Tuberculose-sida
Depuis quelques années, le contrôle de la tuberculose fait l'objet d'une intense activité scientifique : de nombreux articles scientifiques sont publiés, différentes conférences sont organisées. Le Lancet vient de publier deux documents qui font le point de la situation et précisent les nouvelles recommandations : le compte rendu de la conférence de Washington de septembre 1995 [1] et un article proposant des modifications substantielles des activités du programme standard de lutte contre la tuberculose [2].
La qualité de ces deux documents repose avant tout sur leurs aspects techniques : problème posé par la multirésistance aux médicaments, nouvelles méthodes de diagnostic, efficacité de la chimioprophylaxie, de la vaccination... pour n'en citer que quelques-uns. Or, cette qualité est aussi leur insuffisance. Comme de nombreuses autres publications en ce domaine, ces deux articles sous-estiment les aspects liés à l'organisation, au fonctionnement des services de santé et les aspects liés à la perception de la tuberculose par le personnel de santé et par les patients.
Notre objectif dans cet article est double. D'une part, de démontrer l'importance d'une approche globale dans la lutte contre la tuberculose : une amélioration de l'ensemble du programme est nécessaire. D'autre part, à partir des connaissances accumulées, identifier les enjeux prioritaires notamment en ce qui concerne les interactions sida-tuberculose.
Dans cet article nous nous situons en tant que professionnels de santé publique spécialement intéressés par l'organisation des services de santé. Nombre des exemples et des réflexions cités ci-dessous nous ont été apportés par les quarante médecins qui chaque année suivent la maîtrise en santé publique organisée par le département de santé publique de l'Institut de Médecine tropicale d'Anvers.
I. La nécessité d'une approche globale
Avant tout, essayons de nous mettre dans la peau du professionnel de la santé, médecin ou infirmier, intéressé par le problème de santé posé par la tuberculose, mais non spécialiste. De la littérature scientifique la plus récente, ce professionnel retiendra avant tout les affirmations suivantes :
Le fait que le sida est responsable de l'augmentation importante des nouveaux cas de tuberculose : à Kampala en Ouganda où près de 30 % des jeunes adultes sont VIH positif, l'incidence de la tuberculose a été multipliée par trois.
La fréquence et l'importance de la multirésistance et donc la nécessité d'assurer une régularité de 100 % par la stratégie du TOD, traitement par observation directe, pour lutter contre l'apparition de souches multirésistantes.
L'urgence de trouver de nouvelles molécules thérapeutiques.
La fréquence des cas de tuberculose négatifs à l'examen d'expectoration et donc la perte d'intérêt de cet examen comme méthode de diagnostic.
En raison des interactions sida-tuberculose, la nécessité de définir de nouvelles priorités de recherche et d'élaborer de nouvelles stratégies, par exemple la chimioprophylaxie par INH ou d'autres médicaments pour le VIH.
Si certaines de ces informations sont correctes (notamment l'augmentation de l'incidence de la tuberculose à la suite de l'apparition du sida), d'autres, comme nous le verrons plus loin, doivent être remises en question. De plus, cette façon de percevoir et de faire percevoir la problématique actuelle de la tuberculose est dangereuse, car elle fait l'impasse sur un nombre important de problèmes rencontrés dans le fonctionnement quotidien des activités d'un programme antituberculose, problèmes déjà présents bien avant l'ère du sida, mais amplifiés par l'apparition de cette nouvelle maladie. Les spécialistes de la lutte contre la tuberculose ont tendance à sous estimer les problèmes opérationnels pour se concentrer sur les aspects essentiellement techniques.
Pour démontrer l'importance des aspects opérationnels - c'est-à-dire liés au fonctionnement quotidien des services de santé -, nous présentons ci-dessous une vision simplifiée d'un modèle proposé en 1967 par M. A. Piot (tableaux), alors spécialiste du programme anti-tuberculose de l'OMS, modèle qui permet une approche globale du fonctionnement de l'ensemble du programme de lutte contre la tuberculose.
