Message préventif et normes sexuelles : réflexions à propos d'un texte d'information sur la prévention du SIDA

Par Y. Jaffré et M. Mahazou Division de l'Information et de l'Éducation pour la Santé, Niamey, Niger.

Publié le

Au Niger, 293 cas de SIDA ont été déclarés à l'OMS depuis 1987. Ce chiffre ne représente que les pathologies recensées et confirmées par les services sanitaires. Il ne dénombre malheureusement pas l'ensemble des personnes séropositives mais suffit a montrer l'urgence à mettre en oeuvre une campagne d'éducation pour la santé.

En Afrique de l'Ouest, la transmission du virus s'effectue le plus souvent par voie sexuelle et la prévention consiste donc en une modification des conduites "amoureuses" et/ou une bonne utilisation des préservatifs.

Afin de promouvoir ces nouveaux comportements, la division de l'éducation pour la santé et le programme de lutte contre le SIDA ont décidé d'élaborer une plaquette d'information destinée à l'ensemble de la population. Un court texte et quelques illustrations devaient expliquer, les caractéristiques de la maladie, ses modes de transmission et sa prévention.

Bien que ce travail semble fort simple, la confection et le test de la maquette de cette brochure auprès de plusieurs groupes représentatifs de la population sexuellement active (clients des bars, élèves et étudiants, malades présentant une MST), souleva quelques difficultés.

Notre texte contenait trois " messages " préventifs :

  • "L'abstinence totale de rapports sexuels est la protection la plus efficace"
  • "La fidélité a un(e) seul(e) et même partenaire est une protection sûre"
  • "L'utilisation correcte de capotes lors de chaque rapport sexuel est une protection encore plus sûre. Les capotes protègent des MST et du SIDA"

La première proposition fut rejetée par le plus grand nombre de nos interlocuteurs au nom de la "normalité" : "Avoir des relations sexuelles, c'est naturel, autrement cela causerait un déséquilibre physique"

Les divers groupes interrogés se montrèrent, par contre, très intéressés par les préservatifs, ne manifestèrent aucune gêne à en parler et insistèrent sur la nécessité de créer un bon réseau de distribution afin de les rendre accessibles, de manière discrète, au plus grand nombre.

La traduction, dans les langues locales de la notion de "fidélité" nous posa, par contre, de nombreux problèmes.

En effet, s'il est possible d'utiliser une périphrase désignant l'unicité d'un partenaire sexuel, celle-ci ne recouvre qu'en partie la stricte notion de " fidélité ".

Cette difficulté nous incita à essayer de mieux comprendre nos interlocuteurs et à réfléchir sur les normes qui organisent leurs relations sexuelles et leurs sentiments.

• Dans le monde mandingue, de nombreux chants et proverbes louent la passion, " jarabi ". Malgré tout, celle-ci n'est pas valorisée dans le cadre du mariage où, bien qu'il existe de grandes différences entre les milieux urbain ou rural et selon les niveaux de scolarisation, l'alliance correspond plus à l'accomplissement d'une obligation sociale qu'à l'aboutissement d'une relation affective individuelle.

Dans le couple, plus que la fidélité (tout au moins pour l'homme), ce sont les sentiments de respect, " bonya ", de honte, " maloya " et de compagnonnage, " deli " qui sont exigés.

En pays haoussa, le destin d'une femme peut être figuré par quatre états. Celui de petite fille, " yarinya ", de jeune fille, " buduruwa ", de femme mariée, " matan aure " et de vieille femme, " tsofura ". A chacun de ces âges correspondent différentes normes de conduites.

La séduction et la liberté sont l'apanage de la " buduruwa ", courtisée par des prétendants " saurayi " qui l'honorent par de multiples cadeaux, " toshi ".

Les sentiments de la femme mariée se partagent, par contre le plus souvent, entre le respect, " kumya ", envers sa belle famille et la jalousie, " kishi ", envers ses coépouses.

Celle a qui échoit culturellement le devoir de tempérance, " hakuri ", peut se révolter " tayi ya jin " lit : " elle a fait le piment ") et quitter le domicile conjugal (" yaji ", la fuite).

Si un divorce est prononcé, la femme sera nommée " bazawara ", nom ne se rapportant aucunement à sa liberté recouvrée mais signifiant sa recherche d'un nouveau mari et le caractère obligatoirement transitoire de son état. Il n'existe, stricto sensu, aucun terme pour nommer une femme célibataire. Celleci ne peut être que future épouse ou prostituée, " karuwaï ".

