Un nouvel élan en faveur de l'abandon de l'excision

Par Louis Guinamard Coordinateur de la mobilisation Excision, parlons-en !

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Excision, parlons-en ! est un rassemblement inédit d’actrices et d’acteurs francophones de la société civile souhaitant mutualiser leurs efforts et leurs ressources pour intensifier la mobilisation en faveur de l’abandon de l’excision/mutilations sexuelles féminines (MSF) tant à l’international qu’en France. Il s’agit d’un lieu de rencontre et de partage des expertises. Lieu virtuel, notamment grâce au site internet et aux réseaux sociaux. Lieu réel, qui prend corps lors des rencontres et des réunions ou des commissions, carrefours de savoirs, de compétences et d’initiatives.

Les travaux de pionniers ont positionné la France comme un acteur incontournable de l’action en faveur de l’abandon de l’excision. La pugnacité de Maître Linda Weil-Curiel, qui a conduit aux premières condamnations pénales, a été un facteur clé pour la prise en compte de la question. La découverte et la mise au point du procédé de réparation du clitoris par le docteur Pierre Foldès, ainsi que son combat pour obtenir la prise en charge de cette intervention par la Sécurité Sociale au même titre que tout autre intervention médicale, sont reconnus dans le monde entier. De même, la Fédération nationale GAMS (Groupement pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles) œuvre en France depuis plus de 30 ans pour sensibiliser et accompagner les femmes victimes.

L’intuition de départ

L’intuition d’origine d’Excision, parlons-en ! était de profiter de la date du 6 février 2014 (Journée internationale Tolérance zéro contre les MGF) pour créer un événement qui rassemblerait l’ensemble des acteurs et des initiatives en France. Une démarche destinée à promouvoir une vision globale, en évitant de se retreindre à des approches segmentées par domaine d’intervention (juridique, médicale, sociale…).

Depuis son lancement officiel le 1er février 2013, la mobilisation Excision, parlons-en ! a largement dépassé les projections initiales, se développant au fur et à mesure des besoins exprimés par les partenaires. Initialement lancée par trois acteurs - Taor Communication (Louis Guinamard), la Fédération nationale Gams et Tostan France -, la mobilisation s’est ouverte à d’autres acteurs de la société civile.

Elle rassemble désormais une trentaine de structures partenaires qui l’ont adoptée comme un lieu de rencontre et d’échange sur la thématique de l’excision. Parmi elles, certaines sont directement impliquées, d’autres, y sont régulièrement ou occasionnellement confrontées dans leurs interventions et ont besoin de ressources pour mieux comprendre les problématiques et réagir en conséquence. Ainsi, ont rejoint le mouvement : France Terre d’Asile, Femmes solidaires, la FNSF [1]…, ainsi que des associations plus modestes, mais très actives localement : Safe, Terres de couleurs, SOS Africaines en danger… Excision, parlons-en ! s’est également ouverte aux bureaux français d’organisations internationales : HCR [2] et UNICEF [3]. Elle a reçu le soutien de ministères - Droits des femmes, Affaires étrangères, Intérieur - et d’institutions publiques comme la CNCDH [4], l’Ofpra [5]… Enfin, dès l’origine, la mobilisation a été rejointe par des acteurs d’autres pays francophones : Gams Belgique, Intact (Belgique), SIDIIEF [6] (Canada)…

Face à l’ampleur de ce mouvement, la question de la pérennité de la mobilisation, au-delà de la date du 6 février 2014, s’est rapidement imposée et a amené à affiner son objet et ses modalités d’intervention.

Le principe de transversalité

L’objet de la mobilisation est d’accroître les compétences des acteurs impliqués en faveur de l’abandon de l’excision en favorisant les échanges sur leurs pratiques et en croissant les connaissances dans les différents domaines d’action. Elle repose sur un principe de transversalité permettant d’appréhender toutes les complexités du phénomène, d’obtenir une vision multidimensionnelle et de chercher, pour les différentes situations, les meilleurs outils, depuis la prévention jusqu’à la réparation, en passant par la prise en charge ou la condamnation…

La mobilisation s’adresse prioritairement à un public d’acteur avertis : professionnels et membres de la société civile (acteurs associatifs, étudiants, chercheurs, journalistes…). Elle permet d’équiper les professionnels de santé, d’éducation, d’action sociale, parfois démunis face à la complexité de la problématique. Mais aussi de mieux informer et armer les acteurs militants en encourageant leur mobilisation ; en confrontant leur désir d’agir à la réalité et la complexité de la problématique et aux contraintes des professionnels ; en faisant connaître leurs initiatives pour en éprouver la pertinence et apprécier leur reproductibilité.