II. Un modèle pour réaliser l'analyse opérationnelle
Ce modèle qui permet l'analyse de l'ensemble des activités d'un programme de lutte contre la tuberculose est simple dans sa conception. Il se base sur la stratégie de détection passive des cas et de l'identification des principales étapes qu'un individu doit franchir une par une entre le moment où il débute une tuberculose et le moment de sa guérison.
Les principales étapes, chacune pouvant être exprimée sous forme de probabilité, sont résumées dans le tableau n° 1.
Ces probabilités peuvent être multipliées entre elles, puisque le dénominateur d'une étape devient le numérateur de l'étape suivante et ainsi de suite jusqu'à obtenir le nombre de tuberculeux guéris dans les meilleures conditions possibles. À chaque étape, lorsqu'une difficulté ou un problème survient, la prise en charge du patient sera retardée et la probabilité de cette étape sera inférieure à 1. Par exemple, pour l'étape n° 4 : " sensibilité ", des études ont montré que la sensibilité de l'examen des expectorations, lorsqu'on fait une seule lame, n'est pas de 100 % (c'est-à-dire une probabilité de 1) mais de l'ordre de 0,80 par rapport à la culture. Donc, pour cette étape et pour des raisons d'ordre purement technique, 20 % des patients tuberculeux seront des faux négatifs lors de leur premier examen. Ils ne seront pas diagnostiqués directement, mais sans doute lors d'une seconde consultation lorsque le traitement symptomatique reçu lors de la première consultation n'aura pas fait son effet et qu'ils seront revenus consulter.
Un programme idéal de lutte antituberculose serait donc le programme qui permettrait à tous les nouveaux cas de tuberculose de pouvoir consulter sans délais, d'être suspectés et diagnostiqués sans retard et sans erreur, de recevoir une prescription correcte, d'obtenir les médicaments prescrits, d'assurer une prise régulière le temps nécessaire pour assurer la guérison. Autrement dit, dans un programme idéal, le patient passe d'une étape à l'autre sans perte de temps, ce qui réduit la souffrance endurée par le patient et diminue le risque de transmission de la tuberculose.
La réalité est bien entendu très différente ; à chaque étape, des problèmes, des difficultés techniques peuvent se poser : le patient suspect n'est pas identifié, il n'y a plus de colorant pour les lames, une lame positive n'est pas lue positive par le laborantin, les médicaments sont en rupture de stock, le patient n'est pas régulier, etc.
On pourrait essayer de mesurer la probabilité de chacune des étapes de ce modèle. Certaines étapes sont essentiellement techniques : sensibilité du test diagnostique, efficacité du traitement, et leur probabilité est assez bien connue. D'autres étapes vont varier d'une situation à l'autre et dépendre avant tout de la qualité du fonctionnement du programme contre la tuberculose. Ces étapes dites opérationnelles sont les suivantes : Motivation, Sélection, Examen, Prescription, Traitement, Régularité. Par exemple, une étude a montré que la qualité de la prescription était de l'ordre de x, autrement dit, y % des prescriptions ne correspondaient pas au traitement recommandé.
Le tableau n° 2 indique, pour chacune des étapes du modèle, les problèmes les plus fréquemment rencontrés dans le fonctionnement quotidien des programmes de lutte contre la tuberculose.
III. Utilisation du modèle pour une approche compréhensive
Dans les lignes qui suivent nous reprenons une par une chacune de ces étapes, nous discutons l'importance des problèmes rencontrés sur le terrain, les effets dus à l'interaction sida-tuberculose et leurs éventuelles conséquences sur les activités du programme. Finalement nous proposerons des priorités en terme de sujets de recherche.
