La lutte contre les glossines

Par J.M. Milleliri Institut de Médecine Tropicale du Service de Santé des Armées - Le Pharo, Marseille.  

Publié le

Pour lutter contre la maladie du sommeil il faut aussi lutter contre son vecteur, la glossine ou mouche tsé tsé. Cette mouche vit et se reproduit dans les endroits humides et ombragés, elle se déplace peu. Glossines mâles et femelles piquent (piqûre douloureuse) mais heureusement rares sont celles qui transmettent le parasite.
Tout ceci explique que la lutte contre ces vecteurs est très efficace et a permis d'arrêter les épidémies.

Les moyens traditionnels de lutte sont la "prophylaxie agronomique" et l'épandage d'insecticides. La lutte agronomique est encore utile dans les sites où hommes, animaux et glossines se retrouvent en grand nombre, c'est-à-dire les points d'eau, les gués, les bords de cours d'eau où se déroulent les activités humaines, elle consiste à couper plantes et arbustes autour de ces sites.

Les épandages d'insecticides se font soit à partir d'avions ou hélicoptères, soit à partir d'équipes de déplaçant au sol. Mais la sécheresse a provoqué un déplacement des hommes et des animaux vers les zones plus humides, et dans ces zones préforestières et forestières, l'épandage aérien des insecticides est difficile, voire impossible. Pour le travail au sol, les techniciens spécialisés dans la lutte ne sont plus assez nombreux pour ce travail difficile.

Enfin, pour des raisons écologiques et logistiques les campagnes d'épandage d'insecticides, surtout avec les insecticides rémanents, ont été abandonnées.

Cette situation a incité les chercheurs à trouver d'autres moyens de lutte. L'emploi de leurres (pièges, écrans) a été imaginé dès 1910. A partir de 1970, une meilleure connaissance des facteurs attractifs a donné un nouvel essor à cette technique pour capturer les glossines. Ensuite, l'avènement des pyréthrinoïdes de synthèse a rendu encore plus efficaces ces systèmes en raison de l'effet de contact immédiat foudroyant de ces insecticides. Le principe est basé sur l'observation que les glossines se déplacent à la recherche d'un lieu de repos, d'un hôte nourricier ou d'un partenaire.

I. Les pièges

Tous les pièges ont en commun un corps ou enceinte de forme variable (prisme, cylindre, cube), constituant une surface attractive, un dispositif anti-retour (pyramide ou fente en V) et une cage de capture en haut du piège. Les glossines sont attirées de loin (entre 50 et 100m) par la surface attractive le plus souvent de couleur bleue noire. Une fois proches de cette surface elles sont attirées par la lumière de la partie supérieure du piège et sont capturées par le récipient situé à l'extrémité supérieure du piège, cage pour les pièges entomologiques ou bouteille plastique pour les pièges tueurs utilisés dans la lutte ordinaire.

II. Les écrans

Les écrans sont de simples panneaux de tissus ou de matière plastique, fixes ou s'orientant dans le vent autour d'un axe rigide (pour éviter la dégradation et le lessivage par la pluie). Ils sont imprégnés d'insecticide à effet foudroyant (la glossine est tuée en 1 ou 2 secondes, dès qu'elle se pose sur l'écran).

1. L'imprégnation insecticide

Elle se fait par trempage de l'écran avec un pyréthrinoïde qui assure une rémanence de 2 à 12 mois, en concentré émulsifiable, aux doses suivantes sur du tissu en coton ou du tulle en polyester :

  • deltaméthrine S.C. à 0,1 % (100 à 200 mg/m2)

  • alphacyperméthrine : 300 à 400 mg/ m2

  • béta-cyfluthrine S.C. à 0,8 % (1304 mg/ m2).

2. Les supports utilisés sont

  • tissu bleu en coton-polyester (33/67 %) d'environ 222 g/ m2

  • tissu bleu en polyester (100 %) d'environ 44 g/ m2

  • tissu noir ou bleu en polyamide (100%) d'environ 115 g/ m2

  • tulle moustiquaire en polyamide (100%) d'environ 30 g/ m2.

L'imprégnation par trempage des tissus procure des rémanences plus longues (un an) que par pulvérisation (quelques mois).

III. Efficacité des leurres

En mettant en place les pièges ou les écrans, on supprime les adultes mâles et femelles. Il est calculé qu'un retrait journalier de 4 % de la population femelle se surajoutant à la mortalité naturelle (3 % environ) conduit à l'extinction de la population en un an. L'attractivité (glossines attirées) et l'efficacité (glossines prises ou tuées) des pièges et écrans dépendent de nombreux facteurs, certains propres à la glossine, d'autres aux leurres eux-mêmes.

