Mutilations sexuelles féminines : trente ans de réussite face à une pratique millénaire

Par Isabelle Gillette-Faye Sociologue, Directrice de la Fédération nationale GAMS, France

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Comment résumer, en quelques minutes, trente ans de militantisme en France, qui se croisent également avec les actions menées sur d’autres continents et en Europe…

Que dire pour commencer ? Une première chose qui me paraît essentielle, la redite étant pédagogique, et c’est l’une des raisons d’être de mon engagement personnel : les premiers mouvements « abolitionnistes » sont partis du continent africain, d’Ethiopie, au XVème siècle … Puis Awa THIAM, avec « La Parole aux Négresses », a, en tant que femme africaine, sénégalaise, la première porté un regard critique sur l’excision. Puis, les pays industrialisés n’ont fait que rejoindre le mouvement, en particulier à la fin des années 1970, avec les premiers rapports de Fran HOSKEN sur « Les mutilations sexuelles féminines » ou de Benoîte GROULT, avec « Ainsi soit-elle ». Enfin, le concert des Nations, sous-entendues Unies, comme la philosophe Renée Saurel, l’a rappelé dans les Temps Modernes.

Donc un petit retour en arrière s’impose… Pour la France, au début des années 1980, des hommes originaires de l’Afrique subsaharienne font venir en France leurs épouses. Des fillettes naissent, dont certaines mourront après avoir été excisées. Des femmes d’origine africaine et occidentale se mobilisent alors contre les mutilations sexuelles féminines. Ces pratiques constituent une atteinte grave aux droits fondamentaux de tout être humain, à la dignité et à l’intégrité. Elles ont par ailleurs des conséquences dramatiques sur la santé.

Ainsi, dès 1981, des pédiatres de PMI (Protection Maternelle et Infantile), parmi lesquels Marie-Hélène FRANJOU, Jacqueline DE CHAMBRUN et Emmanuelle PIET, témoignent dans le Quotidien du Médecin du 12 mars. " Mutilations sexuelles féminines : un problème qui concerne les praticiens français ". Ces médecins proposent alors la formalisation d’un programme d’éducation sanitaire.

Puis, l’association GAMS (Groupe femmes pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles féminines) est créée à Paris en 1982. Elle est constituée de femmes d’origine africaine - Coumba TOURE, Madina DIALLO, Khady DIALLO, Sophie SOUMARE, Nafissatou FALL …- et de femme d’origines occidentale, de médecins - Marie-Hélène FRANJOU, Luce SIRKIS, Danièle BUGEON, Annie-Laurence GODEFROY, Josyane BUHOT -, de militantes associatives, parmi lesquelles Chantal GAZEAU, qui se fixent comme objectif de contribuer à la disparition des pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants, notamment des mutilations sexuelles féminines.

D’emblée, deux règles fondamentales de travail sont posées :

  • agir ensemble, femmes africaines et femmes françaises,
  • agir en réseau avec les groupes œuvrant sur les mêmes sujets en Afrique et ailleurs dans le monde.

De nos réflexions naît un objectif : informer la population concernée de l’extrême dangerosité des mutilations sexuelles féminines afin que les parents des filles décident eux-mêmes d'y renoncer. Notre propos est de faire appel surtout à la réflexion mais n’exclut pas la référence à la loi. D’autres associations sont plus particulièrement orientées sur la loi, telle que la CAMS, Commission pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles Féminines, animée par Maître Linda WEIL-CURIEL. Nous nous efforçons de contacter les différentes administrations et organismes en relation avec la population concernée pour les sensibiliser à la nécessité de mettre en place une telle information. Divers secteurs sont définis et, en priorité, la santé, le social et l’éducatif.

Nous n’oublions pas les médias. Convaincues de l’importance de l’information pour convaincre les familles africaines, nous soulignons cet aspect lors des travaux du groupe de travail mis en place par le Ministère des Droits de la Femme en 1982. Depuis lors, notre travail privilégie sans cesse l’information des populations concernées, soit directement, soit indirectement en sensibilisant les professionnels qui sont en contact avec elles. Depuis 1982, Nous participons à de nombreuses journées de formation initiale et continue de professionnels de santé (notamment en Protection Maternelle et Infantile) et de travailleurs socio-éducatifs.

En 1984, sous l’impulsion du Ministère des Droits de la Femme, un ouvrage rédigé en collectif : « Les mutilations du sexe des femmes aujourd’hui en France (Editions Tierce) »est publié. Ont notamment contribué à la rédaction de cet ouvrage : outre le GAMS, la Ligue du Droit International des Femmes (créée par Simone DE BEAUVOIR et aujourd’hui présidée par Annie SUGIER), le Modefen (Mouvement pour la Défense des Droits de la Femme Noire), animé par Lydie DOOH-BUNYA, Santé et Droits de la Femme, ainsi que Simone Iff, conseillère technique auprès du Ministère des Droits de la Femme, le Mouvement Français pour le Planning Familial, présidé alors par Marie-France CASALIS, Sylvie FAINZANG et Nicole ECHARD, ethnologues, dont les travaux s’inscrivent dans ceux de Nicole-Claude MATHIEU.

