Prophylaxie par le cotrimoxazole chez l'adulte en Afrique sub-saharienne : avantages, risques et conseils pratiques

Publié le

Toure Siaka, Xavier Anglaret
Programme Pac-ci, Abidjan, Côte d'Ivoire et Unité INSERM 593, Bordeaux, France.

I. Notions de base sur les infections liées au VIH

et leur prévention

1. Morbidité liée au VIH

Le VIH a comme cible principale les lymphocytes CD4, cellules impliquées dans l'immunité. La diminution progressive des CD4 (de plus de 1 000/mm3 au début à 0/mm3 en stade très avancé de la maladie) sous l'effet du virus entraîne une plus grande fragilité vis-à-vis de certaines pathologies infectieuses ou tumorales, appelées " maladies opportunistes ". Ce sont :

  • soit des affections connues chez les personnes immunocompétentes, mais survenant plus fréquemment chez les personnes VIH+ du fait de leur immunodépression : c'est le cas, par exemple, du zona, de la tuberculose, de certaines maladies bactériennes, ou du paludisme;
  • soit des affections exceptionnelles chez les personnes immunocompétentes, survenant presque exclusivement chez les personnes ayant un déficit immunitaire sévère (toxoplasmose cérébrale, pneumocystose pulmonaire, etc.).

Certaines de ces pathologies opportunistes ont des fréquences différentes suivant les pays ou les groupes d'individus (adultes/enfants, toxicomanes/non toxicomanes, etc.). Pour prendre en charge une personne VIH+ dans un endroit donné, il faut donc connaître ce qu'on appelle le "spectre de morbidité", autrement dit, la fréquence respective des pathologies opportunistes en cause dans cet endroit.

Très schématiquement, il existe des différences importantes entre le spectre observé en France et celui décrit en Afrique sub-saharienne :

  • En France, les affections opportunistes graves les plus fréquentes sont par ordre décroissant : la pneumocystose pulmonaire, la toxoplasmose cérébrale, la candidose oesophagienne, la tuberculose, le sarcome de Kaposi, les mycobactérioses atypiques, les infections invasives à cytomégalovirus (CMV), les lymphomes, la cryptosporidiose et la cryptococcose neuroméningée. A l'exception de la tuberculose pouvant survenir à tous les chiffres de CD4, ces pathologies surviennent principalement chez des personnes ayant un nombre de CD4 inférieur à 200/mm3.
  • En Afrique sub-saharienne, les trois affections opportunistes graves les plus fréquentes sont par ordre décroissant : la tuberculose, les maladies bactériennes sévères et le paludisme. Le risque de développer ces trois infections commence tôt dans la maladie, bien avant que les CD4 ne passent en dessous de 200/mm3. Lorsque les CD4 descendent ensuite sous ce seuil de 200/mm3 on retrouve (dans un ordre de fréquence variable suivant les pays) : la candidose oesophagienne, l'isosporose, la toxoplasmose, les mycobactérioses atypiques, la cryptococcose neuroméningée et le sarcome de Kaposi. La pneumocystose pulmonaire est rare chez l'adulte en Afrique.

2. Prophylaxie des infections opportunistes

Pour réduire le risque de mortalité et de morbidité chez une personne infectée par le VIH, trois types d'interventions sont possibles : - le traitement antirétroviral (ARV), qu'on débute dans l'idéal entre 350 et 200 CD4/mm3 suivant les individus et les possibilités d'accès aux ARV.

En faisant remonter les CD4, un traitement ARV efficace fait sortir la personne traitée de la zone d'immunodépression la plus à risque d'infections opportunistes;

  • la prise en charge curative des affections opportunistes quand elles surviennent;
  • le traitement préventif (ou "prophylactique") de certaines infections opportunistes. Ces traitements prophylactiques n'utilisent des anti-infectieux donnés à des doses plus faibles que quand ils sont utilisés en traitement curatif : à ces doses, ils ont pour objectif d'empêcher que ces infections ne surviennent.

Les prophylaxies des infections opportunistes ne sont donc pas incompatibles avec les traitements ARV : elles en sont complémentaires. Elles doivent être prescrites tant qu'une personne reste dans une zone d'immunodépression à risque (autrement dit, tant que les CD4 persistent en dessous d'un certain seuil), que cette personne reçoive un traitement ARV ou non. Le tableau 1 récapitule les prophylaxies recommandées en Afrique sub-saharienne.

