Décentralisation des activités d'éducation thérapeutique, l'expérience de la clinique Louis Pasteur à Porte Novo (Bénin)

Par Dr. Lucien Dossou-Gbété (1), Célestine do-Rego (2), Colette Sowanou (2) (1) Directeur général de la clinique Louis Pasteur. (2) Éducatrice thérapeutique à Louis Pasteur.

Publié le

I. L'éducation thérapeutique à la clinique Louis Pasteur

Dr. Dossou-Gbété, vous êtes médecin, spécialisé en maladies infectieuses et responsable du site de prise en charge : qu'est ce qui a motivé le développement de l'éducation thérapeutique au sein de la clinique Louis Pasteur ?

Deux raisons ont motivé le développement de l'éducation thérapeutique :

  • la mauvaise connaissance par les malades de l'infection par le VIH d'une part,
  • la recherche de la meilleure observance possible chez nos malades traités par les ARV d'autre part.

Vous êtes aussi coordinateur des activités d'éducation thérapeutique : en quoi consistent vos fonctions ?

Après la formation des éducatrices, il me revient de mesurer son impact sur la prise en charge, d'évaluer périodiquement (2 fois par an) l'utilisation des outils par les éducatrices, de donner des solutions aux difficultés rencontrées.

Depuis un an, j'organise, coordonne et supervise la formation des éducateurs pour les autres sites des départements Ouémé et Plateau.

Comment l'éducation thérapeutique est-elle intégrée dans le circuit de prise en charge du patient ?

Dès le dépistage, une première séance d'éducation thérapeutique est proposée au patient dans le but d'améliorer ses connaissances sur l'infection par le VIH et d'expliquer les comportements à adopter ; tout ceci, après avoir évalué ses connaissances préalables. Cette séance est suivie d'une deuxième qui mesure les acquisitions.

Lorsque le bilan immunitaire indique la nécessité d'instaurer les ARV, une troisième séance est réalisée pour expliquer le traitement et convenir des heures de prise. Toute difficulté conduit à réaliser au moins une nouvelle séance d'éducation thérapeutique ; ce sont donc aussi bien les médecins que l'assistant social qui peuvent orienter les PVVIH vers cette séance.

Activités d'éducation thérapeutique à la clinique Louis Pasteur
File active : 610 adultes, 42 enfants. Nombre de patients sous ARV 431 adultes, 40 enfants. Nombre de prescripteurs d'ARV : 4. L'éducation thérapeutique a été implantée en 2004 et s'adresse aux adultes et femmes enceintes. Elle est réalisée actuellement par 3 éducatrices aide-soignantes, en séances individuelles. Évolution des activités d'éducation thérapeutique depuis 2004 :
  • 2004 : 18 séances,
  • 2005 : 221 séances,
  • 2006 : 226 séances.
En 2006, 25 patients sont vus par mois en séance d'éducation thérapeutique.
Pour vous, qu'est-ce que l'éducation thérapeutique ? L'ETP est une méthode éducative utilisant plusieurs activités, plusieurs outils spécifiques et permettant d'améliorer la connaissance de la maladie par les personnes infectées et affectées d'une part et d'améliorer l'adhésion aux prescriptions médicales et comportementales d'autre part ; dans le but de permettre à la personne infectée de vivre le mieux possible avec sa maladie et son traitement.

Qu'est ce que l'éducation thérapeutique a apporté dans la prise en charge des patients vivant avec le VIH ?

Nous observons une réelle relation de confiance qui se crée entre la personne infectée ou affectée et l'éducatrice. Les personnes infectées ayant parfois plus de facilité à échanger sur certains problèmes avec les éducatrices qu'avec les médecins. Ceci élargi le cercle des acteurs impliqués et sort le malade de la relation exclusive médecin-patient.

II. Décentralisation des activités d'éducation thérapeutique

Qu'est ce qui a motivé le développement de l'éducation thérapeutique dans les centres de soin périphériques ?

La Clinique Louis Pasteur (CLP) a contribué à la création de plusieurs de ces sites. Ayant mesuré les avantages de l'éducation thérapeutique, nous avons pensé qu'il importait d'ouvrir aussi ces services dans les centres périphériques. De plus l'éducation thérapeutique devait contribuer valablement à améliorer la connaissance de la maladie dans la population générale. Les personnes infectées ou affectées deviennent de véritables relais pour infuser une bonne connaissance de la maladie dans la population.

