Le saturnisme

Par Mady Denantes Médecin généraliste

Publié le

Le saturnisme est une intoxication aiguë ou chronique par le plomb ou ses composés.

I. Ou trouve-t-on du plomb ?

On trouve du plomb :

  • Dans l'atmosphère avec dépôt sur les sols gaz d'échappement des véhicules à moteur à essence au plomb, sources industrielles telles que les fonderies, les usines de fabrication et de recyclage de batteries.
  • Dans l'eau de boisson par le biais des canalisations en plomb et des soudures au plomb.

En France, les tuyauteries en plomb ont été interdites en 1995, les soudures en plomb en 1996.

Le passage d'une eau faiblement minéralisée dans des tuyauteries en plomb libère du plomb dans l'eau. La concentration en plomb dans l'eau est d'autant plus importante que le temps de stagnation dans les conduites a été prolongé.

  • Dans les peintures et les poussières des habitats anciens et dégradés. En France, les peintures au plomb ont été interdites aux professionnels en 1948 et aux particuliers en 1993.
  • Dans l'alimentation, par le biais de la pollution atmosphérique ou à partir de poteries renfermant du plomb ou de boîtes de conserve soudées au plomb ou à partir des plombs de chasse dans la viande.

Le plomb est absorbé puis stocké dans l'organisme au niveau de l'os. La demi-vie du plomb est de 10 à 20 ans, donc 10 à 20 ans après l'intoxication, la moitié du stock osseux est toujours présent. En cas de remaniement osseux : grossesse, lactation, fracture, ménopause... il y a relargage massif du plomb.

Il. Qui est touché ?

1) Les enfants

L'intoxication peut toucher les adultes mais les plus sensibles sont les enfants pour trois raisons :

  • ils ont une absorption digestive supérieure,
  • leur système nerveux central est en plein développement,
  • les plus jeunes portent tout à leur bouche et s'intoxiquent plus facilement avec les poussières de plomb.

2) Les femmes enceintes

La femme enceinte a pu s'intoxiquer des années plus tôt, pendant sa petite enfance. Pendant la grossesse il y a une résorption osseuse physiologique. Le plomb traverse le placenta dès le premier trimestre.

Chez le foetus, il y a un faible développement de la barrière hémato-encéphalique et une grande fragilité du système nerveux en développement.

Le foetus accumule le plomb dans son cerveau et son squelette.

L'intoxication pendant la grossesse peut provoquer des troubles de la croissance intra-utérine, une prématurité, des altérations du développement cérébral du foetus avec atteinte des fonctions cognitives et neurosensorielles (visuelles et auditives) et éventuellement d'anomalies de fermeture du tube neural avec spina-bifida et anencéphalie.

3) Les bébés nourris au sein

Là aussi, à il existe une mobilisation du plomb stocké dans l'os et donc un risque d'intoxication de l'enfant si la mère a un stock osseux de plomb constitué pendant l'enfance.

4) Les personnes âgées

Pendant la ménopause, il existe une mobilisation du plomb osseux due à une augmentation de la résorption osseuse.

5) Les travailleurs des industries à risque

III. Les symptômes et les conséquences

Dans les intoxications graves, on peut avoir une atteinte de nombreux systèmes :

  • Système nerveux central : encéphalopathie avec convulsions, hypertension intra crânienne, coma, voire décès. Les séquelles pourront être un retard psycho-moteur, une cécité, une épilepsie, une hémiparésie.

  • Le système nerveux périphérique est moins sensible, mais on peut avoir une paralysie du nerf radial.

  • Rein : pour des plombémies supérieures à 600 microgrammes/I : néphrosclérose avec néphropathie interstitielle et réduction de la filtration glomérulaire.

  • Hypertension artérielle pour des plombémies supérieures à 400 microgrammes/l.

  • Thyroïde : diminution de la capture de l'iode pour une plombémie supérieure à 600 microgrammes/l.

  • Reproduction : effet tératogène, hypofertilité en cas de plombémie supérieure à 400 microgrammes/l.

  • Cancer : risque accru de cancer bronchique et rénal pour des expositions de longue durée.

Dans les intoxications modérées

  • Les symptômes sont absents ou ne sont pas spécifiques de l'intoxication au plomb : il s'agit de signes digestifs : douleurs abdominales, constipation, anorexie, parfois diarrhées ou de signes neurologiques : céphalées, asthénie, hyperactivité, troubles de l'humeur, troubles de la mémoire, troubles scolaires ;
  • La principale conséquence est une atteinte du développement psychomoteur avec troubles de la mémorisation, troubles de l'apprentissage, atteintes des fonctions visuelles et auditives, troubles du comportement.

Quel est le seuil à partir duquel des effets sont visibles ?

La plombémie "normale" est de 0 microgramme/l.

A partir de 100 microgrammes/l. , on sait qu'il y a atteinte du développement psychomoteur. En dessous de 100 microgrammes/l., il n'y a pas de consensus sur une valeur seuil à partir de laquelle les effets seraient mesurables.

Les conséquences sur le développement psychomoteur se répéteront chez les enfants des petites filles aujourd'hui intoxiquées. Cette intoxication touche donc des enfants qui n'existent pas encore. Elle concerne aussi la prochaine génération.

IV. Diagnostic

  1. Numération formule sanguine (NFS) : quand les plombémies sont élevées, on retrouve dans les hématies des granulations basophiles, une anémie aggravée par un déficit en fer ou une hémolyse.
  2. Dans tous les cas, le diagnostic repose sur le dosage de la plombémie qui doit être effectué au moindre doute.

Une épreuve de plomburie provoquée peut être effectuée à visée diagnostique ou pour le suivi d'un traitement. D'autres méthodes sont utilisées : dosage capillaire, technique par fluorescence aux rayons X au niveau des os, dosage du plomb dans les phanères.

