Douleur de la drépanocytose

Par Mohamed Chérif Rahimy BP 2640 PP, Cotonou, République du Bénin.

Publié le

Reconnue au début du siècle, la drépanocytose ou anémie falciforme ou hémoglobinopathie S est une maladie autosomique récessive (pour que l'enfant soit malade, il faut qu'il ait reçu de chacun de ses deux parents le gène anormal) due à la présence de l'hémoglobine S dans les globules rouges. Il s'agit d'une affection fréquente, avec une spécificité ethnique et qui touche principalement les populations d'origine africaine et indienne ; par exemple, en Afrique au sud du Sahara et plus particulièrement dans les pays du golfe du Bénin, la prévalence des transmetteurs atteint 30 % de la population.

La drépanocytose, maladie héréditaire pour laquelle il n'existe pas encore de traitement curatif, est caractérisée par une anémie hémolytique chronique (le taux d'hémoglobine est habituellement à 6-8 g/dl). Sur ce fond permanent viennent se greffer des complications aiguës. Les crises douloureuses constituent une des manifestations aiguës habituelles de la maladie.

I. Description clinique

La crise de douleur aiguë est un événement fréquent et surtout le plus patent caractérisant l'évolution de la drépanocytose. C'est la manifestation clinique la plus communément reliée à la maladie. Elle est habituellement appelée crise douloureuse vaso-occlusive. Elle survient de manière irrégulière et est généralement imprévisible. Certains facteurs déclenchant sont décrits, tels une contrariété, l'exposition à un changement brutal de température, des efforts physiques excessifs, une déshydratation, les postures immobiles prolongées.

Le début est en général brutal ; la douleur est localisée à l'extrémité d'un segment osseux d'un membre ou à une partie de la colonne vertébrale. La douleur est rapidement maximale, profonde, rongeante ou lancinante, parfois oppressante. Le patient cherche en vain une attitude qui calme la douleur et demande souvent l'application de fortes pressions sur les zones douloureuses.

La douleur peut toucher n'importe quel endroit du corps, mais les zones les plus souvent concernées sont :

  • la colonne vertébrale, notamment la région lombaire et sacrée,
  • le genou,
  • la cheville,
  • le coude et
  • le fémur.

Plusieurs localisations peuvent se succéder dans le temps au cours de la même crise douloureuse. Parfois, la douleur est abdominale et pose alors des difficultés de diagnostic avec les causes chirurgicales de douleurs abdominales aiguës, surtout si le patient vomit, présente une constipation et un ballonnement.

L'examen du patient peut montrer une discrète rougeur locale, un léger gonflement et une légère augmentation de la température qui reste cependant au-dessous de 38° C ; mais dans la plupart des cas, l'examen clinique est normal. La douleur est exacerbée par la mobilisation du patient ou de la zone douloureuse.

La durée de la douleur peut être de quelques heures à une ou deux semaines. La durée moyenne est de deux à trois jours. L'évolution est toujours spontanément résolutive. La douleur peut disparaître rapidement ou s'atténuer progressivement sur plusieurs jours.

Chez le nourrisson et le petit enfant âgé de moins de cinq ans, la crise douloureuse touche les petits os et la présentation clinique est particulière : gonflement avec inflammation importante du dos des mains et des pieds (syndrome pied-main) avec une fièvre qui peut dépasser 38 °C. Une atteinte de l'état général avec aspect de maladie grave peut y être associée et faire la différence avec une infection osseuse débutante, également très fréquente à cet âge, est souvent très difficile. Dans certains cas, ce sont : les cris et pleurs incessants sans causes apparentes, le refus d'être porté au dos qui traduisent la crise douloureuse.

II. Physiopathologie

La physiopathologie de la crise douloureuse vaso-occlusive de la drépanocytose est très complexe et demeure encore mal comprise. Elle semble être due à la souffrance des tissus à la suite de la gêne de la circulation sanguine (ischémie des tissus) secondaire à l'obstruction des petits vaisseaux par les globules rouges falciformes.

