Prise en charge du paludisme chez l'enfant en Afrique

Par G. G. Sagbo, M. C. Rahimy Service de Pédiatrie et de Génétique Médicale CNHU-HKM, Cotonou, Bénin

Publié le

Le paludisme est une maladie infectieuse du globule rouge provoquée par le développement dans les hématies humaines d'un parasite appelé plasmodium. Il est transmis à l'homme sain par la piqûre de la femelle infectée d'un moustique, appelé anophèle.

Quatre espèces de plasmodium sont responsables de la maladie palustre chez l'homme : le Plas­modium falciparum, le Plasmodium ovale, le Plasmodium vivax et le Plasmodium malariae. Parmi ces quatre espèces, le Plasmodium falciparum est le plus fréquemment enregistré dans les zones tropicales africaines et il est à la base des formes graves potentiellement mortelles.

Le paludisme est responsable de 300 à 500 millions d'accès par an dans le monde dont 1,5 à 2 millions de morts par an. Plus d'un million de ces décès surviennent chez les enfants de moins de 5 ans vivant dans la zone subsaharienne et 10 à 20 % des enfants qui survivent à un accès de paludisme grave sont porteurs de séquelles neurologiques lourdes et handicapantes.

Face à ce fléau, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et les différentes autorités sanitaires ont adopté plusieurs stratégies de lutte, dont la prise en charge correcte des cas, basée sur la distinction entre le paludisme simple et le paludisme grave.

I. Rappels épidémiologiques et physiopathologiques du paludisme

Rappels épidémiologiques

  1. Le paludisme est causé par le plasmodium. Il se transmet de l'homme infecté à l'homme sain et l'anophèle femelle en est le vecteur. La transmission peut se faire également à par­tir d'une transfusion de sang infecté par le parasite ou de la mère (femme enceinte) à son foetus : on parle de paludisme congénital.

Le cycle de transmission se fait en trois phases. La première phase se déroule à l'inté­rieur du moustique (sporogonique) et les deux autres chez l'homme, l'une en dehors des hématies (exoérythrocytaire) et l'autre à l'inté­rieur des hématies (érythrocytaire).

a. La phase sporogonique

La phase chez le moustique commence par la piqûre de l'homme infecté. Il ingère le parasi­te sous forme de gamétocytes qui vont se transformer en gamètes mâles et femelles. Ces gamètes mâles et femelles vont s'unir pour donner des oeufs (oocyste). A l'intérieur de l'oocyste, le noyau se subdivise en larves immatures (sporozoïtes) qui vont migrer vers les glandes salivaires.

b. La phase exoérythrocytaire

Lors de la piqûre d'un homme sain, l'anophè­le femelle infectée va inoculer dans le courant sanguin des larves de plasmodium immatures (sporozoïtes) contenues dans les glandes sali­vaires. Ces sporozoïtes vont vers le foie où ils terminent leur maturation, se multiplient et deviennent des larves mures (mérozoïtes). A la suite de cette multiplication, les cellules hépa­tiques vont éclater, libérant des mérozôites dans la circulation sanguine où ils envahissent et pénètrent les globules rouges.

c. La phase érythrocytaire

Les mérozoïtes vont se multiplier à l'intérieur des globules rouges entraînant leur éclate­ment. Les parasites libérés vont chercher à atteindre d'autres globules rouges non atteints jusque-là et ainsi de suite. Certains mérozoïtes évoluent ensuite pour donner des gamétocytes mâles et femelles que le moustique ingère lors­qu'il vient piquer cet homme parasité.

2. Rappels physiopathologiques

L'éclatement des globules rouges parasités (rosaces) s'accompagne de multiples conséquences :

  • La fièvre qui résulte de la libération dans la circulation d'une substance malarique pyo­gène. En cas d'éclatement asynchrone des rosaces, on observe une fièvre irrégulière ou apparemment continue. Mais si l'éclatement est synchrone, la fièvre est intermittente, tierce ou quarte, selon l'espèce.
  • L'anémie et l'ictère résultent de la lyse des hématies parasitées. Mais les hématies saines peuvent également être détruites surtout dans les infections à Plasmodium falciparum sans doute par un mécanisme immunologique.
  • La splénomégalie et accessoirement l'hépa­tomégalie sont témoins d'une hyperplasie des cellules macrophages de ces organes, destinées à la phagocytose des hématies parasitées.

