Infections bactériennes sévères chez les nourrissons de moins de 3 mois

Par Gorette Dos Santos Médecin généraliste

Publié le

A propos d'une étude multicentrique de l'OMS

I. Contexte

Le taux de mortalité des jeunes enfants, en particulier des nourrissons demeure élevé dans les pays en développement (PED). En 1995, 47 pays avaient un taux de mortalité néonatale d'environ 40/1000 naissances vivantes. On estime que 5 millions de nouveau-nés meurent chaque année dans les PED. En dehors du premier mois après la naissance, la majorité des décès infantiles survient au cours des deuxième et troisième mois de vie. Par comparaison, le taux de mortalité néonatale dans les pays industrialisés est de 5/1000.

L'infection est la principale cause des décès infantiles dans le monde, principalement pendant la période néonatale. On estime que l'infection bactérienne est responsable de 30 à 40 % des décès dans les PED. Le paludisme, les diarrhées, la malnutrition et la rougeole étant les autres causes les plus importantes de mortalité infantile.

Entre deux mois et quatre ans, les principaux germes responsables d'infections graves dans les PED sont bien connus, il s'agit de Streptococcus pneumoniae et d'Haemophilus influenzas. Il y a peu d'informations concernant les signes cliniques et les agents infectieux responsables d'infections chez les nourrissons de moins de deux mois. Or, dans ce groupe d'âge, les infections peuvent rapidement être fatales, ce qui peut être évité par un diagnostic précoce grâce à la détection de signes cliniques par la famille et les agents de santé, et la mise en route rapide d'une antibiothérapie adaptée.

L'OMS a dirigé une étude multicentrique afin d'évaluer les signes prédictifs d'infection sévère et les agents infectieux en cause chez les nourrissons de moins de trois mois dans les PED. Celle-ci s'est déroulée sur une période de deux ans entre 1990 et 1993 dans des centres de santé primaire, mais aussi des centres de référence secondaires et tertiaires en Ethiopie, Gambie, Papouasie-Nouvelle-Guinée et Philippines. 8418 enfants de moins de 90 jours, consultant pour une maladie débutée à domicile ont été présélectionnés, parmi lesquels 4552 ont été inclus.

Cet article rapporte quelques résultats de cette étude (signes cliniques prédictifs et agents infectieux responsables) et reprend des éléments sémiologiques concernant le nouveau-né.

Il. Signes cliniques prédictifs d'infection

chez l'enfant de moins de 3 mois

La possibilité d'un début précoce voire anténatal de la maladie donne toute sa valeur à l'étude des antécédents:

1. Facteurs de risques obstétricaux

Grossesse

  • syndrome fébrile dans les semaines précédant l'accouchement
  • notion d'infection urinaire ou de leucorrhées
  • rupture prolongée de la poche des eaux (plus de 24 heures).

Accouchement

  • fièvre
  • travail prolongé, inefficace
  • liquide amniotique teinté, purée de pois ou fétide
  • aspect pathologique du placenta.

Naissance

  • prématurité
  • score d'APGAR bas (voir tableau 1)
  • détresse vitale secondaire inexpliquée.

2. Examen clinique de l'enfant

L'interrogatoire de la maman est fondamental:

il est impératif de se fier à ce que dit la mère de l'enfant, et ne pas négliger le simple fait qu'elle trouve son enfant changé.

Il est important de noter d'éventuelles modifications du comportement, du sommeil ou de l'alimentation : il faut se méfier d'une infection si l'enfant ne réagit plus comme d'habitude, somnole et ne sourit plus, geint, paraît mou et refuse de manger, semble avoir mal, ou devient plus agité et plus énervé que d'habitude.

Il faut rechercher si l'enfant

  • a une température supérieure à 37,8° C ou inférieure à 36° C
  • a du mal à respirer et s'étouffe au moment des tétées
  • semble enrhumé
  • tousse la nuit
  • transpire pendant son sommeil de manière tellement importante que ses vêtements sont mouillés
  • a des selles plus liquides et plus nombreuses que d'habitude
  • a des vomissements.