III. Prise en charge du patient

Deux principaux problèmes sont à résoudre devant un patient atteint de drépanocytose qui présente une crise douloureuse

  • soulager la douleur,

  • ne pas méconnaître une autre complication aiguë plus grave se présentant comme une crise douloureuse.

1. Les problèmes de diagnostic différentiel

D'autres événements aigus de la drépanocytose peuvent à leur début prendre l'allure d'une crise douloureuse vaso-occlusive ou en compliquer l'évolution :

  • les infections bactériennes de l'os ou de l'articulation. C'est la principale difficulté ; la constatation d'une rougeur locale et d'un gonflement évidents et une fièvre à plus de 38 'C, l'augmentation progressive de l'intensité de la douleur doivent d'emblée faire évoquer une infection bactérienne ;
  • le priapisme ou érection irréductible et douloureuse. Dans le contexte africain, c'est une complication qu'il faudra toujours rechercher chez le jeune adulte car il ne le signale pas toujours spontanément, croyant à une maladie honteuse. Le principal risque est la perte de la fonction sexuelle en l'absence d'un traitement adéquat et rapide ;
  • la localisation de la douleur au niveau du thorax doit faire discuter le syndrome douleur thoracique aiguë ;
  • les douleurs abdominales font craindre une séquestration hépatique, une cholécystite aiguë ou une thrombose des vaisseaux du mésentère.

2. Comment soulager la douleur ?

Deux erreurs souvent commises dans là prise en charge de la crise douloureuse vaso-occlusive :

  • la sous-estimation de la douleur,
  • l'insuffisance du traitement antalgique.

Des échelles pour évaluer la douleur ont été proposées, mais il est important de toujours croire le patient tant qu'il dit ne pas être soulagé, surtout si c'est un enfant. Très souvent les doses unitaires administrées sont insuffisantes et l'on attend généralement que le patient se plaigne à nouveau avant de lui administrer la dose suivante.

Le traitement antalgique doit être administré à dose suffisante et suivant un rythme régulier établi dès la prise en charge du patient. Le rythme généralement proposé est une administration d'antalgique toutes les trois heures avec changement de palier (utilisation d'antalgique de classe supérieure) si l'évaluation montre une inefficacité des médicaments initiaux.

Le problème dans les pays en voie de développement est la non-disponibilité des médicaments, surtout les antalgiques majeurs. De plus, les anti-inflammatoires non stéréoïdes sont très souvent utilisés de manière excessive alors que leur effet analgésique est limité avec un phénomène de saturation rapide.

L'aspirine et le paracétamol étant presque toujours disponibles et accessibles, nous expérimentons depuis quatre ans le schéma suivant :

a) Traitement initial : association aspirine + paracétamol

Pour l'aspirine :

  • enfant : 15 mg/kg toutes les quatre heures (par voie orale ou par voie intraveineuse) sans dépasser la dose de 100 mg/kg/jour
  • adulte : 1 000 mg trois fois par jour.

Pour le paracétamol :

  • enfant : 15 mg/kg toutes les six heures soit 60 mg/kg/jour ;
  • adulte : 1 000 mg trois fois par jour.

b) Évaluation de l'efficacité au bout de trois heures

  • si le patient est soulagé, le traitement est maintenu pendant vingt-quatre heures, puis progressivement arrêté (suppression d'une dose sur deux) ;
  • si le patient n'est pas soulagé, on fait appel aux associations paracétamol + codéine ou paracétamol + dextropropoxyphène.

Il est indispensable d'assurer une bonne hydratation et une bonne équilibration électrolytique. Il faut également essayer de calmer l'angoisse du patient en associant des anxiolytiques.

Il faut cependant toujours garder à l'esprit que l'évolution de la crise douloureuse vaso-occlusive est spontanément résolutive en l'absence d'une autre complication associée. L'important c'est de diminuer la souffrance du patient pour limiter les perturbations de la vie sociale, professionnelle, affective et familiale que peut induire la répétition des épisodes.

Développement et Santé, n° 131, octobre 1997