Adaptation des recommandations pour la prise en charge du diabète au Mali

Par Stéphane Besançon*, A. T. Sidibé**, Ibrahim Nientao*** * Biologiste et nutritionniste, directeur de l'ONG Santé Diabète Mali, Bamako, Mali. ** Pr agrégée en endocrinologie-diabétologie, hôpital du point G, Bamako, Mali *** Médecin diabétologue, Centre National de Lutte contre le Diabète, Bamako, Mali.

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Depuis de nombreuses années, les études se multiplient dans les pays occidentaux pour analyser les protocoles de prise en charge du diabète et proposer des moyens d'améliorer la surveillance des patients (UKPDS, STENO 2, DCCT, ADVANCE). Elles visent à étudier, entre autres, si le contrôle strict de la glycémie contribue à une baisse de la morbi-mortalité. Parallèlement à ces études, de nouveaux produits - médicaments (insulines, GLPl etc.. J et outils de suivi biologique - de plus en plus perfor­mants sont apparus. Toutes ces avancées de la recherche conduisent à une amélioration de la prise en charge des patients.

I. Une situation bien différente dans les pays du sud

De nombreux pays africains - on a vu l'exemple de la décentralisation des soins au Mali - s'efforcent de mettre en place une prise en charge du diabè­te. Mais les normes de çelle-ci demeurent très différentes de celles des pays du nord : on ne peut encore parler d'auto-surveillance glycémique, d'intensification de l'insulinothérapie, de mesure de la glycémie post-prandiale, d'introduction de nouvelles molécules etc... Ces difficultés structu­relles récurrentes peuvent être regroupées en cinq catégories.

1. Traitement

La première phase de la prise en charge des patients diabétiques maliens est l'adoption de mesures hygiéno-diététiques. Les conseils diété­tiques posent de nombreux problèmes au Mali. Cette partie fera l'objet d'un article complet, mais on peut cependant citer dès maintenant certaines difficultés :

  • la prise de repas au "plat commun" : l'alimentation se faisant le plus souvent à la main, il est dif­ficile de quantifier les portions ingérées ;
  • la faible proportion de légumes et de crudités ;
  • la très importante consommation d'huile, de sel et de sucres simples ajoutés aux plats.

La deuxième phase est la prescription d'un traite­ment médicamenteux. Deux principales difficultés limitent, là encore, l'action des médecins : la dis­ponibilité insuffisante des molécules et leur coût. En effet, parmi les antidiabétiques oraux, seuls cer­tains sulfamides hypoglycémiants et la metformine sont disponibles. Quant aux insulines, on dispose principalement des insulines rapides 10 et semi­-lentes NPH. La plupart des molécules les plus récentes (glinides, glitazones, gliptines, etc.) ou des nouvelles formes d'insuline sont très rarement disponibles au Mali.

A ces difficultés s'ajoute celle de leur coût. En effet, l'absence de sécurité sociale au Mali oblige les patients à payer entièrement leur traitement. Le médecin ne peut donc être certain qu'ils puissent respecter le traitement prescrit et ce, pour des rai­sons financières.

2. Suivi biologique et dépistage des complications du diabète

Les patients connaissent des dif ficultés similaires avec le suivi biologique de leur maladie. L'hémoglo­bine glyquée (HbA1C) et les bilans lipidiques, par exemple, ne sont réalisables qu'à Bamako et, le plus souvent, seulement dans des laboratoires privés. Aux difficultés relatives à l'accès géographique, s'ajoute le problème majeur de l'accessibilité finan­cière à ces analyses. La mesure de l'HbA1c coûte 10 000 CFA (soit 15 euros) dans un pays où le salaire moyen est d'environ 40 000 CFA (60 euros). Dans ce contexte, plus de 70 % des malades ne réalisent jamais de mesure d'HbA1c ni de bilan lipidique (Beran D, Besançon S. Report of the International Insulin Foundation on the assessment protocol for insulin access in Mali. Bamako: International Insulin Foundation. 2004.) et doivent se contenter d'une glycé­mie capillaire mensuelle pour seul suivi. La faible capacité des laboratoires et le coût prohi­bitif des moyens d'exploration, (doppler, etc..) réduisent fortement les possibilités de dépistage des complications.

