Tests biologiques d'exploration de l'hémostase

Par Charles Marc Samama* et Marianne Scholtès** *Département d'Anesthésie-Réanimation, Hôpital Avicenne, 93000 Bobigny, France. **Optimed.

Publié le

L'exploration de l'hémostase repose sur quelques tests simples et pour la plupart reproductibles. En fonction de l'équipement du laboratoire et du degré d'urgence, il est possible de réaliser des tests plus ou moins compliqués.

Pour la physiopathologie, on peut se référer à l'article "Physiologie de l'hémostase".

I. Examens standard

1. Numération des plaquettes

Les résultats sont obtenus rapidement grâce à des compteurs automatiques. La technique est reproductible d'un appareil à l'autre. En l'absence de compteur automatique, il est possible de compter les plaquettes si l'on dispose d'un microscope, au mieux à contraste de phase, et d'une lame de verre quadrillée, dite cellule de Malassez.

  • Valeurs normales : 150 à 400 Giga/l (150 à 400 000/mm3)

  • On observe de fausses thrombopénies : présence d'agrégats, prélèvement coagulé, thrombopénie à l'EDTA : dans ce dernier cas, refaire un prélèvement sur tube citraté.

Interprétation au bloc opératoire

  • Permet la quantification de l'importance de la consommation et/ou de la dilution.
  • Il est impossible de fixer une valeur limite en dessous de laquelle le risque hémorragique est en rapport avec la diminution du nombre de plaquettes (50 Giga/l n'est pas un critère absolu). La répétition de la numération plaquettaire à intervalles rapprochés permet de suivre l'évolution du patient et de la thérapeutique.
Causes des thrombopénie
Centrales
  • Diminution de la production des mégacaryocytes
  • Thrombopoïèse inefficace
Périphériques
  • C.I.V. D.
  • Consommation isolée
  • Anticorps antiplaquettaires
Anomalies de la distribution (fausses thrombopénies)
  • Splénomégalie
  • Hémodilution

2. Temps de saignement (TS)

Il explore globalement l'hémostase primaire en évaluant qualitativement et quantitativement les plaquettes, le facteur von Willebrand et l'état du sous-endothélium vasculaire ;

La corrélation est inconstante avec la numération plaquettaire si < 100 Giga/l.

Méthode de Duke

  • Incision du lobe de l'oreille avec un vaccinostyle ou une aiguille stérile.
  • Recueil de la goutte de sang toutes les 30 secondes à l'aide d'un papier buvard.
  • Normale : de 2 à 4 minutes.

Cette technique est peu sensible et peu reproductible.

Méthode d'Ivy

  • Brassard gonflé à 40 mm Hg sur le bras.
  • Légère incision horizontale de 1 cm sur l'avant-bras.
  • Recueil de la goutte de sang toutes les 30 secondes sans toucher les bords de l'incision afin de ne pas altérer le clou plaquettaire.
  • Test plus sensible.
  • Meilleure reproductibilité.
  • Normale : de 4 à 8 minutes.

(Il existe des dispositifs à usage unique permettant une technique standardisée).

Remarques

C'est le seul test in vivo qui explore l'hémostase primaire, mais sa sensibilité et sa spécificité sont insuffisantes.

La réalisation isolée du TS ne permet pas à elle seule de prédire un risque hémorragique.

Causes de l'allongement du TS
  • Prise récente d'acide acétyl salicilique
  • Thrombopénie
  • Thrombopathies
  • Maladie de Willebrand
  • Atteinte du sous-endothélium vasculaire
  • Afibrinogénémie congénitale
Les thrombopathies peuvent être :
  • Héréditaires
  • Acquises
      * Insuffisance rénale chronique* Syndromes myélo-prolifératifs* Leucémies* Dysprotéinémies* Hypoglycémie chronique* Atteinte hépatique* Anticorps anti-plaquettes* Médicaments