La couleur joue un rôle important. La glossine est capable de repérer certaines couleurs (bleu, rouge, vert). Actuellement, les couleurs bleu et noir sont les plus employées dans les pièges, le bleu est assez stable à la lumière solaire, le noir s'affadit assez vite (8 mois).

Le contraste entre surfaces sombres et surfaces claires améliore l'efficacité ainsi que les proportions respectives des couleurs, de même que le contraste sur l'environnement. L'emplacement et l'environnement immédiat du leurre est important. L'endroit devra être dégagé, ensoleillé au niveau des lieux favorables (ponts, gués, lavoirs, lisières, abreuvoirs, puits, bosquets denses, sources etc.), avec un nettoyage des végétaux sur un rayon de 5 m au moins.

Durant la saison sèche l'efficacité de ces techniques est meilleure.

IV. Pièges ou écrans ?

Les pièges seront réservés de préférence à la lutte contre les trypanosomoses humaines car,

  • ils sont plus chers que les écrans et s'appliquent mieux à des surfaces réduites ;
  • ils sont plus efficaces que les écrans vis-à-vis des glossines du groupe palpalis ;
  • ils n'ont pas besoin d'être imprégnés d'insecticides,
  • les gens voient les glossines capturées journellement, ce qui entraîne leur motivation. Les écrans seront appliqués dès que les surfaces sont vastes car ils sont moins chers mais doivent être ré imprégnés 2 à 5 fois par an avec l'insecticide, dont une application en fin de saison des pluies.

Service spécialisé ou population concernée ?

Dans certains pays, les services de lutte contre les tsé-tsé s'occupent exclusivement de l'implantation des leurres et ont la totale maîtrise des opérations.

Dans d'autres pays, l'objectif est de faire prendre en charge partiellement cette méthode de lutte par les agriculteurs ou les éleveurs. C'est en particulier le cas des foyers de maladie du sommeil de Côte d'Ivoire (40 000 écrans), du Congo et d'Ouganda (15 000 pièges sur 3 000 km2).

Si l'accessibilité à ce moyen de lutte par les populations est techniquement possible, la motivation semble variable selon les lieux et les pays. Le problème de la participation financière est encore mal résolue. La formation, l'information et la vulgarisation restent les éléments incontournables de la mobilisation des populations locales. La motivation est souvent grande au début, mais s'estompe rapidement avec la raréfaction des vecteurs et diminue dès que les équipes spécialisées sont parties.

V. Les campagnes

1. Comme moyen de surveillance

Le piégeage permet d'établir des cartes de distribution des glossines et d'évaluer le risque d'extension de la maladie.

Contre les glossines (pré) forestières

Les pièges ou les écrans seront disposés tous les 200 m le long des cours d'eau sur 5 à 10 km, pour constituer une barrière efficace. Les écrans sont imprégnés 5 fois par an (2 fois en saison sèche, 3 fois en saison des pluies) ou 2 fois/an seulement si les doses d'imprégnations sont élevées.

Contre les glossines de savanes

Une barrière de 8 km de large avec 4 écrans/km2 est plus efficace qu'une barrière de 1 km de large avec 60 écrans/km2.

2. Comme moyen de lutte

En santé humaine

L'objectif est de dépister et traiter les hommes malades ou les porteurs "sains" (réservoir) en associant une élimination temporaire des glossines infectées (vecteur et réservoir du trypanosome). La surveillance médicale maintenue régulièrement, associée à des luttes temporaires contre les glossines peuvent suffire à contrôler les flambées épidémiques d'Afrique de l'ouest (T. b. gambiense). Pour l'Afrique de l'est (T. b. rhodesiense), l'association du traitement des malades humains, des réservoirs domestiques (bovins) et de la lutte contre les glossines est indispensable et doit être maintenue dans le temps. En santé vétérinaire : la lutte antivectorielle s'applique en général à vaste échelle (élevage extensif) et sur une longue durée (vaste réservoir animal, étendue des zones infestées).

Avantages de la méthode du piégeage

  • méthode relativement simple, utilisable par un personnel peu spécialisé mais avec un encadrement compétent,
  • efficacité et rapidité (à condition d'une application à vaste échelle pour les glossines de savanes),
  • méthode économiquement intéressante par réutilisation possible d'une partie du matériel,
  • méthode " propre " avec peu ou pas d'impact direct sur l'environnement,
  • polyvalence d'action (lutte et protection),
  • technique appropriable à certaines conditions,
  • coût entre 100 et 200 euros par km2.

Inconvénients

  • efficacité non absolue et variable,
  • méthode terrestre nécessitant des voies d'accès nombreuses,
  • vulnérabilité du matériel,
  • contrainte des réimprégnations insecticides pour les écrans,
  • implantation difficile en zones inondées ou accidentées et en saison des pluies,
  • renouvellement des tissus,
  • participation nécessaire mais difficile des populations.

Développement et Santé, n°171, juin 2004