Mais, avant, un premier point doit être éclairci : quelles sont les conséquences du sida sur les aspects cliniques de la tuberculose. Pour les cas VIH+, qui possèdent encore un niveau immunitaire satisfaisant et qui débutent une tuberculose, ce sera avant tout la forme typique qui va apparaître : la forme bacillifère responsable de la transmission de la tuberculose. C'est le cas le plus probable pour les pays en voie de développement où les sujets déjà depuis longtemps infectés par le BK sont immuno-compétents, et vont donc développer, lorsqu'ils deviennent séropositifs, une tuberculose bacillifère. En un second temps, les défenses immunitaires diminuent et des formes atypiques peuvent se présenter (formes extrapulmonaires, méningites, etc.) en même temps que des pathologies opportunistes.
En phase de dépression immunitaire, les individus VIH+, ou sidéens vont plus souvent présenter des formes atypiques extra-pulmonaires (lymphadénites, méningites, miliaires ... ) que les individus dont le système immunitaire reste indemne, et ces cas, qui souvent se compliquent d'autres maladies opportunistes, vont se retrouver concentrés au niveau des structures hospitalières. Par contre, au niveau des structures périphériques, la majorité des nouveaux cas va présenter la forme bacillifère habituelle. Cette réalité n'est pas toujours bien perçue et certains ont proposé, à tort, de changer de méthodes diagnostiques.
Étape n° 1 : motivation
Cette étape est très variable d'un programme à l'autre et dépend avant tout de l'accessibilité géographique et financière des services de santé et de leur qualité. Autrement dit, un patient qui n a pas confiance dans la capacité des services de santé à guérir son problème aura tendance à ne consulter qu'en dernier recours. Avant d'invoquer des problèmes d'information, de manque d'éducation des patients, il faut d'abord se poser la question de déterminer si le retard au traitement n'est pas une conséquence directe du mauvais fonctionnement des services de santé. Ce problème risque dans les années qui viennent de prendre une importance de plus en plus grande : augmentation des nouveaux cas de tuberculose consécutifs au sida et concomitants, diminution continue de la qualité des services de santé en raison des contraintes économiques et politiques que doit affronter la majorité des pays en voie de développement. Les conséquences à prévoir sont les suivantes : les nouveaux malades vont de plus en plus souvent s'adresser à d'autres services ou encore recourir à l'automédication. Dans ces différentes situations, la qualité du traitement reçu et sa régularité ne sont pas assurées. À notre connaissance, l'ampleur de ce problème n'a pas été évalué jusqu'à présent, mais on peut se demander si les conséquences en termes d'augmentation de la transmission et de la multirésistance ne sont pas plus importantes que celles dues au manque de régularité des malades sous traitement. Ce problème est le plus souvent ignoré par les spécialistes.
Étape n° 2 : sélection
Bien que non quantifiée, notre expérience du terrain et les discussions avec les médecins en formation à Anvers semblent montrer que l'interrogatoire et l'identification des symptômes discriminatifs sont souvent mal réalisés. Le symptôme " toux depuis plus de trois semaines " qui donne les meilleurs résultats en terme de valeur prédictive n'est pas correctement recherché. La qualité de la sélection des patients suspects de tuberculose pour les soumettre ensuite à l'examen des expectorations, dépend essentiellement de la qualité et de la motivation des professionnels responsables de la consultation curative. Or les raisons de démotivation du personnel de santé sont de plus en plus nombreuses : restrictions budgétaires à la suite des ajustements structurels, perte de salaire, absence de moyens techniques, etc. Il est donc à craindre que, comme la motivation, la sélection des suspects se fasse de moins en moins bien et que nombre de tuberculeux qui consultent ne soient pas sélectionnés à temps pour faire un examen d'expectoration. De nouveau, l'effet de cette sélection tardive - ou de cette absence de sélection - peut avoir une conséquence plus importante sur la transmission de la tuberculose qu'un patient irrégulier mais sous traitement.
Pour les malades dont l'immunité est encore conservée, il semble que les symptômes discriminatifs n'aient pas perdu de leur intérêt.