3. Signes de gravité

L'examen clinique recherche en particulier les signes de gravité :

Troubles hémodynamiques

  • pâleur, teint gris, cyanose péri-buccale et des extrémités, marbrures
  • allongement du temps de recoloration cutanée (3 secondes).

Troubles neurologiques

  • troubles de conscience, somnolence
  • hyporéactivité ou agitation
  • hypo ou hypertonie
  • mouvements anormaux, convulsions
  • tension anormale de la fontanelle ( fontanelle bombante, ou déprimée ... ).

Signes de détresse respiratoire

  • troubles du rythme respiratoire : polypnée, irrégularités, pauses (pauses respiratoires "physiologiques": ne doivent pas excéder 10 secondes et doivent être asymtomatiques, c'est-à-dire sans changement de teint, ni cyanose ni bradycardie).
  • signes de lutte : tirage intercostal, sus et sous-sternal, entonnoir xyphoïdien, battement des ailes du nez, geignement expiratoire, Score de silverman (voir tableau 2)
  • signes auscultatoires crépitants lors de l'inspiration.

Autres signes

  • une déshydratation peut accompagner une infection : pli cutané au niveau de la région sous claviculaire, dépression de la fontanelle, yeux creux, excavés, sécheresse des muqueuses...
  • palpation abdominale : ballonnement, hépatomégalie ou hépatosplénomégalie.

L'un des objectifs principaux de cette étude de l'OMS était de créer un arbre décisionnel clinique simple pouvant aider les agents de santé à identifier les jeunes enfants à haut risque de décès et pouvant servir de guide de traitement. Pour le moment, il n'a pas été possible de réaliser un algorithme à proprement parler.

Les items retenus les plus fiables incluent l'âge, le poids, la température, l'existence d'une polypnée, et six signes cliniques : difficultés à téter, existence de crépitants, d'une cyanose, survenue de convulsions, anomalies radiologiques, hyporéactivité, modifications du comportement.

Ces signes peuvent être utilisés comme indicateurs d'une possible infection sévère.

III. Germes responsables des infections

chez l'enfant de moins de 3 mois dans les PED

Les résultats bactériologiques et virologiques des quatre sites très différents de cette étude ont été remarquablement similaires. Les principales causes d'infections sévères chez les nourrissons de moins de 3 mois sont :

  • Staphylococcus aureus,
  • Streptococcus pneumoniae (pneumocoque),
  • Streptococcus pyogenes
  • Escherichia coli.

Le pneumocoque est un agent pathogène majeur, particulièrement après la première semaine de vie. Il représente également la principale cause de méningite chez les enfants de plus d'une semaine (50 % des cas).

Le plus grand nombre d'infections à staphylococcus aureus provenait de Gambie (69 %), où sévissait une épidémie de gale. Historiquement, il y a une grande variabilité, dans le temps et l'espace, des infections néonatales à staphylocoque, la majorité des épidémies étant hospitalières. Il faut penser à ce germe devant une septicémie accompagnée de lésions cutanées inflammatoires ou si une épidémie de gale (typiquement associée, chez le nourrisson, à des éruptions pustuleuses surinfectées au niveau des paumes et des plantes) sévit dans la population.

L'importance des infections à Salmonella spp est un résultat important de cette étude. Elles sont fréquemment associées à la malnutrition. Comme dans les pays industrialisés, le virus respiratoire syncitial est le virus le plus fréquemment en cause chez les enfants de cet âge. Les infections virales causent une grande morbidité, notamment respiratoire, mais un faible taux de mortalité.

IV. Conséquences thérapeutiques

Le taux de décès chez les jeunes nourrissons, présentant un tableau évocateur d'infection bactérienne sévère et ayant une hémoculture positive a été de 30 % dans cette étude, malgré une hospitalisation et la mise en route d'une antibiothérapie standard (benzylpenicilline ou ampicilline et gentamycine), ce qui met l'accent sur la gravité des infections dans ce groupe d'âge.

Il est pratiquement impossible de différencier cliniquement le germe en cause. Les données biologiques sont rarement disponibles.

