévention rationnelle. L'essentiel des progrès a été obtenu par l'évaluation de protocoles prophylactiques faisant intervenir des schémas courts d'antirétroviraux administrés pendant la période périnatale. Cette approche se justifie dans la mesure où l'on sait que, en l'absence d'allaitement maternel, la plupart des cas de transmission de la mère à l'enfant surviennent en extrême fin de grossesse ainsi que pendant le travail et l'accouchement. L'exposition postnatale de l'enfant au VIH-1 par le lait maternel pose de véritables dilemmes quant au choix de l'alimentation la plus appropriée du nourrisson et quant à l'efficacité des schémas courts de prophylaxie par les antirétroviraux. Ce problème sera traité dans l'article suivant. I. Que nous apprend la recherche récente ? Plusieurs schémas courts d'administration prophylactique d'antirétroviraux ont montré leur efficacité (voir encadré 2). La réduction à court terme du risque de transmission (c'est-à-dire dans les trois premiers mois de vie) est spectaculaire : 1/3 à 2/3 des infections du nouveau-né peuvent être prévenues par les traitements. La névirapine est le médicament le moins coûteux et le plus simple d'application : une seule dose orale est administrée à la mère pendant le travail ainsi qu'une dose orale au nouveau-né à 72 heures de vie. Cette facilité d'administration en prise unique est due essentiellement à la longue demi-vie de la névirapine. 1. Problèmes posés par les traitements L'émergence de virus résistants est une réelle préoccupation. Dans un essai clinique réalisé en Ouganda, une dose unique de névirapine administrée aux mères entraînait dans 30 % des cas, dans les trois semaines, l'émergence de virus résistants chez celles-ci. De même, parmi les enfants nés de ces femmes et qui étaient infectés malgré la prophylaxie, 30 % étaient porteurs de virus résistants à la névirapine. Il est actuellement impossible de prédire l'impact que pourrait avoir l'émergence de ces résistances. 2. Les obstacles Ces stratégies nouvelles d'intervention nécessitent la mise en place de structures de conseil et de dépistage volontaire, aujourd'hui souvent inexistantes ou peu opérationnelles. Les obstacles résident dans la difficulté d'intégration de celles-ci dans les soins de santé prénatals et dans l'acceptabilité sociale des personnes vivant avec le VIH-1. Les principaux obstacles à la mise en oeuvre d'interventions sont : - la difficulté d'accès géographique et financier à une structure de soin périnatal (consultation prénatale et soins obstétricaux et néonatals), - la rareté des services de dépistage volontaire assortis de conseils, - les freins psychosociaux et culturels pour annoncer les résultats du dépistage à son partenaire, - la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH et les violences exercées, parfois, à leur encontre. Certains obstacles viennent de la part des soignants, comme la peur de proposer un examen de dépistage. Il. Prise en charge de la grossesse et de l'accouchement Cette prise en charge intégrée de la femme enceinte infectée par le VIH-1 devra tenir compte de nombreux éléments. 1. Accès au conseil et au dépistage de l'infection par le VIH Idéalement, la proposition du dépistage devrait faire partie du conseil pré-conception tant il semble important de connaître le statut sérologique des futurs parents à l'heure des choix reproductifs. Le plus souvent, cependant, la proposition du test et les conseils pré-test se dérouleront au cours de la consultation prénatale. Au contenu habituel du conseil pré-test, on ajoutera l'information sur la transmission du VIH de la mère à l'enfant et sa prévention, sans oublier les options d'alimentation du nourrisson ainsi que les opportunités de traitements de la mère et du reste de la famille. Cette phase est particulièrement délicate, les futures mères étant souvent peu enclines à envisager des évènements défavorables dans cette période de leur vie. Le dépistage lui-même pourra être réalisé en peu de temps, soit à l'aide d'une combinaison de techniques ELISA au laboratoire (délai d'environ 3 à 7 jours), soit sur le site à l'aide de techniques rapides (délai de quelques minutes à quelques heures). Malgré la rapidité d'obtention de résultats par les tests rapides, un délai de réflexion de quelques jours avant la révélation du résultat du test peut parfois être souhaitable. L'accompagnement du résultat (counselling) est très important. Il doit aider la future mère à réfléchir aux mesures à prendre (annonce de la séropositivité au conjoint, prophylaxie, traitement antirétroviral, alimentation du nourrisson, contraception ... ). 