Projet commun Femmes Solidaires et Karera-Gamissa de lutte contre les MGF en région Afar d'Ethiopie

Par Aïcha Dabalé Vice-présidente de l'association Excision, parlons-en !

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La pratique de l’excision est antérieure au judaïsme, au christianisme et à l’islam : on a en effet retrouvé des momies excisées en Egypte.
Dans la Corne de l’Afrique, deux pratiques coexistent actuellement : l’excision et l’infibulation, celle-ci étant la forme radicale des mutilations génitales féminines (MGF). En Somalie, où l’infibulation est généralisée, vingt années de révolution n’ont pas pu mettre fin à ces pratiques. En Éthiopie, l’excision est pratiquée par les adeptes de toutes les religions - animiste, juive, chrétienne et musulmane -, l’infibulation est spécifique aux Afars et aux Somalis.
L'expérience de lutte contre les MGF dont il est question ici est menée en région afar d’Ethiopie où 98 % des petites filles sont excisées et infibulées. Il s’agit d’une région laissée pour compte et en marge du développement, et où les facteurs négatifs (maladies, mortalité infantile, nombreux décès en couches, famine, sécheresse, soif) l'emportent sur les facteurs positifs.
Dans cette région d’Éthiopie, les conséquences des MGF s'ajoutent à ces facteurs négatifs et sont désastreuses sur le plan de la santé des femmes et ce, tout au long de leur vie

Le marrainage : une idée des femmes pour aider d’autres femmes

Un projet de marrainage a été mis en place par Femmes Solidaires (à travers ses 180 comités) pour les petites filles non excisées que les mères avaient réussi à soustraire à ces pratiques.
Cette idée de marrainage - une idée de femmes pour aider d’autres femmes - est née des échanges et des dialogues entre des femmes pionnières de cette région et Femmes Solidaires. Son but est de soutenir ces femmes courageuses qui résistent à la pression de la société, à contre-courant, en s'opposant à l'excision et à l'infibulation, et tournent le dos à ces traditions néfastes.
Plusieurs facteurs ont contribué à cette prise de conscience : d'abord la volonté d'une poignée de femmes qui se sont juré de ne plus jamais faire cela à leurs filles ; leurs initiatives ont été confortées et même encouragées par les religieux qui ont proclamé que les MGF étaient contraires aux préceptes de l'islam. L’argument selon lequel les filles saoudiennes ne sont pas excisées est imparable.
Au-delà des souffrances inouïes infligées aux petites filles, ce sont les problèmes de santé qui ont emporté la conviction chez les mamans qui refusent que leurs filles soient excisées.

Les filles et les femmes de condition modeste, qui vivent dans les campagnes les plus reculées et ne bénéficient pas de la proximité d’une structure sanitaire, sont les plus exposées aux méfaits des mutilations sexuelles. Les petites filles meurent parfois en raison d'une banale rétention urinaire.
Rappelons aussi que, dans cette région, la mortalité en couches est très élevée, à tel point que le recensement officiel fait ressortir qu'il y a plus d'hommes que de femmes parmi la population Afar.

