Actualités du choléra à l'aube du 3e millénaire

Par Michèle Lavallée

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Actualités du choléra à l'aube du 3e millénaire

par Michèle Lavallée

" Groupe choléra " de Médecins du Monde.

Le choléra est malheureusement toujours d'actualité dans le monde. C'était une maladie des guerres, des famines et des catastrophes naturelles qui paraissait appartenir à l'histoire. Depuis 1970, le choléra atteint réellement tous les continents et se situe à nouveau au premier rang des préoccupations de santé publique dans le monde.

I. Historique et situation actuelle

Le choléra est connu depuis l'Antiquité grecque ; il a été identifié pour la première fois dans le delta du Gange, en Inde. Il est resté, durant des siècles, limité au Bangladesh, débordant épisodiquement sur les territoires limitrophes d'Extrême-Orient.

Ce n'est qu'au début du XIXe siècle (1817), lorsque les moyens de communication par voie maritime se sont considérablement accélérés, qu'il s'est étendu au reste du monde, réalisant 7 pandémies.

La 7e pandémie a débuté en 1961 par une série d'épidémies partie des îles Célèbes en Indonésie. Le point de départ a été l'Indonésie et non plus le foyer indien traditionnel. Cette nouvelle origine géographique s'est accompagnée d'un changement de caractère bactériologique majeur . Le germe en cause n'est plus Vibrio cholerae classique, mais un germe voisin Vibrio El Tor présentant des caractères biochimiques particuliers. L'épidémie a gagné toute l'Asie de l'Est, le Bangladesh, l'Inde, l'URSS, l'Afghanistan, l'Iran, l'Irak de 1965 à 1970 puis le Moyen-Orient.

En 1970, il atteint l'Afrique jusque-là épargnée, au nord par l'Égypte, la Libye et le Maghreb ; à l'est par la Somalie, l'Éthiopie puis toute l'Afrique de l'Est ; à l'ouest, le long des côtes à partir de la Guinée il atteint toute l'Afrique de l'Ouest. Depuis il reste à l'état endémique dans certains pays d'Afrique comme la région des Grands Lacs, avec des poussées paroxystiques d'épidémie, le plus souvent en relation avec des

déplacements de populations dus à une instabilité politique, comme en 1994 où 1 million de réfugiés rwandais arrivent à Goma (République démocratique du Congo - RDC -) : début d'une épidémie de choléra, la plus explosive jamais observée pendant une période très courte, entre le 14 juillet et le 15 août, 36 000 cas au moins ont été recensés (mais tous les malades n'ont pas consulté) avec 25 000 décès dus au choléra.

En 1991, le choléra atteint l'Amérique latine, qui n'avait plus eu de cas depuis 1897. L'épidémie a débuté le long des côtes du Pérou en janvier 1991. Il est probable que la souche pathogène provienne d'Asie par voie maritime. L'épidémie a été dévastatrice : elle a touché 17 pays en Amérique centrale et du Sud avec 1 million de cas en 4 ans de 1991 à 1994. Des mesures préventives d'éducation sanitaire ont permis de réduire la maladie. Une bonne prise en charge du problème par les autorités sanitaires et la formation du personnel ont permis aussi de faire baisser le taux de mortalité.

En 1992, une importante épidémie de choléra est survenue dans le Sud de l'Inde et s'est propagée le long du golfe du Bengale jusqu'au Bangladesh. On dénombrait 100 000 cas en 3 mois. Cette épidémie est due à une nouvelle souche de Vibrio cholerae, une souche dite non-O1 ; seules les souches O1 connues comme pathogènes, étaient à l'origine des épidémies de choléra. Cette nouvelle souche a été identifiée comme appartenant au serovar O139 Bengale et possède tous les facteurs des souches O1. Est-ce le début de la 8e pandémie ?

