Douleurs chroniques du bas ventre chez une femme

Par Olivier Isaac Bismuth Médecin généraliste

Publié le

Les douleurs chroniques du bas-ventre chez une femme constituent un vécu:

Pénible pour la femme parce que :

  • chroniques, répétitives,
  • d'intensité variable : de modérée, mais bien présente, à violente, au point de devoir rester couchée ou de se tordre de douleur,
  • angoissante, car s'étendant sur la partie sacrée de la femme.

Difficile pour le soignant, parce que :

  • complexe, relevant de diverses causes,
  • il se trouve souvent sans moyens diagnostiques et thérapeutiques suffisants dans les conditions d'un dispensaire tropical rural ou de faubourg,
  • et, qu'une fois de plus, on lui demande beaucoup avec peu de moyens, surtout quand cela concerne des problèmes de non-fécondité ou de stérilité.

Nous proposons donc une conduite à tenir pratique visant à :

  • départager les principales causes et tendre vers une orientation diagnostique,
  • valoriser l'interrogatoire et l'examen clinique,
  • soulager et aider la patiente, en attendant un traitement plus adapté et radical.

I. Recommandation préalable

Tout ce qui a été dit dans l'introduction, à savoir la multiplicité des causes, le vécu pénible et angoissant, la nécessité d'un interrogatoire et d'un examen clinique soigneux fait que la première consultation prendra du temps. Donc, si la patiente vient un matin en même temps que cinquante autres personnes, il vaut mieux lui remettre quelques comprimés d'antalgiques et lui donner un rendez-vous, en dehors des heures de consultation normales, afin de pouvoir passer suffisamment de temps avec elle.

II. Orientation diagnostique

1. Écouter puis interroger

Les premiers mots de la consultante, sa façon d'annoncer son problème sont très informatifs. Ils traduisent ce qui la perturbe et ce qu'elle peut dire de prime abord. Recevoir et garder à l'esprit cette première plainte et son mode d'expression tout au long de la consultation est très important pour la suite, parce que c'est cela que l'on soignera en premier. Puis au fur et à mesure que la patiente se sent en confiance pour parler, il faut la laisser dire ce qui l'inquiète vraiment, ce qui est sous-jacent et dont elle n'ose pas parler d'emblée. Autrement dit, recevoir l'explicite, laisser venir l'implicite.
À ce stade, l'interrogatoire n'est pas systématique, il vise à aider la personne à parler en toute confiance, selon son propre rythme.

Quelques exemples

  • Telle femme consulte pour des " douleurs au ventre ". Dans quelle partie du ventre ? " Le bas-ventre ", répond-elle en montrant la partie concernée. Elle va parler de sa constipation ou de ses brûlures urinaires, et ensuite, petit à petit, elle évoquera des douleurs pendant les règles, puis son absence de maternité depuis quelques années.
  • Telle autre entre gênée, à petits pas, soucieuse que ses propos ne soient pas entendus par d'autres consultantes. Avec du tact et du temps, on apprendra que depuis son dernier accouchement très pénible, chaque fois qu'elle va à la selle, des matières sortent de " devant ". Cela évoque une fistule recto-vaginale.

2. Interroger systématiquement

Dès que la personne a pu exprimer sa plainte, l'interrogatoire va prendre un tour Plus directif, plus systématique. Le soignant va suivre un canevas de questions pour rechercher de façon exhaustive les symptômes.
D'autant plus qu'à l'inverse des exemples précédents, certains signes seront négligés par la patiente. Par exemple, une petite leucorrhée qu'elle a toujours selon elle ; une hématurie qu'elle estime normale dans cette zone d'endémie bilharzienne où elle vit.

Il faut garder à l'esprit, qu'à l'intérieur de l'hypogastre, se trouvent trois sortes d'organes

  • digestifs grêle, côlon, rectum,
  • urinaires uretère, vessie, urètre,
  • génitaux ovaires, trompes, utérus, vagin, vulve.

L'interrogatoire va rechercher systématiquement, méthodiquement des symptômes se rapportant à chacun de ces appareils.

Est-ce digestif ?

