Prévention des infections chez l'enfant drépanocytaire

Par Emmanuelle Lesprit* et Phippe Reinert** * Pédiatre, Hôpital Trousseau, Paris. ** Pédiatre, Hôpital Intercommunal, Créteil.

Publié le

Les infections sont fréquentes dans la drépanocytose et souvent graves chez l'enfant de moins de 5 ans (c'est la première cause de mortalité avant 3 ans). C'est surtout l'enfant SS qui est menacé, mais aussi les SC et S bétathal.
Toute infection peut aussi déclencher des crises vaso-occlusives car elle provoque fièvre, hypoxie et déshydratation, 3 facteurs favorisant la falciformation.
On sait aussi que la crise vaso-occlusive favorise l'infection locale du fait de la stase veineuse qu'elle entraîne (fréquence des ostéomyélites après crise osseuse par exemple). Il s'agit là d'un véritable cercle vicieux infection-crise vaso-occlusive.

I. Immunité et drépanocytose

S'il est certain que le drépanocytaire fait souvent des infections parfois très graves, voire foudroyantes, et ceci dès l'age de 2 mois et jusqu'à la fin de sa vie, cette susceptibilité aux infections est mal expliquée.

  • L'asplénisme fonctionnel : la rate véritable filtre à microbes fonctionne mal dès la naissance ; ensuite ces fonctions se dégradent car les thromboses itératives de ses vaisseaux aboutissent à une véritable atrophie de celle-ci. On comprend qu'en cas de bactériémie (nous avons tous des bactériémies heureusement transitoires), celle-ci devient souvent une septicémie puisque le filtre splénique ne fonctionne pas.
  • Altération de la voie du complément : le complément est un ensemble de protéines stimulant "en urgence" nos globules blancs qui vont se précipiter pour phagocyter les germes intrus, permettant à notre système immunitaire de synthétiser des anticorps en quelques jours. Chez le drépanocytaire le système est défaillant ce qui est surtout grave chez le jeune qui n'a pas encore eu le temps de faire des anticorps.
  • Nécroses intestinales source de brèches : les crises vaso-occlusives intestinales provoquent de minimes nécroses de la muqueuse intestinale expliquant le passage sanguin de bactéries souvent présentes dans le tube digestif (ceci explique la relative fréquence des bactériémies à salmonelles).
  • Crises vaso-occlusives causes de stase sanguine donc d'infection : c'est probablement ce qui se passe dans les poumons et dans l'os. Par contre, le drépanocytaire synthétise normalement des anticorps après vaccination et ses lymphocytes T (défaillants dans l'infection à VIH) sont ici normaux : ceci explique pourquoi l'adulte qui s'est immunisé contre de nombreux germes fait beaucoup moins d'infections.

II. Germes en cause

1. Le pneumocoque (Streptococcus pneumoniae)

est responsable, chez le sujet normal d'infections graves aux âges extrêmes de la vie : méningites, pneumonies, septicémie avant 2 ans, pneumonies après 65 ans. Chez le drépanocytaire de moins de 5 ans le risque de méningite et de septicémie est élevé et la mortalité de l'ordre de 25 % : c'est dire si la priorité doit être la prévention de l'infection pneumococcique par la Pénicilline V et la vaccination.

2. L'Haemophilus influenzae b

Autre responsable de méningites et de pneumonies avant 5 ans, il est aussi plus fréquent chez le drépanocytaire : nous avons ici la chance de disposer d'un vaccin protégeant à près de 100 % contre ce germe redoutable.

3. Les salmonelles

Il s'agit rarement de la typhoïde mais des bacilles para typhi (S. enteritidis) le vaccin antityphoïdique n'a donc pas d'indication particulière chez le drépanocytaire ; par contre, ce vaccin est utile pour tous du fait de la forte incidence de la typhoïde en Afrique : l'hygiène de l'eau de boisson est une priorité.

4. Le paludisme

S'il est vrai qu'au cours des siècles les porteurs du trait drépanocytaire ont été moins décimés par le paludisme que les sujets normaux, le drépanocytaire homozygote a les mêmes risques que la population : de plus l'hémolyse que le paludisme provoque va aggraver l'anémie et nécessiter une transfusion avec ses risques : il faut donc conseiller grillages antimoustiques aux fenêtres, moustiquaires et chloroquine chez le jeune enfant.