3. Auto-surveillance glycémique

Nous venons de le voir, beaucoup de patients ne réalisent qu'une glycémie mensuelle. Un appareil de mesure de la glycémie coûte environ 65 000 CFA (100 euros), et le patient doit également payer les bandelettes nécessaires à son utilisation. Ces coûts empêchent l'auto-surveillance glycémique. Ainsi, seule une glycémie est effectuée au centre de santé lorsque le patient vient consulter son médecin traitant. Cette situation est la même pour les diabétiques de type 1 et de type 2 insulino­requérants qui doivent s'injecter leur insuline sans possibilité d'auto-surveillance glycémique.

4. Suivi des complications

Les capacités de dépistage étant très limitées, le diabète n'est diagnostiqué, pour la majorité des patients, qu'au stade de conlplications, difficiles à prendre en charge. Il en est de même pour les facteurs de risque et les pathologies associés au diabète - dyslipidémie, hypertension artérielle - qui nécessitent des traitements rarement disponibles sur le marché malien (statines, ARAII, clopidrogel, ticlopidine etc...).

5. Urgences diabétiques

Pour les urgences diabétiques, les médecins doi­vent agir avec les moyens dont disposent leurs structures. Une fois le diagnostic posé, ils ne peu­vent réaliser qu'un traitement d'épreuve.

Si l'on prend l'exemple de l'acidocétose, il est le plus souvent impossible de réaliser des examens complémentaires tels que l'ionogramme, l'hémo­culture, l'ECG, etc. De plus, si le traitement néces­site l'injection de certains solutés ou d'insuline, ceux-ci doivent le plus souvent être fournis par le patient ou sa famille.

Il. Quelques adaptations nécessaires pour les médecins

1. Traitement

Pourun traitement par antidiabétiques oraux (ADO), les médecins adaptent leur prescription selon les molécules disponibles et utilisent de pré­férence des formes génériques, moins coûteuses. Pour un traitement par insuline, ils doivent réaliser des schémas d'insulinothérapie, que Pon pourrait appeler des "schémas de survie", avec les insulines disponibles (rapide et intermédiaire) et le minimum d'injections quotidiennes afin de limiter le coût lié au médicament et aux seringues.

2. Suivi biologique

Pour la très grande majorité des patients, le suivi biologique est limité :

  • évaluation mensuelle de la glycémie capillaire,
  • dosage régulier de la créatininémie,
  • examens par bandelettes urinaires : recherche d'une cétonurie, d'une protéinurie, ou d'une leucocyturie, évaluation du pH urinaire, etc.

3. Autosurveillance glycémique

L'autosurveillance ne peut être conseillée par les praticiens que chez les patients ayant les moyens de payer les lecteurs et les bandelettes. Cependant, les médecins leur demandent, lorsque cela leur est financièrement possible, de multiplier les mesures de glycémie en allant dans les consultations décen­tralisées qui possèdent un lecteur de glycémie.

4. Dépistage des complications liées au diabète

Pour le dépistage des complications, certains moyens ont pu être mis en place. L'équipement des unités décentralisées avec un "kit pied" permet de dépister les neuropathies périphériques et d'établir la gradation des risques podologiques. De même, le rapprochement, dans ces structures décentralisées, des consultations diabète et des consultations ophtalmologiques favorise la recherche d'une rétinopathie.

5 . Les urgences diabétiques

Un kit d'urgence, en cours de test à Bamako, apportera une aide au diagnostic et à la prise en charge des urgences diabétiques ; il contiendra les produits nécessaires (solutés, bandelettes etc...).

Bien sûr, malgré tous ces efforts, il sera difficile de parvenir à une prise en charge optimale (qui n'est pas effective dans les pays riches). Pour certains patients ou dans certains lieux, les résultats seront minimes, insuffisants. Mais ce qui importe est de développer, parallèlement au travail de formation et de réseau, une prise en charge adaptée, tenant compte de l'inaccessibilité financière, géogra­phique voire culturelle. Actuellement, une dyna­mique est lancée et ce mouvement modifiera la situation actuelle.

Développement et Santé, n° 193, 2009