Suivi de l'observance et éducation du patient sous ARV en Afrique : l'expérience du CTA de Pointe-Noire

Par Olivier Marcyl*, Nazaire Bakala** *Médecin coordinateur, Croix-Rouge Française, Programmes SIDA CONGO **Conseiller thérapeutique, CTA de POINTE-NOIRE

Publié le

L'accès élargi au traitement antirétroviral (ARV) pour les PvVIH a débuté en juin 2002 au Centre de Traitement Ambulatoire de Pointe-Noire avec un programme initié par la Croix-Rouge Française et l'OPALS. Dès le début des activités, le suivi de l'observance a été intégré comme une composante majeure de ce programme car il était un facteur essentiel de succès de la prise en charge et un enjeu important face aux critiques des détracteurs de ces programmes d'accès aux ARV qui estimaient que l'observance ne pouvait être satisfaisante dans les pays en développement. Ce soutien de l'observance s'est mis en place avec le développement de nouveaux rôles, outils, et méthodes ainsi que l'implication des patients et de l'ensemble de l'équipe comme acteurs dans la prise en charge.

I. Création d'un nouveau rôle dans l'équipe

le conseiller thérapeutique

Afin d'assurer le suivi de l'observance, un nouveau rôle a été créé au sein de l'équipe : le conseiller thérapeutique. En effet, au CTA de Pointe-Noire la charge de travail des médecins ne leur permettait pas de disposer du temps nécessaire pour faire une consultation d'observance. Le poste de conseiller thérapeutique a été confié à un assistant sanitaire qui est aussi en charge de la gestion de la pharmacie du centre et de la délivrance des ARV mais ce rôle aurait pu être confié à un autre membre du personnel. Le conseiller thérapeutique a été choisi pour sa bonne connaissance des traitements ARV mais aussi pour ses capacités humaines et son abord des patients. Son rôle est d'assurer les consultations d'observance, d'informer les patients, de faire le point avec eux et d'anticiper les difficultés et de trouver les solutions. Le counselling ou conseil thérapeutique a été initié à Pointe-Noire en utilisant les connaissances acquises dans la pratique du counselling de dépistage et la prise en charge des patients VIH+ aux différents stades de l'infection.

1. Contenu du conseil thérapeutique

Lors de la mise sous traitement

  • expliquer les intérêts et objectifs du traitement,
  • trouver avec le patient les meilleurs horaires pour ses prises de traitement en fonction de ses horaires de vie quotidienne et des contraintes alimentaires pour les traitements (DDI à jeun, Indinavir à jeun si non "boosté", Ritonavir en fin de repas, Efavirenz au coucher...),
  • trouver avec le patient un endroit adapté pour conserver les médicaments (à l'abri du soleil, à l'écart des enfants, caché du conjoint ou de la famille s'ils ne sont pas informés du statut VIH+),
  • prévoir avec le patient les dates de retour pour les approvisionnements en ARV afin d'éviter les ruptures,
  • l'avertir succinctement des effets secondaires.

Lors d'une visite de suivi

  • faire le point sur le traitement avec le patient (événements : difficultés, malaises, symptômes que le patient rattache au traitement),
  • faire le point sur le rythme et les horaires des prises (par exemple difficultés pour la prise d'Indinavir de la mi-journée pour les patients travaillant en entreprise),
  • compter les comprimés restants avec le patient,
  • répondre à ses questions,
  • corriger ses idées fausses sur les principes et effets secondaires du traitement, vérifier les connaissances du patient,
  • reprendre les explications sur les objectifs du traitement,
  • au cours de la délivrance, manipuler les boîtes, voir la forme et la taille des comprimés.

2. Les méthodes d'évaluation de l'observance utilisées à Pointe Noire

Le rôle du conseiller thérapeutique est aussi d'évaluer l'observance de chaque patient, en l'absence de dosage des concentrations plasmatiques d'ARV ou d'examen de la charge virale. Les différentes techniques employées sont :

L'évaluation de l'observance par le conseiller thérapeutique

Au cours du conseil thérapeutique, l'entretien avec le patient permet de recueillir des données sur la régularité des prises, les horaires et le respect des consignes alimentaires. Dans notre expérience, les patients répondent souvent " comme " le conseiller souhaite l'entendre et affirment souvent prendre toutes les prises de façon parfaite alors que le comptage des comprimés où le retard aux approvisionnements indique le contraire. L'évaluation de l'observance par le conseiller sur les simples données de l'interrogatoire est donc souvent faussée, comme montré précédemment par d'autres études sur l'évaluation de l'observance par le médecin.