3. Temps de coagulation (TC)

C'est un test global réalisé sur sang total. Le sang est recueilli dans 2 tubes secs en verre, rincés au sérum physiologique, après ponction veineuse franche. Un premier tube est agité toutes les minutes à 37°C, jusqu'à coagulation complète, puis on mesure également le temps de coagulation, sans agitation, d'un deuxième tube à la même température de 37°C; l'écart entre le temps de coagulation des deux tubes ne doit pas dépasser 2 minutes. La durée normale de ce test est de 10 à 12 minutes, il est pathologique au-delà de 15 minutes à 37°C. A température ambiante (20° C), la normale est 16 -18 minutes. Son intérêt principal est de détecter une fibrinolyse aiguë : lyse du caillot < 1 h, parfois < 30 minutes (normale : 72 h). En cas de défibrination majeure, on observe l'absence de formation de caillot.

Ce test est peu sensible et ne devrait être pratiqué qu'en l'absence de matériel permettant la réalisation du TCA et du TQ.

4. Etude de l'aspect du caillot (variante du TC)

Après avoir recueilli 2 ml de sang du patient sur tube sec et l'avoir laissé coaguler, on pourra observer la taille du caillot, sa capacité de rétraction (hémostase primaire), sa lyse (fibrinolyse) et l'aspect du sérum (ictère ou hémolyse).

5. Temps de Howell (TH)

Il explore l'activité de tous les facteurs de la voie endogène et les plaquettes. La normale se situe entre 1,30 minutes et 2,30 minutes. Toutefois, peu automatisable, il est difficile à interpréter en l'absence de numération plaquettaire.

6. Temps de céphaline + activateur (TCA)

Test global qui explore la voie intrinsèque de la coagulation incluant les facteurs de la phase contact : prékallicréine (PK), kininogène de haut poids moléculaire (KHPM), facteurs XI, XII, et les facteurs IX, VIII, X, ainsi que la voie commune avec la fibrinoformation : facteurs V, II, I.

Il est exprimé en secondes par rapport à un témoin (normale inférieure à 1,2 fois le temps du témoin exprimé en secondes soit par exemple un temps inférieur ou égal à 36 s pour un témoin à 30 s).

Il est automatisable, simple et peu coûteux.

Sensibilité du TCA

  • Bonne détection d'un déficit isolé (si taux de F VIII, IX, XI, XII < 40 % à 50 %).
  • Moins bonne pour les facteurs de la voie finale commune.
  • Sensibilité diminuée en cas de forte élévation du F VIII (stress, effort physique, inflammation, fin de grossesse).
  • Le TCA est allongé en présence d'anticoagulant circulant, non corrigé par l'adjonction d'un plasma normal.
  • Le TCA n'a pas de valeur prédictive du risque hémorragique.
Causes de l'allongement isolé du TCA
  • Déficit constitutionnel en facteur VIII, IX, XI, XII
  • Déficit en kininogène ou en prékallicréine
  • Inhibiteur (héparine ou anticoagulant circulant)

7. Temps de Quick (TQ) ou Taux de prothrombine (TP)

Il explore la voie extrinsèque (facteurs VII et X) et la voie commune (V, II, I).

Il va donc faire double emploi avec le TCA, puisqu'il teste les mêmes facteurs, à l'exception de la proconvertine (facteur VII). On ne retrouve pas dans la littérature d'étude estimant isolément la valeur du TQ en pré-opératoire. La très grande rareté du déficit en facteur VII limite la portée de cet examen, d'autant que le taux de facteur VII nécessaire à une hémostase chirurgicale est bas (10 à 15%).

Expression des résultats

  • soit en secondes par rapport à un témoin temps de Quick (TQ),
  • soit en pourcentage d'activité : taux de prothrombine (TP), valeur normale : 70 à 100 %, (voir tableau 1)
  • Soit en INR (International Normalized Ratio) permettant une standardisation du suivi des patients traités par antivitamines K (AVK) exclusivement.