Pour autant, et même si tous les acteurs agissent dans une même perspective - l’abandon de l’excision - les acteurs peuvent avoir des visions divergentes. La mobilisation n’a pas vocation à parler d’une seule voix, mais à enrichir la qualité des débats. Pas plus qu’elle n’a vocation à devenir une superstructure qui se substituerait aux partenaires. Chacune conserve son identité et ses spécificités. Excision, parlons-en ! est un catalyseur qui donne de l’ampleur aux actions des associations membres en assurant leur visibilité.

Visibilité et diffusion des connaissances

Plusieurs outils, largement plébiscités par les acteurs, permettent d’œuvrer dans ce sens : le site internet et les réseaux socionumériques, les journées de rencontres thématiques, les commissions d’experts…

Des rencontres thématiques autour de l’excision sont régulièrement organisées. Ainsi, en octobre 2013, Claudia Cappa, experte pour l’UNICEF, est venue présenter l’étude publiée quelques mois plus tôt par l’UNICEF [7]. Devant 80 acteurs français de haut niveau, elle a pu présenter ces résultats pour favoriser une meilleure prise en main de l’étude. En avril 2014, la rencontre « Excision et droit d’asile : les défis de la protection » a rassemblé 200 participantes et participants (avocats, salariés de Cada, assistantes sociales…) venus écouter des acteurs de l’Ofpra, de la CNDA [8], du HCR, de France Terre d’Asile et des juristes et médecins.

Le colloque du 6 février 2014 a constitué le point d’orgue de ces rencontres. Organisé à Paris et intitulé « Excision : les défis de l’abandon », il a réuni plus de 350 participant(e)s au site Convention du ministère des Affaires étrangères. A la tribune, se sont succédé 24 intervenant(e)s, venu(e)s notamment d’Egypte, du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée, de Belgique. Il et a été soutenu par la présence de Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement, et de deux ministres délégués auprès du ministre des Affaires étrangères : Pascal Canfin, chargé du Développement et Yamina Benguigui, chargée de la Francophonie. La présidente de la CNCDH, impliquée très tôt aux côtés de la mobilisation, s’est également exprimée pour rappeler les conclusions de son avis publié en novembre 2013 [9].

Destiné à un public averti (professionnels du secteur humanitaire, bénévoles associatifs, défenseurs des droits humains, étudiants), le colloque a permis de dresser un état des lieux des réalités actuelles, des avancées et des pratiques, des initiatives en France et dans le monde, pour promouvoir l’abandon de l’excision et comprendre les clés de réussite mais également les freins aux processus d’abandon.

Créer un réseau francophone

Le succès de l’événement du 6 février a permis de donner une envergure internationale à cette mobilisation. L'objectif, qui a parfaitement fonctionné entre des acteurs francophones du Nord (essentiellement français, mais aussi belges et canadiens), est désormais d’étendre la mobilisation aux pays francophones du Sud afin de leur faire bénéficier de cette expertise.

Car Excision, parlons-en ! a pour ambition de devenir un outil de référence francophone sur la thématique de l’excision, en particulier par le biais de son site internet et de publications. Si la mobilisation s’est déjà ouverte à des organisations canadiennes et belges, le développement d’un réseau vers les pays francophones du Sud n’a pu être concrétisé, faute de ressources humaines suffisantes. Pourtant, des associations de la diaspora ont été régulièrement représentées lors des événements, marquant ainsi leur intérêt pour le projet (une rencontre consacrée au rôle des diasporas dans l’abandon de l’excision est en cours d’élaboration). Des associations de pays du Sud ont régulièrement contacté la coordination dans la perspective de rejoindre le mouvement.