3. Particularités du nourrisson et de l'enfant

La prémunition n'apparaît qu'après l'âge de 5 ans chez les enfants vivant en zone subsa­harienne qui reçoivent plusieurs piqûres infes­tantes par jour d'anophèle transmettant le plus souvent le Plasmodium falciparum, l'espèce qui tue. A cause des facteurs socio-écono­miques et environnementaux défavorables, ces enfants sont plus exposés à la malnutri­tion, notamment l'anémie par carence en fer et à d'autres infections répétées qui les fragili­sent, favorisant l'apparition du paludisme, notamment le paludisme grave.

Sur le plan clinique, on distingue 2 types de paludisme :

  • le paludisme simple ou l'accès palustre qui peut être causé par les quatre espèces de plasmodium ;
  • et le paludisme grave dont le Plasmodium falciparum est la seule espèce incriminée.

II. Le paludisme simple

Il n'y a pas de signes cliniques spécifiques au paludisme simple. Il s'agit d'un ensemble de signes fonctionnels, polymorphes pouvant simuler n'importe quelle maladie infectieuse, mais dont la particularité est l'absence de signes physiques. Parmi ces signes fonction­nels, la fièvre est présente, associée à un frisson, des courbatures, une asthénie et des céphalées.

Le diagnostic positif repose sur un faisceau d'arguments :

  • la notion de séjour permanent ou passager dans une zone d'endémicité palustre ;
  • la présence de signes fonctionnels sans signes physiques évoquant une maladie définie ;
  • la preuve biologique de l'infection peut être faite soit par une goutte épaisse, soit un frottis sanguin ou par un test de diagnostic rapide.

Plusieurs médicaments sont utilisés pour le traitement du paludisme simple. Le tableau 1 indique les principaux médicaments utilisés pour le traitement du paludisme.

Avec la résistance des parasites du paludisme à certains antipaludiques et dans le but de protéger les dérivés d'artémisine, les combi­naisons thérapeutiques à base d'artémisine (CTA) sont recommandées dans les zones à forte densité palustre. Ces CTA associent un schizonticide à action rapide et un autre à action longue, et les plus utilisés sont les associations : Artémether - Luméfantrine et Artésunate - Amodiaquine. Les tableaux ci­après indiquent la posologie et la durée de trai­tement chez l'enfant. Les tableaux 2 et 3 indi­quent les deux principales CTA utilisées pour le traitement du paludisme simple.

Les conseils à prodiguer reposent sur l'utilisa­tion de moustiquaire imprégnée, l'observance médicamenteuse, le retour immédiat au centre de santé si aggravation de la maladie, l'impor­tance de la visite de suivi, la poursuite de l'alimentation pendant la maladie et l'hygiène du milieu de vie.

La faible accessibilité géographique (liée à l'éloignement des formations sanitaires des bénéficiaires de soins et l'insuffisance de moyens de transport adéquats), financière (coût élevé des prestations par rapport au pou­voir d'achat des populations) et la non dispo­nibilité permanente des services de santé, l'absence ou la non application des protocoles de prise en charge, engendrent un retard au diagnostic et à la prise en charge des cas de paludisme simple qui peuvent évoluer vers le paludisme grave.

La description des formes graves de paludisme permet de sensibiliser les professionnels de santé aux critères pouvant faire craindre une évolution fatale, afin de réduire la mortalité due au paludisme à travers une prise en char­ge adéquate.

III. Le paludisme grave

Le paludisme grave est une véritable urgence médicale que l'on devrait normalement éviter mais qui malheureusement survient suite à un retard de diagnostic et/ou à un retard de prise en charge du paludisme simple. Sa prévention représente le principal objectif de lutte des politiques sanitaires, il est dû au seul Plasmo­dium falciparum qui touche les nourrissons, les enfants, les femmes enceintes et les per­sonnes venant d'une zone non endémique. Les mécanismes physiopathologiques ne sont pas clairement définis et beaucoup de théories sont émises.

