Laboratoire et anémie

Par Françoise Balédent Biologiste, Centre Hospitalier de Saint-Denis (93), France.

Publié le

L'anémie est une anomalie très fréquente, associée à de très nombreuses maladies. Devant une pâleur, le laboratoire permet de confirmer une anémie et d'en appré­cier l'intensité, mais également d'apporter une orientation diagnostique.

I. Rappel physiologique

Le globule rouge (GR) est une cellule sanguine, sans noyau, ayant à l'état normal, la forme d'un disque biconcave d'environ 7 µm de dia­mètre.

Sa fabrication est médullaire, à partir des érythroblastes, la dernière étape étant la formation du réticulocyte. Cette synthèse dure 7 jours.

Sa durée de vie dans le sang est normalement de 120 jours.

Sa fonction est de transporter l'oxygène du poumon vers les tissus, grâce à l'hémoglobine qu'il renferme.

II. Exploration d'une anémie

L'anémie est définie par la diminution du taux d'hémoglobine par unité de volume de sang, en dessous des normes physiologiques.

On parle d'anémie en dessous de :

  • 14 g d'hémoglobine pour 100 ml de sang chez le nouveau-né,
  • 13 g d'hémoglobine pour 100 ml de sang chez l'homme adulte,
  • 12 g d'hémoglobine pour 100 ml de sang chez la femme adulte.

Il faut cependant se méfier des "fausses ané­mies", par dilution, comme c'est le cas au cours de la grossesse, de la cirrhose, ou des volumineuses splénomégalies.

Deux analyses permettent l'étude des GR au laboratoire : l'hémogramme et la numération des réticulocytes.

1. L'hémogramme

Il est réalisé à partir d'un prélèvement effectué sur anticoagulant (EDTA), veineux chez l'adul­te ou capillaire chez le petit enfant. Il comporte deux types d'analyses :

  • l'analyse quantitative des éléments,
  • l'examen morphologique des cellules.

a) L'analyse quantitative comporte l'étu­de de trois valeurs

La numération des hématies ou nombre de globules rouges par mm3.

Elle peut s'effectuer en cellules de Mallassez (tableau 1, et D.S.n°148) ou par des comp­teurs ou automates permettant la mesure simultanée de plusieurs paramètres.
Valeurs normales :

  • chez le nouveau-né : 5 à 6 x106/mm3 (ou x 1012/litre),
  • chez la femme et l'enfant : 4 à 5,4 x 106 /mm3,
  • chez l'homme : 4.5 à 6 x 106/mm3.

Le taux d'hémoglobine exprimé en g/100ml de sang

Les méthodes classiques reposent sur la trans­formation de l'hémoglobine et tous ses dérivés par un réactif à base d'acide cyanhydrique, en cyanméthémoglobine, qui est mesurée sur un spectrophotomètre.
Quand on ne dispose pas d'automate, la méthode de Sahli (tableau 2) permet une éva­luation en g/100ml.
Les automates permettent une mesure plus précise.

Valeurs normales :

  • nouveau-né : 14 à 20 g/100ml
  • femme et enfant : 12 à 16 g/100ml
  • homme : 13 à 18 g/100ml

L'hématocrite ou fraction de volume éry­throcytaire exprimé en %.

La centrifugation d'un petit volume de sang dans un tube gradué permet la lecture directe des volumes relatifs du plasma et des globules rouges (les autres cellules forment une couche le plus souvent très mince à la surface des GR). La mesure s'effectue dans des microtubes cen­trifugés à grande vitesse.
Dans les compteurs automatiques, l'hémato­crite est calculé.
Valeurs normales :

  • nouveau-né : 44 à 62 %
  • femme et enfant : 35 à 47 %
  • homme : 40 à 54 %

Ces trois valeurs peuvent évoluer de façon dis­sociée et permettent une orientation diagnos­tique de l'anémie.

Elles permettent d'autre part de calculer les constantes érythrocytaires :

Le volume globulaire moyen des globules rouges (VGM)

        VGM =  hématocrite         exprimé en µ (ou en fl = femtolitre)  
                  ------------------  
                   nombre de GR

Interprétation :

  • VGM normal = 85 à 95 µ3 : normocytose (hématies de taille normale)
  • VGM < 85 µ3: microcytose (taille diminuée des hématies)
  • VGM > 95 µ3 : macrocytose (taille augmentée des hématies)

La concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine (CCMH)

CCMH = hémoglobine exprimé en %

          hématocrite

Interprétation :

  • CCMH normale = 32 à 36 % : l'anémie est normochrome
  • CCMH < 32 % : la concentration en hémoglobine est plus faible et l'anémie est hypochrome.
  • Il n'y a pas d'hyperchromie (si la CCMH est > 36 ou 37 %, il s'agit vrai­semblablement d'une erreur technique ou d'un problème de prélèvement : agglutinines froides...).

La teneur corpusculaire moyenne en hémoglobine (TCMH) a moins d'intérêt physiologique que la CCMH ou le VGM. Elle indique le poids moyen d'hémoglobine par GR.