Ce numéro de Développement & Santé constitue l’un des outils à destination des professionnels de santé dans les pays pratiquant l’excision, pour mieux les sensibiliser aux risques, aux réalités, à la nécessité de ne pas perpétrer la pratique. Il a été réalisé par des acteurs impliqués dans différentes commissions d’Excision, parlons-en !

Renforcer les commissions de travail

Parallèlement aux rencontres ouvertes au public, Excision, parlons-en ! anime un réseau de commissions d’experts. Celles-ci réunissent des professionnels engagés sur un sujet précis : santé, juridique, droit d’asile, dynamiques sociales. Certaines commissions se sont régulièrement retrouvées, d’autres se mettent en place. Elles permettent aux experts d’une même thématique d’échanger sur leurs pratiques, leurs problématiques et de dégager des sujets à aborder conjointement.

Ainsi apparaît la nécessité de développer et d’encourager la réalisation d’outils statistiques de référence. Le travail réalisé par l’UNICEF, tout comme l’étude Excision et handicap [10] réalisée par Armelle Andro, ont été unanimement adoptés et salués. Ils constituent des bases précieuses pour penser les solutions et orienter les politiques en faveur de l’abandon de l’excision. Ces données ont permis par exemple de révéler la complexité et l’ampleur de la problématique de l’excision en Egypte - 1 femme excisée sur 5 dans le monde est Egyptienne ! - et la recrudescence de la pratique en milieu médical. Des données manquent encore cruellement sur certaines régions du monde, en Asie et au Moyen-Orient notamment. La récolte d’informations sur ces destinations sera l’un des objectifs d’Excision, parlons-en ! à l’avenir.

Les outils numériques Lancé le 1er février 2013, le site internet n’a cessé d’être déployé avec de nouvelles fonctionnalités régulièrement affichées. Il comprend des pages fixes (présentation de la mobilisation, présentation de l’excision, cartographie Monde et cartographie France…). La partie éditoriale, actualisée au moins une fois par semaine, est animée par la journaliste Camille SARRET, également contributrice du blog Terriennes de TV5 Monde. Grâce à la publication hebdomadaire d’articles inédits ou à la reprise d’articles essentiels, le site internet s’impose comme une référence sur la question de la lutte contre l’excision. Les interviews permettent de donner une visibilité aux partenaires et de démontrer l’intérêt d’une démarche transverse aux différentes disciplines. Le site enregistre 10 000 pages vues par mois. Les réseaux socionumériques sont entretenus par la présidente de l’association, Marion Shaefer. Plus de 1 150 personnes sont abonnées à la page facebook pour suivre l’actualité de la mobilisation et les articles repérés et rediffusés. Le compte Twitter est suivi par 200 abonnés, et la newsletter mensuelle par 300 abonnés.
La charte de mobilisation Ce document de 4 pages présentant la vision de l’action et les modalités de la mobilisation Excision, parlons-en ! est soumis à la signature des partenaires du projet, marquant ainsi leur volonté de travailler collectivement. Elle est le gage d’une adhésion morale et d’une implication effective dans la mobilisation.
Excision, parlons-en ! est une association loi 1901. Elle fonctionne avec une équipe restreinte :
  • un coordinateur, un webmaster et une rédactrice, partiellement indemnisés pour leurs interventions ;
  • des bénévoles impliqués dans la gouvernance, dans les commissions et lors de l’organisation des événements ;
  • les ressources humaines des structures partenaires.
La mobilisation vit grâce au soutien de ses partenaires (prise en charge de frais, mise à disposition de salle…) et des subventions de fondations privées (Raja, Un monde par tous, Kering) ou d’institutionnels (ministère de l’Intérieur).

[1] Fédération Nationale Solidarité Femmes

[2] Haut Commissariat aux Réfugiés

[3] Fonds des Nations Unies pour l’Enfance

[4] Commission nationale consultative des droits de l’homme

[5] Office français pour les réfugiés et apatrides

[6] Secrétariat International des Infirmières et Infirmiers de l’Espace Francophone

[7] Mutilations génitales féminines / excision : aperçu statistique et étude de la dynamique des changements, UNICEF, New York, juillet 2013.

[8] Cour nationale du droit d’asile

[9] Avis sur les mutilations sexuelles féminines, CNCDH, Paris, novembre 2013.

[10] Excision et Handicap, Ined, Paris, 2009.