Le paludisme pendant la grossesse

Par Aminatou Koné

Publié le

Les enfants de moins de 5 ans et les femmes au cours de leur grossesse font partie des personnes les plus vulnérables au paludisme. Dans les zones endémiques de l'Afrique, environ 30 millions de femmes enceintes sont exposées au risque du paludisme chaque année. Elles sont plus susceptibles au risque de l'infection palustre pendant la grossesse que celles non enceintes car l'immunité développée au cours des infections répétées avant la grossesse diminue physiologi­quement pendant la grossesse. La séquestration et la prolifération des parasites au niveau du placenta a un impact néfaste sur le développement du foetus en perturbant la diffusion de l'oxy­gène et des nutriments. Seul le Plasmodium falciparum, qui est l'espèce la plus courante en Afrique, pose réellement problème.

1. La gravité de la maladie pour la femme

au cours de la grossesse

Elle dépend de l'intensité de la transmission :

  • Dans les zones a transmission élevée ou stable (continue) : les femmes ont développé une immunité suffisante qui leur évite une infection palustre symptômatique. Par contre la maladie se manifeste générale­ment par une anémie secondaire et la pré­sence de parasites dans le placenta.
  • Dans les zones a transmission faible et épidémique, les femmes enceintes n'ayant pas acquis un niveau d'immunité élevé ont un risque deux ou trois fois plus important de développer une maladie grave découlant de l'infection palustre que les femmes adultes non enceintes vivant dans la même zone. Dans ces zones, la mortalité maternelle peut découler soit directement du paludisme (forme grave), soit indirectement d'une ané­mie grave liée au paludisme.

C'est ainsi que, dans les zones à transmission palustre, l'infection palustre chez la femme enceinte, provoque des effets néfastes : accès palustre, anémie maternelle, retard de crois­sance intra utérine, avortement spontané, décès néonatal et insuffisance pondérale à la naissance. Dans ces zones, le paludisme est à l'origine de 10 000 décès maternels par an pour 325 000 naissances, de 8 à 14 % des faible poids de naissance et de 3 à 8 % des décès de nourrissons.

Malgré le danger que représente le paludisme chez les femmes enceintes et leurs enfants, ce problème était encore relativement négligé il y a peu, sachant que moins de 5 % des femmes enceintes avaient accès à des suivis et inter­ventions efficaces. De nouvelles stratégies de prévention antipaludique pendant la grosses­se, ont été mises au point ces dix dernières années, et elles ont considérablement amélio­ré la santé des mères et des nourrissons.

2. La prévention du paludisme et la lutte contre la maladie au cours de la grossesse

Elle se présente en trois volets :

1) le traitement préventif intermittent

2) les moustiquaires imprégnées d'insecticide

3) la prise en charge de la maladie propre­ment dite.

Dans la majorité des pays africains, 60 % des femmes enceintes se rendent à de multiples consultations prénatales (CPN) et ceci consti­tue une bonne occasion d'interagir avec les femmes afin de prévenir le paludisme ainsi que d'autres maladies prioritaires qui les touchent.

1. Le traitement préventif intermittent

Il consiste à administrer à toutes les femmes enceintes au moins deux doses d'un anti­paludique efficace lors des consultations prénatales régulières. Le médicament actuellement retenu pour ce traitement est la sulfadoxine pyrimethamine à raison de 3 comprimés en une prise unique, adminis­trée tous les 3 mois, à partir du 2eme tri­mestre. Avant la fin du le` trimestre il n'y a pas de traitement préventif proposé, aucun des médicaments actuellement utilisés n'ayant fait preuve de son innocuité sur l'embryon. Le caractère économique et l'efficacité de cette approche a pu être vérifié au Malawi et s'accompagne d'une baisse des infections placentaires de 32 à 23 % et du nombre des cas de faible poids de naissance de 23 à 10 %. Elle a égale­ment révélé que 75% de toutes les femmes enceintes recourraient à ce traitement s'il leur était proposé.

2. Les moustiquaires imprégnées d'insec­ticide

Elles permettent de réduire à la fois le nombre des cas de paludisme et le taux de mortalité chez les femmes enceintes et leurs enfants. Dans les zones de forte transmis­sion comme au Kenya, il a été établi que les femmes qui dorment chaque nuit sous une moustiquaire imprégnée d'insecticide pen­dant leurs quatre premières grossesses ont quatre fois moins d'enfants prématurés ou ayant un faible poids de naissance. L'emploi d'une moustiquaire imprégnée bénéficie en outre au nourrisson qui dort avec sa mère en réduisant son exposition aux anophèles transmetteurs du paludisme.

