Refus de traitement
Refus de traitement
par Olivier Bismuth
Médecin généraliste. Développement et Santé.
Refus de traitement de la part d'un de nos patients ! Cette situation n'est pas rare. Un malade peut refuser un acte diagnostique ou thérapeutique soit parce qu'il n'a pas confiance, soit parce que ses convictions religieuses, philosophiques ou coutumières le lui interdisent. Ce sont ses convictions et il ne nous appartient de les juger ni dans un sens, ni dans un autre. En revanche, ce qui nous pose problème, c'est que cette personne a une demande ou un besoin de santé, et que notre prescription initiale établie selon nos connaissances et notre expérience, ne lui convient pas. Alors que faire ? La renvoyer ? Lui imposer le traitement ? Négocier ? L'exemple souvent cité est celui des Témoins de Jéhovah qui refusent toute transfusion de sang.
Deux situations sont à distinguer : l'urgence, où la décision est à prendre dans les plus brefs délais, et les cas où l'on a un peu de temps pour se renseigner et discuter.
I. L'urgence
Une femme Témoin de Jéhovah a une hémorragie post-partum massive, le risque d'état de choc est important. Que faire? Autre exemple, un enfant marasmique est trop faible pour s'alimenter. Pour lui donner une chance réelle de survie, on doit installer une sonde de gavage gastrique. Les parents ne sont pas d'accord. Le gavage n'est-il pas de l'acharnement thérapeutique? Le laisser repartir n'est-ce pas le condamner à court terme ? Questions terriblement difficiles.
En France, lorsqu'un adulte refuse un traitement, aucune contrainte n'est permise. En revanche, lorsqu'il s'agit d'un enfant mineur et que ses parents s'opposent à l'administration d'un traitement, l'autorité parentale peut être transférée au médecin par le procureur de la République, si la vie de l'enfant est en jeu.
Les axes de réflexion nous sont donnés par l'éthique médicale :
faire tout ce qui est en nos moyens pour sauver un de nos congénères ;
ne pas lui nuire, mais aussi, ne pas être pénalement justiciable du fait de notre passivité.
Il. la décision peut être différée
On a du temps. Telle femme a un fibrome qui saigne beaucoup et entraîne une anémie. L'intervention serait utile voire nécessaire. Elle aura probablement besoin de transfusions au cours ou après l'opération, au moins par sécurité dans l'éventualité d'un choc opératoire. Si elle refuse le sang, quel est le problème ? Elle risque d'aggraver sérieusement son état de santé. Mais elle fait son choix avec toute sa liberté. Il faut reconnaître que le point de vue médical sur les transfusions, dans les cas de décisions différées, a évolué ces dernières années. D'une part, à cause du sang contaminé (VIH, VHB et C) ; d'autre part, parce que les mentalités ont évolué. On est passé de l'attitude du médecin paternaliste dont on discute à peine la prescription, à celle du soignant qui dialogue et qui respecte le choix du malade, même si ce n'est pas le sien.
Deux attitudes guideront en cette circonstance :
Expliquer, informer, écouter, dialoguer respectueusement en comprenant les raisons du patient.
Prendre conseil a posteriori auprès de spécialistes ou de référents. Ceci implique de développer un réseau de relations pour connaître au bon moment la personne qui guidera et qui aidera au choix.
Les situations sont si complexes, si particulières, qu'il semble impossible de les codifier ou d'avancer des conduites à tenir, des recettes. Néanmoins, trois questions de type éthique peuvent aider, à condition de faire preuve de beaucoup de finesse psychologique, d'empathie (faculté intuitive de se mettre à la place d'autrui), de respect et d'humilité.
L'acte envisagé, qu'il soit diagnostique ou thérapeutique, est-il nécessaire ? Va-t-il améliorer la santé du malade ?
Est-il indispensable ? Sa non-réalisation aura-t-elle des conséquences dommageables pour le patient.
Quels seront ses effets secondaires négatifs ? Le malade est guéri, mais au prix d'un inconfort de vie ou de troubles de toute sorte.
En fait, ces trois questions doivent s'envisager du double point de vue du médecin et du patient.
Prenons l'exemple d'une femme de 38 ans porteuse d'un volumineux fibrome utérin, à qui l'on propose une hystérectomie. D'emblée, elle refuse, cela ne lui convient pas, elle a peur. Durant votre formation, on vous a appris qu'un fibrome s'opère. Mais par honnêteté, vous acceptez de mettre sur la table du débat, vos propres arguments, les siens et de les confronter.
Est-ce nécessaire ? Le médecin dit : si elle n'est pas opérée, elle risque une anémie chronique, des complications de compressions urinaires, une fonte brutale du fibrome par nécrobiose aseptique, des malaises ; l'intervention lui sera bénéfique. La patiente ne dit rien, car c'est une réponse technique avec des informations apportées par le soignant.
Est-ce indispensable ? Peut-être pas. La patiente pose cette question, et le soignant doit étudier une alternative : l'absence d'intervention est-elle possible ? sous progestatifs, peut-on espérer des hémorragies moindres, en attendant la ménopause ?
Quels seront les effets secondaires après l'opération ? Dans l'optique actuelle, à cette question que la patiente devrait poser sans gêne si elle a confiance en son médecin, ce dernier a l'obligation morale de l'avertir des principaux inconvénients, sans les minimiser ni les exagérer. Il y a le risque opératoire, mais surtout le retentissement psychologique non négligeable : boulimie compensatrice (certaines femmes se mettent à manger excessivement, comme si cela allait remplacer l'organe enlevé), avec prise de poids ; état dépressif. Il faut aussi tenir compte des raisons avouées ou inavouées de la dame: désir de conserver une possibilité de grossesse (elle a 38 ans) ; désir de garder une intégrité physique de ses organes.
Discuter avec l'intéressée sur chacun de ces trois points de façon approfondie, en prenant son temps permet d'établir un dialogue de confiance, souvent d'obtenir un accord entre les deux parties et ainsi, d'éviter un refus de traitement et de casser la relation soignant soigné.
Développement et Santé, n°142, août 1999