Grossesse à risque : quand référer ?

Par Par Olivier Bismuth Médecin généraliste, Créteil, France.

Publié le

Les soins de santé primaires dans le cadre des grossesses à risque consistent à :

  • Prendre en charge le premier contact avec le demandeur de soins, qu'il soit malade ou non.
  • Mettre en oeuvre les objectifs de santé accessibles au premier niveau d'intervention.
  • Evaluer la nécessité de référer vers un deuxième niveau de compétences ou un niveau encore plus spécialisé.
  • Organiser cette éventuelle référence.

Deux situations sont à distinguer :

  1. La grossesse est franchement pathologique et l'hospitalisation est à l'évidence nécessaire. Exemples : grossesse extra-utérine, utérus cicatriciel en raison de césariennes itératives.
  2. La grossesse est dite à risques : il existe des éléments pathologiques pouvant faire craindre des complications chez la mère et/ou l'enfant lors de l'accouchement. On se situe dans un cadre de prévention secondaire : des risques sont dépistés et certains gestes de prévention peuvent dans certains cas éviter des complications. Exemples : diabète gravidique ; mère de petite taille.

Certes, cette classification peut s'avérer parfois artificielle si la pathologie concerne les deux catégories, comme dans le cas d'une hypertension artérielle pendant la grossesse. Cependant, comme toutes les classifications schématiques, donc réductrices, elle apporte un "plus" car elle introduit une démarche dynamique de prévention avant que n'apparaissent des complications et alors que la femme enceinte n'a pas de plainte particulière.
("est pourquoi, pour réduire la mortalité maternelle et néonatale trop élevée dans les PED, il est essentiel, lors d'une consultation prénatale, de rechercher d'éventuels facteurs de risque afin de prendre les décisions adéquates.

I. Les grossesses pathologiques

pour lesquelles l’hospitalisation est évidente

Nous ne citerons que les principales causes auxquelles il faut toujours penser.

1. A tout moment de la grossesse

  • Une anémie chronique non améliorée par le traitement martial.
  • Une pathologie grave de la mère : VIH, cardiopathie valvulaire sévère, insuffisance cardiaque...
  • Un retard de croissance intra-utérin avec une hauteur utérine insuffisante pour Page de la grossesse, a fortiori s'il est objectivé à l'échographie lorsqu'on peut la réaliser.

2. Au premier trimestre de la grossesse

  • La grossesse extra-utérine. Rappelons le vieil adage : "en y pensant toujours, on dv pense pas assez". File se manifeste, chez une femme en début de grossesse (laquelle peut être ignorée) par des douleurs abdominales basses, des métrorragies, considérées à tort comme des menstruations, ou par un tableau d'hémorragie interne avec anémie sévère et choc cardio-vasculaire.
  • La grossesse molaire, "en grappes de raisin". Elle est marquée par des métrorragies chez une femme dont l'utérus est trop volumineux pour l'âge de la grossesse. La révision utérine totale et complète s'impose avec contrôle de l'utérus et surveillance ultérieure pour éviter des complications à type de cancérisation.
  • La fausse couche spontanée avec évacuation ovulaire incomplète et persistance des métrorragies.
  • La fausse couche provoquée dans des conditions septiques avec un tableau d'infection utérine, voire de septicémie.

3. En fin de grossesse

  • Un placenta praevia, mal situé en position basse, dangereux en raison des saignements répétés et de la dy stocie.
  • Le syndrome pré-éclamptique, anciennement appelé toxémie gravidique, associant une hypertension artérielle vérifiée et une protéinurie, parfois des cedèmes des membres inférieurs. Il peut être responsable de redoutables syndromes éclamptiques avec convulsions, ou d'hématome rétro-placentaire (HRP).

4. A l'accouchement

  • Souffrance néo-natale : ralentissement du rythme cardiaque. Pour les agents de santé villageois, rappelons un autre célèbre adage : "Le soleil ne doit pas avoir fait son tour sans que la femme n'ait accouché."
  • Hémorragies de la délivrance, en particulier quand le placenta n'a été qu'incomplètement évacué, d'où la nécessité d'une vérification minutieuse.

II. Grossesses à risques nécessitant

attitude préventive et organisation des soins

Question : citez des exemples de grossesses à risque et dites en quoi elles le sont.
Les facteurs de risque (FDR) sont très nombreux ; on évoquera surtout ceux qui sont essentiels et simples à rechercher.

1. FDR propres aux pathologies de la mère: a-t-elle des maladies particulières ?

  • Séropositivité VIH surveillée.
  • Tuberculose suivie et traitée.
  • Cardiopathie bien tolérée mais qui pourrait se décompenser pendant l'accouchement.
  • Diabète équilibré.
  • HTA antérieure à la grossesse et normalisée sous traitement adapté à la grossesse.

