Prise en charge initiale et au bloc opératoire d'un choc hypovolémique

Par C. Denantes*, D. Diango**, C.M. Samama*

Publié le

* Médecin anesthésiste-réanimateur. Hôpital Avicenne, Bobigny, France.
** Médecin anesthésiste-réanimateur. Hôpital Nianankoro Fromba, Ségou, Mali.

L'état de choc est un état d'insuffisance circulatoire aigu caractérisé par une diminution globale de la perfusion tissulaire compromettant l'apport en oxygène au niveau cellulaire et se compliquant souvent de défaillances d'organes. Le tableau associe à l'hypotension artérielle, une tachycardie et des signes d'altération de perfusion des organes (vasoconstriction cutanée, troubles neuropsychiques...). Le choc hypovolémique survient le plus souvent lors d'une hémorragie. C'est la première cause de mortalité en traumatologie.

I. Physiopathologie

Le choc hypovolémique survient pour une diminution de la volémie de l'ordre de 30%. La baisse du volume sanguin entraîne une baisse du retour veineux. Il en résulte une diminution des pressions de remplissage cardiaque et du volume d'éjection systolique qui retentit sur le débit cardiaque et la pression artérielle (tableau n° 1). Cette dernière est régulée par des mécanismes compensateurs neurologiques et endocriniens auxquels se surajoutent des phénomènes d'autorégulation des débits locaux.

Au cours du choc hémorragique, on distingue un stade précoce réversible avec une phase initiale dite compensée où la tachycardie est isolée puis une phase secondaire avec hypotension associée à une tachychardie ou plus rarement à une bradychardie et un stade tardif décompensé et irréversible où le patient décède dans un tableau de défaillance multiviscérale.

1. Phase précoce biphasique et réversible

Phase initiale dite compensée

La réponse principale, sympathomimétique, significative pour des pertes sanguines supérieures à 10%, est la vasoconstriction périphérique compensatrice des territoires muscuIo-cutanés, splanchniques et rénaux dont la finalité est de préserver la perfusion des organes vitaux (coeur, cerveau, foie...) où le flux sanguin est modulé par une autorégulation régionale dont l'élément déterminant est l'hypoxie. Les catécholamines par leurs effets vasoconstricteurs maintiennent la pression artérielle systémique durant la première phase dite compensée du choc où la tachycardie est isolée. Les facteurs hormonaux sont peu impliqués à l'exception du système rénine angiotensine avec l'angiotensine, qui provoque une vasoconstriction et une augmentation de la contractilité myocardique.

Phase secondaire : syncope vasovagale

En cas d'hypovolémie massive, supérieure à 25% du volume sanguin, une stimulation parasympathique par les mécano-récepteurs intracardiaques, dont la finalité serait un meilleur remplissage ventriculaire diastolique, succède à la stimulation sympathique. On peut observer une hypotension associée à une bradycardie qui répond bien au remplissage.

2. Phase tardive, décompensée et irréversible

La pérennisation de l'ischémie, est à l'origine de modifications microcirculatoires, et d'une fuite plasmatique capillaire vers le secteur interstitiel. L'hypoxie tissulaire, qui oriente les cellules vers un métabolisme anaérobie avec acidose métabolique, entraîne une défaillance multiviscérale (myocardique, rénale, respiratoire, neuropsychique, hépato-splanchnique).

3. Conséquences pharmacologiques

La réduction du débit sanguin rénal et du débit sanguin hépatique, ainsi que l'acidose modifient le métabolisme hépatique et l'élimination rénale des agents anesthésiques. Une réduction des doses, en particulier des hypnotiques, semble nécessaire.

Il. Etiologies de l'état de choc hypovolémique

1. Les hypovolémies non hémorragiques

Elles sont liées à des pertes hydrosodées d'origine digestive, rénale ou cutanée. Les affections digestives sont les plus fréquentes avec les vomissements et les diarrhées. Les pertes rénales viennent ensuite avec certaines néphropathies, les polyuries osmotiques et les déficits en minéralocorticoïdes. Les pertes cutanées des brûlures étendues qui s'accompagnent d'une déperdition protidique majeure sont la troisième cause. Nous excluons les hypovolémies relatives secondaires à une intense vasodilatation, parfois associée à une fuite plasmatique comme dans les chocs allergique et septique.