Mais les recherches opérationnelles dans ce domaine nous semblent justifiées, car l'intérêt de ces symptômes peut varier fortement d'une situation épidémiologique à l'autre.
Étape n° 3 : examen
Cette étape représente souvent le maillon le plus faible de la chaîne.
Différents problèmes se posent sur le terrain.
Première situation : le médecin explique mal l'importance de l'examen et le patient ne veut pas à nouveau faire la file devant le laboratoire, surtout s'il doit se présenter plusieurs fois pour donner les trois échantillons et revenir une fois encore pour obtenir le résultat (l'ensemble du processus nécessite plusieurs jours, parfois plus d'une semaine).
Deuxième situation : le laborantin n'explique pas ou encore ne laisse pas le temps au patient d'expectorer correctement, c'est de la salive qui est examinée et non les sécrétions bronchiques. C'est la situation que nous avons rencontrée au Cameroun, au Congo et en Guinée. Dans de nombreuses sociétés existe aussi le problème culturel du recueil de l'expectoration chez les femmes.
Troisième situation : l'expectoration est de qualité mais la préparation de la lame n'est pas faite correctement : mauvais étalement, manque de réactif, mauvaise coloration [3].
Quatrième situation : la préparation est correcte mais la lecture par le laborantin n'est pas fiable : manque de compétence, manque de responsabilité professionnelle. Une autre explication est sans doute plus fréquente : le non-respect des symptômes discriminatoires par le responsable de la consultation curative a pour conséquence de référer un trop grand nombre de suspects pour un examen d'expectoration. La charge de travail devient trop lourde pour le laborantin qui ne respecte plus le temps de lecture prescrit et le résultat est un faux négatif.
Parfois d'autres raisons doivent être recherchées. Dans un hôpital responsable de 300 000 habitants et qui dispose des ressources techniques nécessaires, aucun examen des expectorations n'est réalisé. Après plusieurs discussions, la réalité apparaît : le laborantin a peur de se contaminer en faisant cet examen.
La fiabilité de cette cinquième étape : qualité de l'expectoration, qualité de la préparation, qualité de la lecture est donc cruciale, d'autant plus que sa réussite dépend entièrement des services de santé. Pourtant des recherches opérationnelles ont montré que la décentralisation de cette étape et la réalisation de l'examen des expectorations par du personnel auxiliaire ayant reçu une formation de six semaines seulement, pouvait se faire sans perte de qualité [3].
Tous ces problèmes ne sont pas identifiés ou très peu discutés dans la littérature.
Étape n° 4 : sensibilité
Étape technique qui pose relativement peu de problèmes. Si la préparation de l'examen respecte les critères de qualité, si la lecture est faite correctement, la sensibilité attendue (le test de référence étant la culture) est de 80 % [3]. Les 20 % de cas qui n'ont pas été identifiés sont les cas qui présentent le moins de bacilles dans les expectorations (3) et qui donc a priori, sont les cas les moins contagieux.
La dépression immunitaire liée au sida provoque l'augmentation de cas tuberculeux dont l'examen d'expectoration sera négatif. Il est donc vraisemblable que la sensibilité de l'examen des crachats par rapport à la culture va diminuer à cause du sida. Mais comme nous l'avons discuté plus haut, ceci ne s'applique que pour les cas immunodéprimés qui au stade terminal de leur maladie, sont concentrés au niveau hospitalier. L'examen des crachats reste le meilleur test diagnostique.
Dans un des deux articles publiés par le Lancet, on propose qu'un nouvel examen d'expectoration soit réalisé pour le diagnostic de la tuberculose au lieu des trois prévus par la stratégie standard, cette proposition devant faire l'objet de futures recherches pour en vérifier la sensibilité. En fait, cette question a déjà été l'objet de différentes recherches opérationnelles [3]. Les résultats sont les suivants : le premier examen permet de détecter 80 % des nouveaux cas qui seraient détectés par trois examens consécutifs, le deuxième examen permet d'identifier de l'ordre de quinze nouveaux cas et le troisième moins de cinq nouveaux cas. Ces résultats montrent que le rendement marginal du deuxième et surtout du troisième examen sont très bas.
