Le diagnostic de thrombose veineuse par échographie ou par écho-doppler

Par Marie-Thérèse Barrellier Laboratoire d'Explorations Fonctionnelles - CHU Côte de Nacre - 14033 CAEN cedex e.mail : [email protected]

Publié le

L'écho-doppler (ED) associe une imagerie doppler des flux circulants à une imagerie échographiques des structures fixes. Alors que le doppler couplé est indispensable en exploration artérielle, l'échographie mode B sans doppler couplé peut suffire pour le diagnostic de thrombose veineuse.

Bien que l'ED ait remplacé dans la pratique la phlébographie pour le diagnostic de thrombose, il n'est cependant pas devenu pour autant l'examen de référence pour juger de l'efficacité de nouvelles molécules anti-thrombotiques du fait de 3 handicaps principaux : le caractère opérateur-dépendant, une sensibilité réputée mauvaise pour le diagnostic de thrombose asymptomatique, et l'absence de document objectif qui autoriserait une relecture facile de l'ensemble de l'exploration. Ces handicaps peuvent être surmontés en utilisant une bonne méthodologie d'exploration et en présentant les résultats sur un schéma anatomique.

I. Méthodologie d'examen

L'exploration concerne toujours les deux membres inférieurs ; elle est conduite en trois étapes : étage crural, étage ilio-cave et étage sural. Elle est menée en coupe transversale, à l'exception de l'étage iliaque où le repérage des axes vasculaires est facilité par des coupes longitudinales. La durée de l'exploration est en moyenne de 20 à 45 minutes.

1. Position du malade

Pour l'étage crural et iliaque, le malade est en décubitus dorsal dans le lit ou sur la table d'examen, buste légèrement surélevé, jambes en abduction et rotation externe (position de la grenouille).

Pour l'étage sural, le positionnement du malade et de l'opérateur sont essentiels et sont la condition sine qua non pour un examen performant. Le malade est placé en travers du lit, jambes hors du lit, en position déclive, pieds reposant sur les genoux de l'opérateur assis en contrebas (Figure 1). Ainsi les veines surales sont bien remplies, bien localisées et accessibles sous toutes les incidences.

Dans ces conditions, l'ED devient un outil de dépistage fiable dont la sensibilité atteint 92 % pour des thromboses distales isolées avec une reproductibilité correcte. L'ED peut alors devenir plus sensible que la phlébographie en particulier en dépistage de thromboses asymptomatiques.

2. Conduite de l'exploration

L'examen est mené, des 2 côtés de façon comparative, étage par étage, si possible successivement avec 2 sondes, l'une pour le réseau profond, de 3,5 à 5 MHz, l'autre pour le réseau superficiel, de 5 à 10 MHz. Le réseau musculaire est exploré avec l'une et/ou l'autre des sondes en fonction de la corpulence du malade.

a) Etage crural

La sonde est placée verticalement sur le pli inguinal et balaye doucement en coupe transversale toute cette zone de part et d'autre du pli inguinal, au membre inférieur gauche puis au membre inférieur droit. Tous les éléments du confluent veineux fémoral doivent être identifiés et leur bonne compressibilité vérifiée sous la pression de la sonde : fémorale commune, crosse grande saphène, circonflexes, fémorales superficielles, fémorale profonde. La veine grande saphène, gauche puis droite, est suivie sur tout son trajet à la face interne de cuisse, et testée en coupe transversale depuis la crosse jusqu'au genou.

De la même façon, sont testées en coupe transversale à gauche puis à droite, les veines fémorales superficielles et fémorales profondes, jusqu'au dessus du genou en faisant, à partir du 1/3 moyen de cuisse, une contre-pression à la face postérieure de la cuisse avec la main qui ne tient pas la sonde.

b) Etage ilio-cave

L'exploration ilio-cave est la plus difficile en raison de l'interposition fréquente de gaz intestinaux empêchant le passage des ultrasons. Faute d'un mur d'appui postérieur, il est le plus souvent impossible de tester la compressibilité veineuse dans le fond de la concavité iliaque. A cet étage, les critères doppler remplacent donc avantageusement les critères échographiques.