Toujours en 1984, a lieu la seconde rencontre internationale à Dakar sur la question des pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants. Des rapports sont présentés pour six pays africains : Sénégal, Egypte, Soudan, Mali, Sierra Léone, Somalie. Les différent(e)s intervenant(e)s confirment les recommandations faites à Khartoum. L’excision sous toutes ses formes doit disparaître. Les moyens à privilégier pour cela sont « l’information et une éducation particulièrement intensive afin de changer la mentalité masculine » et « l’interdiction de la pratique à tout le personnel médical et paramédical ».

Au cours du séminaire, un Comité interafricain est créé, chargé de susciter la création d’un comité national de lutte dans chaque pays concerné et de suivre les travaux engagés. Le GAMS représenté à la rencontre devient " la section française du Comité Interafricain ". Le Comité Interafricain regroupe aujourd’hui une trentaine de comités nationaux africains et au moins autant d’affiliés dans les pays industrialisés. Il a reçu en 1995 le prix des Nations-Unies en matière de population.

En 1985, Patricia ALLAL, membre du GAMS, soutient sa thèse de doctorat en médecine : « Les mutilations du sexe des femmes. Etude dans un département français : les Yvelines. Propositions pour la disparition de ces pratiques ». A l’occasion de cette thèse, une étude est conduite dans une maternité d’Ile-de-France sur « les conséquences obstétricales de l’excision féminine ». Elle confirme à nouveau que les femmes excisées ont beaucoup plus souvent des déchirures périnéales que les autres femmes.

Toujours en 1985, au forum des ONG, en marge de la troisième rencontre internationale des Nations-Unies sur les discriminations faites aux femmes à Nairobi (Kenya), le Comité Interafricain sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants tient sa première assemblée générale. Les comités nationaux africains nouvellement constitués et le GAMS évoquent leurs travaux.

En 1987, a lieu le séminaire régional sur les pratiques traditionnelles ayant effet sur la santé des femmes et des enfants à Addis Abeba (Ethiopie), organisé par le Comité Interafricain, coparrainé par le Ministère de la Santé d’Ethiopie, la Commission Economique des Nations-Unies pour l’Afrique, l’Organisation de l’Unité Africaine, le Fonds des Nations-Unies pour l’Enfance (UNICEF) en collaboration avec l’Organisation Mondiale de la Santé.

Des comités créés dans différents pays du continent africain rapportent leurs travaux. Les pratiques traditionnelles telles que les mutilations sexuelles féminines, les mariages forcés d’adolescentes, les tabous alimentaires ou le non-espacement des naissances ont des conséquences désastreuses sur la santé des populations. Des actions d’information sur leurs dangers sont peu à peu organisées dans différents pays africains et du matériel éducatif est créé.

En 1990, lors du Séminaire régional sur les pratiques traditionnelles ayant effet sur la santé des femmes et des enfants qui a lieu à Addis Abeba (Ethiopie) et st organisé par le Comité Interafricain, nous présentons notre travail réalisé depuis 1987,.

En 1992, le GAMS participe à la première conférence européenne organisée à Londres (Royaume-Uni) par le FORWARD (Foundation for women’s health research and development), sur la thématique des Mutilations Sexuelles Féminines ; puis à nouveau en 1993, en Suède.

En 1993, nous participons également à un groupe de travail sur les mutilations sexuelles féminines mis en place par la Délégation aux Droits des Femmes d’Ile-de-France, représentée par Mme Catherine MORBOIS, pour préparer un matériel didactique à l’intention des professionnels et des familles originaires de l’Afrique subsaharienne. Le préfet de Région Ile-de-France lance officiellement une campagne de prévention des mutilations sexuelles féminines en novembre 1993. Les affiches et dépliants préparés par le groupe de travail sont très largement diffusés et utilisés. Puis, en 1994, la campagne « Nous protégeons nos petites filles » est étendue de l’Ile-de-France au plan national et notamment à dix départements davantage concernés.

De 1994 à 1995, le GAMS finance, grâce à la Coopération française, cinq programmes de prévention organisés par les comités nationaux du Comité interafricain du Niger, du Mali, du Burkina Faso et de Guinée Conakry.

En 1995, grâce au concours de différentes directions ministérielles et de la Fondation de France, nous coproduisons un programme de formation « Femmes assises sous le couteau » comprenant un film documentaire, réalisé par Laurence PETIT-JOUVET, et un manuel destiné à l’animation de réunions ayant pour thème la prévention des mutilations sexuelles féminines. L’ensemble est réalisé avec notre participation et diffusé par nos soins.

En 1996, nous avons participé activement à la création du GAMS Belgique, à l’initiative de Mme Khadia Diallo.