  • souffrez-vous de constipation ?
  • souffrez-vous de diarrhée ?
  • souffrez-vous de douleurs de type colique ?
  • émettez-vous des vers ?

Est-ce urinaire ?

  • avez-vous mal dans le bas-ventre pendant la miction ?
  • comment sont les urines : troubles, sanglantes, fréquentes et en petites quantités ?

Est-ce gynécologique ?

  • Quand surviennent les douleurs ? Au moment des règles ? Périodiquement ? En dehors des règles ?

  • Comment sont les règles ?

  • douloureuses ?

  • brèves et insuffisantes ?

  • prolongées et abondantes (fibrome) ?

  • régulières ou avec de l'avance ? Ou avec des retards fréquents ?

  • Avez-vous inscrit sur un calendrier les dates de vos saignements ?

  • Avez-vous des saignements en dehors des règles (métrorragies) ?

  • Avez-vous des pertes blanches ? À quel moment ?

    • sont-elles blanches comme du lait caillé (mycoses) ?
    • sont-elles vertes malodorantes, purulentes (gonococcies) ?
    • sont-elles mousseuses (trichomonase) ?
  • Les rapports sexuels sont-ils douloureux (dyspareunie) ?

  • Combien d'enfants avez-vous eu et à quand remonte votre dernière grossesse ?

  • On demandera les antécédents connus de l'intéressée : traitement chirurgical, grossesse extra-utérine, infection génitale, tuberculose, etc.

3. Examiner

On reprendra le même canevas méthodiquement.

L'inspection et la palpation de l'abdomen

Elles révèleront parfois en évidence des causes évidentes :

  • plaies chroniques,
  • suppuration de cicatrices d'intervention chirurgicale,
  • voussure et masse hypogastrique dure faisant évoquer un énorme fibrome utérin ou un kyste de l'ovaire.

Sur le plan digestif

On pourra découvrir chez la femme constipée un gros boudin colique dans les fosses iliaques, plein de matières, voire d'helminthes.

Sur le plan urinaire, on cherchera

  • une douleur à la pression de la vessie, en faveur d'une cystite chronique,
  • ou un globe vésical de rétention urinaire, en principe secondaire à un obstacle.

Mais c'est surtout l'examen gynécologique qui demandera beaucoup d'attention

  • Examen de la vulve : parfois des enseignants en gynécologie regrettent que le médecin ne sache pas regarder une vulve, comme si une pudeur gênait et voilait son regard. La patiente détendue et mise en confiance, l'infirmier habitué à la gynécologie, ou la sage-femme, écartera doucement les grandes lèvres, tous les replis. Au lieu de parcourir d'un coup d'oeil, il arrêtera son regard sur toutes les parties de la vulve, à la recherche d'une lésion quelconque, qu'il palpera au besoin avec son doigt pour chercher une induration, une douleur exquise.
  • Observation de la cavité vaginale avec un spéculum. Là aussi, il faut rassurer la patiente sur l'instrument, et il faut s imposer de l'utiliser systématiquement. Après l'avoir lubrifié en l'ayant mouillé avec de l'eau, on le fait rentrer avec un léger mouvement de rotation. Suffisamment éclairé, on observera tout : les parois vaginales, le col, sa position, son orifice et l'aspect des leucorrhées, si elles existent ;
  • Le toucher vaginal combiné au palper de l'hypogastre : là encore, la femme détendue et en confiance, il ne faut pas être pressé, mal à l'aise. On tâchera de prendre le temps pour bien sentir ce que l'on cherche. Si l'examen est douloureux, en cas d'infection par exemple, on n'insistera pas.

Que faut-il chercher lors d'un toucher combiné vaginal et abdominal ?

  • le col : est-il médian, antéversé, antéfléchi, c'est-à-dire dirigé vers l'avant ; surtout, sa mobilisation est-elle indolore ?
  • le corps de l'utérus : est-il médian ou dévié sur le côté ? Perçu avec la main abdominale, est-il de volume normal (une prune) ou trop gros (fibrome) par rapport à ce que l'on a l'habitude de sentir ; est-il douloureux à la mobilisation (métrite) ?
  • les trois culs-de-sac vaginaux : le droit, le gauche, le postérieur. Si la femme n'est pas grosse, on peut sentir l'ovaire droit seulement d'un volume d'une olive. Normalement, ils sont libres, c'est-à-dire qu'on ne sent rien et la pression sur chaque cul-de-sac est indolore,
  • le doigtier revient-il souillé de sang, de leucorrhée Infection) ? de matières fécales (fistules recto-vaginales) ?

