Difficultés pour suivre le circuit de PTME à Ouahigouya (Burkina Faso)

Par Aline Munier Pharmacienne ESTHER

Publié le

I. Introduction

Au Burkina Faso, une politique de réduction de la transmission mère enfant (PTME), basée sur la prise de névirapine a été mise en place en fin d'année 2001.

A Ouahigouya, 3ème ville du pays située dans la région Nord, le programme a débuté en décembre 2002.

En pratique, le programme se compose d'une proposition de dépistage avec conseil pré et post test à toutes les femmes enceintes venant en consultation prénatale (CPN), prélèvement sur le site de consultation et prise en charge de la femme séropositive et de son enfant. Nous avons voulu étudier, dans le cadre de ce programme, les difficultés rencontrées par les femmes lors de leur circuit de dépistage, depuis l'accès à la consultation prénatale jusqu'à la prise du traitement pour les femmes séropositives, ainsi que les moyens qu'elles envisageaient pour remédier à ces problèmes.

II. Problèmes rencontrés

Les activités de dépistage ont lieu dans les deux centres de Santé Maternelle et Infantile (SMI) et les deux maternités de la ville.

La première barrière éventuelle se situe donc au niveau de l'accès à ces centres. Les femmes sont souvent pressées car elles ont des journées chargées mais la plupart viennent au moins une fois en consultation lors de leur grossesse. C'est au cours de cette CPN qu'elles pourront être orientées en conseil pré test. La plupart du temps les femmes viennent seules et à pied. Quelquefois le temps d'attente peut être long, surtout les jours de forte affluence.

Au total l'accès à cette première étape de l'intervention est limité par la distance géographique (femmes qui habitent dans des villages voisins), par le temps nécessaire et par les coûts, celui de la première consultation (environ 1000 francs CFA) et les coûts annexes.

Une fois les femmes présentes au centre, elles doivent pouvoir bénéficier de l'information et de la proposition du test de dépistage. Lors de la CPN, le personnel soignant délivre le conseil minimal, individuel ou en groupe, aux femmes. Ce conseil contient principalement des informations relatives au VIH/SIDA (modes de transmission, moyens de prévention, IST, dépistage, PTME). Cette étape primordiale est souvent trop courte et ne met pas assez la femme en confiance pour se livrer et poser des questions. Un autre problème est aussi l'incompréhension de l'information reçue, par exemple peu d'explications accompagnent la prescription d'antipaludiques, d'examens biologiques ou le don de fer. La CPN se résume ainsi parfois à une série d'examens (clinique, urinaire, prescription d'examens sanguins) sans réelle communication avec la patiente. Quelques femmes trouvent l'examen clinique douloureux et ont peur de la CPN.

Il arrive aussi qu'il y ait confusion pour les femmes entre les examens sanguins classiques (groupe sanguin, Rh, sérologie syphilis) à réaliser dans un laboratoire d'analyses à l'extérieur aux frais de la patiente et le prélèvement sanguin pour le test de dépistage qui se fait sur place, gratuitement et le même jour que la CPN.

Au total, après la CPN, certaines femmes disent ne pas avoir tout compris concernant le VIH/SIDA.

A la suite de la CPN, les femmes sont orientées vers le conseil pré test et la plupart vont en bénéficier. Mais il arrive que certaines femmes échappent à ce conseil : il peut s'agir d'une "négligence" du personnel qui n'en a pas parlé à une femme, croyant qu'elle avait déjà participé au conseil précédemment, ou bien la femme ne désire pas y aller car préférant réfléchir avant. Dans certains cas, suivant la disposition des lieux, la femme peut avoir à changer de bâtiment, ne pas trouver le lieu indiqué et en profiter pour partir.

La plupart des femmes recevant le conseil pré test acceptent d'être testées. Cependant certaines femmes refusent : elles attendent souvent l'accord de leur mari avant de réaliser le test, elles ont peur de la réaction qu'il pourra avoir, certaines pensent que la connaissance du statut sérologique entraînera de nouveaux problèmes, tels que l'accélération de l'évolution de la maladie, le rejet et la stigmatisation, d'autres pensent que le test est inutile car elles sont fidèles à leurs maris et réciproquement. Certaines femmes refusent de faire le test car elles sont effrayées par les propos tenus par les conseillères sur le VIH/SIDA, d'autres car elles ont peur de l'acte de prélèvement.