Le comptage des comprimés et la régularité des approvisionnements en ARV

A chaque consultation d'observance ou approvisionnement en ARV, on demande au patient de rapporter ses comprimés restants pour les compter. On peut alors évaluer le décalage entre le nombre théorique et le nombre réel de comprimés restants à cette date : si le nombre réel est inférieur, on vérifie la bonne compréhension des posologies et on recherche l'origine du problème (perte de comprimés, doubles prises...). On a ainsi vu une patiente VIH+ non traitée prendre en secret les ARV de son mari déjà traité (à J14 du traitement, il ne lui restait plus qu'un seul jour de traitement !). Si le nombre réel est plus grand, le patient n'a pas pris tous ces comprimés correctement. Pour un décalage supérieur à 2 jours, l'observance théorique est déjà inférieure à 95% avec un risque d'échec virologique très important (Cf. Tableau I). On évalue de la même façon l'observance avec le nombre de jours de retard à l'approvisionnement en ARV. Tous les patients sont encouragés à venir au CTA 2 jours avant la fin du mois de traitement et la majorité respecte cette consigne mais 2 jours de retard à l'approvisionnement suffisent pour passer en dessous de la barre des 95 % d'observance. Il faut évidement tenir compte du fait que le patient peut être à jour pour ses approvisionnement mais ne pas consommer ses médicaments. Ainsi lors de visites à domicile chez des patients dont l'état général s'était beaucoup aggravé, on a retrouvé près de 3 mois de médicaments non consommés alors que les boîtes vides étaient rapportées au conseiller thérapeutique.

L'autoquestionnaire

Pour certains patients posant des problèmes importants d'observance à partir de début 2003, on a utilisé un auto-questionnaire d'évaluation de l'observance (Cf. Figure 1). Ce questionnaire était rempli par le patient dans le bureau du conseiller en sa présence. Les réponses de l'auto-questionnaire étaient pour la plupart cohérentes avec les informations données par le patient et n'apportaient donc pas de renseignements supplémentaires. En raison de ce faible apport informatif, des difficultés d'utilisation d'un support écrit chez certaines personnes, ce moyen d'évaluation de l'observance n'a pas été proposé en routine à l'ensemble des patients sous ARV.

La délivrance des médicaments, un acte de soin à part entière

Avec le système mis en place dans le CTA, le temps de délivrance des ARV, couplé à la consultation d'observance est devenu un acte de soin à part entière jouant un rôle central dans la prise en charge du patient sous ARV.

II. L'éducation thérapeutique, une étape supplémentaire dans l'autonomisation des patients

Le programme d'éducation thérapeutique des patients sous ARV a débuté en mars 2004 avec un financement de la Fondation GSK et le soutien pédagogique et méthodologique de l'association Format Santé. Selon l'OMS, "l'éducation thérapeutique est un ensemble d'activités d'information, de conseil et d'apprentissage permettant au patient de mobiliser des compétences et des attitudes dans le but qu'il vive le mieux possible avec sa maladie et son traitement". L'objectif de ce programme sur le CTA de Pointe-Noire est de faire bénéficier un maximum de patients sous ARV de ces activités d'apprentissage afin de les rendre plus autonomes et plus observants.

Pour chaque patient le programme d'éducation se déroule sur plusieurs séances qui sont menées par les différents intervenants (assistante sociale, psychologue, conseiller thérapeutique, médecins, infirmier) et qui abordent l'ensemble de la problématique de l'infection à VIH, dont le traitement ARV, selon des axes définis au décours d'un premier entretien avec le patient appelé " diagnostic d'éducation ". Avant le programme d'éducation thérapeutique, on ne focalisait pas l'attention sur le patient lui-même mais sur un pool de données standardisées à lui transmettre sans contrôle réel de ce qu'il avait compris. Dorénavant il est invité à identifier lui-même les facteurs limitant son apprentissage et l'observance (par exemple un patient qui ne croit pas à l'efficacité du traitement ou attribue son SIDA à un acte de sorcellerie). Cette identification permet de reprendre l'ensemble des données sur le sida : modes de transmission, qu'est ce que le SIDA ?

