Comportement des mères africaines face à la prescription de médicaments aux enfants malades

Par 0. Wembonyama

Publié le

Comportement des mères africaines face à la prescription de médicaments aux enfants malades par 0. Wembonyama Professeur de pédiatrie, Université de Mbujimayi, Directeur du Centre de L'Enfant Africain, République Démocratique du Congo. Parmi les facteurs qui conditionnent une prise en charge sérieuse de l'enfant malade, en dehors d'un bon interrogatoire, d'un examen clinique minutieux et éventuellement de quelques examens paracliniques justifiés, le bon suivi de la prescription médicale par les parents demeure indispensable. Or, trop souvent, on constate que les traitements prescrits ne sont pas suivis correctement. Pour améliorer le comportement des mères africaines face à la prescription de médicaments, il est nécessaire de commencer par analyser les principales raisons des échecs constatés. Une première cause apparaît avec évidence la trop grande rapidité de la consultation. C'est pourtant là la meilleure occasion d'informer et d'éduquer la mère. Lorsque les consultations destinées aux enfants sont encombrées, le médecin ne dispose que de quelques minutes par enfant, et pourtant il faut du temps pour interroger, examiner, prescrire, expliquer à la maman le diagnostic probable et les modalités de prise du ou des médicaments. Du temps pour lui faire répéter, afin de s'assurer qu'elle a bien compris les recommandations. Le médecin devra aussi aller contre les idées reçues et expliquer pourquoi elles sont fausses et dangereuses. Le médecin qui ne dispose pas du temps nécessaire pour s'entretenir avec la mère passe à côté de l'essentiel. Son traitement, bien pensé, risque de ne pas être suivi et il y aura donc moins de chances que l'enfant malade guérisse. La prescription L'information et les explications doivent porter sur : Les médicaments prescrits sur l'ordonnance L'image d'un bon médecin est perçue par l'opinion publique à travers une ordonnance chargée. Il faut lutter contre cette idée reçue. En effet, le nombre de médicaments à coucher sur l'ordonnance doit tenir compte des disponibilités financières des parents. La prescription doit se limiter à un ou deux médicaments absolument indispensables. Par exemple, lorsque l'ordonnance comprend quatre produits, les parents s'en procurent deux parmi les moins chers avec la satisfaction de s'être procurés la moitié des médicaments prescrits. Si le produit indispensable coûte plus cher (c'est souvent le cas), les parents le délaissent au profit de ceux dont le coût est plus abordable. De plus, les interactions entre les médicaments sont très fréquentes, elles sont souvent dangereuses, c'est là une raison de plus pour limiter l'ordonnance à deux médicaments. La posologie Plus le niveau d'instruction de la mère est faible, plus la posologie est difficile à respecter rigoureusement. Certaines mamans sont analphabètes, très peu retiennent les doses exactes prescrites. Elles font appel à leur souvenir, surtout lorsqu'elles ont déjà utilisé le même produit pour un autre enfant, ou bien parfois suivent les conseils d'une voisine. Le personnel du dispensaire ou le pharmacien peuvent prendre le relais des indications données par le médecin et expliquer qu'il ne faut pas augmenter les doses si l'amélioration de l'état général n'est pas obtenue. Le rythme d'administration Il faut expliquer les risques d'intoxication si l'on ne respecte pas le rythme prescrit. Par exemple si la mère est peu disponible et peu éduquée, elle ne verra pas le danger encouru si elle donne la totalité des doses de 24 heures en une fois, parfois afin d'éviter d'oublier, ou pour être moins gênée dans ses activités. Les effets secondaires Il faut prendre le temps nécessaire pour bien les expliquer. L'avertissement sur les effets secondaires d'un médicament est une arme à double tranchant. Les mamans peuvent mal comprendre, ne retenir que les dangers présentés par le médicament, et laisser de côté les effets bénéfiques. En revanche, lorsque le produit a bonne réputation (et c'est le plus souvent le cas), la prise en compte des effets secondaires néfastes est négligée. Le médecin doit évidemment s'informer au cours de l'interrogatoire des allergies éventuelles de l'enfant, et repérer les contre-indications. Il faut alerter la mère sur la nécessité de revoir le médecin si un effet secondaire inquiétant se manifeste. La durée du traitement Le médecin doit attirer l'attention des parents sur la nécessité de poursuivre le traitement dans les délais indiqués, et sur les conséquences fâcheuses que peut occasionner un