2. FDR propres aux antécédents obstétricaux de la mère

  • A-t-elle eu des grossesses ou des accouchements compliqués ?
  • A-t-elle eu des fausses couches ?
  • A-t-elle eu des enfants mort-nés ?
  • A-t-elle eu des césariennes et combien ?
  • A-t-elle eu des prématurés ?
  • Et on peut ajouter une question : de toutes ses grossesses, combien lui reste-t-il d'enfants vivants ?

3. FDR propres aux particularités de la grossesse

  • Multiparité.
  • Gémellité.
  • Grossesses rapprochées.
  • Placenta praevia haut situé.
  • Petite taille de la mère.
  • Anomalie apparente du bassin.

Il faut savoir que l'existence de plusieurs de ces facteurs augmente considérablement les risques de complications pour la mère et pour l'enfant.

4. FDR propres aux complications survenues pendant la grossesse

  • Maladies intercurrentes : HTA, infection urinaire, appendicite, anémie.
  • Paludisme : la prévention est évidemment un souci prioritaire chez la femme enceinte en pays tropical.
  • Stress, angoisse, mauvaise nouvelle, sources d'anxiété.

5. FDR propres au contexte environnemental et socio-économique

  • Mauvaise accessibilité aux soins, que cela soit pour des raisons financières et/ou géographiques et/ou culturelles.
  • Pauvreté.
  • Pénibilité du travail : dureté du travail, longs trajets, nombre de personnes prises en charge dans la famille, sans oublier le manque de sommeil lié aux horaires de travail.

Ces FDR ne doivent aucunement être négligés ou ignorés, sous prétexte que cela ne concerne pas directement le soignant. Ils doivent impérativement être pris en considération, afin d'évaluer ce qui peut être fait pour aider la femme enceinte.

III. Conduite à tenir

Il s'agit d'être rigoureux et méthodique.
Après l'interrogatoire et l'examen, tel qu'il est recommandé selon les guides de suivi de la femme enceinte, il convient :

  1. De résumer les faits marquants et de traiter les pathologies, selon les compétences et aptitudes du soignant et en fonction des possibilités du centre de santé. Exemple : traiter un paludisme, une infection urinaire, une hypertension artérielle réelle et confirmée à des examens successifs.
  2. D'évaluer les risques pour la grossesse selon la grille proposée au paragraphe précédent ou celle utilisée dans le pays.
  3. D'inscrire les observations sur le carnet de santé.
  4. D'expliquer à la future mère, et si possible au mari, ce qui a été constaté et ce qui en découle.
  5. D'expliquer à la femme qu'elle devra venir à la Consultation-Pré-Natale tous les mois et à chaque fois qu'il v a une anomalie.
  6. D'expliquer la nécessité de consulter la maternité de référence, lorsque le soignant estimera que c'en est le moment.
  7. Surtout, de lui dire qu'elle devra accoucher à proximité de la maternité de référence, voire d'un centre chirurgical si une césarienne doit être envisagée, et donc qu'au huitième mois, elle devra habiter chez des proches et surtout à proximité de ce centre, afin de réduire le temps de transport.
  8. Avertir le centre et le médecin de référence préalablement, anticiper afin de ne pas intervenir en urgence dans des conditions dramatiques.

Cette attitude vise à :

  • Traiter les pathologies accessibles.
  • Accroître et améliorer la surveillance d'une grossesse à risques.
  • Tenir compte du vécu et de l'anxiété de la mère en cas d'antécédents traumatisants pour elle, comme une mort néonatale, et réduire son angoisse.
  • Anticiper les complications de l'accouchement et du post-partum.
  • Référer à temps et non en urgence, et dans un centre adapté.
  • Et donc permettre que l'accouchement et la naissance se passent bien.

*Exercice : Mme A. est enceinte de 5 mois. C'est une cultivatrice qui a eu quatre enfants en 8 ans dont 2 sont en bas âge ; son mari vient de décéder ; on est en septembre en fin d'hivernage ; elle a un champ de mil. Analysez les FDR et envisagez les possibilités d'aides et d'actions pour les réduire.*

En conclusion
Tout soignant sait généralement reconnaître une pathologie grave au cours d'une grossesse et la nécessité d'une hospitalisation. En revanche, reconnaître une grossesse à risques - qui implique une approche globale et intégrée en soins de santé primaires avec soins adaptés de la pathologie, conseils éducatifs et organisation de la référence avant la survenue de complications dramatiques - n'est pas encore bien entré dans les moeurs et les pratiques. Rappelons que cette recommandation fait partie des programmes actuels de formation et de supervision des différents soignants.

Développement et Santé, n°197/198, 2010