5. L'hépatite B

Les risques sont ici encore augmentés du fait des transfusions rarement évitables : c'est dire si tout enfant drépanocytaire doit être vacciné le plus tôt possible.

6. La grippe

Sévissant dans le monde entier, il a été montré que la grippe entrainait des complications pulmonaires chez le drépanocytaire justifiant la vaccination à partir de l'âge de un an dans les pays ou le vaccin est disponible, sans oublier la nécessité d'un renouvellement annuel.

7. Le rotavirus

Grand responsable de diarrhées graves chez tous les enfants, il peut provoquer chez le drépanocytaire une déshydratation déclenchant une crise. Il faut donc hydrater constamment et réhydrater le plus tôt possible en cas de diarrhée (un vaccin arrive !!). Nous ne parlerons pas du parvovirus B 19 et du Mycoplasma pneumoniae aussi fréquents chez l'enfant drépanocytaire car il n'existe pour l'instant pas de prévention.

8. Autres germes

Enfin, il ne faut pas oublier que le drépanocytaire peut faire des infections à germes banaux : staphylocoque, streptocoque etc. mais aussi la tuberculose d'où la nécessité d'une hygiène générale, d'une vigilance alimentaire, cutanée, et dentaire entre autres.

III. Traitements préventifs

1. Antibiothérapie anti-pneumococcique

On a fait la preuve de son efficacité : elle est indispensable.

Rien ne vaut la PénicillineV donnée à la dose de 50 000 Unités/kg en 2 prises par jour : elle est supérieure à la pénicilline injectable dont les taux sériques sont rapidement insuffisants et à l'amoxicilline qui favorise la résistance du pneumocoque aux antibiotiques. Quand commencer ? Dés l'âge de 3 mois, âge auquel les anticorps maternels transplacentaires commencent à disparaître. Jusqu'à quand ? Aucun consensus : certainement jusqu'à 5 ans, pour beaucoup 15 ans surtout s'il existe une infection à pneumocoque dans les antécédents.

2. Vaccin anti-pneumococcique

Le vaccin anti-pneumococcique à 23 valences n'est pleinement efficace qu'après 2 ans : certains le proposent dès 9 mois avec un rappel tous les 3 ans : il ne dispense en aucun cas du traitement préventif par la PénicillineV. L'arrivée d'un vaccin anti-pneumococcique à 7 puis 13 valences (PREVENAR) conjugué à une protéine a l'immense avantage de protéger dès les premières semaines de la vie et d'entraîner une production plus élevée d'anticorps. On peut espérer que ce vaccin contenant les 13 sérotypes penumococciques les plus virulents induira une protection très élevée contre les redoutables méningites et septicémies, si fréquentes chez le drépanocytaire.

3. Vaccin anti-haemophilus

Heureusement proposé à tous les enfants béninois de moins de 2 ans, il devra être effectué en priorité dès le deuxième mois chez le drépanocytaire.

4. Vaccin anti-grippal

La primo vaccination se fait dès l'âge de un an avec une 1/2 dose répétée à un mois d'intervalle ; un rappel devant être effectué chaque année avec une 1/2 dose jusqu'à 10 ans, une dose ensuite.

IV. Proposition de calendrier vaccinal

Naissance BCG + Polio O
6 semaines DT Coq + Polio + Hib Hépatite B
10 semaines DT Coq + Polio O + Hib Hépatite B
14 semaines DT Coq + Polio O + Hib
9 mois Roux ou ROR Hépatite B
12 mois Pneumo 23 ? + Grippe
13/14 mois Grippe
18 mois DT Coq + Polio 0 + Hib + 2ème ROR
24 mois Pneumo 23 + Grippe
Après 2 ans TyphimVi (pour tous les enfants)
3 ans Grippe
4 ans Grippe
5 ans Pneumo 23 Rappel DT Coq + Polio
Chaque année Grippe
Tous les 3 ans Pneumo 23

Les vaccins contre le méningocoque, A-C ou mieux ACW135Y sont recommandés après l'âge de 18 mois et indispensables en cas d'épidémie.

Règle d'or : apprendre aux parents à surveiller la température de leur enfant et à consulter pour toute fièvre > 38,5° C.

Développement et Santé, n°182, 2006