D'autre part, il est très difficile, voire impossible de faire la distinction clinique entre les septicémies, méningites et pneumonies chez les nourrissons de moins de trois mois. Quand, de façon inhabituelle, des formes "localisées" d'infections sont mises en évidence (pneumopathie, infection urinaire), leur risque de diffusion doit les faire considérer comme potentiellement septicémiques et les faire traiter comme telles. Le traitement initial des infections néonatales devrait donc se faire idéalement par voie parentérale (intraveineuse ou intramusculaire).

Dans les PED, l'association de première intention d'ampicilline + gentamycine semble convenable, couvrant la majorité des germes probablement en cause. Le principal problème est la fréquente résistance du staphylocoque et du pneumocoque à la pénicilline. Pour les infections à S. pneumoniae, l'antibiothérapie de choix est une céphalosporine de 3ème génération (C3G) (telle que cefotaxime (Claforan®) ou ceftriaxone (Rocéphine®), couvrant également les infections à salmonelles et autres bacilles gram négatifs.

La difficulté voire l'impossibilité de faire la distinction clinique entre les septicémies, méningites et pneumonies chez les nourrissons de moins de 3 mois, l'impossibilité de réaliser des examens complémentaires et la gravité des infections à cet âge, justifieraient la mise en route d'un traitement d'emblée par une C3G quand celle-ci est disponible ou financièrement accessible. Surtout dans les cas particulièrement graves ou lorsqu'une méningite est certaine (quand une ponction lombaire ramène un liquide céphalorachidien louche, des germes présents sur la coloration au MayGrunwald-Giemsa). L'association d'un aminoside (gentamycine) peut être utile au tout début (dans les 48-72 premières heures) pour accélérer la vitesse de bactéricidie.

Si des lésions cutanées suggèrent une septicémie à staphylocoque, il est justifié d'inclure un antibiotique anti-staphylococcique (pénicilline M, oxacilline) dans le traitement.

Si l'état de l'enfant ne s'améliore pas au bout de 48 heures, ou s'il s'aggrave avant ce délai, le traitement antibiotique doit être changé. Quand cela est possible, ce changement se fait selon les résultats bactériologiques.

L'antibiothérapie de seconde ligne peut être l'adjonction d'oxacilline (antistaphylococcique), en plus de l'association ampiciline-gentamycine. Si l'antistaphylocoque était déjà donné, il faut utiliser une céphalosporine de troisième génération ou du chloramphénicol afin d'améliorer la couverture des salmonelles et autres germes gram négatifs.

Dans le passé, l'utilisation du chloramphénicol chez les jeunes enfants s'est accompagnée d'effets secondaires sévères qui étaient en fait dus aux trop fortes doses utilisées. Si les doses et les intervalles d'administration sont corrects, cet antibiotique peut être utilisé en IM dans ce groupe d'âge.

V. Conclusion

Dans les PED, les efforts pour contrôler la mortalité néonatale se sont essentiellement portés sur la réduction du risque d'infection périnatale par l'amélioration des soins aux femmes enceintes (en adressant les grossesses à risque, en vaccinant les mères, en insistant sur les soins du cordon ombilical ... ).

Les infections chez les enfants de moins de trois mois demeurent une cause majeure de décès. Il est indispensable d'en améliorer la reconnaissance et le traitement.

Cette étude a permis d'identifier les agents infectieux en cause. Ces informations associées aux résultats d'études locales de résistance des agents microbiens devraient aider les agents de santé et les médecins à donner une antibiothérapie plus appropriée aux enfants de ce groupe d'âge.

Cependant, l'identification de ces cas demeure un véritable défi. L'objectif de cette étude de l'OMS était de développer un instrument prédictif qui permettrait d'identifier les enfants à haut risque d'infections bactériennes sévères à partir de signes cliniques. Le modèle de cette étude peut aider à améliorer les décisions de prise en charge. Mais il nécessite encore des simplifications et une évaluation avant d'être utilisable comme arbre décisionnel.

Au moindre doute, compte tenu de la difficulté de faire un diagnostic clinique précis et de la gravité des infections bactériennes à cet âge, il faut être prudent et adresser ou traiter ces enfants.

