Pourquoi et comment se laver les mains ?

Par Catherine Dupeyron Biologiste, Hôpital Henri Mondor, Créteil, France.

Publié le

Introduction

Les bactéries sont très nombreuses dans l'environnement et nous vivons en permanen­ce dans ce monde microbien. L'homme lui­même est porteur d'une très grande quantité de bactéries sur sa peau, ses muqueuses et dans son tube digestif.

A titre d'exemple, les mains portent à leur surface 106 à 108 bactéries par cm2 de peau (1 à 100 millions) et le tube digestif contient 1014 bactéries (soit cent mille milliards). Il est classique de dire que le corps humain est por­teur d'un plus grand nombre de bactéries que le nombre de cellules qui le constituent (voir encadré).

Cette flore bactérienne est utile et même indis­pensable à la vie humaine. Elle contribue à la digestion et elle participe dans l'intestin à la fabrication de certaines vitamines. C'est une barrière contre l'implantation et la proliféra­tion de germes pathogènes, et elle permet le développement des systèmes de défense immunitaire.

Mais c'est aussi dans cette flore que l'on trou­ve une grande quantité de micro-organismes qui peuvent être, dans certaines circonstances, responsables de nombreuses et sévères infec­tions chez l'homme : infections urinaires, infections intestinales, surinfections de plaies, infections de dispositifs à perfusion, infections sur cathéters, infections consécutives à des interventions chirurgicales, bactériémies, sep­ticémies, pour ne citer que les plus fréquentes. Par exemple des bactéries comme les staphy­locoques dorés ou blancs, les colibacilles, les entérocoques ou autres... font partie de la flore habituelle de la peau et/ou du tube diges­tif. Elles peuvent aussi provoquer des infec­tions si elles pénètrent dans l'organisme au niveau de plaies, au cours d'injections, de son­dages, de chirurgie ou plus généralement de manière accidentelle.

Quelques chiffres Mains
  • 106 à 108 bactéries par cm2 de peau soit 1 000 000 à 100 000 000 (un à cent millions)
Tube digestif
  • 1014 micro-organismes soit 100 000 000 000 000 (cent mille milliards)
L'homme est porteur de plus de bactéries que de cellules.

Toute personne peut être ainsi infectée mais il est bien connu que les patients aux défenses immunitaires amoindries (patients atteints de SIDA en particulier) sont encore plus sensibles que les autres à toutes les causes d'infections et développent des infections plus graves.

Lorsqu'un patient développe une infection, l'agent responsable est soit un de ses propres germes, soit un pathogène provenant du milieu extérieur qu'il aura inhalé, absorbé ou qui lui aura été transmis par contact. Lors­qu'un patient subit des soins ou est hospitalisé l'agent responsable peut être transporté d'un malade à un autre malade et provoquer une infection dite croisée. Le plus souvent le vec­teur est la personne qui le soigne : le médecin ou l'infirmier, ses mains ou ses instruments de travail. On parle d'infection manuportée ou d'infection transmise par le matériel de soin ou d'exploration.

Les accidents infectieux contractés par les malades au cours de leur hospitalisation sont appelés infections nosocomiales. Les infections qui surviennent à la suite d'un soin par un médecin ou un infirmier où à la suite d'examens médicaux chez un patient non hospitalisé sont plutôt appelées infections iatrogènes, mais la cause en est la même.

Ce mode de transmission manuportée est extrêmement fréquent, il est respon­sable de nombreuses épidémies dans des col­lectivités : établissements de soins, dispen­saires, consultations etc. Il peut également être très facilement supprimé, car il est prouvé qu'un lavage des mains correct élimine les bactéries de contamination et empêche la transmission interhumaine.

La transmission par les mains est connue depuis longtemps, elle a été mise en évidence par un médecin hongrois Semmelweis dès 1850, avant même les grands travaux de Pas­teur. Cette ques­tion est toujours d'actualité et a fait l'objet ces dernières années, de publications scientifiques de grandes équipes d'hygiène. Actuellement où nous disposons de gros moyens pour lutter contre l'infection et d'un grand arsenal anti­biotique, le premier élément de la lutte contre l'infection et sa transmission reste le lavage des mains, si toutefois il est effectué correcte­ment. Il ne demande pas beaucoup de moyens financiers mais de l'application et de la rigueur, pour le respect des conditions de son efficacité.
Nous en rappelons ici les principes de base.

Il. Lavage simple

Ce lavage prévient la transmission manupor­tée en éliminant la flore transitoire.

1. Matériel (si possible)

  • Savon liquide doux avec distributeur.
  • Essuie main à usage unique, avec distributeur.
  • Poubelle.

