Stratégies de dépistage des hépatites B et C

Par Aminata Sall Diallo Responsable du PNLH (Programme National de Lutte contre les Hépatites) au Ministère de la Santé du Sénégal. Professeur de physiologie et de biologie à l'UCAD (Université Cheikh Anta Diop) de Dakar. Coordinatrice de l'initiative panafricaine sur les hépatites.

Publié le

I. Cibles

Le dépistage des hépatites virales B et C s’adresse aux individus à risque et asymptomatiques que sont :

1. Pour l’hépatite B

Enfants nés de mère AgHBs+ :

  • Entourage d’un sujet infecté par le virus de l’hépatite B ou porteur chronique de l’AgHBs (famille vivant sous le même toit) ;
  • Personnes ayant des relations sexuelles avec des partenaires multiples ;
  • Partenaires sexuels d’un sujet infecté par le virus de l’hépatite B ou porteur chronique de l’antigène HBs ;
  • Voyageurs ou résidents dans les pays de moyenne ou de forte endémie (risque à évaluer au cas par cas) ;
  • Adultes accueillis dans les institutions psychiatriques ;
  • Toxicomanes utilisant des drogues par voie intra- veineuse ou intra-nasale ;
  • Polytransfusés (hémophiles, dialysés, insuffisants rénaux, candidats à une greffe d’organe…) ;
  • Adeptes du tatouage avec effraction cutanée ou du piercing.

2. Pour l’hépatite C

Selon les recommandations internationales, les personnes suivantes doivent être dépistées :

  • Personnes ayant eu avant 1992 :

    • une intervention chirurgicale lourde (cardiaque, vasculaire, cérébrale, digestive, pulmonaire, gynéco-obstétricale, rachidienne, prothèse de hanche ou genou, etc.) ;
    • un séjour en réanimation ;
    • un accouchement difficile ;
    • une hémorragie digestive ;
    • des soins à la naissance en néonatalogie ou en pédiatrie (grand prématuré, exsanguino-transfusion) ;
    • une greffe de tissus, cellules ou organes ;
    • une transfusion.
  • Patients hémodialysés ;

  • Utilisateurs de drogue par voie intraveineuse ou pernasale ;

  • Enfants nés de mère séropositive pour le VHC ;

  • Partenaires sexuels des personnes atteintes d’hépatite chronique C ;

  • Membres de l’entourage familial des personnes atteintes d’hépatite chronique C (partage d’objets pouvant être souillés par du sang) ;

  • Personnes incarcérées ou l’ayant été (partage d’objet coupants, pratiques addictives) ;

  • Personnes ayant eu un tatouage ou un piercing, de la mésothérapie ou de l’acupuncture réalisés en l’absence de matériel à usage unique ou personnel ;

  • Personnes originaires des pays à forte prévalence du VHC ou y ayant reçu des soins ;

  • Patients ayant un taux d’ALAT (alanine-aminotransférase) supérieur à la normale sans cause connue ;

  • Patients séropositifs pour le VIH ou porteurs du VHB.

II. Objectifs du dépistage des hépatites B et C

L’objectif du dépistage des hépatites B et C est double :

  1. Réduire la morbi-mortalité des hépatites virales chroniques.
    Il s’agit d’identifier précocement les personnes porteuses d’une infection active pour prévenir la survenue de complications comme la cirrhose hépatique ou le carcinome hépato-cellulaire.
  2. Réduire l’incidence des infections par les VHB et VHC.
    Il s’agit de proposer la vaccination anti-hépatite B aux sujets à risque non immunisés et à leur entourage, et de leur proposer des conseils de prévention (valables aussi pour les sujets à risque n’ayant jamais rencontré le VHC) pour limiter les risques de transmission aux sujets contacts (famille, partenaires sexuels).

III. Tests de dépistage

1. Hépatite B

Le diagnostic de l’hépatite B repose sur la détection dans le sang de marqueurs directs du VHB (AgHBs, AgHBe, ADN du VHB) ou indirects (Anti-HBc, anti-HBe, anti-HBs).
Pour le dépistage de l’hépatite B, les tests utiles sont la recherche de l’Ag HBs et la détection des Ac anti- HBc et anti-HBs. Il existe des kits commerciaux pour une analyse combinée de ces 3 marqueurs.
Les autres tests de détection du VHB (Ag HBe, Ac anti-HBe ainsi que la recherche qualitative et quantitative du génome viral) font partie du bilan diagnostique, du niveau d’activité de l’hépatite B, et servent plutôt à guider la décision thérapeutique, en association avec d’autres paramètres biochimiques et histologiques.

2. Hépatite C

Pour l’hépatite C, le diagnostic se fait par la recherche des Ac anti6VHC (anticorps dirigés contre plusieurs épitopes viraux), ou de l’ARN du VHC. La détermination du génotype viral fait partie également du bilan diagnostique pour guider la décision thérapeutique.
Le dépistage repose sur le test de détection des Ac anti-VHC. La recherche du génome viral est utile pour distinguer l’hépatite guérie de l’hépatite chronique.