Examen clinique du nouveau-né

1. Interrogatoire

Sauf urgence, le premier temps de l'examen clinique est le recueil d'informations générales indispensables à la compréhension du "contexte de l'enfant". On relève notamment

Les antécédents médicaux familiaux

  • pathologies dans la fratrie,

  • causes des décès éventuels

  • les données de la grossesse :

  • immunité maternelle (pour le VIH, la syphilis, l'hépatite B), vaccinations (hépatite B, tétanos)

  • évènements survenus pendant la grossesse épisodes de fièvre, prise de médicaments par la mère, prophylaxie anti-paludéenne, notion de prise de drogues,...

  • déroulement de l'accouchement : vérification du terme, de l'état du nouveau-né à la naissance et lors des premières heures de vie (score DAPGAR voir tableau 1.)

  • le déroulement de l'allaitement

  • des informations sur l'habitat et l'environnement de l'enfant

  • les informations sur les premiers jours de vie de l'enfant. Un nouveau-né normal:

  • émet les premières urines avant la vingt-quatrième heure de vie

  • émet ses premières selles (meconium) avant la trente-sixième heure

  • perd environ 5 % de son poids de naissance dans les premiers jours de vie (pathologique au-delà de 10 %)

  • reprend du poids vers le 4è jour, et rattrape son poids de naissance au plus tard au 10è jour de vie.

2. Examen clinique

L'examen clinique est au mieux réalisé chez un enfant dont la température est normale, calme, éveillé, déshabillé et n'ayant pas faim. Il comporte un temps d'inspection important, puis un examen organe par organe.

Evaluation de l'état général

  • poids
  • taille
  • périmètre crânien
  • organes génitaux externes
  • coloration : un ictère (teint jaune au niveau des conjonctives) est pathologique s'il est précoce (avant la vingt-quatrième heure de vie), intense ou s'aggravant rapidement
  • recherche de signes d'accouchement traumatique (céphalhématome, fracture de la clavicule ... )

Examen neurologique

Etude du comportement

  • Le nouveau-né normal :

  • garde une attitude spontanée en quadriflexion,

  • gesticule de façon symétrique,

  • a un cri fort et vigoureux

  • fixe le regard de l'examinateur qui lui parle,

  • peut suivre des yeux l'examinateur silencieux

  • Palpation de la fontanelle et étude du tonus. La fontanelle n'est ni bombante, ni déprimée

  • L'étude du tonus se fait par la manoeuvre du "tiré-assis": l'enfant est couché sur le dos, l'observateur empaume les épaules et le conduit vers la position assise, pendant cette manoeuvre l'enfant maintient sa tête quelques secondes dans l'axe du tronc avant de la laisser tomber vers l'avant

Examen cardio-vasculaire

  • Fréquence cardiaque (normale entre 100 et 160 pulsations par minute)

  • Auscultation cardiaque (absence de souffle)

    • Palpation des pouls périphériques : bien perçus et symétriques (fémoraux, huméraux)
  • Temps de recoloration capillaire (au niveau du thorax, après une pression du doigt, la peau se recolore en moins de trois secondes)

Examen respiratoire

  • Fréquence respiratoire (voir tableau 3). Une respiration périodique normale : à une pause respiratoire brève de 10 secondes, succède une série de respirations plus amples.

  • Recherche de signes de lutte, normalement absents :

  • tirage intercostal, sus et sous-sternal,

  • entonnoir xyphoïdien,

  • battement des ailes du nez,

  • geignement expiratoire

  • Auscultation pulmonaire : murmure vésiculaire symétrique.

L'obstruction nasale ne doit pas être négligée car le nouveau-né au repos respire par le nez.

Examen de l'abdomen

  • Inspection : l'ombilic ne doit pas être inflammatoire, le cordon chute en moyenne en 7 jours ; une hernie ombilicale est banale, ne nécessite aucune contention et disparaît au cours des deux premières années de vie.

  • Palpation : le foie est normalement palpé : il déborde de 1 à 2 cm le rebord costal, un pôle inférieur de rate est souvent perçu à bout de doigts. Palpation des reins (normalement non perçus) : entre un pouce sur l'abdomen et l'index dans la fosse lombaire.

Développement et Santé, n°; 152, avril 2001