Prise en charge du paludisme chez l'enfant en Afrique
I. Rappels épidémiologiques et physiopathologiques du paludisme
Rappels épidémiologiques
- Le paludisme est causé par le plasmodium. Il se transmet de l'homme infecté à l'homme sain et l'anophèle femelle en est le vecteur. La transmission peut se faire également à partir d'une transfusion de sang infecté par le parasite ou de la mère (femme enceinte) à son foetus : on parle de paludisme congénital.
Le cycle de transmission se fait en trois phases. La première phase se déroule à l'intérieur du moustique (sporogonique) et les deux autres chez l'homme, l'une en dehors des hématies (exoérythrocytaire) et l'autre à l'intérieur des hématies (érythrocytaire).
a. La phase sporogonique
La phase chez le moustique commence par la piqûre de l'homme infecté. Il ingère le parasite sous forme de gamétocytes qui vont se transformer en gamètes mâles et femelles. Ces gamètes mâles et femelles vont s'unir pour donner des oeufs (oocyste). A l'intérieur de l'oocyste, le noyau se subdivise en larves immatures (sporozoïtes) qui vont migrer vers les glandes salivaires.
b. La phase exoérythrocytaire
Lors de la piqûre d'un homme sain, l'anophèle femelle infectée va inoculer dans le courant sanguin des larves de plasmodium immatures (sporozoïtes) contenues dans les glandes salivaires. Ces sporozoïtes vont vers le foie où ils terminent leur maturation, se multiplient et deviennent des larves mures (mérozoïtes). A la suite de cette multiplication, les cellules hépatiques vont éclater, libérant des mérozôites dans la circulation sanguine où ils envahissent et pénètrent les globules rouges.
c. La phase érythrocytaire
Les mérozoïtes vont se multiplier à l'intérieur des globules rouges entraînant leur éclatement. Les parasites libérés vont chercher à atteindre d'autres globules rouges non atteints jusque-là et ainsi de suite. Certains mérozoïtes évoluent ensuite pour donner des gamétocytes mâles et femelles que le moustique ingère lorsqu'il vient piquer cet homme parasité.
2. Rappels physiopathologiques
L'éclatement des globules rouges parasités (rosaces) s'accompagne de multiples conséquences :
- La fièvre qui résulte de la libération dans la circulation d'une substance malarique pyogène. En cas d'éclatement asynchrone des rosaces, on observe une fièvre irrégulière ou apparemment continue. Mais si l'éclatement est synchrone, la fièvre est intermittente, tierce ou quarte, selon l'espèce.
- L'anémie et l'ictère résultent de la lyse des hématies parasitées. Mais les hématies saines peuvent également être détruites surtout dans les infections à Plasmodium falciparum sans doute par un mécanisme immunologique.
- La splénomégalie et accessoirement l'hépatomégalie sont témoins d'une hyperplasie des cellules macrophages de ces organes, destinées à la phagocytose des hématies parasitées.
3. Particularités du nourrisson et de l'enfant
La prémunition n'apparaît qu'après l'âge de 5 ans chez les enfants vivant en zone subsaharienne qui reçoivent plusieurs piqûres infestantes par jour d'anophèle transmettant le plus souvent le Plasmodium falciparum, l'espèce qui tue. A cause des facteurs socio-économiques et environnementaux défavorables, ces enfants sont plus exposés à la malnutrition, notamment l'anémie par carence en fer et à d'autres infections répétées qui les fragilisent, favorisant l'apparition du paludisme, notamment le paludisme grave.
Sur le plan clinique, on distingue 2 types de paludisme :
- le paludisme simple ou l'accès palustre qui peut être causé par les quatre espèces de plasmodium ;
- et le paludisme grave dont le Plasmodium falciparum est la seule espèce incriminée.
II. Le paludisme simple
Il n'y a pas de signes cliniques spécifiques au paludisme simple. Il s'agit d'un ensemble de signes fonctionnels, polymorphes pouvant simuler n'importe quelle maladie infectieuse, mais dont la particularité est l'absence de signes physiques. Parmi ces signes fonctionnels, la fièvre est présente, associée à un frisson, des courbatures, une asthénie et des céphalées.
Le diagnostic positif repose sur un faisceau d'arguments :
- la notion de séjour permanent ou passager dans une zone d'endémicité palustre ;
- la présence de signes fonctionnels sans signes physiques évoquant une maladie définie ;
- la preuve biologique de l'infection peut être faite soit par une goutte épaisse, soit un frottis sanguin ou par un test de diagnostic rapide.
Plusieurs médicaments sont utilisés pour le traitement du paludisme simple. Le tableau 1 indique les principaux médicaments utilisés pour le traitement du paludisme.