2. Les hypovolémies hémorragiques

L'hémorragie, le plus souvent traumatique, peut-être externe (plaie vasculaire, plaie du cuir chevelu, épistaxis) ou interne (hémothorax, hémopéritoine, hématome rétro-péritonéal). Hors d'un contexte traumatique elle est, le plus souvent, interne (saignement digestif, gynéco-obstétrical ou vasculaire).

III. Diagnostic clinique et paraclinique

1. Aspects cliniques

Le tableau associe à l'hypotension des signes d'altération de perfusion des organes. Le diagnostic est affirmé devant :

  • une pression artérielle systolique inférieure à 90 avec un pincement de la différentielle ou effondrée voire imprenable ;

  • une tachycardie sinusale (> 90 battements/mn) avec un pouls rapide, filant et difficilement prenable ;

  • des troubles neuropsychiques qui peuvent aller de la simple somnolence à la confusion avec agitation, angoisse, voire au coma ;

  • une vasoconstriction cutanée, caractérisée par la pâleur des téguments et des muqueuses, des marbrures initialement limitées aux genoux puis s'étendant aux cuisses et à l'abdomen, une froideur et une cyanose des extrémités, un temps de recoloration capillaire supérieur à 2 secondes ;

  • une tachypnée supérieure à 20 cycles par mn ;

  • une soif intense et une oligurie inférieure à 20 ml/h ou 0,5 ml/kg/h, constante mais difficile à évaluer dans un contexte d'urgence et évoluant rapidement vers une anurie;

  • la mise en évidence de l'origine du saignement qui dépend des circonstances de survenue (contexte traumatique ou non traumatique).

Le danger majeur est de sous-estimer une hypovolémie et de négliger sa prise en charge. La pression artérielle systolique est maintenue, de façon initiale, du fait de la réaction adrénergique et l'hypotension n'est démasquée que pour une hypovolémie de plus 30% de la masse sanguine. L'absence d'hypotension artérielle, de tachycardie voire une bradycardie paradoxale ou la présence prédominante de manifestations neuropsychiques peuvent conduire à tort à rejeter le diagnostic.

2. Examens paracliniques

Aucun examen paraclinique n'est nécessaire au diagnostic d'état de choc. Les examens complémentaires permettent d'établir l'importance du saignement, le retentissement de l'insuffisance circulatoire sur les différents organes et le mécanisme.

Deux prélèvements sanguins de référence signalés " urgent "

  • La Numération Formule Sanguine (NFS). Le taux d'hémoglobine et le taux d'hématocrite sont de mauvais indices de l'hémorragie à la phase précoce, l'hémodilution n'intervient que secondairement, et ils doivent être interprétés selon l'expansion volémique associée.

  • Le groupage sanguin ABO et rhésus et la Recherche d'Agglutinines Irrégulières (RAI).

Autres examens en fonction des circonstances

La mise en condition initiale est entreprise immédiatement et le choix des examens complémentaires est conditionné par la réponse à cette mise en condition de l'état de choc et par le plateau technique (laboratoire, matériel de radiologie).

  • Les examens biologiques associent un bilan hématologique à la recherche de troubles de l'hémostase (plaquettes, TP-TCA, fibrinogène et facteurs de la coagulation), un bilan rénal à la recherche de troubles hydroélectrolytiques en rapport avec une insuffisance rénale ou une rhabdomyolyse (Na, K, urée et créatinine, CPK et myoglobine) ; des gaz du sang et des lactates artériels à la recherche d'une hypoxie tissulaire qui se traduit par le développement d'un métabolisme anaérobie.

  • Les 3 examens radiologiques, que l'on peut avoir d'emblée, sont un cliché du thorax de face, un abdomen sans préparation (ASP) à défaut d'un examen échographique de l'abdomen (ou d'une ponction lavage péritonéale) et un bassin de face à défaut d'un scanner.