Nous nous sommes longuement étendu sur l'interrogatoire et l'examen gynécologique, mais nous pensons que cela a son importance. Si on s'intéresse à la gynécologie, on s'apercevra vite que les informations captées par la clinique sont très nombreuses. De plus, la femme sentira que l'on s'est soigneusement occupé d'elle.

4. Examens complémentaires

Que peut-on faire quand on est dans un dispensaire isolé avec peu de moyens ?

Reprenons le même canevas.

  • Examen des selles : à la recherche de kystes d'amibes et d'helminthes.

  • Examen des urines: regardons à l'oeil nu les urines, de préférence après la toilette vulvaire et le deuxième jet (l'expliquer à la consultante). Y a-t-il du sang ? (bilharziose). Sont-elles troubles ? (infections). Si on dispose d'une bandelette réactive, trempons-la dans les urines ; et si possible, il y aura lieu de pratiquer une recherche de protéinurie et un examen cytobactériologique.

  • Prélèvement vaginal à la recherche de pus, de gonocoques, de trichomonas, de Candida albicans.

  • Les autres examens, souvent indispensables, sont plus spécialisés et à pratiquer à l'hôpital de référence : échographie, perméabilité des trompes à l'hystérographie, recherche de Chlamydiae trachomatis.

III. Quelques tableaux étiologiques

Avec tous les éléments recueillis par l'interrogatoire, l'examen et la biologie, il devient possible d'avoir une explication de ces douleurs chroniques du bas-ventre.

Une remarque préalable importante :

" Les organes sont multiples, la femme est une" : cela veut dire que si une atteinte est individualisée, cela ne signifie pas que les autres appareils soient indemnes. La patiente peut avoir des troubles digestifs et/ou urinaires, et/ou gynécologiques. Par exemple, elle peut souffrir d'une cystite secondaire à une vaginite ; se plaindre d'une constipation chronique liée à une infection de l'appareil génital.

1. Causes digestives

  • Parasitoses : helminthiases, bilharziose, amibiase, chacune ayant son traitement spécifique.

  • Coliques : souvent séquellaires de parasitoses. Les douleurs se situent en fait dans tout l'abdomen, des gargouillements surviennent, le transit intestinal est perturbé. On prescrit des pansements digestifs à base d'argile (Smecta®, Actapulgifé®), et des antispasmodiques (Spasfon®, Duspatalin®, Dicétel®,Météospasmyl®, etc.).

  • Constipation : recommander la consommation de légumes verts, ou d'une cuiller d'huile le matin, de boissons abondantes, de s'astreindre à aller quotidiennement aux latrines. Il vaut mieux ne pas abuser des laxatifs et ne pas s'y habituer.

  • Diarrhée : le traitement sera prescrit selon la cause (parasitose le plus souvent), et aidé par des pansements à base d'argile.

2. Causes urinaires

  • En zone d'endémie, on vérifie l'absence de Schistosoma haematobium,

  • On traitera une cause loco-régionale inflammation de la vulve par une mycose par exemple,

  • Les anti-infectieux les plus utilisés sont des antiseptiques (Nibiole, Furadoïne®). Les quinolones (Noroxine®, Ciplox®, Oflocet®), ne devraient être réservées qu'à des infections graves.

3. Causes gynécologiques

Elles sont multiples. Nous n'en évoquerons que quelques-unes parce qu'elles sont accessibles au diagnostic et au traitement, et parce qu'elles sont fréquentes.

Attention aux pièges dangereux : une complication aiguë peut survenir brutalement sur un fond de douleurs chroniques.