De façon pratique, la plupart des patients en grande difficulté (arrêt volontaire du traitement car ne croyait plus à la réalité de la maladie, à l'efficacité du traitement ou se sentait mieux et arrêtait) ont changé d'attitude et sont devenus plus responsables par rapport à leur traitement. Le traitement semble mieux s'intégrer dans la vie du patient et un projet global de vie autre que le simple suivi de son infection à VIH. Les patients parlent actuellement plus facilement des difficultés de prise de médicaments ou de la gestion des effets indésirables (certains patients pouvaient ainsi diminuer spontanément la dose de certains ARV jugés par eux à l'origine d'effets indésirables sans en informer le conseiller alors qu'ils ont maintenant tendance à parler plus des effets ressentis et demander comment gérer le traitement) et deviennent ainsi des acteurs de leur prise en charge.

La formation sur l'éducation thérapeutique et la participation aux activités ont permis au personnel de se mettre plus à la hauteur du patient, de comprendre ses difficultés et de ne pas se sentir "trahi" par un patient non observant. On fait ainsi plus confiance aux patients et on laisse par exemple maintenant les notices dans les boîtes d'ARV alors qu'on avait l'habitude de les enlever pour que les patients ne développent pas tout le "catalogue" des effets indésirables possibles. Ainsi ce changement de point de vue a contribué à modifier un peu plus au CTA la relation soignant-soigné qui devient progressivement une relation de gestion en commun d'un problème. Cette relation est exceptionnelle dans le contexte du système de santé local où le soignant est le plus souvent tout puissant face au soigné qui n'a pas réellement la parole.

Le groupe de soutien

Le groupe de parole réunit mensuellement une cinquantaine de personnes sous traitement ARV. Les premières séances ont pris la forme de séances d'éducation de groupe avec une prise progressive de parole des patients. Actuellement ils animent eux-mêmes les séances dont ils proposent les thèmes principaux (sexualité et VIH, religion et VIH, désir d'enfant et VIH, nutrition et VIH...). Les membres de l'équipe soignante présents peuvent guider le débat et répondre aux questions plus médicales. En mettant les patients en contact entre eux au sein du groupe de parole et en leur permettant de se répondre ainsi mutuellement, on permet des échanges plus libres sur leurs difficultés d'observance. Les conseils et les encouragements donnés par des patients eux-mêmes sous traitement ARV ont une valeur différente de celle du personnel de santé. Au cours de ces réunions, les patients ayant bénéficié des séances d'éducation thérapeutique jouent un rôle moteur.

III. Conclusion

Actuellement, plus de 500 patients bénéficient d'un traitement antirétroviral au CTA de Pointe-Noire. Le conseil et l'éducation thérapeutique ont placé le soutien et le suivi de l'observance au centre de la prise en charge des patients. Il s'agit d'un processus dynamique qui a touché tant les patients que le personnel dont la vision de la pathologie VIH et de la prise en charge évolue. Une évaluation du programme d'éducation thérapeutique un an après son démarrage devrait permettre de montrer de façon plus objective les effets réels d'un tel programme tant sur l'observance et les modifications opérées sur les patients et l'équipe soignante.

Tableau I: Taux d'observance théorique en fonction du retard à l'approvisionnement en ARV ou des jours de traitement non pris lors d'un approvisionnement à jour et risque d'échec virologique.

Jours de retard pour l'approvisionnement Jours de traitement non pris lors d'un approvisionnement à jour Taux d'observance théorique (%) Risque théorique d'échec virologique dans un délai moyen de 7 mois (HAART avec IP)* (%)
1 1 > 95 21,7
2 à 3 2 à 3 De 90 à 95 54,6
4 à 7 4 à 6 De 80 à 90 66,7
8 à 12 7 à 9 De 70 à 80 71,4
13 et + 10 et + < 70 82,1
  • Paterson DL et al. Ann Intern Med. 2000 ; 133 :21-30.

Figure 1 : auto-questionnaire utilisé au CTA de Pointe-Noire pour l'évaluation de l'observance (Catherine Tourette-Turgis, Maryline Rébillon. Accompagnement et suivi des personnes sous traitement antirétroviral. Comment Dire).

Il m'est arrivé de ne pas prendre mon traitement PARCE QUE : Jamais Parfois Quelquefois Souvent
J'ai tout simplement oublié
Je n'étais pas chez moi
J'étais occupé(e) à autre chose
Il y a eu un changement dans mes routines quotidiennes
Je me suis endormi(e)/je dormais à l'heure de la prise
J'ai eu des problèmes à les prendre aux horaires prescrits
J'étais malade/Je ne me sentais pas bien
Je voulais éviter les effets secondaires
Je me sentais déprimé(e)/à bout
J'avais trop de comprimés ou de gélules à prendre
J'avais l'impression que mon traitement était toxique/dangereux
Je ne voulais pas que les autres me voient en train de prendre mon traitement

Développement et Santé, n°172, août 2004