IV. Prise en charge

Le traitement symptomatique d'un état de choc comporte plusieurs mesures qui doivent être entreprises simultanément pour maintenir la volémie, le transport de l'oxygène, l'hémostase et prévenir les complications.

1. Geste d'hémostase d'urgence

C'est un geste à faire sans délai pour arrêter la cause du saignement : compression ou clampage chirurgical d'une lésion vasculaire, voire pose d'un garrot en ultime recours, suture d'une plaie du cuir chevelu, tamponnement d'un épistaxis. Hors d'un contexte traumatique, certains gestes d'hémostase peuvent être effectués : mise en place d'une sonde de Blackmore (hémorragie digestive), tamponnement vaginal (hémorragie vaginale), surélévation d'un membre inférieur (plaie veineuse ou rupture de varice).

2. Oxygénothérapie et ventilation

Une oxygénation doit être systématique car le transport d'oxygène est diminué par la chute du taux d'hémoglobine. Elle est réalisée par une sonde nasale, un masque à haute concentration d'oxygène, une intubation avec ventilation assistée en cas de détresse respiratoire ou neurologique (score de Glasgow < 9), ou d'intervention chirurgicale. La ventilation assistée peut avoir des effets délétères sur l'hémodynamique en diminuant le retour veineux.

3. Voies d'abord

Poser 2 voies veineuses périphériques de fort calibre (14-16 G). Une voie veineuse centrale n'est pas posée de 1e intention mais en cas de nécessité un cathéter de gros calibre (8 à 10 French) peut-être mis en place en privilégiant la voie fémorale plus rapidement accessible et moins dangereuse que les voies sous-clavière et jugulaire. Des systèmes de perfusion sont installés dont le débit est adapté au saignement : tubulures standards (120 ml/mn), tubulures à compression manuelle type "Blood pump", (200 ml/mn), poches de contre-pression pneumatiques, accélérateurs de solutés (500 ml/mn), tubulures à sang. Au système de perfusion devrait être associé un réchauffeur.

  1. Demande de produits sanguins (CG, plaquettes et plasma)

Dès l'arrivée d'un patient en état de choc hémorragique, une demande de produits sanguins avec un délai de délivrance est faite (tableau n° 2) : procédure de demande de produits sanguins en cas d'urgence vitale. En l'absence de banque du sang, il faut rechercher, prélever et grouper des donneurs volontaires et bénévoles qui peuvent être des parents.

5. Remplissage

L'expansion volémique est la base du traitement pour maintenir la perfusion des organes et le retour veineux.

Un test de remplissage Initial

La réponse au remplissage initial, qui confirme à posteriori l'hypovolémie, s'apprécie sur des critères cliniques d'efficacité tels que la correction de la tachycardie, l'élévation de la pression artérielle systolique et sur des critères de tolérance tels que l'apparition d'un œdème pulmonaire. En cas d'hypovolémie non hémorragique, le volume à perfuser est de 20 ml/kg de poids en 15 mn que l'on peut renouveler une fois si besoin.

Objectif du remplissage

L'objectif est d'assurer la survie du patient jusqu'à l'hémostase définitive et d'éviter les complications du choc hémorragique que sont les défaillances d'organes. La normalisation de la pression artérielle systolique n'est pas un but en soi. Le niveau à atteindre dépend du type de pathologie.

  • En cas de traumatisme crânien ou de traumatisme médullaire, il faut éviter l'hypotension source d'aggravation neurologique. L'objectif de pression artérielle systolique à obtenir est à 110-120 mmHg.

  • En cas d'hémorragie par lésion viscérale ou vasculaire, une hypotension artérielle relative est tolérée pour ne pas majorer le saignement dans l'attente de l'hémostase. Une pression artérielle systolique de 80-90 mmHg correspond au seuil inférieur d'autorégulation des circulations cérébrale et coronaire.

Choix d'un soluté de remplissage

Ils sont caractérisés par un effet volume immédiat, une durée d'action et des effets secondaires différents. Les solutés nutritifs glucosés n'ont pas d'effet volume.