Ces résultats devraient être confirmés dans le cas de patients VIH+, mais a priori, ils ne devraient pas varier de manière significative pour les patients VIH+ qui ont une défense immunitaire encore bonne.
Étape n° 5 : prescription
La qualité de la prescription est elle aussi très variable d'une situation à l'autre. Souvent les médecins ne connaissent pas le traitement recommandé. La multiplicité des traitements existants ajoute à la confusion et la proposition faite de standardiser les traitements de base est certainement très valable.
Étape n° 6 : traitement
Le coût des médicaments reste très élevé, notamment le traitement de courte durée, et la majorité des patients tuberculeux ne peuvent les acheter. Dans de nombreux cas, les ministères de la Santé dépendent de l'aide internationale et l'augmentation de l'incidence de la tuberculose liée au sida ne fera qu'aggraver cette dépendance. En cas de pénurie, des situations aberrantes peuvent se produire : c'est notamment le cas d'un pays où les responsables du programme sida désiraient que les médicaments antituberculeux soient utilisés de préférence pour les VIH+. De nouveau, un problème très fréquemment rencontré est un problème opérationnel : la rupture de stock.
Étape n° 7 : régularité
Le taux de régularité des tuberculeux sous traitement est très variable d'un programme à l'autre. Cette étape est fortement influencée par les facteurs suivants : accessibilité géographique, coût indirect pour le patient, qualité des relations entre professionnels de la santé et patients, état de santé du patient, capacité des services à résoudre les problèmes sociaux, familiaux et autres, rencontrés par les patients. Il est certain qu'assurer la régularité du patient tuberculeux est une activité difficile à réaliser. Nos connaissances dans ce domaine sont en fait assez faibles : nous connaissons les facteurs associés à l'irrégularité des patients, mais très peu de recherches ont été menées dans le but d'évaluer les interventions qui permettent d'améliorer la régularité des patients sous traitement.
La stratégie du " Traitement sous Observation Directe " (TOD) est actuellement en vogue et est parfois présentée comme une obligation incontournable. Or si par définition, cette stratégie permet d'assurer une régularité bien entendu élevée, elle présente aussi des désavantages : elle est notamment coûteuse en terme de ressources humaines et difficilement applicable dans les régions où les populations sont disséminées. La stratégie TOD présente pour nous un autre inconvénient majeur : elle part du principe que le patient n'est pas capable de comprendre l'importance et d'assumer ce qui lui est demandé : un suivi régulier du traitement. Or notre expérience nous montre le contraire : si les professionnels de la santé prennent le temps d'expliquer clairement au patient les enjeux et les obligations du traitement et si ces professionnels sont capables d'assurer une relation empathique avec le malade, alors, oui la majorité des tuberculeux peuvent être réguliers.
Étape n° 8 : efficacité
Cette étape est essentiellement technique. L'efficacité des traitements actuels est de quasi 100 % si le patient est régulier. Contrairement à ce que pourrait laisser croire la publicité faite autour du problème de la multirésistance, un changement de régime thérapeutique ne se justifie pas et encore moins la recherche de nouvelles molécules actives (sauf si cette recherche a pour but de trouver un vrai traitement de courte durée), c'est-à-dire qui permettrait un traitement de la tuberculose en moins d'un mois. Une autre raison pour ne pas changer de stratégie de traitement (excepté la suppression de la thiacétazone) est que la fréquence de la résistance primaire ne semble pas varier selon le statut VIH du malade. D'autre part, l'excès de mortalité chez les tuberculeux VIH+ est attribué à d'autres pathologies opportunistes que la tuberculose.