L'instabilité du couple est fréquente en milieu Haoussa. La femme craint la répudiation et l'homme prévient un éventuel célibat par la pratique de la polygamie ou par des relations extra-conjugales.

La notion de fidélité prend place dans l'ensemble de ces relations sociales. L'ironie populaire la désigne sous les termes de " zama kurun ", lit. " rester tranquille " et " mutum ya riké wandon shi " lit. " la personne a attrapé son pantalon ". Le " vagabondage " est ici presque une obligation pour témoigner de sa virilité et anticiper un éventuel célibat.

• Dans la société peule bororo, si la fidélité est évoquée par des proverbes - " lelwa ngota nyaamata saabeejii didi "" la même antilope ne mange pas dans deux champs ", elle se présente plus comme une succession de choix que comme la pérennisation d'une relation unique.

Le succès amoureux -" farin jinii "- du ravisseur de femme -" téowo " - prend place dans un ensemble de représentations liant des normes esthétiques et morales. Les femmes séduites et acceptées par l'homme sortiront du cercle des " non-aimées " (" sun din do ") et espéreront de leur amant, souvent partagé avec d'autres femmes, le don d'un enfant paré de ses qualités esthétiques et morales.

Cette apparente liberté n'est pas sans contraintes. La mesure est de règle et celui qui ravirait trop de femmes ou celle qui aimerait trop les hommes - " furdu " - serait exclu de certaines de prérogatives liées à son statut à l'intérieur de son clan.

Malgré leurs évidentes spécificités, il existe, entre ces trois sociétés quelques points communs :

  • A l'intérieur du couple marié, la sexualité est avant tout définie dans sa fonction de reproduction. De nombreux exemples, allant de la répudiation des femmes stériles aux manières de nommer l'époux " père de mes enfants ", accréditent cette thèse.
  • Le respect envers sa femme, impose au mari d'assumer un certain nombre de charges sociales comme la subsistance quotidienne de la famille, ou d'aider en diverses circonstances (deuil, baptême) sa belle-famille.
  • Par contre l'unicité des relations sexuelles avec son épouse peut être conçue comme une espérance ou un idéal, non comme une obligation. Dans cette conception, l'inacceptable ne provient pas tant du plaisir qu'il peut arriver à l'homme de trouver ailleurs que dans son ménage, mais de mettre en situation d'équivalence et/ou de rivalité une " relation " et sa femme légitime. Si pour la femme la fidélité est liée à l'exclusivité sexuelle (il faut garantir l'origine de l'enfant), pour l'homme elle consiste avant tout, à maintenir le statut de l'épouse et sa prééminence sur les autres femmes.

Le test de la brochure d'information sur le SIDA et sa prévention visait à accorder des conseils sanitaires aux conceptions des populations. Notre simple exemple, montre que ceci ne peut se réduire à la production d'un " message " intellectuellement compréhensible. Il faut, de plus, que celui-ci puisse prendre place dans les systèmes de pensée qui légitiment et expliquent les conduites, diverses selon les cultures, des groupes sociaux concernés par les campagnes d'éducation.

Dans le cas du SIDA, mais cela serait tout aussi vrai pour ce qui concerne les malnutritions ou les maladies hydriques, la première étape d'une campagne d'éducation pour la santé consiste à décrire les raisons des conduites des populations.

Pour ce faire les enquêtes à mettre en oeuvre sont diverses. Elles ne peuvent se limiter à des questionnaires d'opinion ou de connaissances (enquêtes CAP). En effet, comme dans notre exemple, les raisons des pratiques ne sont pas individuelles, et le plus souvent, échappent au raisonnement conscient de ceux qui les mettent en oeuvre.

L'écoute et la description précise des termes utilisés par les " groupes cibles " pour décrire leurs comportements, puis le recueil de commentaires sur ces termes permet de décrire les normes en vigueur chez nos interlocuteurs. Grâce à ces enquêtes peut-être

pourrons-nous alors, plutôt que d'espérer faire entrer des groupes humains dans nos modèles, adapter nos modèles à la quotidienneté du plus grand nombre.

Langue* Nombre de locuteurs Pays concernés
Mandingue 6 millions Mali, Burkina Faso, Côte d'Ivoire
Haoussa 12 millions Niger, Nigeria
Peul 5 millions Toute l'Afrique de l'Ouest

* Le nombre de locuteurs est indicatif. Ne s'agissant pas ici d'une étude linguistique nous n'envisageons pas les différences entre langue maternelle et langue véhiculaire, ni les questions de variations dialectales.