Le paludisme grave est défini comme un accès palustre associé à des signes d'atteintes graves des organes qui menacent le pronostic vital. Sa prise en charge relève du domaine du méde­cin et le rôle de l'infirmier est de le reconnaître, d'assurer les soins urgents de pré-référence et de référer l'enfant vers un hôpital au plus vite et dans de bonnes conditions.

La reconnaissance repose sur la présence d'un ou de plusieurs signes de gravité qui sont :

  • la prostration : faiblesse telle que l'enfant ne puisse ni marcher ni s'asseoir;
  • les troubles de la conscience : obnubilation ou coma ;
  • la détresse respiratoire : modification du rythme respiratoire avec des signes de lutte (geignements, tirage, battement des ailes du nez, etc. ...) et une cyanose (coloration bleue de la peau et des muqueuses) ;
  • les convulsions multiples ;
  • le collapsus circulatoire : hypotension arté­rielle, peau froide et moite, pouls filant ;
  • l'oligo-anurie : urines rares et concentrées avec une diurèse inférieure à 12 ml/kg/24h ;
  • le saignement anormal : hémorragie pouvant siéger aux gencives, aux fosses nasales ou au tractus digestif ;
  • l'ictère ;
  • l'anémie sévère : pâleur palmaire et plantai­re avec respiration rapide ;
  • les urines foncées (hémoglobinurie positive) ;
  • l'hypoglycémie (taux glucose sanguin infé­rieur à 0,4 g/l).

Les principaux signes cliniques du paludisme simple et du paludisme grave sont consignés dans le tableau 4.

La prise en charge doit être précoce afin d'éviter le décès ou les séquelles. Elle regroupe les soins de pré-références et l'organisation de la référence. Les soins de pré-références comportent :

a) Les prélèvements indispensables pour faire une goutte épaisse, un hémogramme, une glycémie ;

b) la pose d'un abord veineux sûr ;

c) la mise en route d'une perfusion de quinine à raison de 10 mg/kg dans du sérum gluco­sé 10% 250 ml ;

d) le traitement symptomatique d'une fièvre (paracétamol 10 mg/kg) ou d'une convul­sion (diazépam 0,3 mg/kg).

Tableau 1 : principaux médicaments utilisés pour le traitement du paludisme.

Médicaments Présentation Posologie et durée du traitement Contre-indications Effets secondaires fréquents
Chloroquine
  • Comp à 100 mg et 300 mg
  • Sirop 5 mg/ml
  • Amp 100 mg/2ml
  • 10mg/kg pendant 2 j et 5mg/kg le 3e j
  • 5 mg/kg/j en IM pendant 5 j.
  • Allergie
  • Rétinopathie
Nausées, vomissements, vertiges, troubles visuels
Amodiaquine Comp à 153 mg d'amodiaquine
  • le1er j: 15 mg/kg en 2 prises
  • 2e et 3ej : l0mg/kg en 2 prises
Antécédent d'atteinte hépatique et hématologique à la prise Hépatite, diminution des globules blancs
Halofantrine
  • Comp à 250 mg
  • Sirop à 100 mg/5ml
24 mg/kg en 3 prises espacées de 6 heures
  • Femme enceinte
  • Enfant de moins de 10 kg
Vomissements, diarrhées, vertiges, allergie
Méfloquine
  • Comp à 50 mg
  • Comp à 250 mg
25 mg/kg en une seule prise
  • Femme enceinte
  • Enfant de moins de 15 kg
  • Insuffisance rénale et hépatique
Vomissements, diarrhées, vertiges, allergie
Sulfadoxine -piriméthamine
  • Comp 250 mg/25mg
  • Solution injectable : 400 mg/20 mg
1/2 comp/j/10kg en prise unique
  • Atteinte grave du foie, du rein
  • Allergie cutanée
  • Femme enceinte
Troubles gastro­-intestinaux, allergie, anomalies hépatiques
Quinine\*
  • Comp. à 100 mg, 125 mg, 250 mg, 300 mg et 500 mg
  • Ampoules à 400 mg et 500 mg
30 mg/kg/j en 3 prises pendant 5 à 7 jours Déficit en G6PD, fièvre bilieuse hémoglobinurique Vertiges, troubles digestifs, hypoacousie, allergie
Artésunate
  • omp à 50 mg et 200 mg
  • Suppositoire à 200 mg
3,2mg/kg le1er jour puis 1,6mg/kg du 2e jour au 5e jour Grossesse Rare éruption cutanée
Artémether Comp à 50 mg 3,2 mg/kg le 1er jour puis 1,6 mg/kg du 2ème au 5ème jour Grossesse Rare éruption cutané

La quinine est réservée actuellement pour le traitement du paludisme grave.