2. Technique

  • Mouiller les mains et les poignets.
  • Appliquer une dose de savon.
  • Masser chaque main, insister sur les parties entre les doigts.
  • Rincer.
  • Sécher avec l'essuie-mains à usage unique.
  • Fermer le robinet avec l'essuie-mains après utilisation.
  • Jeter l'essuie-mains dans la poubelle sans la toucher.

Le temps minimum pour un bon lavage est de 30 secondes.

On doit se laver les mains ainsi, en pre­nant et en quittant son service, pendant le service après chaque geste de la vie cou­rante (repas, coiffure, passage aux toilettes etc), avant et après un soin où un contact avec un malade, et à chaque fois que l'on passe d'un malade à un autre.

III. Lavage antiseptique

Ce lavage élimine la flore transitoire et dimi­nue la flore commensale.

1. Matériel

  • Savon liquide antiseptique avec distributeur.
  • Essuie-main à usage unique, avec distributeur.
  • Poubelle.

2. Technique

  • Mouiller les mains et les poignets.
  • Appliquer une dose de savon.
  • Masser chaque main, insister sur les parties entre les doigts et le pourtour des ongles.
  • Rincer abondamment, maintenir les paumes dirigées vers le haut
  • Sécher avec l'essuie-mains à usage unique.
  • Fermer le robinet avec l'essuie-mains après utilisation.
  • Jeter l'essuie-mains dans la poubelle sans la toucher.

Le temps minimum pour un bon lavage est de 1 minute.

On doit se laver les mains de cette façon, à chaque fois que l'on réalise un geste inva­sif, un soin ou une technique aseptique.

IV. Lavage chirurgical

Ce lavage élimine la flore transitoire et dimi­nue la flore commensale.

1. Matériel

  • Savon antiseptique à large spectre.
  • Brosse à usage unique stérile.
  • Essuie-mains stérile.
  • Robinetterie dégagée, à commande non manuelle.
  • Eau bactériologiquement pure.
  • Poubelle.

2. Technique

  • Masque et coiffe mis en place
  • Préparer la brosse.

1ere étape : prélavage

  • Appliquer une dose antiseptique et faire mousser abondamment jusqu'aux coudes pendant une minute.
  • Maintenir les mains au-dessus des coudes.
  • Rincer abondamment les mains, les poignets et les avant-bras.

2ème étape

  • Reprendre une brosse stérile.
  • Brosser les ongles pendant une minute.

3ème étape

  • Reprendre une dose de savon, masser chaque main pendant une minute, et chaque avant bras pendant 30 secondes.
  • Rincer et sécher en tamponnant avec un essuie-mains stériles.

Le temps minimun est de 5 minutes.

Six étapes bien orchestrées pour l'application des solutions moussantes ou des solutions hydro-alcooliques sur les mains

V. Friction des mains avec des solutions hydro­alcooliques

Ce sont des solutions (ou des gels) à séchage rapide, conçus spécifiquement pour la désin­fection des mains.

A base de propanol et/ou d'isopropanol à 70% environ, elles contiennent un émollient et parfois un autre antiseptique.

Elles s'appliquent par friction sans rinçage sur des mains sèches, propres et non talquées. Elles réalisent une antisepsie rapide des mains en réduisant la quantité de germes présents. Elles ne remplacent pas le lavage des mains.

Conditions d'emploi

Avoir les mains propres (non souillées) et sèches.

Verser 3 ml dans le creux de chaque main. Etaler la solution en suivant les 6 étapes décrites. Schéma du lavage (voir tableau)

Les solutions hydro-alcooliques sont une alternative au lavage des mains mais ne le remplaçent pas. Il est nécessaire de se laver les mains au savon après 4 à 5 désin­fections sinon elles deviennent poisseuses.

Frictionner les mains jusqu'à séchage complet. Les solutions hydro-alcooliques peuvent être très utiles dans les lieux où l'accès à l'eau n'est pas possible.
(Un seul obstacle à leur utilisation peut être leur coût, supérieur à celui des savons liquides.)

En conclusion

La main est naturellement porteuse de germes, le milieu hospitalier et le contact permanent de celle-ci avec des zones infectées augmentent la possibilité de trans­port de ces germes. Il faut diminuer le nombre des germes fixés sur la main pour diminuer le risque de contamination, par un lavage avant et après chaque soin et dès qu'il y a contact avec une surface contaminée vivante ou iner­te. Le lavage des mains est une étape essen­tielle dans la lutte contre l'infection car c'est le seul moyen de supprimer la transmission manuportée. Son efficacité dépend des bonnes conditions de sa réalisation. Les diffi­cultés le plus souvent rencontrées sont le manque de temps, et l'éloignement des points d'eau. Les frictions avec les solutions hydro­alcooliques sont une alternative et une aide efficace dans ces cas-là.