abandon précoce du traitement. Celui-ci est trop souvent arrêté dès que l'amélioration clinique se manifeste. Le personnel soignant doit aussi expliquer que la majorité des médicaments n'agit pas immédiatement. Le médecin doit veiller à obtenir des mères le respect des prescriptions quant à la posologie, à la voie et au rythme d'administration. Les associations de médicaments sont parfois nécessaires, mais au-delà de trois médicaments, l'expérience montre qu'il est très difficile, dans un milieu socio-économique défavorable, avec un faible niveau d'instruction, d'observer à la lettre les recommandations du médecin, surtout si à chaque médicament correspond un rythme d'administration différent. L'exemple suivant d'un enfant souffrant de paludisme est significatif de la difficulté d'exécuter correctement une ordonnance : il s'agit de donner à l'enfant de la chloroquine sirop, deux cuillerées à café par jour matin et soir pendant deux jours, ensuite de passer à deux cuillerées à café une fois par jour le matin pendant un jour. Administrer en même temps un suppositoire antipyrétique en cas de température supérieure à 38,5°C avec recommandation de ne pas dépasser trois suppositoires par ' jour. Comme l'enfant tousse, il faut lui administrer un sirop contre la toux au rythme d'une cuillerée à café matin, midi, et soir. Les résultats sont très décevants : 68 % des mères, selon notre expérience, sont incapables d'exécuter cette ordonnance. Les relais de l'information Dans le travail d'information et d'explication auprès des mères, le médecin se donne des auxiliaires : L'intervention du père Lorsqu'un père instruit intervient dans le processus, les résultats sont en général meilleurs. Malheureusement, celui-ci accompagne peu souvent sa femme à la consultation et s'intéresse rarement à l'état de santé de l'enfant laissé à la seule charge de sa mère. Les infirmiers et le personnel des dispensaires On l'a vu, ils ont un rôle indispensable d'éducateurs en matière de santé. Il doivent avoir l'honnêteté de reconnaître leurs limites et en référer à un médecin quand leurs compétences sont insuffisantes. Les pharmaciens Ils ont aussi un rôle de conseillers. Ils peuvent renouveler les explications et insister sur la posologie et les rythmes d'administration. Ils ne doivent délivrer que des ordonnances conformes, refuser les prescriptions fantaisistes et les demandes verbales irrationnelles des parents. Les médecins, les infirmiers, les pharmaciens doivent mener un même combat contre les idées fausses. Par exemple, les vitamines sont réputées donner de la force et sont plus demandées que les protéines dans la lutte ou la prévention des carences protéino-caloriques. Les vitamines, les sirops d'hémoglobine et les toniques s'achètent librement sans ordonnance. Les parents dépensent une fortune pour se procurer des médicaments réputés fortifiants ou provoquant une augmentation du taux d'hémoglobine, alors qu'avec la même somme, il est facile de couvrir les besoins de l'enfant en aliments nutritifs tels que viande, poisson et oeufs. On peut déplorer, à ce sujet, le rôle joué par les firmes pharmaceutiques dans la publicité faite en faveur des vitamines, toniques, et sirop d'hémoglobine. Tous ces éducateurs en matière de santé doivent donc informer sur l'efficacité douteuse de certains médicaments et aussi sur les dangers de l'automédication, en particulier celle qui consiste en l'achat de médicaments sur les places publiques... Ils doivent alerter sur le nécessaire respect des dates de péremption. Beaucoup de mamans démarrent un traitement avec un fond de bouteille entamée depuis plusieurs mois sans consulter les professionnels compétents. Conclusion Le médecin en tant que premier prescripteur engage sa responsabilité en ce qui concerne le contenu et la longueur des ordonnances, et le temps consacré aux explications à donner aux parents. Il lui revient de bien connaître les médicaments afin de renseigner correctement les parents et de simplifier le message sans le dénaturer. La maman joue un rôle important dans la réussite des soins administrés à l'enfant. Le renforcement de ses connaissances en matière de posologie, rythme d'administration des médicaments et surveillance de la prescription est indispensable. Le personnel médical et sanitaire doit participer activement à l'information et à la formation des mères. Il est bien évident que l'élévation globale du niveau d'instruction des mères, ainsi que l'amélioration des conditions socio-économiques sont indispensables, mais cela relève de la responsabilité des pouvoirs publics. Développement et Santé, n°135, juin 1998