- Cristalloïdes Ce sont des solutions isotoniques (sérum physiologique à 9 pour 1000) ou hypotoniques (solution de Ringer lactate). Ils sont caractérisés par un faible effet volume (25%) et une durée d'action brève (25mn). Leurs indications sont les hypovolémies modérées voire importantes si l'on ne dispose pas de colloïdes.

- Colloïdes de synthèse. Le recours à un colloïde de synthèse est légitime au-delà de 2 000 ml de cristalloïde perfusé. On distingue 3 familles :

  • Les gélatines fluides modifiées (Haemacel®, Plasmion®) sont caractérisées par leur effet volume (80%) et leur durée d'action de 34 heures. Le seul effet indésirable est la survenue de réactions anaphylactiques. On peut les utiliser sans limite de volume dans les hémorragies importantes.
  • Les amidons (Hestéril® et Elohès®), sont caractérisés par leur effet volume

(x 1,2) et leur durée d'action 4 à 8 heures pour l'Hestéril® et 12 à 24 heures pour l'Elohès®. En plus du risque allergique, moins important qu'avec les gélatines, il existe d'autres effets secondaires (troubles de l'hémostase, atteinte rénale et stéatose hépatique) qui limitent leur posologie à 30 ml/kg/24 h et leur durée d'utilisation. En pratique ils sont utilisés quand l'hémostase est faite.

Les dextrans, sont à éviter à cause de leur interaction avec l'hémostase. On les classe en dextrans de bas poids moléculaire moyen (Hémodex®) et de haut poids moléculaire moyen (Rhéomacrodex®, Plasmacair®).

6. Transfusion

Il faut prendre en compte les données cliniques que sont l'évaluation et l'évolution du saignement, de l'état de choc et ne pas transfuser seulement sur un seuil minimal d'hémoglobine.

Rôle des globules rouges dans le transport de l'oxygène et l'hémostase

Les globules rouges (GR) ont un rôle essentiel dans le transport de l'oxygène. La diminution de l'hémoglobine entraîne une diminution du transport de l'oxygène dans le choc hémorragique compensée par une augmentation du débit cardiaque si la volémie est normale. Le transport de l'oxygène est maintenu jusqu'à un seuil minimal d'hémoglobine à 7 g/dl chez les patients en bon état général (ASA I et II). Les GR ont aussi un rôle essentiel dans l'hémostase. La transfusion de GR en dessous d'un seuil minimal d'hématocrite à 26% joue un rôle important dans la correction des troubles de l'hémostase.

Rôle des plaquettes et des facteurs de coagulation

Les plaquettes ont un rôle fondamental dans l'hémostase, la thrombopénie de dilution représentant la première cause de saignement lors d'une hémodilution ou d'une transfusion massive.

Indications de la transfusion homologue

La transfusion de concentrés globulaires au-dessus de 10 g/dL est rarement nécessaire. La décision de transfuser dépend de l'évolution de l'hémorragie et du terrain : âge, pathologie associée, malade de réanimation.

La transfusion de plaquettes doit précéder ou accompagner la transfusion de plasma. La thrombopénie est la première cause de saignement après une hémodilution extrême ou une transfusion massive. Un saignement diffus associé à une thrombopénie quel qu'en soit le niveau doit conduire à un apport de plaquettes. Il faut régler lentement le débit pour éviter que les plaquettes ne s'abîment ou forment des agrégats. Le risque de contamination virale existe et il est plus important si le concentré provient de plusieurs donneurs.

La transfusion de plasma, après la transfusion de plaquettes, si le saignement persiste, est indiquée pour compenser la baisse de facteurs de la coagulation.

En pratique, on propose comme seuil minimal en présence d'une hémorragie au-delà duquel il est légitime de transfuser : un taux d'hémoglobine à 8 g/dl ou d'hématocrite à 26%, un taux de plaquettes à 50 000 à 75 000 g/dl, un taux de fibrinogène < 0,8 g/l, un TP < 30-35% et un TCA > 1,8 fois le témoin.

Indications de l'autotransfusion pré et per-opératoire

Les indications préopératoires se limitent au drainage d'un hémothorax où l'autotransfusion d'un sang pauvre en plaquette et en facteurs de coagulation ne nécessite pas d'anticoagulants.