Certaines femmes ne viennent pas au conseil post test chercher leur résultat. Elles ont souvent peur d'un résultat positif. Les problèmes qu'elles pensent avoir en cas de séropositivité sont : le manque de soutien, le rejet, l'entretien des enfants, l'allaitement, le besoin de traitements, les problèmes financiers, la peur de la mort, la fatalité et les problèmes avec leur mari.

Enfin, les femmes dépistées positives peuvent bénéficier de la prise en charge proposée pour elles et leur enfant. Mais cela n'est pas toujours facile. Les femmes venant de villages voisins accouchent souvent à domicile ou dans leur village et si on ne leur a pas donné la névirapine avant, elles ne pourront pas utiliser la prophylaxie lors du travail. D'autre part, il faut que l'enfant reçoive le sirop dans les 72h suivant sa naissance. Après la naissance de leur enfant, les femmes doivent choisir si possible entre deux modes d'allaitement adaptés en cas de séropositivité : l'allaitement maternel exclusif avec un sevrage précoce à 4-6 mois ou l'allaitement artificiel dès la naissance. Ceci peut poser des problèmes pour les femmes qui allaitent habituellement 2 ans. Les femmes sont rarement seules et il leur sera difficile de cacher à leur entourage qu'elles n'allaitent pas leur enfant, ce qui éveillera des soupçons quant à la maladie.

III. Solutions proposées

Les attentes des femmes et les actions qu'elles proposent pour améliorer le programme de dépistage peuvent être réparties en quatre thèmes.

Tout d'abord, les femmes ont besoin de plus d'informations concernant le VIH/SIDA, le dépistage, la PTME. Pour cela, elles souhaitent que des sensibilisations en ville, hors des centres de santé, soient organisées régulièrement. Elles sont déjà satisfaites des campagnes d'information et des causeries menées par certaines associations, et pensent qu'il faut aussi étendre ces sensibilisations aux villages voisins, là où l'information est moins accessible.

Il faut aussi continuer à motiver les femmes lors des consultations prénatales car c'est là qu'elles pourront recevoir une information complète, améliorer leurs connaissances sur le VIH/SIDA et qu'elles pourront poser des questions et prendre une décision éclairée à propos du test de dépistage. Ces femmes pourront ensuite à leur tour sensibiliser d'autres femmes de leur entourage à l'extérieur du centre de santé. Hormis les structures de santé et l'entourage, les principales sources d'information restent la radio et la télévision qui sont utiles pour montrer à la population l'ampleur du programme et la nécessité de se faire dépister.

Les femmes souhaitent aussi bénéficier d'un soutien à plusieurs niveaux en cas de séropositivité : soutien moral et psychologique aux personnes affectées et infectées par le VIH, soutien financier par la mise en place d'activités génératrices de revenus pour les femmes, soutien juridique pour pouvoir construire l'avenir des enfants et soutien par une aide à long terme avec apports de médicaments pour traiter les maladies opportunistes et de traitements antirétroviraux en cas de nécessité.

Les femmes sont conscientes des problèmes qu'elles peuvent avoir en cas de séropositivité et elles savent qu'elles ne peuvent pas gérer seule leur séropositivité. En effet, elles sont souvent soumises aux décisions de leur mari mais celui-ci est rarement présent lors des consultations prénatales et ne se préoccupe pas souvent des questions de santé de la reproduction.

Les femmes pensent donc qu'il faudrait inciter leurs maris à participer aux activités de dépistage, à les convaincre de l'utilité du programme PTME, car elles ne sont pas les seules à être concernées par la maladie, et il faudrait donc cibler les sensibilisations et interventions sur le couple et non seulement sur les femmes.

Concernant les modalités d'allaitement, afin d'éviter la stigmatisation en cas d'utilisation de l'un des 2 moyens d'allaitement conseillés, les femmes ont proposé les conduites suivantes : la femme peut dire qu'elle n'a pas de lait ou que son lait est mauvais, qu'elle a des problèmes aux seins, ou les seins douloureux, que c'est sa volonté, que l'allaitement est fatigant, qu'il est difficile d'allaiter avec le travail ou l'école, qu'elle est malade, qu'elle suit les conseils des infirmiers ou qu'elle pratique les 2 types d'allaitement en même temps. Ces modes d'allaitement leur paraissent donc faisables et elles sont prêtes à suivre les conseils donnés et à faire ce qui est mieux pour leur enfant au risque d'être "reconnue"par l'entourage.

Développement et Santé, n°172, août 2004