L'utilisation systématique du cotrimoxazole pour prévenir les complications infectieuses de la rougeole peut-elle en diminuer la mortalité ?

Par Badara Samb*, François Sirnondon**, Peter Aaby***, * IMEA/INSERM U13, CHU Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France. ** MRC Laboratoires, Banjul, Gambie. *** Université Cheik Anta Diop, Dakar, Sénégal.

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La rougeole est responsable de 1,4 million de décès par an dans le monde, la plupart de ces décès survient dans les pays en développement et est due aux complications de la maladie. La fréquence de ces complications dans la population générale demeure mal connue. Des études réalisées en milieu hospitalier ont montré qu'il s'agit essentiellement de pneumopathies, de diarrhées et de laryngites. Une proportion importante d'entre elles est d'origine bactérienne. L'administration à titre préventif d'antibiotiques pourrait-elle contribuer à diminuer la mortalité liée à la rougeole ?

I. L'expérience de la zone de Niakhar

1. La prise en charge des épidémies de rougeole dans la zone de Niakhar

Entre 1983 et 1986, dans une zone rurale du Sénégal (Niakhar, région de Fatick), nous avons observé une forte mortalité liée à la rougeole (létalité de la rougeole : 7 %). En 1997, dans le cadre d'une étude clinique sur les vaccins contre la rougeole réalisée dans cette même zone, un dépistage actif des cas de rougeole a été organisé et le cotrimoxazole a été administré à tous les enfants rougeoleux âgés de moins de trois ans et vus pendant les deux premières semaines suivant le début de la maladie. Pendant sept jours consécutifs, deux comprimés de Bactrim® enfants ont été administrés (un comprimé le matin et un comprimé le soir). Ce traitement a été associé à un traitement de la fièvre (aspirine) et de la conjonctivite (gouttes antiseptiques oculaires).

2. Résultats de l'intervention sur la survenue de complications respiratoires

Pendant la période 1983-1986, les complications n'étaient pas répertoriées lors de la survenue de cas de rougeole dans la zone d'étude. De 1987 à 1993, elles ont été systématiquement recherchées lors de visites intradomiciliaires hebdomadaires. Pendant cette période, lorsqu'un cas de rougeole était identifiée dans une concession, celle-ci était visitée au moins une fois par semaine par un médecin qui examinait à chaque visite tous les enfants à la recherche de signes évocateurs de rougeole, et le cas échéant de signes évocateurs de complications de la maladie.

La prévalence des symptômes respiratoires évocateurs de complications (dyspnée, râles crépitants, et fièvre) était plus élevée pendant la deuxième semaine suivant le début des signes de la rougeole. Nous avons donc étudié l'effet de l'utilisation du cotrimoxazole administré au cours de la semaine suivant le début de la rougeole sur l'apparition de signes respiratoires au cours de la deuxième semaine. Nous avons ainsi comparé les enfants qui ont été vus pour la première fois au cours de la première semaine de leur maladie (et qui, par conséquent, avaient reçu une antibioprophylaxie systématique) à ceux qui ont été vus pour la première fois seulement au cours de la deuxième semaine (et donc qui n'avaient pas encore reçu de traitement). Chez les enfants qui avaient reçu une prophylaxie, la fréquence des signesrespiratoires (11 %) était inférieure à la fréquence de ceux qui n'en avaient pas reçu (30 %).

3. Résultats de l'intervention sur la létalité de la rougeole

Entre la période 1983-1986 et la période 1987-1991, lorsque la prophylaxie par le cotrimoxazole a été instaurée, la létalité de la rougeole était passée de 7 % à 1,5 %. Après ajustement des données sur l'âge, la diminution était de 50 %.

II. Interprétation des résultats

La baisse de la létalité de la rougeole que nous avons observée pourrait être expliquée par l'utilisation systématique du cotrimoxazole, ou par des facteurs tels qu'une amélioration générale de la santé de la population étudiée ou une amélioration du niveau socio-économique.

Entre les deux périodes que nous avons comparées, nous avons noté une baisse de la mortalité générale (toutes causes confondues) parmi les enfants de moins de trois ans. Cependant, l'ampleur de cette baisse n'explique pas les différences observées quant à la létalité de la rougeole.

Il ne semble pas y avoir eu une importante amélioration du niveau socio-économique de la population entre ces deux périodes.

Ainsi, il apparaît que la baisse de la létalité observée est en grande partie due à l'utilisation systématique du cotrimoxazole qui diminue la fréquence des complications respiratoires tardives (probablement d'origine bactérienne).

Comme tout essai ouvert, les résultats de notre étude prêtent à discussion. Il est urgent de conduire des études avec tirage au sort (études randomisées) pour évaluer l'impact réel de l'antibioprophylaxie sur les complications et la létalité de la rougeole.

Développement et Santé, n°123, juin 1996