En per-opératoire, le système de récupération de sang (cell saver) permet de traiter et de restituer le sang provenant du champ opératoire.

Procédure concernant la transfusion homologue

Il faut faire le double contrôle de la détermination du groupe sanguin et disposer de la carte de groupe ; vérifier au lit du malade la concordance entre l'identité du malade et sa carte de groupe puis la concordance entre le groupe indiqué sur la carte du malade et celui indiqué sur la poche de sang ; faire un "contrôle ultime" du groupe ABO par le test de Beth-Vincent® au lit du malade avant la pose de la transfusion ; poser la transfusion en utilisant une tubulure à sang : Régler lentement le débit pendant 5 min puis adapter selon le saignement.

7. Drogues sympathomimétiques

Les catécholamines augmentent la pression artérielle systémique mais au prix d'une vasoconstriction potentiellement délétère dans les organes nobles.

Rappel pharmacologique

Le choix d'une catécholamine se fait en fonction de ses effets alfa agonistes (vasoconstriction), bêta agonistes (vasodilatation et augmentation de la contractilité du coeur) et dopaminergiques (vasodilatation surtout des régions rénales et splanchniques).

L'éphédrine est la seule catécholamine dont l'effet veino-constricteur est supérieur à l'effet vasoconstricteur artériel. Elle augmente le retour veineux de façon préférentielle. L'administration se fait en bolus de 6 mg après avoir dilué une ampoule 30 mg pour obtenir une concentration 3 mg/ml.

La dopamine a des effets alfa, bêta, et dopaminergiques qui dépendent de la dose utilisée. Les effets dopaminergiques s'observent à de faibles doses (2 à 3 microgrammes/kg/mn) mais le bénéfice clinique sur la perfusion rénale n'est pas démontré. Les effets bêta prédominent à 10-12 microgrammes/kg/mn et au-delà de ces doses, les effets alfa prédominent. Les doses maximum recommandées sont de 25 microgrammes/kg/mn.

L'adrénaline a un effet alfa et bêta à faible dose et un effet alfa prédominant à forte dose. On dilue une ampoule de 5 mg pour obtenir une concentration de 0,1 mg/ml. La posologie initiale (0,1 mg/h) peut être rapidement augmentée à 1 mg/h.

Procédure d'utilisation des catécholamines lors d'un choc hypovolémique

L'emploi des catécholamines n'est indiqué qu'en ultime recours, devant l'inefficacité du remplissage vasculaire, pour éviter le désamorçage cardiaque. L'indication des sympathomimétiques se pose aussi s'il y a suspicion de traumatisme crânien et/ou rachidien pour maintenir une pression artérielle systolique à 110 mmHg ou s'il y a suspicion de traumatisme thoracique pour limiter le volume liquidien perfusé.

Au bloc opératoire, lors de l'induction anesthésique, des bolus d'éphédrine sont associés au remplissage vasculaire en cas d'hypotension trop importante. En per-opératoire, la dopamine est souvent utilisée en première intention en raison de sa maniabilité, l'adrénaline étant réservée aux chocs extrêmement sévères et aux situations proches de l'arrêt cardiaque.

8. Prévention de l'hypothermie

Au décours d'un choc hémorragique une hypothermie est pratiquement obligatoire du fait du remplissage massif. Elle constitue un facteur pronostic majeur car elle entraîne des troubles de l'hémostase (fonction plaquettaire) et de la coagulation et diminue le débit cardiaque. Le remplissage vasculaire justifie un réchauffement interne par réchauffeur de perfusion et un réchauffement externe par une couverture de survie.

V. Conduite pratique au bloc

1. Stratégie chirurgicale et anesthésique

La coordination entre équipe chirurgicale et anesthésique est fondamentale. L'équipe chirurgicale peut tenter de contrôler le saignement par compression ou clampage ou être amenée, par exemple, à convertir une coelioscopie en laparotomie. L'équipe anesthésique installe le monitorage et réalise un remplissage vasculaire avant l'induction. Elle pratique une asthénie générale, les asthénies locorégionales étant contre-indiquées.