La sonde est placée, verticale, un peu au dessus du pli inguinal. Elle est légèrement soulevée, pour ne pas écraser, du fait de son propre poids, l'axe veineux sous l'arcade crurale. Les flux doppler sont captés sur le versant iliaque de la jonction fémoro-iliaque vue en coupe longitudinale, (angle de tir proche de l'axe veineux exploré) : ils doivent être rythmés par la respiration et symétriques.

Puis, la sonde est placée latéralement le long de l'aile iliaque, en tentant de s'insinuer sous les anses intestinales pour s'approcher des vaisseaux. Elle cherche à repérer, en coupe longitudinale, les 2 axes vasculaires, la veine iliaque, souple, en dessous de l'artère battante, et qui dessinent 2 courbes à concavité ventrale, parallèles à la concavité sacrée. La confluence avec l'iliaque interne (ou hypogastrique) est recherchée dans le fond de cette concavité. Tous ces axes sont beaucoup plus facilement repérés avec le doppler couleur. En l'absence de doppler couleur, les flux peuvent être écoutés tout le long de la concavité iliaque au doppler pulsé.

La veine cave inférieure est testée en coupe transversale au-dessus de l'ombilic.

c) Etage sural

Après avoir bien positionné le malade (Figure 1), la sonde est placée au creux poplité en coupe transversale puis remontée de quelques centimètres, au dessus du pli poplité pour tester la jonction poplité-fémorale et la fémorale superficielle basse. La sonde est ensuite descendue doucement en coupe transversale le long du creux poplité pour tester tous les centimètres, l'axe poplité, le confluent saphèno-poplité, le confluent avec les veines jumelles, et le tronc tibio-péronier. Puis l'exploration surale est menée plan par plan (Figure 2) :

  • le plan des veines profondes collectrices, tibiales postérieures, et péronières, le plus profond, situé près des deux os de jambe
  • le plan des veines superficielles dans le tissu cellulaire sous-cutané ou dans un dédoublement aponévrotique,
  • et enfin le plan du triceps sural et ses nombreuses affluents musculaires, jumelles et soléaires, situés en position intermédiaire.

Pour chacun des plans et pour chacun des muscles (jumeaux et soléaire), la sonde parcourt le mollet depuis le pli poplité jusqu'à la cheville. Pour l'exploration des veines péronières avec une sonde barrette, il faut choisir une incidence évitant que le relief osseux du péroné ne protège les veines péronières de la compression par la sonde, en positionnant la sonde à la face interne de jambe de façon à ce que les axes tibiaux postérieurs et péroniers soient sur une même ligne parallèlement à la sonde (Figure 2).

Il. Résultats normaux

Les veines sont recherchées à proximité des artères qui sont repérées sur leur caractère pulsatile. Une veine normale en coupe transversale apparent comme une surface elliptique hypoéchogène, plus ou moins aplatie, à paroi fine et souple facilement et complètement compressible sous la pression de la sonde. Durant la compression, seule l'artère, battante doit rester visible.

Les veines sont souvent disposées par paires, de part et d'autre de l'artère correspondante en particulier à l'étage sural. La veine poplitée est dédoublée dans 30 à 40 % des cas et la fémorale superficielle dans environ 20 % des cas.

A l'écoute doppler, le flux veineux est comparé à un bruit de vent dans les arbres. Il est normalement rythmé par la respiration et s'accélère brutalement sous l'effet d'une manoeuvre de chasse veineuse comme la compression de la voûte plantaire, ou celle des masses musculaires du mollet ou de la cuisse. Dans le fond de la concavité iliaque, le flux iliaque interne arrive de la profondeur et se dirige vers la sonde. La veine iliaque commune gauche a un aspect en bec de flûte, dans la pince physiologique entre le rachis en arrière et l'artère iliaque en avant.

III. Résultats pathologiques

1. Critères diagnostiques de thrombose veineuse

Les deux critères diagnostiques principaux sont échographiques

  • Le premier critère est l'incompressibilité veineuse sous la pression de la sonde en coupe transversale ou sous l'effet d'une contre-pression manuelle exercée à l'arrière des masses musculaires face à la sonde.
  • Le deuxième critère est la visualisation directe du thrombus dans la lumière veineuse. Il n'est pas toujours présent car l'échogénicité d'un thrombus est variable et parfois identique à celle du sang circulant.