2. Relation entre grossesse et VIH Fort heureusement, la grossesse ne semble pas aggraver le cours de l'infection par le VIH. Une diminution du nombre des lymphocytes CD4+ est fréquemment observée pendant la grossesse. Juste après l'accouchement, ces valeurs rejoignent le plus souvent celles observées avant la grossesse. La charge virale n'augmente généralement pas significativement pendant la grossesse. Seules les femmes ayant une infection à VIH sévèrement symptomatique doivent redouter une augmentation du risque d'infections secondaires pendant la grossesse. L'infection asymptomatique ou pauci-symptomatique de la femme enceinte n'est pas associée à une augmentation significative du risque de décours défavorable de la grossesse. 3. Soins prénatals appropriés Outre la mise sous traitement prophylactique antirétroviral pour éviter la contamination de l'enfant (voir encadré 2) en fonction du schéma choisi, le programme de prise en charge prénatale ne se distingue pas fondamentalement de celui proposé aux femmes non infectées par le VIH. Une attention particulière sera cependant portée au diagnostic des infections opportunistes, en particulier de la tuberculose. Les infections sexuellement transmissibles (IST) augmentent le risque de transmission du virus de la mère à l'enfant, il faut donc les dépister et les traiter tout au long de la grossesse, sans oublier le partenaire. Si possible, une brève mise au point incluant une numération des lymphocytes CD4+ et une mesure de la charge virale VIH pourront être pratiquées, en vue d'une mise sous traitement antirétroviral maternel au long cours. 4. Prophylaxie/traitement antirétroviral La prophylaxie antirétrovirale a été testée selon des schémas décrits dans l'encadré 2. Aucun de ces schémas n'ayant montré une supériorité évidente par rapport aux autres, le choix se fera surtout en fonction des médicaments antirétroviraux disponibles ou des programmes nationaux ou régionaux en cours. Ces traitements courts sont généralement très bien tolérés par les femmes et leurs nouveau-nés et peuvent être institués et suivis au sein des services de consultations prénatales et d'obstétrique. En principe, aucune femme séropositive dont l'état nécessiterait un traitement selon les critères en vigueur ne devrait en être privée, d'autant plus qu'un effet bénéfique est également attendu sur la prévention de la transmission à son enfant. Chez les femmes qui étaient déjà sous traitement antirétroviral avant leur grossesse, il est impératif de ne pas interrompre le traitement mais le prescripteur peut dans certains cas le modifier. Toute mise sous traitement ou modification d'un traitement antirétroviral antérieur se fera en collaboration étroite avec un service médical ayant l'expérience de la prise en charge médicale de l'infection à VIH. 5. Soins intrapartum et postpartum Dans la mesure du possible, il faudra éviter toute procédure invasive, en particulier la rupture artificielle des membranes afin d'éviter une transmission du VIH au nouveau-né. Il est important de noter que les femmes infectées par le VIH qui n'ont pas consulté en prénatal et se présentent pour l'accouchement ou juste après celui-ci doivent bénéficier immédiatement du traitement court (par exemple névirapine en dose unique chez la parturiente et son bébé). Il a été démontré que la seule composante postnatale administrée au nouveau né dans les 48 premières heures de vie peut encore être d'une certaine efficacité, même si elle est la seule à avoir pu être administrée. 6. Conseils concernant l'alimentation du nourrisson Ce point d'une grande importance mérite d'être traité en détail dans l'article "Les dilemmes de la transmission du VIH-1 par l'allaitement maternel" 7. Conseils concernant la contraception Toutes les options contraceptives, y compris les barrières, devront être discutées avant que la mère ne quitte la maternité. On n'oubliera pas que certains antirétroviraux, tels les inhibiteurs de protéase, peuvent réduire la biodisponibilité de certains composants des contraceptifs oraux, tel l'ethinyl oestradiol et donc compromettre leur efficacité. On retiendra aussi que chez certaines femmes infectées par le VIH, le risque de contracter des infections sexuellement transmises (IST) associé à un risque accru d'inflammation pelvienne peut proscrire l'usage d'un dispositif intra-utérin. Dans tous les cas, l'on peut recommander le préservatif masculin ou le préservatif féminin. 