IV. Interprétation des profils biologiques et prise en charge

Profil biologique Statut de la personne dépistée Prise en charge de la personne dépistée
Ac anti-HBc - Ag HBs - Ac anti-HBs - Absence de contact avec le virus Vaccination
Ac anti-HBc - Ag HBs - Ac anti-HBs + Personne vaccinée
Ac anti-HBc + Ag HBs - Ac anti-HBs + Hépatite B guérie
Ac anti-HBc + Ag HBs - Ac anti-HBs - Hépatite B ancienne et guérison probable (les Ac anti-HBs ont disparu) ou hépatite B en cours de guérison probable (les ac anti-HBs vont apparaître Contrôle à distance (3 mois) par Ac anti-HBc, Ag HBs, Ac anti-HBs
Ac anti-HBc - Ag HBs + Ac anti-HBs - Hépatite B aiguë récente probable avant apparition des Ac anti-HBc (infection récente) Contrôle à distance (3 mois) par Ac anti-HBc, Ag HBs, Ac anti-HBs
Ac anti-HBc + Ag HBs + Ac anti-HBs - Hépatite B en cours (aiguë ou chronique) Détermination quantitative de l'ADN du VHB, Ag HBe, Ac anti-HBe, ALAT, Ac anti-VHD
Ac anti-HBc + Ag HBs + Ac anti-HBs + Séroconversion HBs en cours probable Contrôle à distance (3 mois) par AC anti-HBc, AG HBs, Ac anti-HBs

V. Stratégies de dépistage

1. Pour le VHB

Plusieurs stratégies de dépistage biologique sont admises. Des dépistages séquentiels sur un même prélèvement avec soit l’Ag HBs en premier, soit les Ac anti-HBc en premier, soit la recherche des 3 marqueurs d’emblée, ou encore la recherche combinée de l’Ag HBs et de l’Ac anti-HBs.
En cas d’Ag HBs positif, la plupart des recommandations abordent directement le bilan diagnostique complémentaire.
Les principales stratégies proposées sont présentées dans le tableau suivant.

