Santé communautaire
En 1998, Handicap international a démarré un programme de santé communautaire dans le cercle (ou district sanitaire) de Gourma Rharous situé au Nord Mali. Cette zone étant caractérisée par un climat sahélo-saharien à faible densité de population, les possibilités d'accès aux soins y sont limitées.
Pour pallier ce manque, la construction et l'ouverture de centres de santé communautaire ont été décidées dans le cadre d'un financement de l'Union Européenne et en partenariat avec les institutions maliennes. Ce programme a été précédé d'une étude sur les représentations de la santé et de la maladie au sein des populations concernées et par la constitution d'aires de santé. Elle a révélé de fortes disparités entre les représentations traditionnelles et celles véhiculées par le système de soins moderne. Ces différences ont paru présenter un risque pour une bonne appropriation par la population des structures de santé en passe d'être construites.
En réponse à ce constat, un projet pilote d'Education à la Santé -projet EAS- a été élaboré en partenariat avec l'équipe socio-sanitaire du cercle.
Il s'est déroulé sur deux aires de santé conjointement à la mise en place de centres de santé communautaire selon les directives du programme de développement sanitaire et social (PRODESS) du gouvernement malien.
I. La démarche
L'objectif de l'EAS est d'améliorer la santé des populations par une plus grande participation de celles-ci à la maîtrise des problématiques santé les concernant.
De ce fait, il se différencie des activités habituelles en matière de prévention par une sélection, une priorisation (définition des priorités) et la mise en oeuvre d'actions entièrement pilotées par la population concernée.
Un facilitateur est chargé de les accompagner dans une réflexion sur les problématiques santé et la recherche de solutions. Le facilitateur est un nom donné au personnel EAS recruté par Handicap International, c'est un agent placé auprès des communautés.
Il est avant tout un éducateur et non un soignant qui aide la population à créer une dynamique communautaire autour de la santé. Pour cela, il doit pouvoir s'exprimer dans les langues locales et s'adapter au mode de vie des communautés.
Il est à la fois un animateur de réunion et un médiateur entre les personnes. Il peut ainsi, au delà de l'accompagnement à la programmation d'actions, orienter les groupes de personnes vers les services techniques (éducation, agriculture, hydraulique, etc.) pour les accompagner dans la réalisation de leurs objectifs. Il travaille dans le souci constant de favoriser et de promouvoir les liens entre structures de santé et populations. De ce fait, il est en étroite collaboration avec le personnel soignant des centres de santé communautaire (Cscom) et avec les responsables de l'association de santé communautaire qui le gère (Asaco).
Le but est de créer un cadre de "concertation locale" entre les différents acteurs de la santé (population, commune, personnel soignant, membres de l'association Asaco, cadres de la santé) pour la planification et la mise en oeuvre des activités.
Ces différents acteurs sont d'ailleurs regroupés au sein d'un comité de pilotage chargé de suivre l'évolution du projet et ses nouvelles orientations possibles. Il se réunit une fois par trimestre et permet de faire le point sur les activités réalisées en établissant des recommandations pour la suite du projet.
Le processus comprend plusieurs étapes
- Le recueil de données, en privilégiant l'approche anthropologique par rapport aux démarches classiques des enquêtes épidémiologiques. Cette première phase s'accompagne également d'une présentation à la population du projet en cours.
- L'identification et la création des groupes de discussion.
- La sélection des thématiques abordées par la population (début de motion proprement dite).
- La recherche des causes (arbres à problèmes).
- La recherche de solutions adaptées et simples d'application (arbres à objectifs).
- La planification des actions et la constitution des groupes.
- L'évaluation suivie du réajustement des actions en cours.
II. Deux exemples concrets
Ces exemples permettent de montrer les possibilités et la créativité qui peuvent naître autour de projets, à partir de l'identification des problèmes par les populations.