Ces deux dernières méthodes permettent une évaluation du stock osseux et donc de l'intoxication antérieure, la plombémie ne reflétant que la situation à l'instant du prélèvement, fonction du relargage osseux, mais surtout de l'ingestion immédiate du plomb.

V. La prévention

Au niveau santé publique

  • Eliminer le plomb de l'essence, de la peinture et des canalisations d'eau, éliminer la soudure au plomb dans la fabrication des boites de conserve, traitement de l'eau (alcalinisation) ;
  • Surveillance des populations potentiellement exposées : enfants, femmes enceintes, travailleurs dans les industries à risque.

Au niveau individuel

  • Laisser couler l'eau avant de la boire si les canalisations sont en plomb ;
  • Empêcher les enfants de gratter les murs et de manger la peinture, les sortir le plus possible, imposer un lavage de mains fréquent, couvrir les casseroles pendant la cuisson, passer la serpillière à la place du balai pour éviter de mobiliser les poussières ;
  • Veiller à un bon équilibre nutritionnel qui peut limiter les effets toxiques du plomb, en effet le calcium et le fer limitent l'absorption digestive du plomb.

VI. Le traitement

  • Le traitement chélateur est effectué en milieu hospitalier quand le taux initial est supérieur à 450 microgrammes/l.
  • La molécule la plus utilisée est l'EDTA calcique.

Les chélations sont indiscutables au-dessus de 700 microgrammes/l. pour éviter une encéphalopathie. Elles sont mal évaluées pour les plombémies supérieures à 400 microgrammes/l. inutiles lorsque la plombémie est< 250 microgrammes/l.

Une chélation consiste à injecter ou à avaler un produit qui "s'accroche" au plomb et part avec lui dans les urines.

Les chélations touchent peu le stock osseux. Elles peuvent avoir des effets indésirables comme des fuites d'oligoéléments, une atteinte rénale.

Le bénéfice sur le plan neurologique est mal évalué, même dans les intoxications supérieures à 700 microgrammes/l.

Son bénéfice dans les intoxications chroniques, où le plomb est stocké dans l'os et relargué toute la vie, est à évaluer.

Dans tous les cas, une hyperhydratation est associée à la chélation.

VII. Les chiffres

En France, d'après une enquête de l'INSERM dans la population générale, 1,94 % des enfants ont une plombémie supérieure à 100 microgrammes/l.
Si l'on est dans une région à risque : habitat vétuste ou eau peu minéralisée, 5 % des enfants ont une plombémie supérieure à 100 microgrammes/l.

L'INSERM estime donc à 85 000 le nombre d'enfants ayant une plombémie supérieure à 100 microgrammes/l. dans la population française. Parmi ces 85 000 enfants, seuls 5 % sont dépistés. L'INSERM estime de 8 200 à 11 600, les enfants ayant une plombémie supérieure à 250 microgrammes/l. en France où il y a 1,7 millions de logements ayant été construits avant 1948. On estime à 150 000 le nombre de logements avec du plomb accessible, où vivent des enfants.

La plombémie moyenne de la population française a baissé de 50 % en 10 ans grâce à l'essence sans plomb, mais elle est actuellement au niveau de la plombémie moyenne aux USA il y a 1 0 ans, et donc bien supérieure à la plombémie moyenne actuelle aux U.S.A. où elle est passée de 100 microgrammes/l. en 1980 à 27 microgrammes/l. en 1995.
En France elle atteignait 65 microgrammes/l en 1995.

L'apport alimentaire en France est 10 fois plus élevé qu'aux USA et proche des doses journalières tolérées.

Chez un adolescent, aux USA, l'apport journalier moyen est passé de 38 microgrammes/l./jour en 1982 à 3 à 4 microgrammes/l./jour en 1992.
Chez un adolescent en France, l'apport journalier moyen est de 48 microgrammes/l./jour en 1992.
Dans le monde, les situations les plus critiques s'observent dans les pays qui n'ont pas encore banni l'usage de l'essence plombée.

En Afrique, la prévalence du saturnisme infantile est alarmante, comme l'ont montré les travaux de Jérome Nriagu. C'est là que sont observées les teneurs en plomb les plus élevées dans l'essence.
En Afrique du Sud, plusieurs études ont montré que plus de 90 % des enfants vivant dans les zones urbaines et semi-urbaines de la province du Cap avaient des plombémies supérieures à 100 microgrammes/l..
Une autre étude menée dans la province du Natal, à propos de 1200 enfants âgés de 3 à 10 ans montre que 50 % des enfants vivant à Durban, en milieu urbain, ont des plombémies dépassant 100 microgrammes/l.

Malgré l'introduction de l'essence sans plomb en 1996 en Afrique du Sud, la décroissance attendue des plombémies moyennes chez les enfants sera probablement lente, compte tenu du poids des facteurs socio-économiques.
Une étude menée à Kaduna, ville du nord du Nigeria, montre que chez 87 enfants de 1 à 6 ans, la plombémie moyenne est de 106 microgrammes/l. et que 6 % d'entre eux ont un taux dépassant 200 microgrammes/l.

VIII. Législation en France

La loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions stipule :

  • Le saturnisme devient une maladie à déclaration obligatoire.
  • Création de deux procédures de signalement :
    • en cas de risque d'accessibilité d'un enfant au plomb, le préfet doit être alerté ;
    • quand un médecin dépiste un cas de saturnisme, il a l'obligation de saisir le médecin responsable du service de l'Etat compétent qui en informera le préfet.

Dans les deux cas, le préfet doit organiser une expertise sur l'immeuble, un dépistage de tous les enfants et une réfection des locaux, pour supprimer l'accessibilité au plomb.

Développement et Santé, n°160, août 2002