Stratégie 1 Dépistage séquentiel commençant par l’Ac anti-HBc et si résultat positif : Ag HBs et Ac anti-HBs
Avantages Inconvénients
On évite deux tests chez les sujets n’ayant jamais eu de contact avec le virus (50 % et plus selon les populations cibles). On isole bien les séroconversions HBs en cours à qui on peut proposer un contrôle à distance de l’immunité (pour vérifier la disparition de l’AgHBs). On isole bien les hépatites B en cours (aiguës ou chroniques) à qui on peut pro- poser un bilan virologique complémentaire pour préciser l’intensité de la réplication du VHB. On isole bien les hépatites B guéries et même les hépatites B anciennes et guéries avec disparition des Ac anti-HBs ou les hépatites en cours de guérison (à la nuance près concernant les hépatites B occultes et les mutants de l’AgHBs). Les sujets déjà vaccinés ET les hépatites B aiguës récentes avant apparition des Ac anti-HBc ne sont pas différenciés des sujets n’ayant jamais eu de contact avec le virus. Toutes ces personnes pourraient être vaccinées ou revaccinées. Erreur d’annonce aux personnes ayant une hépatite B aiguë récente avant apparition des Ac anti-HBc source d’une perte de chance potentielle : la personne se croira à tort protégée contre le virus et ignorera son hépatite B aiguë et son risque de transmission du virus. Rares cas de faux négatifs Ac anti-HBc et les sujets seront vaccinés. Le caractère séquentiel de ce dépistage nécessite une gestion manuelle des nombreux prélèvements sanguins qui auront un résultat d’Ac anti-HBc positif pour lesquels deux tests supplémentaires sont nécessaires.
Stratégie 2 Dépistage séquentiel commençant par l’Ag HBs et si résultat négatif : Ac anti-HBc et Ac anti-HBs.
Avantages Inconvénients
On isole bien les sujets n’ayant jamais eu de contact avec le virus. On isole bien les sujets vaccinés, les hépa- tites B guéries, les hépatites B anciennes et guéries et les hépatites B en cours de guérison (à la nuance près concernant les hépatites B occultes et les mutants de l’Ag HBs pour certains dispositifs de diagnostic commercialisés). Les hépatites B chroniques avec présence d’Ac anti-HBs (situation exceptionnelle), dont le profil biologique est plutôt carac- téristique de la séroconversion HBs en cours, seront bien identifiées puisque ces personnes sont considérées comme des hépatites B en cours. Les hépatites B aiguës récentes avant apparition des Ac anti-HBc et les séroconversions HBs en cours ne sont pas différenciées des hépatites B en cours (aiguës ou chroniques). Ces personnes pourraient avoir un bilan virologique complémentaire pour préci- ser l’intensité de la réplication du VHB à la place d’un contrôle à distance de l’immunité (pour vérifier l’apparition des Ac anti-HBc ou la disparition de l’Ag HBs). Cependant, ce bilan complémentaire permettra de correctement réorienter ces personnes. Erreur d’annonce source d’anxiété possible… Coût du bilan biologique complémentai- re inutile réalisé à la place du contrôle à distance de l’immunité. Le caractère séquentiel de ce dépistage nécessite une gestion manuelle des nombreux prélèvements sanguins qui auront un résultat d’Ag HBs négatif pour lesquels deux tests supplémentaires sont nécessaires.
Stratégie 3 Les trois marqueurs d’emblée : Ac anti-HBc + Ag HBs + Ac anti-HBs
Avantages Inconvénients
On isole bien les sujets n’ayant jamais eu de contact avec le virus et les hépatites B en cours (aiguës ou chroniques) (objectifs du dépistage). On isole bien les sujets vaccinés, les hépa- tites B aiguës récentes avant apparition des Ac anti-HBc, les séroconversions HBs en cours, les hépatites B guéries, les hépatites B anciennes et guéries et les hépatites B en cours de guérison (à la nuance près concernant les hépatites B occultes et les mutants de l’Ag HBs pour certains dispo- sitifs de diagnostic commercialisés). Aucune erreur d’annonce aux personnes. Aucune ressource consommée inutilement. Stratégie applicable autant en situation de dépistage qu’en situation de diagnostic. Coût plus élevé.
Stratégie 4 Recherche de l’Ag HBs et des Ac anti-HBs
Avantages Inconvénients
On isole bien les séroconversions HBs en cours à qui on peut proposer un contrôle à distance de l’immunité pour vérifier la disparition de l’AgHBs. Les hépatites B anciennes et guéries avec disparition des Ac anti-HBs et les hépatites B en cours de guérison, voire les hépatites B occultes ou les mutants de l’Ag HBs ne sont pas différenciés des sujets n’ayant jamais eu de contact avec le virus. Toutes ces personnes pourraient être vaccinées. Erreur d’annonce source d’une perte de chance potentielle pour les hépatites B occultes ou les mutants de l’Ag HBs mais aussi pour les personnes ayant une hépatite B ancienne et guérie avec disparition des Ac anti-HBs car une réactivation reste possible dans certaines circonstances (immunodépression sévère) alors que ces personnes se croiront protégées. Coût de la vaccination inutile. Les hépatites B aiguës récentes avant apparition des Ac anti-HBc ne sont pas différenciées des hépatites B en cours (aiguës ou chroniques). Ces personnes, considérées à tort comme des hépatites en cours, pourraient avoir un bilan virologique complémentaire pour préciser l'intensité de la réplication du VHB à la place d'un contrôle à distance de l'immunité (pour vérifier l'apparition des Ac anti-HBc). Cependant, ce bilan complémentaire permettra de correctement réorienter ces personnes. Coût du bilan biologique complémentaire inutile réalisé à la place du contrôle à distance de l'immunité.
Stratégie 5 Anti-HBc + Ag HBs
Avantages Inconvénients
On isole bien les hépatites B aiguës récentes avant apparition des Ac anti-HBc à qui on peut proposer un contrôle de l’immunité à distance (pour vérifier l’ap- parition des Ac anti-HBc). Les hépatites B chroniques avec présence d’Ac anti-HBs (situation rare), dont le profil biologique est plutôt caractéris- tique de la séroconversion HBs en cours, seront bien identifiées puisque ces per- sonnes sont considérées comme des hépa- tites B en cours. Les sujets déjà vaccinés ne sont pas différenciés des sujets n’ayant jamais eu de contact avec le virus. Ces personnes pourraient être revaccinées. Les séroconversions HBs en cours ne sont pas différenciées des hépatites B en cours (aiguës ou chroniques). Ces personnes, considérées à tort comme des hépatites en cours, pourraient avoir un bilan biologique complémentaire pour préciser l’intensité de la réplication du VHB à la place d’un contrôle à distance de l’immunité (pour vérifier la disparition de l’Ag HBs). Cependant, ce bilan complémentaire permettra de correctement réorienter ces personnes. Erreur d’annonce source d’anxiété possible. Coût du bilan biologique complémentaire inutile. Les hépatites B anciennes et guéries avec disparition des Ac anti-HBs et les hépatites B en cours de guérison, voire les hépatites B occultes ou les mutants de l’Ag HBs, ne sont pas différenciées des hépatites B guéries. Toutes ces personnes, considérées à tort comme des hépatites guéries, ne pourront pas avoir de contrôle à distance de l’immunité (persistance du profil avec Ac anti-HBs négatifs ou apparition des Ac anti-HBs). Erreur d’annonce aux personnes ayant une hépatite B occulte ou un mutant de l’Ag HBs, source d’une perte de chance potentielle.

2. Pour le VHC

La stratégie consiste à rechercher des Ac anti-VHC par un test EIA de 3ème génération le plus souvent. En cas d’Ac anti-VHC positifs, un test de contrôle est souvent effectué même s’il n’est pas systématiquement recommandé. Plusieurs tests de contrôle sont possibles : nouveau test EIA, test RIBA ou détection de l’ARN du VHC.

Développement et Santé, N° 200, 2012