L'état actuel du choléra dans le monde

Le choléra reste encore d'actualité dans le monde. En 1998, plus de 240 000 cas de choléra entraînant 8 443 décès ont été déclarés à l'OMS par 59 pays. Les pays les plus touchés sont ceux dont la structure sanitaire est insuffisante, où le niveau socio-économique est bas et lorsqu'il y a des concentrations de populations (déplacements de populations lors des guerres et des famines). Le continent le plus atteint en 1998 est l'Afrique (9/10 des cas déclarés dans le monde et des décès dus au choléra) dont plus de la moitié se situe dans la zone des Grands Lacs (Ouganda, RDC, Kenya, Tanzanie, Mozambique).

Il. Épidémiologie

1. L'agent pathogène

Vibrio cholerae est une bactérie Gram négatif qui sécrète une toxine extrêmement puissante (exotoxine). Parmi les nombreux serogroupes (ou serovars) de V. cholerae, seuls sont pathogènes les souches O1 pandémiques (avec les biovars cholerae classique et El Tor) et les nouvelles souches non-O1 épidémiques (O139 Bengale et O37 Soudan).

Le Vibrio cholerae se développe bien : dans l'eau (> à 15°), les milieux humides alcalins (ph > 8) et salés. Il vit des années dans l'eau profonde et saumâtre (estuaire). Il vit plusieurs jours dans les poissons et crustacés contaminés, dans les déjections humaines (6 à 10 j), à la surface des aliments souillés (2 j). Il résiste bien au froid (10 jours à une température de 5 à 10°).

En revanche, le Vibrio cholerae est détruit par le soleil, la dessiccation, la chaleur sèche, le chauffage (> 70°), la Javel et par les milieux acides (donc l'acidité gastrique).

2. Mode de contamination

Le réservoir permanent est le milieu aquatique, saumâtre (comme les estuaires), le plancton, les algues. En période d'épidémie le réservoir est strictement humain (malade infecté, porteur asymptomatique ou convalescent). Il existe plus de 90 % de porteurs sains en période d'endémie. La durée moyenne de survie du Vibrio chez le porteur est de 6 à 10 jours.

Le Vibrio cholerae est éliminé par les selles ou vomissements des malades ou porteurs sains et pénètre chez le sujet neuf par voie digestive. Ce passage s'effectue :

  • soit directement, par contact étroit avec les malades (par les déjections riches en vibrions) ou les cadavres (encore plus contagieux) ;

  • soit indirectement, par l'intermédiaire de l'eau polluée par les matières fécales, les fruits de mer, poissons contaminés, des aliments souillés et peu cuits (rôle des mains sales).

3. Les facteurs favorisants

Le Vibrion est normalement détruit lorsqu'il est absorbé en petite quantité par l'acidité de l'estomac (1re barrière) et par la population bactérienne saprophyte du tube digestif (2e barrière). Certains facteurs favorisent le passage du Vibrio jusqu'à l'intestin grêle :

  • il faut une forte charge infectante ; il faut donc ingérer une grande quantité d'eau ou d'aliments contaminés ;

  • il faut une hypochlorhydrie gastrique : chez les gastrectomisés, vagotomisés, consommateurs habituels d'alcalinisant, mais aussi en période de famine.

Les principaux facteurs épidémiologiques favorisants sont :

- le niveau socio-économique bas qui conditionne les problèmes d'hygiène, avec absence d'eau potable, de latrines, la promiscuité, la surpopulation, mais aussi les conditions de peuplement ;

  • la concentration humaine est le dénominateur commun de toute apparition du choléra (déplacements de populations après guerre, famine, catastrophes naturelles ou grands rassemblements humains comme les pèlerinages, les fêtes et les marchés) ;

- l'insuffisance des structures sanitaires joue un rôle important dans l'extension de l'épidémie. Lorsqu'il y a une bonne prise en charge des premiers cas de choléra et qu'une prévention est d'emblée effectuée, l'épidémie s'arrête ;

- les facteurs environnementaux conditionnent la survie de V. cholerae (milieu humide, salé, alcalin, température ... ). Les changements de l'environnement souvent induits par l'activité et le comportement humain sont souvent à l'origine d'épidémies de choléra. L'augmentation de la population, la concentration urbaine associée à une paupérisation et à une urbanisation sauvage sont des facteurs essentiels de l'augmentation régulière du nombre de cas de choléra dans le monde.