Les MGF causes de mortalité des femmes Afar au cours de l’accouchement

Le docteur Claude-Emile Tourné, obstétricien qui, à l’occasion de plusieurs voyages, a parcouru le pays afar et examiné de nombreuses femmes enceintes, a décrit la situation des femmes de cette région de la manière suivante : «Les femmes du pays Afar éthiopien sont sujettes à une morbidité et à une mortalité extrêmement élevées. Selon les études démographiques menées par le gouvernement éthiopien, la population de l’état régional Afar était de 1 390 000 personnes en 2007, avec une répartition par sexe de 775 117 hommes pour 615 156 femmes. Ce déséquilibre démographique représente globalement un déficit de 160 000 femmes par rapport au sex ratio naturel, quasiment à parité. Ce déséquilibre est particulièrement flagrant dans la zone 5 (sultanat de Dawwe) où il manque une femme sur quatre»
Toujours selon le Dr Tourné, « les femmes enceintes sont essentiellement sujettes à une anémie, aggravée par les infections urinaires secondaires aux MGF majeures qu’elles subissent dans l’enfance…. La moindre hémorragie au cours de l’accouchement est alors mortelle ». Il ajoute que « La première cause de mortalité dans l’enfance, et avant même la période de reproduction, est la pratique des Mutilations Génitales Féminines, qui prend la forme, en pays Afar, de la MGF dite « pharaonique » Les conditions de réalisation de cette mutilation constituent la première cause (dans le temps) de morbi-mortalité par hémorragie, choc, infection locale et générale ».
En région Afar, la période d'accouchement est particulièrement crainte : avant de se préparer à l'accouchement, la femme met en ordre toutes ses affaires, s'acquitte de ses dettes, comme si elle se préparait à la mort.
La première prière chez les Afar concerne la femme enceinte, on implore Dieu pour que l'accouchée reste en vie « ULLA Tasalamay », que Dieu bénisse la femme en train d'accoucher.
C'est après avoir constaté toutes ces dimensions des MGF dans cette région que Femmes Solidaires a voulu encourager les efforts de ces femmes, les accompagner, les soutenir, comme elle menait déjà en France des campagnes de sensibilisation contre les méfaits des excisions.
Le Marrainage consiste à aider la famille : chaque fille non excisée aura une marraine qui lui donnera 15 € par mois pour lui permettre d'être scolarisée et valorisée dans le village. Elle peut ainsi braver le sobriquet de « Kimbidalé », de porteuse de clitoris, et faire face à sa mise à l'index et à sa marginalisation. A charge pour la famille de ne pas exciser la petite fille et de la scolariser.
Sur place, une ONG partenaire, Karera -Gamissa, est référente et en charge des visites aux familles à qui elle allouera l'argent du marrainage.
Le volet contrôle est régulièrement assuré afin d’évaluer la santé des petites filles et de vérifier leur intégrité. Une jeune fille, marrainée depuis le début du projet, a donné naissance à une petite fille. C'est une première dans le village. Toutes les femmes ont assisté à l'accouchement et ont constaté qu'il n'y avait pas d'hémorragie ni de déchirure ! La maman et sa petite fille sont appelées dans le village « les deux clitoris ».

Cercle vertueux

Toutes ces filles marrainées sont aujourd'hui scolarisées. C'est en ce sens que l'on peut parler de cercle vertueux.
Grâce à ce projet, ces filles, qui ont conquis la pleine possession de leur corps, peuvent espérer maîtriser leur destin en accédant à l'école.
Mais plus généralement, les discussions et les échanges suscités par ce projet entre les personnes venues d'autres horizons et les femmes Afar de la région ont permis à ces dernières de s'ouvrir aux idées nouvelles, comme l'importance de l'éducation des filles.

De la même manière qu'elles ont échappé aux MGF, ces filles découvrent qu'il n’y a pas de fatalité : elles ne doivent pas être assignées à vie à des corvées d'eau ou à des gardiennages des chèvres.

Ces expériences sont aussi une formidable opportunité, pour ces femmes isolées et enclavées, de prendre conscience du fait qu'elles peuvent acquérir une autonomie, en s'adonnant à des activités lucratives : artisanat, commerce de petit bétail etc. Ces échanges avec des personnes d'autres civilisations leur permettent aussi de mieux résister aux offensives dévastatrices de la doctrine wahabite véhiculées à grand renfort de petro dollars, et qui veulent réduire les femmes au simple rôle d'objet. Le wahabisme a pour vocation de faire table rase des traditions et veut ici faire fi des expériences humaines de plusieurs siècles où la mixité s'illustre dans les chants, danses et joutes oratoires du soir.
Ces expériences sont d'ores et déjà une réussite dans la mesure où elles ont pu consolider les luttes anti-MGF menées par une poignée de femmes courageuses. Elles ont même permis d’élargir le champ d'action des luttes contre l'excision et l'infibulation. Elles doivent continuer, s'étendre et être complétées par le volet microcrédit pour donner une réelle autonomie aux femmes, afin d'amorcer un développement équilibré.

Le projet marrainage peut constituer un exemple de luttes contre les MGF dans les sociétés rurales où les traditions sont fortement ancrées et qui sont réfractaires à l'abandon de l'excision et de l’infibulation.