Avec la résistance des parasites du paludisme à certains antipaludiques et dans le but de protéger les dérivés d'artémisine, les combinaisons thérapeutiques à base d'artémisine (CTA) sont recommandées dans les zones à forte densité palustre. Ces CTA associent un schizonticide à action rapide et un autre à action longue, et les plus utilisés sont les associations : Artémether - Luméfantrine et Artésunate - Amodiaquine. Les tableaux ciaprès indiquent la posologie et la durée de traitement chez l'enfant. Les tableaux 2 et 3 indiquent les deux principales CTA utilisées pour le traitement du paludisme simple.
Les conseils à prodiguer reposent sur l'utilisation de moustiquaire imprégnée, l'observance médicamenteuse, le retour immédiat au centre de santé si aggravation de la maladie, l'importance de la visite de suivi, la poursuite de l'alimentation pendant la maladie et l'hygiène du milieu de vie.
La faible accessibilité géographique (liée à l'éloignement des formations sanitaires des bénéficiaires de soins et l'insuffisance de moyens de transport adéquats), financière (coût élevé des prestations par rapport au pouvoir d'achat des populations) et la non disponibilité permanente des services de santé, l'absence ou la non application des protocoles de prise en charge, engendrent un retard au diagnostic et à la prise en charge des cas de paludisme simple qui peuvent évoluer vers le paludisme grave.
La description des formes graves de paludisme permet de sensibiliser les professionnels de santé aux critères pouvant faire craindre une évolution fatale, afin de réduire la mortalité due au paludisme à travers une prise en charge adéquate.
III. Le paludisme grave
Le paludisme grave est une véritable urgence médicale que l'on devrait normalement éviter mais qui malheureusement survient suite à un retard de diagnostic et/ou à un retard de prise en charge du paludisme simple. Sa prévention représente le principal objectif de lutte des politiques sanitaires, il est dû au seul Plasmodium falciparum qui touche les nourrissons, les enfants, les femmes enceintes et les personnes venant d'une zone non endémique. Les mécanismes physiopathologiques ne sont pas clairement définis et beaucoup de théories sont émises.
Le paludisme grave est défini comme un accès palustre associé à des signes d'atteintes graves des organes qui menacent le pronostic vital. Sa prise en charge relève du domaine du médecin et le rôle de l'infirmier est de le reconnaître, d'assurer les soins urgents de pré-référence et de référer l'enfant vers un hôpital au plus vite et dans de bonnes conditions.
La reconnaissance repose sur la présence d'un ou de plusieurs signes de gravité qui sont :
- la prostration : faiblesse telle que l'enfant ne puisse ni marcher ni s'asseoir;
- les troubles de la conscience : obnubilation ou coma ;
- la détresse respiratoire : modification du rythme respiratoire avec des signes de lutte (geignements, tirage, battement des ailes du nez, etc. ...) et une cyanose (coloration bleue de la peau et des muqueuses) ;
- les convulsions multiples ;
- le collapsus circulatoire : hypotension artérielle, peau froide et moite, pouls filant ;
- l'oligo-anurie : urines rares et concentrées avec une diurèse inférieure à 12 ml/kg/24h ;
- le saignement anormal : hémorragie pouvant siéger aux gencives, aux fosses nasales ou au tractus digestif ;
- l'ictère ;
- l'anémie sévère : pâleur palmaire et plantaire avec respiration rapide ;
- les urines foncées (hémoglobinurie positive) ;
- l'hypoglycémie (taux glucose sanguin inférieur à 0,4 g/l).
Les principaux signes cliniques du paludisme simple et du paludisme grave sont consignés dans le tableau 4.
La prise en charge doit être précoce afin d'éviter le décès ou les séquelles. Elle regroupe les soins de pré-références et l'organisation de la référence. Les soins de pré-références comportent :
a) Les prélèvements indispensables pour faire une goutte épaisse, un hémogramme, une glycémie ;
b) la pose d'un abord veineux sûr ;
c) la mise en route d'une perfusion de quinine à raison de 10 mg/kg dans du sérum glucosé 10% 250 ml ;
d) le traitement symptomatique d'une fièvre (paracétamol 10 mg/kg) ou d'une convulsion (diazépam 0,3 mg/kg).
Tableau 1 : principaux médicaments utilisés pour le traitement du paludisme.