Sur quels critères s'est effectuée la sélection des sites ?

La sélection des sites s'est faite sur la base des villages d'origine des malades qui fréquentaient la CLP avec le souci de réduire les coûts de déplacement et de rapprocher les services des personnes vivant avec le VIH.

Comment avez-vous procédé pour former les éducateurs des centres périphériques ?

Notre module de formation s'est déroulé en quatre étapes :

  1. Formation théorique et pratique à la CLP pendant 5 jours.
  2. Formation pratique sur le site de l'agent formé : une éducatrice de la CLP se rend sur le site concerné pendant 5 jours.
  3. La personne formée écrit un mémoire de 8 à 10 pages.
  4. Délivrance d'une attestation de formation en éducation thérapeutique.

Après la phase de formation, nous n'intervenons plus de manière spécifique sur le site. Mais des échanges se font avec ces centres dans le cadre du réseau régional de soins et de formation.

1. La formation théorique et pratique

Les 4 médecins de la CLP impliqués dans la prise en charge et les 3 éducatrices animent la formation théorique et pratique :

  • Les médecins pour l'aspect théorique de la formation.
  • Les éducatrices pour les aspects pratiques notamment l'utilisation des outils lors des séances et l'accompagnement sur les sites respectifs dans le cadre de la formation.

Le programme se décompose en deux modules :

  1. Module tronc commun : destiné aux soignants des services de soins pratiquant ou non la prise en charge. L'objectif est de les sensibiliser à la prise en charge globale du VIH.
    Les principaux thèmes abordés sont : le VIH, les modalités de la transmission, la prévention de la transmission, l'histoire naturelle, la prise en charge globale (PCE) de l'adulte, de l'enfant et de la gestion avec introduction à l'éducation thérapeutique.
  2. Module spécifique ETP : destiné aux futures éducatrices.
    Les principaux thèmes abordés sont : l'historique du concept d'éducation thérapeutique, la faisabilité, la justification, les moments, les outils, la pérennisation.

A la date du 20 mai, nous avons formé 9 éducateurs pour 4 centres de santé.

2. La formation pratique sur site

Une éducatrice de la CLP accompagne les futures éducatrices au cours des premières séances et les corrige au fur et à mesure que les séances se déroulent. Des jeux de rôle sont organisés pour simuler des difficultés prévisibles. Une rencontre est organisée avec tous les acteurs du site pour bien situer la place de l'éducation thérapeutique dans la prise en charge.

3. Mémoire

Les sujets portent obligatoirement sur l'éducation thérapeutique en insistant sur des situations pratiques observées sur le site. Par exemple :

  1. Établir une planification du programme d'éducation thérapeutique à mettre en place sur un site ayant formé 2 éducateurs et ayant déjà une file active de 400 PWIH sous ARV et qui souhaite impliquer absolument tous ses patients.
  2. Un patient de 50 ans, Yoruba, gardien est suivi sur votre site pour une infection par le VIH. Il est sous D4T + 3TC + EFZ. Depuis 6 mois il a arrêté de prendre les ARV car il ne trouve pas d'amélioration et dit que si les ARV ne guérissent pas la maladie à quoi bon continuer... d'ailleurs les ARV le fatiguent et l'empêchent de travailler. Que diriez vous à ce patient ? Sur quels points insister dans votre éducation thérapeutique ?
  3. Les difficultés de mise en place d'un programme d'éducation thérapeutique sur votre site : formulation et approche de solutions.

Avez-vous d'autres projets de décentralisation ?

Cette année 2007, nous devons réaliser deux cycles de formation de 10 personnes par cycle. Tous les centres et quelques associations et ONG des départements de l'Ouémé et du Plateau seront ainsi concernés.

Quels ont été les points forts de cette démarche de décentralisation?

Les formateurs sont des acteurs du terrain motivés.
La qualité de la formation qui, en même temps que la formation spécifique en éducation thérapeutique, donne aux participants des notions justes en matière d'infection par le VIH. Ainsi, la formation en éducation thérapeutique améliore la connaissance de la maladie parmi les agents de santé.