Deux grandes situations peuvent se rencontrer, l'état de détresse extrême où la mise en condition initiale inefficace ne doit pas retarder l'hémostase chirurgicale. L'état précaire mais stabilisé où le remplissage vasculaire et le monitorage précèdent l'induction.

À l'induction, le patient étant considéré comme ayant un estomac plein, une crash induction est associée à la technique de Sellick®. Les hypnotiques recommandés pour leur stabilité cardio-vasculaire sont l'étomidate et la kétamine, les morphinomimétiques ont peu d'effets hémodynamiques mais leur association avec les hypnotiques risque de potentialiser leurs effets hypotenseurs, les curares dépolarisants et non dépolarisants peuvent être utilisés mais le relâchement abdominal secondaire à la curarisation peut brutalement majorer un saignement intra ou surtout rétropéritonéal et provoquer un arrêt cardiaque.

2. Surveillance du patient choqué

La surveillance standard permet d'évaluer l'efficacité du traitement. Une surveillance hémodynamique complémentaire est proposée en cas d'inefficacité du traitement initial.

Surveillance standard

  • Mesure de la pression artérielle. La prise de la pression artérielle au brassard est moins fiable lorsque la pression artérielle systolique est effondrée.

  • Électrocardiogramme. Il permet de surveiller la fréquence cardiaque et de détecter une ischémie myocardique. À défaut d'un électrocardiogramme, la surveillance de la fréquence cardiaque par un stéthoscope précordial ou du pouls au niveau carotidien ou fémoral est toujours possible.

  • Oxymétrie de pouls ou saturométrie (SpO2). Le monitorage de l'oxygénation capillaire est fiable pour détecter une hypoxémie mais de nombreux autres facteurs altèrent le signal dont l'hypotension, la vasoconstriction, l'hypothermie.

  • Capnogramme ou monitorage du CO2 expiré (FeCO2). La pression télé expiratoire en CO2 (PETCO2)Test le témoin de la production de gaz carbonique par le métabolisme cellulaire. Une baisse brutale traduit toujours une complication grave en rapport avec une perturbation circulatoire et peut traduire une chute du débit cardiaque, une diminution du retour veineux ou une oblitération artérielle pulmonaire.

  • Surveillance de la température.

  • Surveillance de la diurèse. Une diurèse supérieure ou égale à 1,5 ml/kg/h indique le plus souvent une hémodynamique rénale satisfaisante.

  • Surveillance biologique: avec la surveillance du taux d'hématocrite mesuré par micro centrifugation à l'aide d'un appareil type Microspin et, si l'on dispose d'un laboratoire, la surveillance de l'hémostase (plaquettes, TP-TCA, fibrinogène et facteurs de la coagulation), le bilan rénal (Na, K, urée et créatinine, CPK et myoglobine), le bilan hépatique (Bilirubine, GOT-GPT, facteurs de coagulation), les gaz du sang et les lactates artériels.

Surveillance hémodynamique complémentaire

La pression veineuse centrale (PVC). Une voie veineuse centrale n'est pas posée de première intention mais en cas de nécessité un cathéter de gros calibre permet un remplissage vasculaire rapide sous le contrôle de la pression veineuse centrale qui est basse (< 3 cmH20).

VI. Evolution

La rapidité et la qualité de la correction de l'hypovolémie sont des paramètres essentiels pour éviter les complications.

1. Évolution favorable

Le traitement permet la restauration de la volémie et de la pression artérielle.

2. Évolution défavorable

Devant l'inefficacité ou le caractère partiel de l'efficacité du traitement, 3 mécanismes sont à évoquer:

  • Une intrication de plusieurs mécanismes à l'origine de l'état de choc, par exemple l'association d'une composante cardiogénique en cas de contusion myocardique au décours d'un traumatisme thoracique.

  • Une prise en charge thérapeutique inadéquate qui peut être en rapport avec un remplissage vasculaire voire une hémostase chirurgicale insuffisante du fait de l'importance des lésions et/ou des troubles de l'hémostase avec coagulopathie de dilution.