Médicaments | Présentation | Posologie et durée du traitement | Contre-indications | Effets secondaires fréquents |
Chloroquine |
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Nausées, vomissements, vertiges, troubles visuels |
Amodiaquine | Comp à 153 mg d'amodiaquine |
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Antécédent d'atteinte hépatique et hématologique à la prise | Hépatite, diminution des globules blancs |
Halofantrine |
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24 mg/kg en 3 prises espacées de 6 heures |
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Vomissements, diarrhées, vertiges, allergie |
Méfloquine |
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25 mg/kg en une seule prise |
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Vomissements, diarrhées, vertiges, allergie |
Sulfadoxine -piriméthamine |
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1/2 comp/j/10kg en prise unique |
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Troubles gastro-intestinaux, allergie, anomalies hépatiques |
Quinine\* |
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30 mg/kg/j en 3 prises pendant 5 à 7 jours | Déficit en G6PD, fièvre bilieuse hémoglobinurique | Vertiges, troubles digestifs, hypoacousie, allergie |
Artésunate |
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3,2mg/kg le1er jour puis 1,6mg/kg du 2e jour au 5e jour | Grossesse | Rare éruption cutanée |
Artémether | Comp à 50 mg | 3,2 mg/kg le 1er jour puis 1,6 mg/kg du 2ème au 5ème jour | Grossesse | Rare éruption cutané |
La quinine est réservée actuellement pour le traitement du paludisme grave.
L'organisation de la référence se fera avec les parents et/ou les représentants de la communauté dans la gestion de la formation sanitaire. Cette référence se fera vers une structure médicale mieux équipée ; après avoir donné des informations claires aux parents sur la maladie de l'enfant, prévenu la structure d'accueil, rempli la fiche de référence et recherché un moyen de transport adéquat.
Conclusion
Le paludisme reste une préoccupation majeure de santé de l'enfant africain vivant dans la zone subsaharienne, malgré les efforts consentis.
Le diagnostic ne pose pas de problème, mais le retard à la consultation et/ou au démarrage du traitement sont à la base des formes graves au pronostic redoutable.
Tableau 2 : posologie et durée du traitement de l'association Artémether - Luméfantrine chez l'enfant selon le poids ou la tranche d'âge
Artémether - Luméfantrine (20 / 120 mg) Posologie : 2 prises par jour | Jour 1 | Jour 2 | Jour 3 | Total |
05 - 15 kg (6 mois à 3 ans) | 1 comprimé | 1 comprimé | 1 comprimé | 6 comprimés |
1 comprimé | 1 comprimé | 1 comprimé | ||
15 - 24 kg (3 ans à 7 ans) | 2 comprimés | 2 comprimés | 2 comprimés | 12 comprimés |
2 comprimés | 2 comprimés | 2 comprimés | ||
25 - 34 kg (7 ans à 10 ans) | 3 comprimés | 3 comprimés | 3 comprimés | 18 comprimés |
3 comprimés | 3 comprimés | 3 comprimés | ||
Plus de 34 kg (11 ans et plus) | 4 comprimés | 4 comprimés | 4 comprimés | 24 comprimés |
4 comprimés | 4 comprimés | 4 comprimés |
Tableau 3 : posologie et durée du traitement de l'association Artésunate - Amodiaquine chez l'enfant selon le poids ou les tranches d'âge.
Artésunate (50 mg) Amodiaquine (20 mg) Posologie : 1 prise unique par jour | Molécules | Jour 1 | Jour 2 | Jour 3 | Total |
Moins de 10 kg (< 1 an) | Artésunate | 1/2 comp | 1/2 comp | 1/2 comp | 1+1/2 comp |
Amodiaquine | 1/2 comp | 1/2 comp | 1/2 comp | 1+1/2 comp | |
10 - 20 kg (1 à 7 ans) | Artésunate | 1 comp | 1 comp | 1 comp | 3 comp |
Amodiaquine | 1 comp | 1 comp | 1 comp | 3 comp | |
21 - 40 kg (7 ans à 13 ans) | Artésunate | 2 comp | 2 comp | 2 comp | 6 comp |
Amodiaquine | 2 comp | 2 comp | 2 comp | 6 comp | |
Plus de 40 kg (> 13 ans) | Artésunate | 4 comp | 4 comp | 4 comp | 12 comp |
Amodiaquine | 4 comp | 4 comp | 4 comp | 12 comp |
Tabeeau 4 : signes cliniques du paludisme simple et du paludisme grave
Paludisme simple | Paludisme grave |
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Tableau 5 : critères de gravité de l'accès pernicieux (OMS)
Cliniques | Biologiques |
Prostration, coma | Hypoglycémie (< 2,2 mmol/1) |
Convulsions généralisées | Anémie grave (< 6 g/dl) |
Collapsus cardio-vasculaire | Oligurie (< 400 ml/j) |
Syndrome hémorragique | Créatininémie (< 265 µmol/l) |
OEdème pulmonaire | Hémoglobinurie |
Ictère | Acidoses sanguine (pH < 7,25) |
Développement et Santé, n°189, 2008