Les critères secondaires sont

  • Une augmentation du calibre veineux,
  • L'absence de flux doppler (pulsé ou couleur) ou la présence d'un flux coloré moulant les contours du thrombus en doppler couleur.

La présence d'échos de stase en fémorale commune, la perte de la modulation respiratoire, ou une difficulté à comprimer l'axe fémoral pourtant perméable, constituent un signe d'alerte amenant à rechercher plus attentivement un obstacle en iliaque ou cave avec retentissement hémodynamique et hypertension veineuse en amont de l'obstacle. La thrombose iliaque gauche en particulier iliaque interne est une localisation préférentielle de la jeune femme sous contraception orale ou en période péri-obstétricale, et souvent découverte à l'occasion d'un épisode embouque initial.

Séquelles de thromboses

Le diagnostic de séquelles de thrombose est établi sur un faisceau d'arguments échographiques et doppler. Les séquelles échographiques sont la présence d'un épaississement pariétal, de résidus endoluminaux, ou bien la disparition d'un axe, qui s'est fibrosé, et qui est remplacé par une collatéralité de suppléance, peri-poplitée et/ou peri-fémorale. La présence d'une collatéralité sus-pubienne entre crosses grandes saphènes signe un antécédent de thrombose iliaque. Les séquelles doppler sont la présence d'un reflux par dévalvulation lors de la reperméation.

Récidive

Le diagnostic de récidive sur séquelles est très difficile. Il nécessite d'avoir un document de référence établi à l'arrêt du traitement avec localisation, mensuration des thromboses résiduelles et des épaississements pariétaux. La récidive est affirmée sur une augmentation de ces diamètres par rapport au document de référence.

IV. Compte-rendu

Le compte-rendu gagne à être présenté sur un schéma anatomique (Figure 3) sur lequel sont reportés en noir les segments thrombosés avec le diamètre antéro-postérieur maximum du thrombus mesuré en compression (en mm). De la même façon sont reportées les séquelles de thromboses: résidus endo-luminaux et épaississements pariétaux avec leurs mensurations, reflux figurés par une flèche descendante, ou réseaux de collatéralité. Afin de ne pas surcharger le schéma cadre, les thromboses de veines soléaires sont ajoutées manuellement sur le schéma, se dirigeant selon les cas, tantôt vers les veines péronières tantôt vers les tibiales postérieures.

Un logiciel a été récemment mis au point qui permet d'avoir un compte-rendu informatisé avec un schéma anatomique et une exploitation statistique instantanée de la base de données ainsi constituée au fil des explorations.

V. Les atouts de l'écho-doppler

L'ED permet le diagnostic de thrombose localisée aux affluents musculaires habituellement manquée par la phlébographie car le produit de contraste chemine au fil de l'eau et n'opacifie pas à contre-courant tous les affluents (Figure 4). L'ED identifie les axes dédoublés et permet le diagnostic, également souvent manqué par la phlébographie, d'une thrombose limitée à un seul des 2 chenaux. En cas de suspicion d'embolie pulmonaire et en cas d'embolie pulmonaire confirmée, l'ED découvre le foyer emboligène dans respectivement 30 % et 80 % des cas, c'est-à-dire avec les mêmes fréquences que celles obtenues avec la phlébographie.

L'ED enfin peut découvrir un diagnostic différentiel ou fortuit dans 10 à 15 % des cas : rupture du muscle plantaire grêle avec épanchement dans l'espace inter-aponévrotique entre muscle jumeau interne et soléaire, rupture partielle du tendon d'Achille, désinsertion partielle du pôle inférieur du muscle jumeau interne, kyste poplité sous tension, rompu ou fissuré, anévrisme veineux, anévrisme artériel, thrombose artérielle, athéromatose, adénopathies, ascite, reflux systolique tricuspide entendu au doppler à la jonction fémoro-iliaque témoignant d'une insuffisance cardiaque droite.

L'ED, bien qu'il n'ait pas acquis le statut d'examen de référence à la place de la phlébographie, est cependant désormais au premier plan dans le diagnostic et le suivi de la maladie thrombo-embolique veineuse.

Développement et Santé, n°164, avril 2003