TCMH = hémoglobine exprimé en gamma (ou en pg = picogramme)

        nombre de GR

La valeur normale le la TCMH est de 29 plus ou moins 2 gamma.
Ainsi :

  • Le taux d'hémoglobine définit l'anémie et son degré de gravité.
  • Les constantes permettent de mieux préciser les caractères de cette anémie (normochrome normocytaire, hypochrome macrocytaire...).

b) l'analyse morphologique permet par­fois à elle seule d'établir un diagnostic

Exemples :

  • drépanocytose avec présence d'hématies falciformes (drépanocytes) ;
  • paludisme avec présence de Plasmodium à l'intérieur des hématies.

Dans d'autres cas, la morphologie ne constitue qu'un élément d'orientation supplémentaire (cf. D.S. n°161).

Tableau 2 : méthode de Sahli à l'hématine acide
L'hémoglobinomètre de Sahli consiste en un tube gradué monté entre deux étalons de verre coloré, une pipette calibrée et un agitateur en verre. Opérer à la lumière du jour
  • placer d'abord quelques gouttes d'acide chlorhydrique décinormal (N/10)* dans le tube jusqu'à la marque "20",
  • prélever ensuite 0,020 ml de sang au moyen de la pipette calibrée, essuyer le bout de la pipette et souffler le contenu dans l'acide,
  • rincer la pipette en aspirant et refoulant plusieurs fois le liquide ainsi obtenu,
  • attendre 5 minutes, pendant lesquelles l'hémoglobine est convertie en hématine acide,
  • ajouter ensuite de l'eau distillée goutte à goutte, avec un compte gouttes, en mélan­geant bien le contenu du tube avec la baguette en verre,
  • cesser l'addition d'eau au moment ou la couleur du contenu du tube est la même que celle des étalons en verre coloré,
  • lire alors la teneur en hémoglobine marquée sur le tube, à hauteur du fond du ménisque de liquide.
  • une graduation est en grammes pour 100 ml, l'autre en %.
\*pour obtenir de l'acide chlorhydrique décinormal, on met, avec précaution, 8,3ml d'acide chlorhydrique concentré dans un flacon de 1 litre que l'on remplit ensuite avec de l'eau distillée jusqu'à 1 litre.

2. Les réticulocytes

Les réticulocytes sont des GR jeunes qui sor­tent de la moelle osseuse. Ils sont identifiables dans le sang circulant pendant 24 heures.
On les met en évidence sur frottis de sang à l'aide de certains colorants qui font précipiter les organites cytoplasmiques (tableau 3).
Par cette technique, le nombre normal de réticulocytes est situé entre 25 000 et 100 000 par mm3, pour un taux d'hémoglobine nor­mal.

Les réticulocytes peuvent également être comptés sur certains automates (en cytométrie de flux), les valeurs normales étant alors plus élevées.

  • Un taux de réticulocytes élevé signifie que la moelle produit plus de GR et que la cause de l'anémie est une augmentation excessive des pertes, soit par saignement, soit par hémolyse : l'anémie est alors régénérative et d'origine périphérique.
  • Si les réticulocytes sont bas, on dit que l'ané­mie est arégénérative et d'origine centrale : elle correspond à une diminution de la pro­duction médullaire.

Le seul cas où le compte des réticulocytes n'a pas d'intérêt est le cas des anémies hypo­chromes et microcytaires. Il s'agit dans ce cas d'une carence en fer, et en fonction du degré de carence, les réticulocytes peuvent être élevés (au début, la moelle régénère), puis normaux, et enfin diminués (car la moelle manque de fer pour effectuer une érythropoïèse efficace).

Tableau 3 : numération des réticulocytes
Matériel Bleu de crésyl brillant
  • Dans un flacon de 50 ml, mettre 0,5 g de bleu de crésyl brillant.
  • Ajuster à 50 ml avec de l'alcool absolu, agiter, filtrer et boucher.
Méthode
  • Dégraisser une lame porte-objet à l'éther.
  • Tremper une baguette de verre dans la solution de bleu de crésyl.
  • Enduire la face supérieure de la lame avec le bleu de crésyl en passant rapidement la baguette à sa surface.
  • Laisser sécher.
  • Prélever une petite goutte de sang, au doigt, à la face inférieure d'une lamelle couvre-objet.
  • La déposer sur la face colorée de la lame.
  • Examiner à l'immersion après dix minutes.
  • Compter mille globules rouges et déterminer le pourcentage de réticulocytes (globules rouges jeunes présentant des granulations et des filaments bleu foncé, plus ou moins disposés en réseaux).
  • Le décompte est facilité si l'on dispose d'un oculaire quadrillé.

III. Conclusion

Devant une pâleur, le laboratoire permet d'ap­porter plusieurs éléments :

  • il existe ou non une anémie ;
  • elle est importante ou non ;
  • le frottis apporte ou non un diagnostic ;
  • si l'anémie est microcytaire et hypochrome : penser à une carence en fer ;
  • dans tous les autres cas le nombre de réticu­locytes permet de préciser si l'origine de l'anémie est périphérique (hémorragie ou hémolyse) ou centrale (la moelle ne produit plus assez de GR).

Développement et Santé, n°183, 2006