Sénégal/Thiaroye-sur-Mer: après la pollution, la chape de plomb
1. Les constats
En quatre mois, de novembre 2007 à février 2008, plusieurs décès d'enfants sont constatés dans un même quartier de Thiaroye-sur-Mer, près de Dakar (Sénégal). En tout, 18 enfants de moins de 6 ans meurent de maladie inconnue. Alertées, les autorités sanitaires et environnementales enquêtent. Elles révèlent rapidement que le sol du quartier de Ngagne Diaw est contaminé par des batteries au plomb, entreposées dans une décharge et recyclées par les habitants du quartier. Outre les décès, on constate que les membres des familles des enfants décédés ont un taux sanguin de plomb très élevé, souvent supérieur à 1000 µg/L.
Le seuil de toxicité a été régulièrement revu à la baisse, il est aujourd'hui à 100, voire 50 µg/L.
2. Les actions menées
Face à la situation à Thiaroye, le gouvernement sénégalais entreprend un nettoyage partiel du site dès mars 2008. Au total, 300 tonnes de déchets provenant de batteries usagées et du sol contaminé sont ainsi retirées et le sol est recouvert de sable propre. A la demande des autorités sénégalaises, l'OMS déploie une équipe d'experts : toxicologue, spécialiste de la salubrité de l'environnement et chimiste. L'objectif : poursuivre les traitements, enquêter sur les risques, proposer des solutions pour les atténuer et enfin renforcer la sensibilisation des habitants.
3. Une intoxication persistante
Les examens médicaux réalisés sur 55 frères, soeurs et mères (32 enfants et 23 mères) des enfants décédés montrent que les plombémies restent élevées, variant entre 383 et 3 454 µg/L. Une majorité d'enfants a des signes d'atteintes neurologiques, dont certaines pourraient être irréversibles. En outre, plusieurs d'entre eux ont une plombémie plus élevée que lors de la première enquête. En réalité, la contamination ne s'est pas achevée avec les travaux menés par le gouvernement sénégalais.
Par ailleurs, l'OMS mène une enquête sur des personnes du quartier prises au hasard. Toutes ont une forte concentration de plomb dans le sang : de 363 à 6 139 µg/L. Ces taux anormaux sont également constatés chez des personnes n'ayant jamais pris part à des activités de recyclage et/ou d'extraction du plomb. Plusieurs d'entre elles ont, en outre, des troubles neurologiques graves. Ces résultats très inquiétants amènent à penser que les 1 000 habitants de Ngagne Diaw pourraient être frappés par cette intoxication.
4. Les actions de l'OMS et de plusieurs associations
Face à ces constats, l'OMS demande au gouvernement sénégalais de réagir en prenant des mesures concrètes et rapides afin d'éviter de nouveaux drames. Par ailleurs, deux associations françaises, l'AFVS (Association des Familles Victimes du Saturnisme) et l'APF (Association des Paralysés de France), ainsi que plusieurs ONG installées sur le terrain, prévenues de ce drame, décident de soutenir les habitants, rassemblés en comité de santé. Au mois d'août, un membre du bureau de l'AFVS participe à plusieurs réunions avec les habitants et leur présente le film documentaire "Du plomb dans la tête".
Après l'été, le gouvernement tente de convaincre les habitants qu'ils doivent tous quitter le site pour le dépolluer, proposition qui provoque la colère des familles, inquiètes de ce choix. Elles soupçonnent les autorités de vouloir libérer ce quartier stratégique situé à 200 m de la mer. Face à l'inaction des pouvoirs publics, les habitants envisagent de mener les travaux eux-mêmes, mettant ainsi encore davantage leur vie en danger. lis y renonceront finalement. Le 20 janvier 2009, une réunion rassemblant les ministres de l'Environnement et de la Santé, le directeur du centre anti-poison de Dakar, des représentants de l'OMS, la presse et des membres du comité de santé, permet de mettre à jour le manque de moyens financiers, mais aucune résolution concrète ne ressort de cette rencontre. Les habitants ne parviennent pas, malgré leurs efforts, à avoir de réponses précises de la part du gouvernement sur les modalités des travaux, le calendrier, les possibilités de délocalisation partielle...
Pourtant, une société américaine, Blacksmith, mène depuis fin 2008 des études de faisabilité de travaux sur le site. Cette entreprise se dit prête à les réaliser. Reste un "détail" : trouver les financements, notamment auprès des pouvoirs publics sénégalais. Et pendant ce temps-là, les habitants de Ngagne Diaw continuent à s'intoxiquer.
### Le saturnisme chez l'enfant : des conséquences irréversibles Le plomb est un poison cumulatif (lui affecte de nombreux organes, notamment les systèmes nerveux, sanguin, digestif, cardio-vasculaire et rénal. Les enfants sont les plus vulnérables aux effets toxiques du plomb qui, lorsqu'ils ne sont pas mortels, ont des conséquences définitives sur le développement cognitif et comportemental : atteinte du développement psychomoteur avec troubles de la mémoire et de l'apprentissage, atteintes des fonctions visuelles et auditives, troublés du comportement et baisse du quotient intellectuel, même lorsque les intoxications sont modérées, c'est-à-dire entraînant une plombémie autour de 100 µg/L voire moins. De plus, les petites filles qui s'intoxiquent aujourcl'hui transmettront le toxique à leur bébé lorsqu'ellus seront enceintes : le plomb, stocke dans l'os, a une très longue durée de vie (20 ans) et sera relargué dans le sang lors des remaniements osseux accompagnant toute grossesse. Souvent, aucun signe n'alerte l'entourage. Si certains esistent, ils ne sont absolument pas typiques du saturnisme : maux de ventre, céphalées, fatigue, troubles de l'humeur, de la mémoire, hyperactivité ou, au contraire, sonvnolence, difficultés scolaires... En cas d'intoxication au plomb, il est essentiel de mettre les enfants hors de danger. Au-delà de 450 µg/L, l'OMS recommande une chélation : pratiqué dans un hôpital, ce traitement consiste à"nettoyer" le sang du plomb qu'il contient Mais il a des effets indésirables parfois sévères. C'est une solution couramment utilisée dans ces conditions, nécessaire, mais qui ne règle pas le problème majeur : la contamination de l'enfant dans son milieu de vie. L'OMS, dans ses préconisations, ajoute que "des concentrations supérieures à 700 µg/L constituent une urgence médicale nécessitant un traitement immédiat, et des concentrations supérieures à 1200 µg/L sont considérées comme potentiellement mortelles". |
### Un recyclage depuis plus de dix ans En 1995, les habita lits de Ngagne Diaw commencent à recycler de manière informelle (les batteries au plomb laissées sur un terrain vague. Au fil des ans, ces activités entraînent une forte contamination du sol par le plomb. Peu à peu, les habitants intensifient l'activité de recyclage, ils transportent de la terre contaminée vers d'autres zones pour en extraire le plomb. La terre enrichie en plomb est alors stockée à l'intérieur des maisons avant d'être vendue. Sans se clouter du danoer, les enfants jouent avec cette terre containinée. |
### Les recommandations données par l'OMS au gouvernement Sénégalais
#### En urgence
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Développement et Santé, n°194, 2009