8. Place de la césarienne Dans les pays industrialisés, la prophylaxie antirétrovirale est très souvent associée à la proposition d'une césarienne programmée. Il a été montré que cette dernière, qui soustrait le nouveau-né à l'exposition aux sécrétions génitales de sa mère, a un effet synergique avec l'usage des antirétroviraux, et comme résultante des taux de transmission souvent inférieurs à 2 %. L'application de la césarienne programmée se heurte dans les pays en développement à une fréquence beaucoup plus élevée que dans les pays industrialisés de complications maternelles (complications opératoires, infections, etc.) entraînant une augmentation de la morbidité et de la mortalité des mères, principalement en présence d'une infection par le VIH. Il est cependant cohérent de penser qu'une césarienne programmée pourra être proposée, en complément d'un traitement court par des antirétroviraux, dans les contextes où celle-ci peut être réalisée dans de bonnes conditions techniques et sans déstabiliser les systèmes de dispensation des soins. III. Perspectives Une analyse récente de deux essais cliniques a montré une considérable différence d'efficacité préventive du traitement selon le stade d'immunodéficience de la mère. Chez les mères ayant plus de 500 lymphocytes CD4/mm3, le traitement périnatal à la Zidovudine® (AZT) réduit de 60 % les cas de transmission à 24 mois, malgré la pratique courante de l'allaitement maternel (taux de transmission de 9,1 % dans le groupe traité versus 22,0 % dans le groupe placebo). A l'inverse, chez les mères ayant moins de 500 lymphocytes CD4/mm3, le traitement périnatal à la Zidovudine® est inefficace à prévenir la transmission à 24 mois. Si ces données sont confirmées par d'autres, elles devraient impliquer l'adjonction d'une étape sélective supplémentaire : les mères devraient bénéficier d'une numération des lymphocytes CD4+. Il existe actuellement des techniques alternatives et peu coûteuses qui permettent une mesure fiable de ce paramètre dans des laboratoires périphériques. Les résultats orienteraient la stratégie, soit vers une prophylaxie de type traitement court (pour les mères ayant plus de 500 lymphocytes CD4/mm3), soit vers un traitement maternel de type trithérapie au long cours pour les mères ayant moins de 500 lymphocytes CD4/mm3. Il pourrait s'agir d'une opportunité pour intégrer prévention et traitement, tant il est vrai qu'une mère infectée par le VIH, devant recevoir un traitement antirétroviral important pour sa propre santé, ne devrait en aucune façon en être privée. L'autre opportunité qui devrait être saisie, dans le cadre de la synergie entre prévention et traitement, est de considérer le cercle familial comme un ensemble solidaire. L'introduction d'un traitement antirétroviral chez la mère et/ou l'enfant devrait servir de point d'entrée pour un accès équitable aux antirétroviraux chez le conjoint et les autres enfants de la fratrie qui, le cas échéant, en auraient besoin. IV. Conclusion L'accès, pour toutes les femmes, aux soins prénatals et obstétricaux d'urgence demeure l'objectif principal pour l'amélioration de la santé maternelle et infantile. Le renforcement de ces services pourrait être réalisé par un ensemble minimum de services prénatals et obstétricaux, incluant des interventions destinées à réduire le risque infectieux (utilisation de microbicides vaginaux, traitement des IST, traitement et prophylaxie du paludisme, vaccination antitétanique ... ) et nutritionnel (supplément en multivitamine, fer et acide folique). Enfin, il est important de rappeler que les progrès récents dans le domaine de la prévention de la transmission mère-enfant du VIH-1 ne doivent pas reléguer la prévention primaire au second plan : la priorité des priorités dans ce domaine reste de prévenir l'acquisition de l'infection par le VIH. Développement et Santé, n°162, décembre 2002