Prophylaxies primaires de première intention en Afrique sub-saharienne.
Médicament et posologie Seuil de début
Pneumocystose Toxoplasmose Isosporose Paludisme Maladies bactériennes Cotrimoxazole fort 1 cp/jour tant que le risque persiste\* 500 CD 4/mm3 ou stade clinique 2 OMS
Tuberculose Isoniazide 300 mg/jour pendant 6 à 12 mois Dès la découverte de la séropositivité\*\*
Mycobactérioses atypiques Généralement non pratiqué
Infections à CMV Généralement non pratiqué
Cryptococcose Généralement non pratiqué
\* Cotrimoxazole fort : 160 mg de triméthoprime + 800 mg de sulfaméthoxazole. \*\* En suivant les précautions énoncées par l'OMS dans la référence 3.

II. Prophylaxie par le cotrimoxazole : avantages et risques

1. Avantages

Le cotrimoxazole est utilisé en France depuis la fin des années 1980, essentiellement en prophylaxie de la pneumocystose pulmonaire. En Afrique sub-saharienne, la pneumocystose est rare chez l'adulte. Mais plusieurs essais thérapeutiques ont prouvé qu'il y avait quand même un bénéfice fort à prescrire une prophylaxie par le cotrimoxazole, puisque ce médicament a une efficacité préventive non seulement contre la pneumocystose et la toxoplasmose, mais aussi contre l'isosporose, le paludisme, et certaines maladies bactériennes (sinusites, otites, pneumopathies, septicémies, entérites, infections cutanées) (1,2). Cette efficacité se traduit par une forte réduction de la morbidité et de la mortalité.

La prophylaxie par le cotrimoxazole est facile à prendre (1 comprimé par jour) et relativement peu chère (environ 1000 FCFA par mois en générique).

2. Risques

Dans les essais thérapeutiques réalisés, ils étaient toujours inférieurs aux avantages. Autrement dit, le rapport bénéfices/risques est favorable, sinon on ne recommanderait pas ce traitement. Comme tout traitement médicamenteux, des risques individuels existent néanmoins. Ils sont :

  • cutanés : risque d'allergie (le plus souvent prurit isolé pendant le premier mois, rarement fièvre et éruption ou érythème pigmenté fixe, et très rarement syndrome de Lyell);
  • hématologiques : risque de cytopénies, principalement de neutropénies (en général modérées).
  • hépatiques : risque d'hépatite (très rare, en général en association avec d'autres médicaments hépatotoxiques).

Par ailleurs, par précaution le cotrimoxazole n'est pas recommandé au cours du premier trimestre de la grossesse, et pendant les six premières semaines d'allaitement. Pendant le reste de la grossesse et de l'allaitement, il peut être prescrit.

III. Prophylaxie par le cotrimoxazole

pratiques de prescription chez l'adulte

1. Critères de mise en route

Comme le paludisme et les maladies bactériennes peuvent survenir bien avant le seuil de 200 CD4/mm3, on recommande de débuter le cotrimoxazole en Afrique sub-saharienne plus tôt qu'en France, c'est-à-dire :

  • soit quand les CD4 sont descendus en dessous de 500/mm3;
  • soit, si on n'a pas accès à une numération de CD4, dès que la personne est classée au stade clinique 2 de la classification de l'OMS. Pour prescrire le cotrimoxazole, il suffit donc d'avoir la certitude de la séropositivité pour le VIH, et de réaliser un examen clinique. La numération des CD4 peut aider, mais on peut s'en passer si on n'y a pas accès.

2. Prescription

La posologie est de 1 comprimé par jour de cotrimoxazole fort, tous les jours. La prise peut se faire à n'importe quel moment de la journée. Toutes les spécialités ou génériques correspondant à ce dosage " fort " (800 mg de sulfaméthoxazole + 160 mg de triméthoprime) sont équivalentes.

Une fois le traitement débuté, il doit être poursuivi à vie chez les personnes qui ne prennent pas d'ARV ou même chez les personnes qui prennent des ARV, si les CD4 remontent suffisamment.

3. Critère d'interdiction définitive

Le seul critère d'interdiction définitive est l'allergie connue aux sulfamides.