Les changements environnementaux d'origine climatique tels que le fameux El Nino, associés au réchauffement de la planète et accélérés par la déforestation, sont à l'origine de sécheresses ou d'inondations entraînant des changements de l'écosystème. Tous ces changements peuvent être à l'origine de la résurgence du choléra.

4. Équilibre entre infection et immunité collective

Il n'y a pas d'immunité naturelle, mais une immunité acquise dès le 7e jour de la maladie et brève (3 mois environ). Les nouveau-nés allaités sont protégés. Il n'y a pas d'immunité croisée entre les souches O1 et O139 (donc problème pour le vaccin).

Dans les pays cumulant les principaux facteurs favorisant une épidémie de choléra, on distingue deux états : un état endémique (avant ou après une épidémie) et la poussée paroxystique de l'épidémie. L'endémie résulte d'un équilibre entre infection et immunité : l'incidence de l'infection augmente quand l'immunité collective baisse et inversement.

Le retentissement du régime des pluies sur les habitudes socio-familiales des populations joue aussi un rôle sur l'incidence de l'épidémie.

En zone désertique ou en saison sèche, l'épidémie touche des individus à immunité faible ou nulle: l'épidémie est explosive (exemple, Goma 1994 : environ 30 000 cas en 9 jours). Le milieu ne joue plus aucun rôle et la transmission est surtout interhumaine directe. La majorité de la population est atteinte (formes graves, formes mineures, formes inapparentes). Quand l'épidémie est finie, le choléra disparaît. La population restante est immunisée. Il n'y a pas d'endémie.

En zone humide ou en saison des pluies, l'épidémie est traînante et laisse place à un état endémique souvent latent. 1% de la population peut être atteinte sur une période de plusieurs mois. La contamination interhumaine directe est moindre. La diffusion de l'épidémie est surtout due à l'eau et aux aliments pollués, d'où l'intérêt des mesures d'éducation sanitaire et de prévention.

III. Clinique et traitement

1. Forme typique grave

Après une courte incubation, de quelques heures en période d'épidémie à 3-7 jours en phase endémique, le début est brutal. La forme grave classique associe très vite une diarrhée purement aqueuse, incolore avec des grains riziformes en suspension, sans fièvre, extrêmement abondante jusqu'à 1 litre par heure) suivie de vomissements ayant les mêmes caractéristiques qui entraînent très vite un état sévère de déshydratation avec asthénie massive, soif, langue rôtie, crampes musculaires extrêmement douloureuses et perte de l'élasticité cutanée apparaissant quand la perte hydrique est égale ou supérieure à 10 % du poids du corps.

L'aspect du malade est caractéristique: visage émacié, yeux enfoncés, pli cutané durable, TA effondrée, pouls imprenable, hypothermie à 36°, corps couvert de sueurs froides. Non traité, le malade meurt de collapsus en 48-72 heures.

Le traitement est surtout basé sur une réhydratation massive (5 à 6 litres en 3-5 heures au début) d'eau et d'électrolytes, d'abord en IV puis par voie orale pendant 3 à 5 jours, nécessitant une logistique rigoureuse (centre de traitement choléra) sous peine de mortalité très élevée dépassant le quotient de létalité habituel de 1 à 2 % (voir encadré).

Le traitement antibiotique n'est entrepris que secondairement, dès la fin des vomissements, après la phase critique, en général 3 à 5 heures après le début de la réhydratation. Le traitement antibiotique dépend :

  • de l'antibiogramme et des problèmes de résistance de plus en plus fréquents

  • des recommandations de l'OMS;

  • du niveau économique du pays et de sa politique sanitaire.

Son but est d'abréger l'évolution des symptômes et de limiter le risque de contamination. Il est le plus souvent réservé, en médecine de masse, aux formes graves. On prescrit généralement chez l'adulte des cyclines (tetracycline en 4 prises ou doxycycline en 1 prise). Les sulfamides associés comme le Bactrim® sont recommandés chez l'enfant. Les autres alternatives chez l'enfant ou l'adulte sont la furazolidine, l'érythromycine, le chloramphenicol. Les quinolones (ciprofloxacine et ofloxacine) sont efficaces mais chères.