Citons quelques exemples :

  • Salpingite aiguë : fièvre et intense douleur dans un des culs-de-sac latéraux au toucher vaginal,

  • Grossesse extra-utérine : toujours y penser même si la patiente a été étiquetée stérile : douleurs aiguës, malaise, métrorragies, masse latéro-utérine douloureuse.

  • Vulvite : très souvent à Candida albicans. Cette forme de mycose se caractérise par un prurit, des leucorrhées blanchâtres comme du lait caillé, une dyspareunie d'intromission, un aspect rouge et blanc de la vulve. Une dysurie accompagne parfois l'inflammation. Le traitement consiste en une hygiène à l'eau et au savon, et à l'application de crèmes et d'ovules antimycosiques à la mycostatine, ou imidazolés (Daktarin®, Pévaryl®, Fazol®, Trosyd® ... )-

  • Vaginite, se manifestant par des leucorrhées :

  • blanchâtres : mycose,

  • vertes purulentes : microbienne, gonococcie,

  • aérées, abondantes : trichomonase.

  • Inflammation pelvienne chronique : il s'agit de femmes souffrant du bas-ventre avec parfois des leucorrhées, parfois une dysparennie profonde. Le palper abdominal et le toucher vaginal déclenchent une douleur à la palpation et à la mobilisation du col et/ou du corps utérin. Les culs-de-sac latéraux sont parfois douloureux à la pression.
    On retrouve la notion d'une infection non ou mal traitée. Il s'agit souvent des séquelles de cette manifestation avec une inflammation chronique et de fibrose. Des enquêtes auraient mis en évidence une forte fréquence d'infections à Chlamydiae trachomatis. C'est pourquoi le traitement associe, outre la glace sur le ventre, les antalgiques, les anti-inflammatoires, des antibiotiques du type doxycycline 100 mg : 2/jour, Monocycline®, Vibramycine® ... ) ou tétracycline : 2 g/jour, souvent associés à 2 g/jour de pénicilline A.

  • Stérilité : et on arrive petit à petit vers cette étiologie redoutée de douleurs abdominales chroniques. On devrait plutôt parler d'absence de grossesse, à la place de ce mot si sévère qui résonne comme une condamnation irréversible. Tout un chacun a rencontré des femmes sans grossesse qui, un jour, devenaient enceintes. Il s'agit souvent de douleurs dites fonctionnelles et d'origine psychogénétique, mais parfois à la cause psychique s'ajoute une inflammation pelvienne chronique.

En attendant de consulter un médecin de référence qui pourra essayer de déterminer le mécanisme et l'origine de cette absence de grossesse (obstruction tubaire, oligospermie ... ) on peut :

  • soulager les douleurs par des antalgiques,

  • traiter une infection si on la suspecte,

  • conseiller des rapports sexuels au milieu du cycle menstruel, date de la meilleure fécondité,

  • aider la femme à parler de son angoisse et de sa frustration,

  • l'aider à ne pas désespérer, mais aussi à ne pas être obsédée par son désir de grossesse, ce qui est très loin d'être facile.

Les pathologies tumorales bénignes ou malignes

On suspectera :

  • un fibrome : polyménorrhée, gros utérus ou masse faisant corps avec l'utérus,
  • un kyste de l'ovaire : gros ovaire dans les culs-de-sac,
  • un cancer du col : aspect au spéculum,
  • un cancer du corps : métrorragies après la ménopause.

Tous ces diagnostics seront à confirmer par le médecin de référence.

En résumé, quelques phrases clés:

  • Une consultation pour douleurs hypogastriques chroniques demande du temps.

  • Écouter d'abord, puis interroger.

  • Recevoir l'explicite, laisser venir l'implicite.

  • lnterroger et examiner systématiquement le gestif, l'urinaire, le génital.

Un bon examen gynécologique (inspection de la vulve, spéculum, palper abdominal et toucher vaginal) nécessite pratique et expérience de l'examinateur pour qu'il se sente à l'aise et pour que la femme soit en confiance. Prendre son temps.

  • " Les organes sont multiples, la femme est une. "

  • Les troubles peuvent être associés entre eux.

  • Attention aux pièges dangereux : GEU, infection aiguë.

On peut faire beaucoup avec peu.

Développement et Santé, n° 133, février 1998