4. Critères d'interdiction temporaire

Le cotrimoxazole ne peut pas être prescrit tant que l'un des critères suivants persiste :

  • traitement curatif en cours par tout autre sulfamide ;
  • grossesse au premier trimestre et allaitement pendant les 6 premières semaines ;
  • neutropénie, hépatite ou insuffisance rénale sévères.

5. Bilan paraclinique systématique à réaliser avant mise sous traitement

Le traitement peut être débuté après un examen clinique. Aucun examen complémentaire systématique n'est conseillé. Les examens pouvant conduire à mettre en évidence un critère d'exclusion temporaire (NFS, bilan hépatique, fonction rénale) ne sont réalisés qu'en cas de point d'appel clinique.

6. Interactions médicamenteuses

Le cotrimoxazole peut être associé à tous les autres médicaments SAUF les sulfamides (attention notamment à ne pas utiliser le Fansidar® en cas d'accès palustre chez une personne sous prophylaxie). En cas de nécessité d'un traitement par sulfamides, il faut donc interrompre le cotrimoxazole pendant la durée de ce traitement.

Le cotrimoxazole peut être associé aux antituberculeux, et ceci, dès le début du traitement antituberculeux. La toxicité hépatique des antituberculeux et du cotrimoxazole pouvant se potentialiser, il convient cependant, pendant l'association des deux, d'être attentif à l'apparition d'un ictère et de ne pas associer en même temps un autre médicament hépatotoxique.

Le cotrimoxazole peut être associé aux antirétroviraux. Chez les personnes prenant de l'AZT, il semble y avoir une plus grande fréquence de neutropénie : cela est donc à surveiller par des numérations formules sanguines mensuelles, au début.

7. Modalités de surveillance clinique et paraclinique

d'une personne sous traitement prophylactique

a) Clinique

Recommander aux patients d'interrompre immédiatement le traitement et de venir consulter en cas de symptôme suivant : prurit intolérable, rash cutané (avec ou sans fièvre), lésions cutanées ou muqueuses (intrabuccales ou génitales) bulleuses, ictère ou début de grossesse avérée.

b) Biologique

En l'absence de signes cliniques d'appel et en fonction du contexte :

  • soit ne demander aucun examen paraclinique de surveillance systématique dans les centres périphériques où la NFS n'est pas réalisable;
  • soit conseiller la réalisation systématique d'une NFS tous les trois mois, en surveillant particulièrement les polynucléaires neutrophiles.

8. Conseils à donner aux prescripteurs et aux personnes traitées

pour la gestion des éventuels effets secondaires du traitement

a) Effets secondaires cutanés

En cas de prurit généralisé tolérable sans lésion cutanée : poursuivre le traitement en y adjoignant un antihistaminique, avec surveillance clinique rapprochée.

En cas de prurit généralisé intolérable, de rash cutané avec ou sans fièvre : interrompre le cotrimoxazole, prescrire un traitement antihistaminique, et surveiller la personne de façon rapprochée. Après disparition des signes, adresser la personne à un centre de référence pour une réintroduction avec désensibilisation éventuelle.

En cas de lésion cutanée et/ou muqueuse bulleuse : interrompre le cotrimoxazole et adresser la personne à un centre de référence. Les vrais accidents cutanés sont rares. Les incidents les plus fréquemment rencontrés sont les " prurits " isolés (sans lésions cutanées) au cours du premier mois de traitement, qui cèdent assez facilement sous antihistaminiques, sans nécessité d'interrompre le traitement. Comme les personnes VIH+ présentent par ailleurs assez souvent un prurit lié à d'autres causes, le risque est donc paradoxalement plus celui d'interrompre à tort le cotrimoxazole en lui imputant un prurit dû à autre chose, que celui de présenter un vrai problème allergique.

