Du bon usage des antibiotiques

Par Abderrahmane Redjah Infectiologue, ESH.EL. Hadi Flici, Alger, Algérie.

Publié le

Les maladies infectieuses ont été traitées pendant des siècles de façon empirique à partir d'extraits de plantes, comme celui de l'ipéca. C'est ainsi que les médecines traditionnelles africaine, asiatique et indienne ont longtemps fait référence à l'utilisation d'extraits végétaux.

Les premiers agents thérapeutiques utilisés furent les quinines extraites à partir de l'écorce de quinquina par Pelletier en 1819, et l'émétine isolée par Pelletier et Magendie en 1817. Quelques dizaines d'années plus tard, soit en 1889, un autre type de traitement des maladies infectieuses fut proposé. Il repose sur l'antagonisme de croissance entre deux micro-organismes, et est appelé par Villemin l'antibiose.

La découverte des sulfamides en 1935 fut la première révolution dans le traitement des infections bactériennes graves. Pour la première fois, en effet, un médicament guérissait les méningites à méningocoque et de nombreuses septicémies. Ils sont toujours utilisés actuellement (Bactrim®).

Plus tard, vint la découverte de la pénicilline qui inaugure l'ère des antibiotiques. C'est ainsi que les recherches dans le domaine de la chimiothérapie antibactérienne se sont faites dans deux directions :

  • Les antibiotiques extraits de la fermentation de moisissures, des actinomycètes, ou d'autres agents bactériens, comme les pénicillines.
  • Les antibiotiques de synthèse, (c'est le cas de la plupart des nouvelles molécules), qui sont des dérivés semi-synthétiques préparés par modifications chimiques des produits de base naturels.

Les antibiotiques peuvent être classés en fonction de leur spectre d'action, de leur structure chimique, mais également selon leur mode d'action sur les bactéries. Ces modes d'action sont au nombre de cinq (Tableau 1).

Tableau 1. Modes d'action des antibiotiques
I. Antibiotiques inhibant la synthèse du peptidoglycane ß lactamines + Pénicillines + Céphalosporines Glycopeptides Fosfomycine
II\. Antibiotiques inhibant la synthèse des protéines Aminosides Chloramphénicol et dérivés Tétracyclines Macrolides, lincosamides, streptogramines Acide fusidique
III\. Antibiotiques inhibant la synthèse des acides nucléiques Quinolones Rifampicine Nitrofuranes
IV\. Antibiotiques inhibant la synthèse des folates Sulfamides et associations sulfamidées
V. Antibiotiques inhibant la synthèse des acides mycoliques Isoniazide Ethionamide Prothionamide Pyrazynamide

Devant autant de molécules, l'empressement affiché par bon nombre de praticiens à prescrire des antibiotiques dès l'installation d'une fièvre peut avoir des conséquences épidémiologiques et économiques.

Ainsi, l'évolution des maladies infectieuses et des traitements antibiotiques, du fait de la résistance croissante à ces derniers, de la découverte de nouvelles molécules, et d'une meilleure connaissance de la pharmacologie des antibiotiques, n'autorisent plus de tels réflexes et doivent, au contraire, nous amener en permanence à moduler nos comportements. Rappel à l'ordre légitime, car la consommation d'antibiotiques ne cesse de croître depuis les années 1960. Actuellement, celle-ci est estimée à 500 tonnes, par an, en France. La part des Blactamines est passée en dix ans de 35 à 63% en valeur relative.

Stuart Lévy, dans son livre intitulé "Le Paradoxe des antibiotiques ou comment les médicaments miracles détruisent le miracle" traduit en Français sous le titre "Le Paradoxe des antibiotiques", décrit tout le problème de la résistance aux antibiotiques auxquels sont confrontés aujourd'hui médecins et patients.

En effet, l'évolution de la résistance aux antibiotiques est particulièrement préoccupante ces dernières années, puisque le taux de souches de pneumocoques pénicilline résistants (concentration minimale inhibitrice > 1) ne cessent d'augmenter, posant des problèmes thérapeutiques difficiles dans des affaires aussi courantes que les otites.

Cette évolution croissante de la résistance aux antibiotiques est le plus souvent le résultat d'une mauvaise gestion de l'antibiothérapie individuelle ou collective. Ainsi, pour que les antibiotiques demeurent "des médicaments "miracles" sans détruire "le miracle", nous devons nous poser la question suivante.

I. Peut-on faire un bon usage des antibiotiques ?

Pour faire un bon usage des antibiotiques, il faut d'abord s'assurer de leur indication car la décision de prescrire un antibiotique doit être fondée sur les données de l'examen clinique et les éventuels résultats d'examens bactériologiques, notamment d'un antibiogramme effectué sur les bactéries responsables de l'infection. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas surtout dans la pratique courante. L'indication posée, il faut choisir l'antibiotique.

II. Quel antibiotique choisir ?

Le choix optimal d'un antibiotique dépend de plusieurs facteurs (Tableau 2).

Tableau 2. Choix optimal d'un antibiotique
  1. Germe responsable et sa sensibilité aux antibiotiques
  2. Site de l'infection avec bonne pénétration de l'antibiotique
  3. Etat général du malade et ses antécédents pouvant contre-indiquer certains produits ou nécessiter des adaptations de posologie
  4. Risque écologique
  5. Coût

1- Le Germe

Les prélèvements bactériologiques doivent impérativement précéder la mise en route d'un traitement antibiotique.