En ce qui concerne la multirésistance que de nombreuses publications présentent de manière très alarmante, plusieurs remarques doivent être faites. L'apparition de cas multirésistants observés principalement aux États Unis et qui ont été à l'origine d'un réel vent de panique, concernent dans la grande majorité des cas des groupes de populations très spécifiques : patients séropositifs en stade de dépression immunitaire avancée, patients marginalisés, drogués, etc. Les résultats publiés sont contradictoires puisque dans plusieurs pays on assiste à une diminution continue de la résistance primaire et de la résistance secondaire. Il faut aussi faire remarquer que dans ce domaine particulier, la fiabilité et la comparabilité des données disponibles laissent fortement à désirer. En dernier lieu, l'argument qui nous semble le plus important est sans doute le suivant : depuis plus de quarante ans, partout dans le monde et plus particulièrement dans les pays du Sud, les patients tuberculeux sont irréguliers [3], or la résistance primaire à l'INH, drogue pour laquelle la résistance du BK survient très fréquemment, reste stable entre 10 et 25 % selon les endroits et les techniques de mesure utilisées. Comment expliquer cette non-augmentation de la résistance primaire malgré plus de quarante ans de traitements irréguliers ? Une réponse pourrait être la plus faible contagiosité du BK, constat qui avait été fait par une étude, mais qui n'a pas été retrouvé dans une autre. Ce point mériterait en tout cas d'être éclairci et nous pensons qu'une recherche fondamentale dans ce domaine s'impose.
Conclusion
La lutte contre la tuberculose, que ce soit ayant ou après l'ère du sida, doit être considérée de façon globale. Les différentes étapes d un programme sont liées entre elles et concentrer trop de ressources sur une seule étape, en négligeant les autres, ne permet pas d'améliorer la situation. Nous ne diminuerons pas la souffrance humaine en ne guérissant que quelques malades avec un nouveau traitement encore plus performant que l'ancien, si pendant le même temps la majorité des nouveaux cas n'est pas diagnostiquée à temps. De même, la transmission de la tuberculose ne diminuera pas si en concentrant toutes nos ressources sur la stratégie TOD, nous ne pouvons assurer la sélection correcte des suspects avec comme conséquence, des malades non traités qui continueront à contaminer leur entourage.
Il n'y a pas de solutions miracles dans la lutte contre la tuberculose. L'approche actuelle est trop centrée sur les aspects techniques et sous-estime les aspects liés à l'organisation des services de santé et à la perception du problème par le personnel de santé et par les patients. Ce sont les différentes activités du programme qui ensemble doivent être améliorées. L'utilisation d'un modèle comme celui que nous proposons, permet d'identifier et si nécessaire de mesurer et quantifier les différents dysfonctionnements qui peuvent survenir aux différentes étapes. Il peut aussi être utilisé comme instrument de dialogue entre les spécialistes chargés du contrôle de la tuberculose et les professionnels de la santé : infirmiers et médecins qui diagnostiquent et soignent les patients tuberculeux. Cette approche plus opérationnelle permet également de mieux identifier les priorités en terme de recherche, notamment les recherches opérationnelles et recherches actions qui pourraient avoir un impact direct sur les activités de santé.
Tuberculose-sida : de nouveaux enjeux ? En ce qui concerne le fonctionnement des programmes de lutte contre la tuberculose, la réponse est claire : comme avant, les enjeux sont avant tout opérationnels, mais l'épidémie du sida les rend encore plus prioritaires.
Références bibliographiques
[1] Enarson DA , Grosset J, Mwinga A, et al. The challenge of tuberculoses : statements on global control an prévention. Lancet 1995 ; 346 : 80919.
[2] De Cock KM, Wilkinson D. Tuberculosis control in resource-poor countries : alternative approaches in the era of HIV. Lancet 1995 346 : 675-7.
[3] Toman K. Tuberculosis case finding and chemotherapy : questions and answers. WHO Geneva 1979.
Développement et Santé, n°122, avril 1996