Les recommandations doivent donc faire passer deux messages, pas forcément faciles à concilier :

  • signaler le risque cutané, en décrivant les signes de gravité qui doivent faire interrompre le traitement et consulter un médecin;
  • expliquer que l'incident le plus fréquent est un prurit sans gravité dans le premier mois, et que la majorité des problèmes de prurit isolé qui surviennent après ne sont pas dus au cotrimoxazole et ne doivent donc pas amener à interrompre un traitement, par ailleurs très utile.

b) Effets secondaires hématologiques

En cas de neutropénie < 750/mm3 ou de baisse significative et inquiétante des plaquettes ou de l'hémoglobine sous cotrimoxazole :

  • arrêter le cotrimoxazole jusqu'à ce que les chiffres soient revenus aux chiffres antérieurs ;
  • traiter d'autres causes éventuelles de l'anomalie ;
  • réintroduire le traitement, avec surveillance hebdomadaire de la NFS ;
  • interrompre le traitement si les chiffres baissent une deuxième fois en dessous du seuil et adresser la personne à un centre de référence.

L'anémie isolée est rarement en rapport avec la prise de cotrimoxazole. Elle n'est donc le plus souvent ni une contre indication au traitement ni une indication à l'interrompre. Une thrombopénie et surtout une neutropénie peuvent plus souvent être dues au cotrimoxazole. Elles sont le plus souvent modérées, pouvant témoigner alors d'une bonne observance et ne devant pas entraîner l'arrêt du traitement.

c) Effets secondaires hépatiques

En cas d'ictère, interrompre le cotrimoxazole jusqu'à disparition des signes cliniques et investiguer la cause. Si une autre étiologie explique l'ictère, reprendre le cotrimoxazole après guérison de cette cause.

La toxicité hépatique la mieux documentée survient en cas d'association au traitement antituberculeux. Elle est rare, le plus souvent infraclinique (une élévation modérée des transaminases n'est pas une indication à interrompre le traitement), mais la possibilité d'accidents graves impose :

  • d'être cliniquement attentif, et de conseiller à la personne sous cotrimoxazole + antituberculeux d'interrompre les traitements et de consulter immédiatement en cas d'ictère;
  • de ne pas associer en même temps un autre médicament hépatotoxique.

IV. Perspectives

Les études prouvant l'efficacité du cotrimoxazole n'ont bien sûr pas été faites dans tous les pays d'Afrique. Compte tenu des variations du spectre de morbidité selon les régions, il est possible que les bénéfices ne soient pas aussi forts partout. Même s'il est peu probable que dans une zone donnée les bénéfices soient inférieurs aux risques, en cas de doute (sur la légitimité de le prescrire dans un pays ou sur une spécificité locale du spectre de morbidité qui pourraient entraîner des pratiques de prescription différentes), il faut se référer aux recommandations nationales sur le sujet. Certains pays ont, par exemple, décidé de ne recommander de débuter le cotrimoxazole qu'en dessous de 350 CD4/mm3 ou de 200 CD4/mm3. En l'absence de recommandations nationales préconisant de ne pas utiliser le cotrimoxazole, les recommandations internationales de l'ONUSIDA et de l'OMS peuvent être considérées comme valables.

Il est possible qu'à long terme la prise de cotrimoxazole devienne moins efficace un peu partout dans le monde, compte tenu de l'augmentation inéluctable des résistances à ce produit. Si cela arrive, de nouvelles études devront étudier les alternatives. Les recommandations de l'OMS et d'ONUSIDA s'adapteront alors aux nouvelles données.

Chez les personnes qui prennent un traitement antirétroviral, les recommandations de prise de cotrimoxazole sont actuellement les mêmes que chez celles qui n'en prennent pas. Les études en cours devront déterminer si les personnes sous ARV peuvent interrompre le cotrimoxazole, même avec un nombre de CD4 inférieur au seuil choisi pour recommander sa mise en route.

Bibliographie

  1. ONUSIDAIOMS. Recommandations provisoires de lOMS et du secrétariat de LONUSIDA sur la prophylaxie des infections opportunistes par le cotrimoxazole chez les adultes et les enfants vivant avec le VIHISIDA en Afrique.http:llwww. unaids.orepublicationsldocumentIcarelgenerallrecommendation-fr.pdf
    2. Société Ivoirienne de Pathologie Infectieuse et Tropicale. Première conférence de consensus en thérapeutique anti-infectieuse: cotrimoxazole en prophylaxie primaire des infections opportunistes chez les patients infectés par le VIH en Côte d'ivoire. 19 février 1999, 10 pages.
    3. World Health Organization, UNAIDS. Preventive therapy against tuberculoses in people living with HIV Wkly Epidemiol Rec 1999; 74: 385-400.

Développement et Santé, n°168, décembre 2003