Une fois que l'isolement et l'identification de la bactérie sont effectués, il faut procéder à l'étude de la sensibilité aux antibiotiques par la détermination de la concentration minimale inhibitrice (CMI) et la concentration minimale bactéricide (CMB) essentiellement.

CMI. La concentration minimale inhibitrice est la concentration d'antibiotique la plus faible inhibant toute culture visible après 18 heures de culture à 37°C.

Exprimée en mg/ml, elle caractérise l'effet bactériostatique d'un antibiotique. La détermination de cette CMI peut se faire en milieu liquide ou en milieu solide grâce à l'antibiogramme, c'est la méthode de diffusion sur gélose.

CMB. La concentration minimale bactéricide est la plus petite concentration d'antibiotique laissant moins de 0,01% de survivants de l'inoculum initial après 18 heures de culture à 37°C.

Cette concentration minimale bactéricide permet de différencier les antibiotiques bactériostatiques et bactéricides (Tableau 3).

Parmi les antibiotiques bactéricides, on distingue les antibiotiques rapidement bactéricides (effet concentration-dépendant) des antibiotiques lentement bactéricides (effet temps-dépendant).

Tableau 3
Antibiotiques bactéricides Antibiotiques bactériostatiques
Bêta lactamines Glycopeptides Fosfomycine Aminosides Streptogramines Sulfamides Quinolones Rifampicine, isoniazide Pyrazinamide Nitro-imidazoles Polymyxines Phénicoles Tétracyclines Macrolides et lincosamides Acide fusidique Sulfamides Nitrofuranes

2 - Le site de l'infection

Pour qu'un antibiotique soit actif sur un germe, il est essentiel qu'il le rencontre, et ce, pendant le temps nécessaire à l'efficacité de l'échange. C'est dire l'importance de connaître les capacités d'un antibiotique à pénétrer suffisamment et à se concentrer en un site donné.

3 - Le terrain

Le terrain du patient doit également constituer une préoccupation avant la mise en route d'un traitement antibiotique.

Il est vrai qu'il y a des états physiologiques facilement contrôlables, mais il existe également des états pathologiques qui peuvent poser de sérieux problèmes dans le choix d'un antibiotique.

En effet, certains antibiotiques, en raison de leurs effets toxiques, risquent d'aggraver des tares préexistantes (insuffisance rénale, insuffisance hépatique, SIDA).

4 - Risque écologique

Parmi les effets indésirables des antibiotiques, il en est un qui a une importance capitale, c'est la modification de la flore bactérienne normale de l'individu qui peut entraîner la sélection de souches résistantes, non seulement à l'antibiotique administré, mais aussi, en fonction de la nature de la résistance, à d'autres familles d'antibiotiques.

5 - Coût

Devant la consommation importante d'antibiotiques, le coût devient un élément fondamental.

Dans certaines circonstances pour traiter une infection, le prix du traitement peut être multiplié par vingt, à efficacité égale.

Cette situation appelle à une sérieuse réflexion pour uniformiser les attitudes thérapeutiques dans le sens où, à efficacité égale, le choix sera donné à la molécule la moins coûteuse. Une fois que le choix de l'antibiotique est déterminé en fonction des critères précédemment décrits, il conviendra de préciser les modalités d'administration.

Devant une infection aiguë à son début, dont le diagnostic clinique et microbiologique est des plus probables, une monothérapie bien choisie, avec un spectre le plus étroit possible, est suffisante.

Cette monothérapie est possible également dans les infections sévères lorsque le germe est sensible, le foyer infectieux d'accès facile à des concentrations d'antibiotique suffisantes, chez un sujet aux défenses naturelles intactes. Ce n'est que dans quelques circonstances, qu'il est licite d'associer des antibiotiques :

  • Elargissement du spectre antibactérien s'il s'agit d'une neutropénie ou d'une infection à germes multiple.

  • La recherche d'une synergie, d'un effet bactéricide maximal rapidement obtenu (Endocardite).

  • La prévention de mutants résistants dont le risque est majeur lorsque l'inoculeur est important. (Associer par exemple gétalactamines et aminosides)

Quant à la durée, les propriétés bactéricides des nouvelles molécules permettent de raccourcir la durée du traitement. Cet arrêt du traitement ne se fait jamais de manière progressive.
Le seul critère de guérison est l'absence de reprise évolutive à l'arrêt du traitement.

Conclusion

Devant la consommation accrue d'antibiotiques ces dernières années et l'augmentation croissante des résistances, il est nécessaire de définir une politique d'utilisation rationnelle des antibiotiques, et de surveiller régulièrement le niveau de sensibilité des bactéries et de leur spectre.

Cinq règles d'or
  • Toute fièvre ne veut pas dire infection.
  • Les antibiotiques ne sont pas justifiés dans une virose non compliquée.
  • L'administration IM ou IV n'est pas toujours supérieure à la voie orale.
  • En zone endémique : penser d'abord PALUDISME !
  • Préférer les antibiotiques bactéricides.

Développement et Santé, n°150, décembre 2000