2. Les formes mineures

Elles se résument à une diarrhée banale (gastroentérite). Elles sont beaucoup plus nombreuses que les formes graves et contribuent avec les formes inapparentes à diffuser le germe et à contaminer la population. Le portage dure 5 à 10 jours dans le tube digestif. Le traitement de réhydratation orale (SRO) est accompagné de mesures préventives.

IV. Prévention

La prévention est essentielle dans la lutte contre le choléra, surtout dans les pays où le niveau sanitaire est rudimentaire. L'hygiène de l'eau, de l'alimentation, des mains, des selles et les méthodes de chloration par l'eau de Javel sont les meilleurs -outils de prévention du choléra, en zone d'endémie. Ils doivent être enseignés aux populations menacées dans des programmes de Santé publique: information de la population (radio locale, affiches), formation des agents de santé à l'éducation sanitaire de la population et participation de la population aux mesures préventives par des comités villageois bénévoles. La prophylaxie générale en zone d'endémie repose aussi sur l'amélioration des conditions de vie, l'aménagement de réseaux protégés d'eau potable et de réseaux d'eaux usées, le dépistage des porteurs sains.

Les mesures préventives moins efficaces sont :

  • la chimioprophylaxie de masse (exemple: 1 dose de doxycycline) est pratiquement impossible à réaliser et très chère : il faudrait que toute la population soit traitée simultanément (l'efficacité du traitement ne durant que quelques jours après quoi la réinfestation est possible). D'autre part, la chimioprophylaxie de masse contribue à l'émergence de résistances privant ainsi les cas sévères d'un traitement efficace. Enfin elle donne une fausse sécurité à la population et aux autorités sanitaires qui négligent les autres mesures préventives efficaces comme la chloration...

- la Vaccination : le vaccin parentéral n'est plus recommandé du fait de sa faible efficacité. Il conférait une protection incomplète (50 %) et brève " 6 mois). D'autre part il ne diminuait pas l'incidence des affections asymptomatiques.

Depuis une quinzaine d'années, des progrès majeurs ont été réalisés dans l'élaboration de vaccins oraux. Deux vaccins oraux sont actuellement en cours de développement et d'évaluation.

Le vaccin tué Cholerix (SLB Vaccins AB Suède) est constitué de V. cholerae 01 entier, associé à la sous-unité B de la toxine cholérique obtenue par génie génétique.

Administré en 2 doses à 7 jours d'intervalle, il confère une semaine plus tard un degré élevé de protection (85 %) contre le choléra O1 pendant 6 mois, diminuant à 50 % au bout de trois ans. Il est moins efficace contre El Tor que contre le Vibrio classique.

Le vaccin vivant Orochol Berna (Inst. suisse des sérums et vaccins) contient la souche CVD 103-HgR de V. cholerae O1 génétiquement modifiée et atténuée ; administrée en une seule dose, il confère dès le 7e jour une forte protection contre le V. cholerae classique (proche de 100 %) ou El Tor (62 %) durant au moins 3 mois. Bien qu'on dispose déjà d'une vaste expérience de ce vaccin dans les pays en développement d'Asie et d'Amérique latine, il n'a pas été évalué en Afrique subsaharienne. Il est nécessaire d'établir préalablement son innocuité chez les sujets infectés par le VIH.

V. Conclusion

Maladie de la pauvreté, du manque d'hygiène et des concentrations de population, transmise essentiellement par l'homme à partir de réservoirs hydriques permanents, le choléra sévit toujours autant en cette fin de siècle, surtout dans les pays où les structures sanitaires sont déficientes. Son diagnostic est aisé. Son traitement, basé presque essentiellement sur une réhydratation massive bien conduite, nécessite une logistique rigoureuse et des moyens importants lors de grandes épidémies.

En attendant la commercialisation des futurs vaccins oraux actifs sur les souches O1 et O139, l'hygiène alimentaire et corporelle, les méthodes de chloration par l'eau de Javel sont les meilleurs outils de prévention du choléra et doivent être enseignés aux populations menacées.

Développement et Santé, n°142, août 1999