Le lavage des mains
Lavage simple Lavage antiseptique Lavage chirurgical
Réalisé avec un savon doux, il nettoie les salissures et diminue la flore transitoire par action mécanique. Réalisé avec un savon désinfectant, il élimine les salissures, élimine la flore transitoire et réduit la flore résidente. Réalisé avec un savon antiseptique, il doit réduire la flore résidente de 100 à 1 000 fois.
Temps minimum de friction nécessaire : 30 secondes. Temps minimum de friction nécessaire : 1 minute. Durée minimale de friction : 5 minutes.

Rappel sur la flore de la main

La flore de la main a deux origines :

  • une flore commensale dite résidente, qui est celle des couches superficielles de la peau. Elle est peu pathogène pour l'homme sain, et sera incriminée seulement en cas de techniques invasives profondes chez le patient immunodéprimé (Staphylococcus epidermidis, Coryne­bacterium).
  • une flore dite transitoire, qui est superficielle, de contamination récente, qui survit un temps limité sur la peau et peut être pathogène. Il s'agit de bactéries d'origine digestive (Esche­richia coli, Klebsiella pneumoniae, Proteus mirabilis etc), de bactéries provenant de la peau ou des muqueuses (Staphylococcus aureus etc), ou de bactéries d'origine exogène (Pseudo­monas, Acinetobacter etc). C'est cette flore qui est acquise lors de soins ou d'examens effec­tués chez des malades colonisés ou infectés qui est le plus souvent à l'origine d'infections noso­comiales, par transmission de malade à malade, les mains des soignants servant d'intermé­diaires. Elle survit pendant un temps limité à quelques heures et il a été démontré que le lava­ge correct des mains élimine ces bactéries et donc empêche la transmission interhumaine.
Le pionnier de l'asepsie Il faut rendre hommage à Ignace Semmelweiss, médecin hongrois qui était accoucheur à Vienne en Autriche. C'est en 1846 qu'il devient assistant en obstétrique. La mortalité à la maternité où il prend ses fonctions est catastrophique : en effet, 96 % des femmes admises dans le service y décèdent... et la rumeur circule qu'il est préférable d'accoucher dans la rue plutôt qu'à l'hôpital. Le jeune médecin se donne pour tâche de rechercher les causes de la fièvre puerpérale qui frappe les accouchées, et il a au départ une certitude : "la cause que je cherche est dans notre hôpital et nulle part ailleurs". Sa démarche scientifique est exemplaire : il s'appuie sur l'observation pour en tirer des conclu­sions logiques. II a d'abord observé que les étudiants passaient directement des salles d'autopsie à la maternité où on examinait les femmes enceintes. Par ailleurs, il fait un rapprochement entre la fièvre puerpérale des accouchées et la mort d'un professeur d'anatomie ayant péri d'infection généralisée après s'être blessé pendant une autopsie. Il en déduit qu'il s'agit d'une seule et même maladie. Nous savons aujourd'hui qu'il s'agissait de la septicémie à streptocoques A. Avant Pasteur, comme tous les médecins, Semmelweiss ignorait l'existence des microbes, mais il a eu l'intuition que "des particules" provenant des cadavres des salles de dissection étaient trans­portées et répandues par les mains des étudiants et transmettaient les infections mortelles. En même temps qu'il découvre (sans pouvoir apporter des preuves) l'origine du mal, Semmelweiss invente l'asepsie : il oblige les médecins et les étudiants à se laver les mains avec une solution chlo­rée. L'application de cette méthode est un succès total, la mortalité s'effondre et tombe à 2% ! La nature du mal et sa prévention semblent évidentes et pourtant, pour différentes raisons (dont la jalousie de ses supérieurs), Semmelweiss n'a pas réussi à convaincre. Il a fallu attendre la fin du XIXe siècle et la révolution apportée par Louis Pasteur pour que les règles de l'asep­tie commencent à être comprises et acceptées. Et c'est seulement au XXe siècle, dans les années 20 que fut reconnue la remarquable perspicacité de ce médecin pionnier qui fut long­temps injustement oublié. On retiendra de cette histoire que, sans moyens matériels, et seulement avec l'observation et le raisonnement logique, on peut faire progresser la médecine. Nicole Horeau

Développement et santé n°183, 2006