Cause de l'allongement isolé du TQ Il ne se rencontre qu'en cas de déficit en facteurs VII et en début de traitement par les AVK.
Causes de l'allongement du TCA et du TQ
  • Traitement par antivitamines K
  • Insuffisance hépato-cellulaire
  • Coagulation intravasculaire disséminée
  • Déficit en facteurs X, V, II, I
  • Hémodilution
  • Dysfibrinogénémie
  • Anticoagulant circulant
  • Malabsorption - Ictère par rétention
  • Surdosage en héparine

8. Temps de thrombine (TT)

Exprimé, comme le TCA, en secondes par rapport à un témoin, il explore la fibrino-formation. Normale : 15 à 20 secondes (en fonction des réactifs).

Causes de l'allongement isolé du temps de thrombine
  • Fibrinogène < 0,50 g/l
  • Dysfibrinogénémie - Afibrinogénémie
  • Traitement par l'héparine
  • Présence de produits de dégradation du fibrinogène et de la fibrine (PDF)

9. Dosage du fibrinogène

Pratiqué fréquemment en période pré-opératoire (normale : 2-4 g/l), son interprétation peut être faussée dans un contexte inflammatoire ou en fin de grossesse (dans ces cas, le fibrinogène est généralement plus élevé). On tiendra compte des variations observées entre plusieurs mesures.

Causes d'une diminution du fibrinogène
  • Hypo ou afibrinogénémie constitutionnelle
  • Insuffisance hépatocellulaire
  • CIVD- fibrinolyse

II. Tests analytiques

1. Facteurs de la coagulation

  • Tous les facteurs de coagulation (voie intrinsèque et voie extrinsèque) peuvent être dosés séparément.
  • Le choix des facteurs à tester est fonction des résultats des tests globaux et du contexte clinique.

2. Recherche d'un anticoagulant circulant

Au moins un des tests de dépistage est allongé (TCA le plus souvent).

a. Méthode

Test de correction (Malade + Témoin)

  • Ce test permet la distinction entre un déficit (T + M corrigé) et la présence d'un inhibiteur (T + M non corrigé).
  • Il peut se pratiquer sur tous les tests de coagulation.
  • En cas d'anticoagulant circulant, l'addition à partie égale de plasma normal au plasma du sujet ne corrige pas, ou partiellement, l'allongement du test anormal.

b. Les anticorps

Anticorps spécifiques d'un facteur (le plus souvent F VIII)

Leur présence entraînent un risque hémorragique très élevé nécessitant un traitement adapté en service spécialisé.

Anticorps antiphospholipides

Ils sont mis en évidence par des techniques immunologiques complémentaires des techniques d'hémostase.

Un bilan immunologique normal n'exclut pas la présence d'un anticorps antiphospholipide. Ces anticorps sont retrouvés le plus souvent lors d'infections aiguës bactériennes ou virales, ou de maladies systémiques (lupus ... ).

Il existe des examens plus spécifiques permettant d'étudier les fonctions plaquettaires et la maladie de Willebrand.

III. En pratique

Il n'est pas toujours possible de disposer de tous ces examens. En l'absence de TCA, TQ, TH, TT, dosage du fibrinogène ou de numération des plaquettes, et si l'interrogatoire, l'examen clinique, l'intervention prévue ou ses suites immédiates laissent apparaître un risque hémorragique réel, il convient, au minimum :

  • de réaliser un temps de saignement au lobe de l'oreille (Duke). Ce test peut constituer une alternative intéressante à la numération plaquettaire. Il renseigne également plus généralement sur l'hémostase primaire. Il ne dispense toutefois pas d'une étude de la phase de coagulation.
  • de réaliser un temps de coagulation qui permettra de quantifier grossièrement le trouble hémorragique sans pouvoir définir la cause du trouble.
  • de prévenir le chirurgien afin que l'hémostase chirurgicale soit la plus soigneuse possible.

Développement et Santé, n°158, avril 2002