L'organisation de la référence se fera avec les parents et/ou les représentants de la commu­nauté dans la gestion de la formation sanitai­re. Cette référence se fera vers une structure médicale mieux équipée ; après avoir donné des informations claires aux parents sur la maladie de l'enfant, prévenu la structure d'accueil, rempli la fiche de référence et recherché un moyen de transport adéquat.

Conclusion

Le paludisme reste une préoccupation majeure de santé de l'enfant africain vivant dans la zone subsaharienne, malgré les efforts consentis.

Le diagnostic ne pose pas de problème, mais le retard à la consultation et/ou au démarrage du traitement sont à la base des formes graves au pronostic redoutable.

Tableau 2 : posologie et durée du traitement de l'association Artémether - Lumé­fantrine chez l'enfant selon le poids ou la tranche d'âge

Artémether - Luméfantrine (20 / 120 mg) Posologie : 2 prises par jour Jour 1 Jour 2 Jour 3 Total
05 - 15 kg (6 mois à 3 ans) 1 comprimé 1 comprimé 1 comprimé 6 comprimés
1 comprimé 1 comprimé 1 comprimé
15 - 24 kg (3 ans à 7 ans) 2 comprimés 2 comprimés 2 comprimés 12 comprimés
2 comprimés 2 comprimés 2 comprimés
25 - 34 kg (7 ans à 10 ans) 3 comprimés 3 comprimés 3 comprimés 18 comprimés
3 comprimés 3 comprimés 3 comprimés
Plus de 34 kg (11 ans et plus) 4 comprimés 4 comprimés 4 comprimés 24 comprimés
4 comprimés 4 comprimés 4 comprimés

Tableau 3 : posologie et durée du traitement de l'association Artésunate - Amodia­quine chez l'enfant selon le poids ou les tranches d'âge.

Artésunate (50 mg) Amodiaquine (20 mg) Posologie : 1 prise unique par jour Molécules Jour 1 Jour 2 Jour 3 Total
Moins de 10 kg (< 1 an) Artésunate 1/2 comp 1/2 comp 1/2 comp 1+1/2 comp
Amodiaquine 1/2 comp 1/2 comp 1/2 comp 1+1/2 comp
10 - 20 kg (1 à 7 ans) Artésunate 1 comp 1 comp 1 comp 3 comp
Amodiaquine 1 comp 1 comp 1 comp 3 comp
21 - 40 kg (7 ans à 13 ans) Artésunate 2 comp 2 comp 2 comp 6 comp
Amodiaquine 2 comp 2 comp 2 comp 6 comp
Plus de 40 kg (> 13 ans) Artésunate 4 comp 4 comp 4 comp 12 comp
Amodiaquine 4 comp 4 comp 4 comp 12 comp

Tabeeau 4 : signes cliniques du paludisme simple et du paludisme grave

Paludisme simple Paludisme grave
  • Fièvre
  • Frissons
  • Sueurs
  • Céphalées
  • Algies diffuses
  • Troubles digestifs parfois (anorexie, vomissements, diarrhée)
  • Prostration
  • Trouble de la conscience
  • Détresse respiratoire
  • Convulsions répétées
  • Collapsus circulatoire
  • Urines rares et concentrées
  • Saignement anormal
  • Anémie sévère
  • Urines foncées

Tableau 5 : critères de gravité de l'accès pernicieux (OMS)

Cliniques Biologiques
Prostration, coma Hypoglycémie (< 2,2 mmol/1)
Convulsions généralisées Anémie grave (< 6 g/dl)
Collapsus cardio-vasculaire Oligurie (< 400 ml/j)
Syndrome hémorragique Créatininémie (< 265 µmol/l)
OEdème pulmonaire Hémoglobinurie
Ictère Acidoses sanguine (pH < 7,25)

Développement et Santé, n°189, 2008