En février 1996, nous co-organisons une journée nationale sur la prévention des mutilations sexuelles féminines au Ministère des affaires sociales destinée aux professionnels médico-sociaux et associations travaillant auprès des populations concernées. Des représentants de différents services ministériels apportent leur soutien à cette manifestation qui est très appréciée. Des représentants de l’O.M.S. interviennent. La présidente du Comité Interafricain, Mme Berhane RAS-WORK, évoque le travail réalisé en Afrique et fait appel à l’assemblée pour que le travail déjà réalisé soit poursuivi avec détermination. Notre association peut témoigner du fait que les actions de prévention mises en place avec la participation de femmes africaines convaincues sont efficaces, et permettent de faire disparaître les mutilations sexuelles féminines. Il convient toutefois de veiller à l’application de la loi lorsque les familles font exciser leurs filles malgré l’information reçue.

En 1997, Isabelle GILLETTE-FAYE, Directrice du GAMS depuis 1990, soutient sa thèse de Doctorat de Sociologie, intitulée « La polygamie et l’excision dans l’immigration africaine en France, analysée sous l’angle de la souffrance sociale des femmes ». Cette thèse a été publiée aux Presses Universitaires du Septentrion, en 1998.

De 1999 à 2001, Isabelle GILLETTE-FAYE conduira, pour le ministère des Affaires étrangères français, une étude dans 4 pays de la sous-région : Côte d’Ivoire, Mali, Bénin et Burkina-Faso, afin de développer en multilatéral des actions communes avec l’UNICEF, visant à prévenir les pratiques traditionnelles néfastes, dont les mutilations sexuelles féminines.

En 2001, le GAMS organise et prépare, avec Equilibres & Populations, un premier Colloque à l’Académie Nationale de Médecine à Paris : « Comment lutter contre les mutilations génitales féminines ici et là-bas ? »,.

Entre 2001 et 2002, le GAMS coordonnera le « Premier Programme Européen de lutte contre les mutilations génitales féminines (MGF) en Europe » qui concerne 10 pays européens, 15 ONG et Centres de recherche partenaires. Cela aboutira à la co-fondation du Réseau Européen de lutte contre les mutilations génitales féminines (Euronet FGM), 15 pays de l’Union Européenne étant partenaires.

En juin 2004, le GAMS préparera activement et collectivement un second Colloque « Les mutilations sexuelles féminines, un autre crime contre l’humanité. Connaître, prévenir, agir », qui se tient à l’Académie Nationale de Médecine à Paris., et présente des recommandations visant à l’éradication des mutilations sexuelles féminines (MSF),

De 2006 à 2007, ont lieu un Colloque National Interministériel à l’Institut Pasteur et neuf déclinaisons Régionales « Halte aux mutilations sexuelles féminines », initiés par le Ministre de la Santé et la Direction Générale de la Santé. Le GAMS est associé au déroulement et à la co-animation de ses Colloques avec Gynécologie sans Frontières.

De 2009 à 2013, la Fédération nationale GAMS est partenaire de la campagne européenne d'Amnesty International Irlande "End FGM", qui vise à l'adoption par l'Union Européenne d'une stratégie commune pour prévenir les mutilations génitales féminines sur les femmes et les petites filles en Europe et protéger celles qui ont fui leur pays d'origine par crainte d'être mutilée. Le travail se poursuit par la création d’une association européenne « End FGM ».

A partir de juin 2009, le GAMS se structure en Fédération Nationale ; aujourd’hui, sept représentations régionales sont réparties sur l’ensemble du territoire français. D’autres femmes africaines, Nana CAMARA, Catherine TRAORE, Naky SY SAVANNE, Sadio DIABIRA, Goundo SAKHANOKO sont venues compléter notre équipe. Christine BEYNIS devient la Présidente du GAMS.

En juillet 2009, le GAMS organise avec ses partenaires africains une Caravane des femmes africaines pour la Paix, l’Egalité et la Citoyenneté, au Mali. Le film est disponible au siège de la Fédération nationale GAMS.

En mars 2010, la Fédération nationale GAMS accompagne le lancement du film « Fleur du Désert » en partenariat avec la Fondation Kering, avec des projections/débats sur l’ensemble du territoire français, animés par la Fédération Nationale GAMS et avec l’exposition de photos de Catherine CABROL « Blessures de femmes ».

Le 1er février 2013, les co-fondateurs d’ « Excision parlons-en », TAOR Communication, TOSTAN France, et la Fédération nationale GAMS animent la Conférence de Presse de lancement de la mobilisation, à Paris, au Comptoir Général.

En décembre 2013, l’infatigable militante Khady KOÏTA, auteur de « Mutilée », membre du GAMS, obtient grâce au partenariat avec No Peace Without Justice, ONG fondée par Mme Emma BONINO, et le Comité inter-Africain sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants, le vote par l’Assemblée générale des Nations-Unies de la première résolution mondiale pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines.

Nous voici en 2014, et de nouvelles pages continuent et continueront de s’écrire…