1. L'eau de javel
Au cours des campagnes précédentes d'éducation pour la santé effectuées dans le cadre de la prévention contre le choléra et les maladies diarrhéiques, les populations ont reçu des flacons d'eau de javel. Elles étaient encouragées à les utiliser lors des séances d'animation. Cependant, elles continuaient à boire l'eau du fleuve tout en utilisant un tissu propre pour la filtrer, méthode quelles pratiquaient traditionnellement.
Au cours des séances d'animation du projet EAS, le problème de la diarrhée est ressorti comme prioritaire et si le lien avec l'ingestion de l'eau du fleuve, même filtrée, a pu été effectué, en revanche, la possibilité d'utiliser l'eau de javel a été écartée du fait de l'éloignement des point de vente de ce produit (uniquement dans certaines foires hebdomadaires) et du prix élevé pour les familles.
Une réflexion a alors été menée pour répondre à ce problème concret. Elle a conduit à la mise en place d'un fonds pour la dotation initiale en eau de javel par un comité de santé nommé, en charge de la gestion du fonds et du stock. Le produit est ainsi acheté en gros, puis cédé aux populations à un prix acceptable permettant le renouvellement du stock et la prise en charge des frais de transport. Ce système mis en place par les populations elles-mêmes garantit la disponibilité et l'accessibilité de l'eau de javel pour le traitement de l'eau de boisson (en attendant la solution définitive d'un accès à l'eau potable : un forage). Par ailleurs des agents ont été désignés au sein de la communauté pour effectuer un suivi du stock et de l'approvisionnement des familles.
2. Dépenses de santé
Le personnel soignant ayant soumis en réunion de "concertation locale" le problème de la sous-fréquentation des centres de santé par les malades, une analyse des raisons de cet état de fait a été conduite via une série d'animations avec les populations de l'aire de santé concernée.
Ces séances ont fait ressortir différents aspects :
- le problème de l'accessibilité financière au centre de soins du fait des faibles revenus de la population, particulièrement à certaines périodes de l'année;
- l'inexistence de la notion d'épargne santé;
- l'absence de liquidité financière;
- le fait de ne pas donner la priorité aux dépenses de santé par rapport aux autres types de dépenses (on ne dépense pas de l'argent pour se soigner quand on est malade ...).
La plupart des malades se rendent ainsi au centre de santé uniquement les jours de foire, car c'est le moment propice pour se procurer de l'argent liquide en vendant quelques biens.
Cela explique qu'il n'est pas rare de voir les parents des patients se présenter d'abord au centre pour faire estimer le coût des soins avant de se rendre au marché pour vendre bétail, grains, poissons et autres produits pouvant couvrir le montant de la dépense. Les personnes qui n'ont aucun moyen, ou presque, soit se tournent vers les tradi-thérapeutes, soit vers les vendeurs ambulants de médicaments, ou tout simplement restent à la maison.
Cette réflexion a conduit les groupes de discussion a imaginer un système de caisses de santé au niveau des villages. Les ressources des caisses proviennent de cotisations des adhérents, mais aussi de dons. L'objectif de ces caisses est de permettre aux adhérents d'assurer la prise en charge rapide de frais de soins par la mise à disposition de fonds nécessaires. Les fonds sont accessibles à tous, soit sous forme de prêts remboursables, avec ou sans intérêts, soit par une prise en charge totale des frais pour les personnes démunies (identifiées comme telles car bien connues des membres des comités locaux de santé).
Certains comités de santé villageois sont devenus à ce point dynamiques qu'il est possible aujourd'hui de les charger de la coordination de toutes les actions communautaires entreprises dans leur zone. Ils effectuent le suivi des actions, mobilisent les populations autour de ces actions et entreprennent des contacts avec l'Asaco, le personnel soignant et les autres partenaires. Leur encadrement est assuré par les facilitateurs qui les préparent aussi à leur propre succession.
Développement et Santé, n° 160, août 2002