Même dans des centres périphériques, les PVVIH ont accès à ce service de qualité sans devoir parcourir une grande distance vers Porto-Novo.

Quels pourraient être les points à améliorer ?

Une bonne sélection des participants aux formations en éducation thérapeutique doit être assurée par les responsables de site en vue de ne retenir que des soignants motivés.

Quels conseils donneriez vous à une structure hospitalière qui souhaite décentraliser les activités d'éducation thérapeutique ?

  • Disposer d'un pool de formateurs bien formés et connaissant bien le terrain, d'un équipement adapté à la formation (local, kit de vidéo projection), un programme et des modules de formation.
  • Se rendre sur les sites concernés par la décentralisation.
  • Identifier comme participants à former, des agents motivés.
Le témoignage des éducatricesde la clinique Louis Pasteur Célestine do-REGO, aide-soignante, éducatrice à la CLP depuis 2,5 ans. Qu'est ce qui vous a le plus marquée au cours de votre formation en éducation thérapeutique ? La découverte de l'éducation thérapeutique comme un volet indispensable à la prise en charge des malades. Lors des séances d'éducation, quels principaux bénéfices avez-vous observé chez les patients ? L'amélioration de l'observance, l'amélioration des connaissances des malades sur la maladie. Pouvez-vous nous raconter une expérience marquante avec un patient ? C'est l'histoire d'une femme qui, lors de l'annonce du diagnostic par le médecin, fait un malaise avec perte de connaissance ; elle s'affaisse sur sa chaise et nous oblige à l'allonger sur le sol. Ceci est arrivé alors que le médecin me donnait quelques indications en me confiant la patiente pour sa première séance d'éducation thérapeutique. Revenue à elle, elle s'est mise à pleurer. Au décours de la séance elle se sentait mieux. Je l'ai revue le lendemain malgré le décès de son mari dans un accident de la voie publique. Ses rendez-vous suivants ont été bien respectés, elle est bonne observante, se porte mieux avec un bon état psychologique. J'ai le sentiment que les séances d'éducation thérapeutique, surtout la première, ont joué un rôle capital dans l'acceptation de la maladie par cette patiente, mais aussi dans sa bonne observance des prescriptions. Quels conseils donneriez vous à de futurs éducateurs ? Respecter le secret médical, faire des recherches pour renforcer ses connaissances sur la maladie, échanger ses expériences avec les autres éducateurs.

Colette Sowanou, aide-soignanteEducatrice à la CLP depuis 2 1/2 ans Qu'est ce qui vous a le plus marquée au cours de votre formation en éducation thérapeutique ? La découverte que des malades pouvaient mourir sans connaître leur maladie. Lors des séances d'éducation, quels principaux bénéfices avez-vous observés chez les patients ? Une meilleure observance des traitements, un meilleur respect des rendez-vous, une incitation des autres personnes (par les Malades éduqués) à se faire dépister. Pouvez-vous nous raconter une expérience marquante avec un patient ? C'est l'histoire d'une femme que j'ai reçu en éducation thérapeutique et que j'ai incité à partager son diagnostic avec son mari. Il a fallu 6 mois et 2 autres séances pour obtenir d'elle un partage du diagnostic. Mais le drame, c'est qu'elle m'a annoncé que le mari l'a répudiée. Je me suis sentie responsable et j'ai été longtemps affectée. Mais j'ai continué à expliquer à cette patiente que sa responsabilité lui imposait d'informer son mari et que s'il l'a répudiée c'est qu'il ne l'aimait pas. Puis, 6 mois après, elle m'informe que le mari lui a demandé de le rejoindre, car avec le traitement, elle se portait bien et avait pris du poids. J'ai été heureuse d'entendre cette nouvelle mais le mari n'a toujours pas fait son test. Je ne peux pas assurer que leurs relations sont protégées. Quels conseils donneriez vous à de futurs éducateurs ? Rester patient et ne pas s'énerver avec les malades. Savoir répéter les conseils. Veiller à assurer un suivi des malades éduqués.

Développement et Santé, n°187, 2007