Cette politique a connu cependant certaines difficultés d'application liées à la mauvaise observance de la consultation prénatale et au coût élevé pour une bourse moyenne des moustiquaires imprégnées. Ceci devait être pallié par la remise gratuite de moustiquaires à toutes les femmes enceintes se présentant à la CPN dès le début de leur grossesse et leur utilisation devait être encouragée tout au long de la grossesse et pendant la période du post-partum.

Les programmes d'éducation pour la santé, le marketing social et les pressions exer­cées pour abaisser le prix des moustiquaires et de leur réimprégnation contribuent à inciter les femmes enceintes à se servir des moustiquaires imprégnées.

3. Prise en charge des accès palustres

Dans les zones de transmission instable, les femmes enceintes n'étant pas suffisamment immunisées, sont exposées au paludisme et nécessitent une prise en charge rapide de leur état fébrile. Par conséquent, les sys­tèmes de soins prénatals devraient impérati­vement comprendre le diagnostic du paludis­me, et le traitement par des antipaludiques pouvant être administrés efficacement et en toute innocuité pendant la grossesse. La Mefloquine et l'Amodiaquine n'ont pas de tests documentés sur leur effets secon­daires sur la femme enceinte tandis que les combinaisons thérapeuthiques à base d'Artémisine (CTA) sont contre-indiqués pendant toute la grossesse.

Ainsi la présence de parasite chez la femme enceinte est considérée et traitée comme un cas de paludisme grave et le traitement est fait par la quinine administrée par voie intraveineuse associée à une solution gluco­sée à 10 % pour prévenir le risque d'hypo­glycémie.

Tableau 1: antipaludiques autorisés et interdits pendant la grossesse.
Premier trimestre Deuxième trimestre Troisième trimestre
Quinine 8,3mg de quinine base/8h pendant 7 jours ou lOmg de quinine sel/8h pendant 7 jours 8,3mg de quinine base/8h pendant 7 jours ou lOmg de quinine sel/8h pendant 7 jours 8,3mg de quinine base/8h pendant 7 jours ou 10mg de quinine sel/8h pendant 7 jours
Sulfadoxine­ pyrimethamine contre-indication 3 comprimés de 500mg de sulfadoxine et 25mg de pyrimethamine en prise unique 3 comprimés de 500mg de sulfadoxine et 25mg de pyrimethamine en prise unique
CTA contre-indication contre-indication contre-indication

3. Quelles stratégies pour le futur ?

L'action pour faire reculer le paludisme, en liaison avec la stratégie pour une grossesse à moindre risque, a accordé une importance nouvelle aux risques liés au paludisme pour les femmes enceintes dans le cadre des efforts de lutte antipaludique. La mise en oeuvre de pro­grammes efficaces et l'accès aux femmes qui en bénéficieront le plus, en particulier les ado­lescentes à haut risque, enceintes pour la pre­mière fois, se heurtent néanmoins encore à des obstacles. De nombreuses femmes en Afrique sont privées de soins médicaux et n'ont pas toujours la possibilité de se procurer des outils efficaces tels que les moustiquaires imprégnées d'insecticide, en particulier dans les zones très éloignées.

Pour prévenir de façon économique et efficace le paludisme chez les femmes enceintes, il faudra :

  • sensibiliser davantage à ce problème les col­lectivités les plus touchées ;
  • intégrer les instruments de lutte antipalu­dique dans les autres programmes de santé destinés aux femmes enceintes et aux nou­veau-nés;
  • renforcer les systèmes de soins prénatals et la participation des accoucheuses tradition­nelles là où elles sont associées à la presta­tion des services de santé.

Tel est le prix à payer pour des grossesses plus sûres et une baisse de la mortalité des nou­veau-nés.

Les dispensaires de santé infantile, de planifi­cation familiale et de soins prénatals servent de cadre à la lutte antipaludique pendant la grossesse.

Tableau 2: éléments distinctifs entre éclampsie et accès pernicieux.

Eclampsie Accès pernicieux palustre
Contexte Hypertension artérielle Paludisme
Symptômes Prise de poids CEdème des membres inférieurs Hyperréflectivité, coma Crises convulsives itératives Fièvre à 39°C-40°C Hépato-splénomégalie Prostration ou coma aréactif Crises convulsives rares
Biologie Protéinurie > 3,5 g/24 h Créatininémie > 100 µmol/L Anémie hémolytique Frottis sanguin : Plasmodium

Développement et Santé, n°189, 2008