  • Des complications secondaires dues à des défaillances d'organes. Un œdème pulmonaire lésionnel peut survenir dans les 24 à 48 premières heures avec hypoxémie et surcharge pulmonaire à pression normale ou une insuffisance rénale aiguë par néphropathie tubulaire aiguë avec anurie transitoire (quelques jours à 3 semaines) voire définitive en cas de nécrose tubulaire. Le risque d'hémorragies digestives et le risque infectieux sont d'autant plus importants que le choc a été prolongé.

Pour la pratique on retiendra

Physiopathologie

Le choc hypovolémique survient pour une diminution du volémie de l'ordre de 30%. On distingue un stade précoce réversible où la tachycardie est isolée puis associée à une hypotension et un stade tardif décompensé et irréversible avec défaillance multiviscérale (cœur, poumon, foie, rein).

Étiologies de l'état de choc hypovolémique

Les hypovolémies hémorragiques, le plus souvent post-traumatiques : hémorragie extériorisée (plaie vasculaire, plaie du cuir chevelu, épistaxis, hémorragie de la délivrance) ou interne (hémothorax, hémopéritoine, hématome rétro-péritonéal). Il existe des hypovolémies non hémorragiques liées à des pertes d'eau et de sel d'origine digestive, rénale ou cutanée.

Diagnostic clinique et para clinique

Le tableau clinique associe, une pression artérielle systolique inférieure à 90 voire imprenable, une tachycardie sinusale (> 90 battements/min), des troubles neuropsychiques, une vasoconstriction cutanée caractérisée par une pâleur de la peau et des muqueuses, des marbrures, une froideur et une cyanose des extrémités, une fréquence respiratoire accélérée, une soif intense et une chute de la diurèse. Aucun examen para clinique n'est nécessaire au diagnostic d'état de choc mais 2 examens sont nécessaires avant toute transfusion : le taux d'hémoglobine ou l'hématocrite et le groupage sanguin ABO et rhésus. Les autres examens sont fonction du plateau technique (laboratoire, matériel de radiologie).

Prise en charge

Le traitement symptomatique d'un état de choc comporte plusieurs mesures qui doivent être entreprises simultanément :

  • l'arrêt de la cause du saignement

  • l'oxygénation et la ventilation en cas de détresse respiratoire

  • la pose de 2 voies veineuses périphériques de fort calibre (14-16 G)

  • Le remplissage avec des cristalloïdes et des colloïdes de synthèse caractérisés par un effet volume immédiat;

  • la demande de produits sanguins et, en l'absence d'une banque du sang, la recherche de donneurs ;

  • la transfusion dont l'indication est fonction du saignement, de l'état de choc et du terrain (âge, pathologie associée), et non pas uniquement d'un seuil minimal d'hémoglobine ou d'hématocrite. L'emploi des catécholamines (adrénaline) n'est indiqué qu'en ultime recours dans les situations proches de l'arrêt cardiaque.

Conduite pratique au bloc opératoire

On peut se trouver face à 2 grandes situations :

  • l'état de détresse extrême où le remplissage vasculaire inefficace ne doit pas retarder l'hémostase chirurgicale ;

  • l'état précaire, mais stabilisé par le remplissage vasculaire, où les examens complémentaires précèdent la chirurgie.

La surveillance permet d'évaluer l'efficacité du traitement

Elle associe une surveillance :

  • de la pression artérielle systolique (PAS)

  • de la fréquence cardiaque (Fc)

  • de la diurèse ;

et une surveillance biologique si l'on dispose d'un laboratoire.

Évolution

L'évolution est favorable si le traitement permet la restauration rapide de la volémie et de la pression artérielle. Elle est défavorable en cas d'inefficacité du traitement initial qui peut être dû à une intrication de plusieurs mécanismes à l'origine du choc, à un remplissage vasculaire ou une hémostase chirurgicale insuffisante et en cas de complications secondaires dues à des défaillances d'organes : oedème pulmonaire lésionnel, insuffisance rénale aiguë, hémorragie digestive, infection.

Développement et Santé, n° 143, octobre 1999